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Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu 23 mai 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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« Le fils de Zidane est joueur de foot professionnel, comme le fils de Cruyff l’a été. Le père de Youri Djorkaeff, champion du monde 98, était international de foot. Le frère de Marcel Desailly, champion du monde 98, était aussi international. Valère Germain, joueur de l’OM qui joue ce soir la finale de la coupe d’Europe, est le fils de Bruno Germain, joueur de l’OM qui a joué la finale de la coupe d’Europe en 1991. Les 3 frères du gardien international de l’OM, Steve Mandanda, sont des gardiens professionnels… etc. Notre étude montre de façon incontestable que la probabilité pour qu’un fils ou un neveu de joueur de foot professionnel devienne international est 1700 fois supérieure à celle du reste de la population…[…]

Les enfants des professionnels disposent donc d’un capital sportif supérieur aux autres. […] Or cette différenciation est arbitraire au sens où elle ne fait que correspondre au code sportif imposé par les élites ; il s’agit simplement d’une façon de dissimuler les rapports de force pour les imposer comme légitimes : au final, les joueurs de foot professionnels constituent une élite endogène. Les centres de sélection pour jeunes ont pour fonction de masquer l’arbitraire de la sélection sportive. »

Les sociologues qui s’exprimeraient ainsi seraient l’objet de la risée générale. Il suffirait pour les contredire de les placer sur le terrain face à Marcel Desailly, Zidane, leurs enfants et le score final du match leur indiquerait de façon douloureuse que les critères de la sélection sportive, même s’ils ont pour effet indéniable de reproduire une élite sportive, n’ont absolument rien d’arbitraire.

Pourtant, ce raisonnement est très exactement celui que fait Bourdieu en matière de sélection scolaire. Bourdieu pose le principe d’une sélection arbitraire en introduction à son livre « Les héritiers ». Il ne la démontre pas, il raisonne par analogie et compare l’école au rite initiatique des indiens Omaha. Selon Margaret Mead, citée par Bourdieu : « En principe, l’entrée dans la société était validée par une vision. […] Mais les jeunes gens devaient raconter leurs visions aux anciens, cela pour se voir annoncer, s’ils n’étaient pas membres des familles de l’élite, que leur vision n’était pas authentique. [En conclusion], la vision n’était pas une expérience mystique démocratiquement accessible à quiconque mais bien une méthode soigneusement gardée pour conserver à l’intérieur de certaines familles l’héritage. ».

Dégager les contradictions internes à l’oeuvre de Bourdieu

L’objectif de ce billet est de réfuter Bourdieu en utilisant des arguments simples, compréhensibles par tous et déduits de l’œuvre de Bourdieu même, sans faire appel à aucun autre élément. A ma connaissance, ce travail n’a pas été fait jusqu’à présent. Boudon, dans « L’inégalité des chances » développe une critique brillante et fondée du travail de Bourdieu, mais il le fait au nom d’une idéologie libérale, elle-même critiquable et surtout, comme je vais l’expliquer ci-dessous, sa critique passe à côté de l’essentiel car elle s’attaque principalement à la partie statistique du travail de Bourdieu. Plus récemment, François-Xavier Bellamy, comme beaucoup d’autres, condamne la théorie scolaire de Bourdieu au nom de ses effets néfastes, depuis 30 ans, sur l’école française et de diverses considérations empiriques basées sur le bon sens. Mais, en toute rigueur, on ne peut réfuter une théorie politique, religieuse ou sociale en étudiant ses conséquences à un moment donné de l’histoire (ou alors, on va par exemple condamner le christianisme pour toujours parce qu’il y a eu l’Inquisition, le socialisme parce qu’il y eu Hollande ou le marxisme parce qu’il y a eu Staline). On le peut d’autant moins qu’on fait face à une armée de disciples militants convaincus qui ne se privent pas de répondre que Bourdieu aurait été mal compris et donc mal mis en œuvre (avec bien évidemment, un manque criant de moyens !). On ne peut pas non plus simplement invoquer “le bon sens” pour réfuter une théorie dont justement la force de conviction réside dans le fait qu’elle tente de prouver que “le bon sens” est, au fond, une illusion qui nous masque la réalité des rapports sociaux.

La grande illusion

L’analogie fondatrice utilisée par Bourdieu dans « Les héritiers »  a eu un impact durable sur les héritiers de Bourdieu. Thomas Piketty l’a encore citée tout récemment dans un article sur l’inégalité. A travers ce genre d’analogies, les sciences humaines ont pour objectif de découvrir des invariants qui traversent toutes les cultures – et qui pourraient ainsi justifier l’utilisation qu’elles font du terme « sciences ». L’analogie la plus célèbre, le prototype si j’ose de dire de toutes les analogies utilisées en sciences humaines est celle du sorcier de Freud.  Dans “L’avenir d’une illusion“, Freud montre le lien entre toutes les religions, en ceci qu’elles sont des illusions. Le sorcier qui danse pour faire pleuvoir est toujours dans l’illusion (car même s’il pleut après sa danse, le lien entre la danse et la pluie qui s’ensuit ne peut être scientifiquement établi). Notez l’importance de ce terme “illusion”, qui ne signifie pas “erreur”. Vous ne pouvez pas vous non plus montrer que le sorcier n’a pas fait pleuvoir. Mais une fois que Freud vous a parlé du sorcier dans la religion primitive, et rapproche son comportement de celui du croyant ou du prêtre dans les religions bibliques, vous constatez que tous sont indubitablement dans l’illusion (au sens défini plus haut) et la foi du croyant moderne en prend, comme on dit, un sacré coup. Sans prouver l’inexistence de Dieu, l’analogie du sorcier l’induit presque naturellement en créant ce concept d’illusion qui ramène toutes les religions au rang de superstitions.

La citation de Margaret Mead semble tellement éclairante que personne, absolument personne, ne s’est réellement demandé si l’analogie avec le système éducatif était fondée. Deux conditions sont nécessaires pour qu’elle le soit. Il faut tout d’abord que l’observation de l’anthropologue soit exacte, or rien n’est prouvé en l’espèce et les données exactes de l’observation ne sont pas disponibles. La compréhension qu’a Margaret Mead du langage Omaha peut l’empêcher d’en saisir telle ou telle subtilité (de même, un étranger pourrait ne pas sentir la musique d’un vers ou d’une poésie en Français et, partant, tenir le résultat d’un concours littéraire comme tout à fait arbitraire). Bref, il faudrait s’assurer que cette observation, presque trop belle, ne correspond pas au biais ou au complexe de supériorité de l’anthropologue elle-même, Margaret Mead ayant souvent été une observatrice pour le moins pressée.

Il faut se souvenir ensuite qu’une analogie ne prouve rien en tant que telle. Comme le dit l’adage populaire, comparaison n’est pas raison. L’analogie est un raccourci saisissant, qui aide à la compréhension et surtout qui aide à convaincre, mais ce n’est pas un instrument de preuve. Autrement dit, la démonstration que l’école constitue un moyen de sélection arbitraire, que les bons élèves ne font que répondre à des codes sociaux et non pas à une maîtrise objective de tel ou tel savoir, de telle ou telle compétence, reste totalement à la charge de Bourdieu. Mais la suite des « Héritiers » n’est nullement consacrée à cette démonstration. Bourdieu se contente, avec force tableaux et une grande lourdeur, d’observer que la sélection scolaire est de nature inégalitaire. Or, cette démonstration tient du truisme. Dans la plupart des activités humaines, comme le football, les enfants héritent, soit naturellement soit culturellement, des qualités des parents. Cela ne prouve en rien qu’il y ait stratégie, même inconsciente, de reproduction d’un ordre social ni surtout que les critères de sélection soient eux-mêmes arbitraires, comme le montrerait, encore une fois, le résultat du match opposant les enfants de sociologues aux enfants des joueurs de foot professionnels.

Ainsi quand Thomas Piketty écrit : « Bourdieu met à jour les mécanismes de légitimation de l’ordre social à l’œuvre dans le système d’enseignement supérieur. Sous les atours du « mérite » et des « dons » personnels, les privilèges sociaux se perpétuent, car les groupes défavorisés ne disposent pas des codes et des clés par lesquels se joue la reconnaissance. », il commet une lourde erreur. Bourdieu n’observe en fait que le lien entre classe sociale et réussite scolaire (la réalité de ce lien étant une évidence, un truisme) et l’interprète a priori comme une mise en évidence d’une stratégie inconsciente de reproduction en posant, sans démonstration, le fait que les savoirs ou compétences observées par l’école seraient arbitraires.

Pourquoi les grenouilles font-elles pleuvoir ?

Tous les calculs, tableaux, graphiques un peu lourdingues fournis par Bourdieu dans son livre, l’utilisation assez poussée de l’outil statistique qu’il met en œuvre, sont donc absolument non pertinents pour prouver sa thèse. Ils ne prouvent encore et toujours que la même évidence, dont personne n’a jamais douté : il y a bien un lien entre réussite scolaire et classe sociale. On peut comparer Bourdieu au biologiste qui voudrait prouver que les grenouilles font pleuvoir. Il remarque d’abord la présence des grenouilles en temps de pluie puis les observe consciencieusement au microscope : ce faisant, il ne prouve en rien sa thèse mais oui, quel que soit le grossissement du microscope, quel que soit l’angle de vue, l’éclairage, décidément, oui, cent fois oui !, notre biologiste-sociologue peut vous confirmer qu’il s’agit bien de grenouilles ! Dans le cas de Bourdieu, l’habillage scientifique impressionne et permet de masquer l’absence de réel raisonnement (en ceci aussi, Bourdieu est bien le père et le précurseur de la méthode sociologique moderne).

La vraie question reste donc : les savoirs enseignés à l’école sont-ils, comme le prétend Bourdieu, de nature arbitraire ? Sont-ils de simples codes ? On peut répondre de façon immédiate qu’il n’en est sans doute rien.

Dans les matières scientifiques, la capacité à résoudre des problèmes de nature par exemple mathématique est une capacité objective, qui a permis à la science moderne de prédire de nombreux phénomènes et de développer de nouvelles techniques. Si cette capacité était arbitraire, le scientifique serait dans l’impossibilité de déterminer par exemple la durée d’une chute libre. L’ordinateur sur lequel je tape actuellement ce modeste papier n’existerait pas. Bref, le côté non arbitraire de la maîtrise scientifique est expérimentalement prouvé.

Il en est de même pour les langues (anglais, latin…). Le niveau atteint dans une langue n’est pas arbitraire, tous ceux dont c’est la langue maternelle ou qui maîtrisent la langue peuvent en juger.

Dans les disciplines artistique et littéraires, on ne peut pas apporter de réponse aussi tranchée à cette question. Il se peut donc que le choix de Michel-Ange, Shakespeare, Molière, Proust ou Dostoïevski comme grands auteurs soit totalement arbitraire et corresponde à un simple code social, une forme de snobisme généralisé. C’est pourquoi d’ailleurs Bourdieu, dans La Noblesse d’Etat, se focalise largement sur la philosophie et le français. Pour que cette conjecture prospère, il faut supposer que tous les enseignants de français, d’histoire, de géographie… et de sociologie vivent depuis des siècles dans cette illusion. Que cette illusion s’est aussi étendue aux « scientifiques » qui, bien que sélectionnés sur des critères objectifs, auront apprécié les mêmes auteurs. Que la corrélation observée, chez les bons élèves, entre leur performance scientifique et leur performance littéraire serait liée au hasard, alors même que la performance scientifique ne peut être un code et la performance littéraire le serait. Une telle affirmation me semble totalement stupide, j’ai toujours senti une continuité très nette bien que difficile à définir entre les enseignements des humanités et les enseignements scientifiques. Ne pas pouvoir appréhender sous forme d’équation un phénomène ne signifie en rien qu’il soit arbitraire, tous les hommes sont sensibles, par exemple, à la beauté d’un paysage sans qu’on n’en connaisse les raisons exactes. (Mais peut-être suis-je moi-même le produit d’une illusion sociale généralisée). Tout ceci sans nier cependant qu’il y a forcément une part de formation du goût, du style, de l’oreille, de l’œil ; bref une part culturelle, dans les matières artistiques et littéraires.

Au final, il en est donc bien de la performance scolaire comme du niveau de football : elle est héritée des parents mais elle n’est pas arbitraire.

Le capital culturel et la reproduction

Poser l’école comme un simple instrument de reproduction des élites a profondément cassé l’école depuis une quarantaine d’années en enlevant tout sens au travail des professeurs. L’objectif, le sens, de l’école républicaine est l’émancipation par le savoir. En posant, faussement, ce savoir comme arbitraire, Bourdieu a fait de l’école républicaine une simple illusion, un mythe. L’école a été détruite de l’intérieur. Les bons élèves sont devenus des cochons d’héritiers, dotés d’un « capital culturel ».

Il est à noter d’ailleurs que le terme « capital culturel », qui a fait grande impression, est lui-même arbitraire et impropre. La notion fait évidemment référence au capital de Marx, fruit du produit de l’accumulation des ancêtres, instrument de pouvoir et de domination transmis automatiquement et sans justification éthique aux enfants qui n’ont eu besoin que de naître avec une cuillère d’argent dans la bouche. Mais, à la différence du capital financier, le capital culturel ne s’acquiert pas automatiquement, il demande de grands efforts des parents et des enfants et est le résultat d’un processus noble, indispensable au progrès humain, qui s’étend sur une vingtaine d’années, nommé éducation.

Les parents qui tentent de le transmettre aux enfants devraient être encouragés, non stigmatisés. L’héritage financier pourrit très souvent les héritiers, l’héritage intellectuel les élève de façon réelle et objective en sublimant leurs qualités individuelles. L’héritage culturel (sportif, scolaire, etc…) est une caractéristique unique, peut-être la plus haute qualité de l’espèce humaine sans laquelle nous serions tous des “premiers hommes”, au sens où l’entendait Camus.

Qui plus est, alors que le capital de Marx est fini et limité par nature, le capital culturel est de nature logicielle, il peut se dupliquer à l’infini et la méthode pour le dupliquer est simple et connue : aux enfants qui n’ont pas la chance d’avoir un environnement culturel suffisant, il faut donner une école qui fonctionne, qui enseigne les savoirs sans arrière-pensée. Or ceci est impossible si on suit les théories de Bourdieu.

Au final, on devrait simplement parler d’environnement culturel favorable, non pas de capital culturel.

De même, Bourdieu emploie pour caractériser les effets de l’école le terme de “reproduction” car la performance scolaire est liée à l’environnement culturel, et donc social. Mais ceci ne suffit absolument pas pour caractériser une “reproduction”. La révolution française, abolissant les privilèges et forçant l’héritage à être également réparti entre les enfants, aboutit à une meilleure répartition des richesses puisque le capital transmis à chaque héritier diminue à chaque génération de façon exponentielle pour peu que le nombre d’héritiers soit supérieur à deux et que l’état prélève une part significative de cet héritage, ce qui est le cas. Ceci n’empêche nullement qu’il vaut évidemment mieux, pour ce qui est de la richesse personnelle, avoir des parents aisés mais le terme “reproduction” est impropre en l’espèce. Il y a mouvement réel vers l’égalité qui se réalise en quelques générations. Ce mouvement ne peut s’observer que via des statistiques globales et les études de Bourdieu, portant sur la composition sociale des populations entrant dans le supérieur, sont non pertinentes pour observer un phénomène éventuel de reproduction quel qu’il soit. Il faudrait regarder par l’autre bout de la lorgnette. Le problème n’est pas de rechercher, comme le fait Bourdieu, si 20% des polytechniciens ont un parent polytechnicien mais si les enfants ayant un seul parent polytechnicien ont  une probabilité d’entrer à l’X de l’ordre de 25% – ce seuil caractérisant la reproduction génétique. Jamais Bourdieu ne propose ce genre d’analyses, elles l’intéressent visiblement bien moins que l’utilisation politique, polémique, impropre du terme lui-même. Il s’agit de frapper les esprits, pas d’être intellectuellement rigoureux.

La violence symbolique

Le terme « violence symbolique » qui caractérise pour Bourdieu toute action pédagogique est lui aussi tout à fait impropre et même absurde. Bourdieu se donne très rapidement le droit d’utiliser cette expression car l’éducation serait « l’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel »[1]. Or nous avons vu que le contenu enseigné n’est en rien arbitraire. Au final, le choix des termes employés par Bourdieu tient plus du message militant que d’une volonté de clarté ou d’explication, et c’est ce qui leur a valu, en grande partie, leur succès.

L’objectif utopique de lécole

Quel est le rôle de l’école Républicaine au final ?  C’est finalement de transformer chaque enfant en « héritier culturel », au sens où le dénonce Bourdieu ! On voit bien par là en quoi sa théorie est paradoxale et aboutit à la destruction de l’idéal de l’école: la Révolution française faisait de chaque français un citoyen, l’école devrait avoir pour but de faire de chaque enfant un salop d’aristocrate !

En langage non Bourdieusien, le rôle idéal de l’école républicaine est de maximiser le niveau scolaire que l’enfant peut atteindre et de rendre la réussite scolaire de chaque enfant indépendante de son milieu et dépendante uniquement de ses capacités propres.

Or, il est évident que ce genre de proposition ne peut s’entendre que de façon utopique et ceci pour deux raisons :

  • Comme les joueurs de foot, les enfants héritent, culturellement et génétiquement, de leurs parents. Le rôle de l’école est alors de compenser au mieux l’action des « mauvais » parents (j’entends par là ceux qui sont les moins à mêmes de transmettre du capital culturel à leurs enfants) en assistant les enfants les plus défavorisés dès le plus jeune âge.
    • Cette capacité à transmettre un capital culturel n’est que partiellement reliée à la classe sociale. Un enfant de cadres supérieurs, rentrant tard le soir, n’est pas forcément, sous ces aspects, plus favorisé qu’un enfant d’ouvriers dont les parents rentreraient à 5 heures de l’après-midi.
  • De même qu’il n’y a aucune raison de penser que la transmission des qualités sportives est liée au seul entraînement sportif et indépendante de tout capital génétique, les enfants des parents scolairement doués ont sans doute des chances génétiques plus fortes que les autres de bien réussir à l’école. Dans une école parfaitement égalitaire (et donc totalitaire !), qui choisirait d’enlever tous les enfants à leur famille dès la naissance pour les placer dans des conditions d’éducation rigoureusement identiques loin de chez eux, on pourrait donc aussi assister à un certain phénomène de “reproduction”.

L’utopie ne doit pas s’entendre ici comme une théorie farfelue, mais plutôt comme une sorte d’objectif de « passage asymptotique à la limite ». Même si cet objectif est probablement inatteignable, l’école doit effectivement tenter de s’en rapprocher.

Redéfinir l’inégalité en matière scolaire

La question suivante me paraît très intéressante : pourquoi Bourdieu et tant de sociologues se focalisent-ils à ce point sur l’étude de l’inégalité scolaire (au point que ce thème d’études constitue, chez les sociologues, un véritable habitus – j’emploie ce mot au sens de Bourdieu-  leur permettant de se reconnaître entre eux).

La raison est évidente : en France, le niveau social atteint est corrélé très largement, de façon évidente, à la difficulté de la sélection scolaire. A l’époque ou écrit Bourdieu, le système scolaire trie tous les élèves selon, grosso modo, leur moyenne en maths et il n’y a chaque année qu’un seul vainqueur : le major de l’X. Tous les autres sont des déçus du système. Même l’orientation vers des métiers de vocation, tels que la médecine, est souvent vécue comme un échec (on fait la fac de médecine parce qu’on n’a pas été admis en Maths Sup). L’élève français ne fait pas de choix actif, il est progressivement «éliminé » par le système.  Depuis Bourdieu, les choses ont changé au bénéfice de l’ENA ou d’HEC[2], mais le paradoxe est que cela ne constitue en rien un mieux, ces écoles étant celles qui sélectionnent le plus sur le fameux « capital culturel », propre des matières orales ou littéraires.

Cette façon de voir est absurde. Les élèves ne peuvent être triés ainsi car il y a entre les êtres humains une différence de nature, pas de degré. Les professions de médecin, ministre, ingénieur, ouvrier, mathématicien, agriculteur doivent simplement correspondre à des vocations différentes, conséquences chaque fois que c’est possible d’un choix actif, positif. Et si le métier d’ouvrier est plus dur que celui de mathématicien, c’est le prestige social de l’ouvrier qui en sort renforcé, non pas l’inverse. C’est tout le discours scolaire sur l’excellence qui doit changer.

Les inégalités sociales liées à la profession ont progressé de façon exponentielle depuis Bourdieu, comme le montre, justement cette fois-ci, Piketty dans « Le Capital au XXIème siècle ». Un patron comme Carlos Ghosn, diplômé de Polytechnique, gagne aujourd’hui 1000 à 10 000 fois le salaire de ses ouvriers (en augmentation d’un facteur 20 à 200 depuis les années 70), ce qui crée une différence de revenus comparable à celle qui, au Moyen-âge, séparait un Comte de ses serfs, c’est-à-dire incompatible avec la notion d’égalité. Cette pression sociale pèse de façon toujours plus intense sur l’école et la corrompt. Apprendre simplement pour gagner beaucoup d’argent plus tard, pour avoir une chance de trouver un métier, c’est abaisser moralement les élèves, ce que jamais la République ne devrait faire ; c’est prendre le risque de sélectionner non pas les plus profonds, mais les plus arrivistes. Apprendre pour de l’argent, c’est mal apprendre. L’ambition, la volonté de passer le concours, ne peuvent constituer les seuls mobiles du désir d’apprendre. La nation y perd sans doute, la recherche y perd certainement.

La plus-value économique n’est pas l’objectif premier de l’école, qui depuis Jules Ferry a d’abord eu pour but de former des citoyens libres, au sens du premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et éclairés. L’objectif premier de l’école doit être de définir le niveau scolaire nécessaire pour pouvoir vivre libre et d’y mener un maximum de citoyens.

L’école n’est en rien responsable du niveau actuel des inégalités sociales ni du fait qu’on accorde, en quelque sorte, trop d’importance à son diplôme. Si on ne lutte pas contre l’inégalité résultant de l’école après l’école, dont notre société est seule coupable, on aura non seulement une école inefficace, mais on ne corrigera jamais l’inégalité scolaire d’origine sociale dont parle Bourdieu et on n’aurait même jamais un intérêt réel à la corriger. Certes, on doit compenser au mieux les inégalités scolaires d’origine sociale, mais la situation qui consisterait à introduire lorsque les élèves-citoyens ont 20 ans, sous prétexte de performance scolaire, des inégalités sociales de même ampleur que celles du XIXème siècle ne serait pas un progrès, même dans le cas hypothétique où la réussite scolaire deviendrait un jour indépendante du milieu social. L’égalité est un but premier, la sélection au mérite, même stricto sensu, ne peut servir d’alibi à l’inégalité.

[1] « La reproduction », page 2. On y trouve aussi, dès la page 1, cette brillante démonstration sur la violence symbolique. « Scolie : Refuser cet axiome reviendrait à nier la possibilité d’une science sociologique » ! Imagine-t-on Newton : « refuser la notion de gravité universelle reviendrait à nier la possibilité d’une science physique » ? L’échec fait partie intégrante de toute procédure de recherche scientifique et l’absence de résultats probants n’est en rien honteuse. Mais la prétention des termes employés, mise en rapport avec la légèreté des « démonstrations » constitue le vrai, le grand échec de Bourdieu et sans doute d’une grande partie de la sociologie et des sciences de l’éducation actuelles.

[2] Bourdieu a d’ailleurs parfaitement prédit cette évolution et en a donné les raisons.

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Un exemple de cours de robotique Algora sous microbit: la synchronisation des vers luisants 19 avril 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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La philosophie des cours Algora : comprendre la beauté du monde qui nous entoure

L’objectif profond de nos cours Algora est de faire comprendre aux enfants le fonctionnement du monde qui les entoure, et qui les entourera de plus en plus: celui de la révolution numérique. La révolution numérique a commencé au début des années 2000 et est toujours en cours. Pour la comprendre, il faut savoir programmer et surtout raisonner à l’aide d’algorithmes.

Les machines programmées étudiées dans notre cursus de programmation de robots Algora (qui s’étend sur 3 ans) couvrent un spectre d’applications extrêmement vaste (voitures intelligentes, machines outils, robots “aspirateurs intelligents”, robots “de combat”, jeux vidéos programmés – voir ci-dessous) et nous avons aussi un certain nombre d’exemples qui nous sont inspirés par la nature. Par exemple, je suis très fier de ces robots qui marchent (mille-pattes, puis araignée, puis chien puis robot bipède), où nous apprenons à l’enfant les principes de la marche, puis de l’équilibre de façon à ce qu’il puisse ensuite les programmer.

Le cas des vers luisants

Avec cet exemple des vers luisants, nous allons au coeur même de la compréhension de la nature, qui fonctionne elle aussi, parfois, par algorithme. Les vers luisants dans la nature clignotent ensemble, ils se synchronisent entre eux. Mettez 1000 vers luisants ensemble, ils clignotent au départ de façon non synchronisée puis, progressivement, ils vont se mettre à clignoter ensemble. Le mécanisme de cette synchronisation est resté longtemps mystérieux et a été découvert en 1992. Tous les verts luisants sont munis d’une horloge biologique interne qui définit le rythme des clignotements. Ces horloges sont au départ désynchronisées, mais quand un ver luisant clignote à proximité, le ver luisant qui voit la lumière avance légèrement son horloge et, par un mécanisme qu’il est extrêmement difficile de comprendre sans le réaliser, cela suffit pour que tous les vers luisants se synchronisent progressivement, même s’ils sont des dizaines de milliers.

(Ci-dessous, une vidéo de vers luisants dans la nature)

C’est un vrai cas d’intelligence collective: un ordinateur central, aussi puissant soit-il, aurait beaucoup de mal à synchroniser les vers luisants dès que le nombre dépasse quelques centaines. Avec une intelligence minimale (quelques centaines de neurones) et une horloge interne, la nature parvient sans effort à créer ce phénomène.

C’est magique, incroyable ou miraculeux, selon l’angle sous lequel on envisage la question. (Nous ne rentrons pas dans ces considérations dans nos cours, nous cherchons à faire sentir à l’enfant que tout ceci est tout simplement beau).

Les fonctions de communication de robots sur la carte microbit

J’ai expliqué dans un billet précédent qu’un des avantages de la carte microbit est qu’elle possède des fonctions d’émission de signal radio à la fois très avancées et très simples à mettre en place. Il est possible, avec une vingtaine de lignes de code, de synchroniser entre eux autant de vers luisants numériques qu’on veut, c’est très simple à réaliser. Les deux lignes qui comptent, tout le monde peut les comprendre:

/

Et les enfants, comme nous, même après avoir programmé les vers luisants, passent du temps à essayer de comprendre comment cela se passe. Essayez: avec 2 verres luisants, on comprend. Avec 3, va encore. Au delà de 4 ou 5, notre capacité de réflexion explose: on ne peut plus que constater que ça fonctionne.

(Ci-dessous, une vidéo des vers luisants virtuels)

Les algorithmes distribués au coeur de la nature

Il y a tout une classe d’algorithmes dit “distribués” ou “collaboratifs” où un comportement apparemment très complexe est obtenu à partir de choix très simples, effectués par chacun des agents: la forme que prennent les nuages d’oiseaux dans le ciel (ou les bancs de poisson dans l’eau), la façon dont les chiens de berger rangent les moutons, etc. La découverte de ces algorithmes s’effectue de façon très progressive et a commencé il y a une vingtaine d’années. Nous tentons de les faire pressentir aux enfants, mais évidemment, dans notre cursus plus avancé, pour le lycée ou l’enseignement supérieur, nous irons plus loin (1).

Lorsque nous arrivons à faire marcher nos robots, nous reconstituons la nature (la plupart du temps assez maladroitement, il faut bien l’avouer !). Lorsque nous faisons clignoter nos vers luisants virtuels, nous la comprenons réellement, nous sommes au cœur de ce qui fait la nature.


(1) Et dans le supérieur, ou en Terminale, on doit sans doute, avec quelques précautions opératoires, pouvoir faire communiquer les vers luisants au son, les éloigner de quelques mètres et synchroniser les horloges en mode “relativité restreinte”, le son jouant le rôle de la lumière. Je rappelle que ce problème de synchronisation est au cœur de la théorie de la relativité. Même avec 2 vers, ceci est intéressant car il y a très peu de façon d’observer la relativité restreinte.

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Un exemple de cours de robotique Algora sous microbit: la synchronisation des vers luisants

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La philosophie des cours Algora : comprendre la beauté du monde qui nous entoure

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Les machines programmées étudiées dans notre cursus de programmation de robots Algora (qui s’étend sur 3 ans) couvrent un spectre d’applications extrêmement vaste (voitures intelligentes, machines outils, robots “aspirateurs intelligents”, robots “de combat”, jeux vidéos programmés – voir ci-dessous) et nous avons aussi un certain nombre d’exemples qui nous sont inspirés par la nature. Par exemple, je suis très fier de ces robots qui marchent (mille-pattes, puis araignée, puis chien puis robot bipède), où nous apprenons à l’enfant les principes de la marche, puis de l’équilibre de façon à ce qu’il puisse ensuite les programmer.

Le cas des vers luisants

Avec cet exemple des vers luisants, nous allons au coeur même de la compréhension de la nature, qui fonctionne elle aussi, parfois, par algorithme. Les vers luisants dans la nature clignotent ensemble, ils se synchronisent entre eux. Mettez 1000 vers luisants ensemble, ils clignotent au départ de façon non synchronisée puis, progressivement, ils vont se mettre à clignoter ensemble. Le mécanisme de cette synchronisation est resté longtemps mystérieux et a été découvert en 1992. Tous les verts luisants sont munis d’une horloge biologique interne qui définit le rythme des clignotements. Ces horloges sont au départ désynchronisées, mais quand un ver luisant clignote à proximité, le ver luisant qui voit la lumière avance légèrement son horloge et, par un mécanisme qu’il est extrêmement difficile de comprendre sans le réaliser, cela suffit pour que tous les vers luisants se synchronisent progressivement, même s’ils sont des dizaines de milliers.

(Ci-dessous, une vidéo de vers luisants dans la nature)

C’est un vrai cas d’intelligence collective: un ordinateur central, aussi puissant soit-il, aurait beaucoup de mal à synchroniser les vers luisants dès que le nombre dépasse quelques centaines. Avec une intelligence minimale (quelques centaines de neurones) et une horloge interne, la nature parvient sans effort à créer ce phénomène.

C’est magique, incroyable ou miraculeux, selon l’angle sous lequel on envisage la question. (Nous ne rentrons pas dans ces considérations dans nos cours, nous cherchons à faire sentir à l’enfant que tout ceci est tout simplement beau).

Les fonctions de communication de robots sur la carte microbit

J’ai expliqué dans un billet précédent qu’un des avantages de la carte microbit est qu’elle possède des fonctions d’émission de signal radio à la fois très avancées et très simples à mettre en place. Il est possible, avec une vingtaine de lignes de code, de synchroniser entre eux autant de vers luisants numériques qu’on veut, c’est très simple à réaliser. Les deux lignes qui comptent, tout le monde peut les comprendre:

Et les enfants, comme nous, même après avoir programmé les vers luisants, passent du temps à essayer de comprendre comment cela se passe. Essayez: avec 2 verres luisants, on comprend. Avec 3, va encore. Au delà de 4 ou 5, notre capacité de réflexion explose: on ne peut plus que constater que ça fonctionne.

(Ci-dessous, une vidéo des vers luisants virtuels)

Les algorithmes distribués au coeur de la nature

Il y a tout une classe d’algorithmes dit “distribués” ou “collaboratifs” où un comportement apparemment très complexe est obtenu à partir de choix très simples, effectués par chacun des agents: la forme que prennent les nuages d’oiseaux dans le ciel (ou les bancs de poisson dans l’eau), la façon dont les chiens de berger rangent les moutons, etc. La découverte de ces algorithmes s’effectue de façon très progressive et a commencé il y a une vingtaine d’années. Nous tentons de les faire pressentir aux enfants, mais évidemment, dans notre cursus plus avancé, pour le lycée ou l’enseignement supérieur, nous irons plus loin (1).

Lorsque nous arrivons à faire marcher nos robots, nous reconstituons la nature (la plupart du temps assez maladroitement, il faut bien l’avouer !). Lorsque nous faisons clignoter nos vers luisants virtuels, nous la comprenons réellement, nous sommes au cœur de ce qui fait la nature.


(1) Et dans le supérieur, ou en Terminale, on doit sans doute, avec quelques précautions opératoires, pouvoir faire communiquer les vers luisants au son, les éloigner de quelques mètres et synchroniser les horloges en mode “relativité restreinte”, le son jouant le rôle de la lumière. Je rappelle que ce problème de synchronisation est au cœur de la théorie de la relativité. Même avec 2 vers, ceci est intéressant car il y a très peu de façon d’observer la relativité restreinte.

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« Au Collège des Bernardins, je vous ai compris » 15 avril 2018

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Il y a eu une telle levée de boucliers « laïques » contre ce discours que j’aimerais y apporter mes commentaires – dans la mesure où je n’ai pas pu trouver ces idées ailleurs. Pour moi, qui suis un laïc « strict » (puisque malheureusement on doit aujourd’hui préciser le côté « strict »), le discours de Macron aux Bernardins non seulement n’est en rien une entorse à la laïcité mais la renforce.

Mais on ne peut le comprendre que si on comprend ce qui sous-tend sa vision : la différence de fond entre l’Eglise catholique, pouvoir temporel issu des dérives de l’Empire Romain et les chrétiens eux-mêmes. L’Eglise, en tant qu’Institution, tout en prétendant s’inspirer des Évangiles, n’y a pas compris grand chose pendant des centaines d’années. l’Inquisition, par exemple, n’est pas présente dans les Évangiles. Il faut différencier la façon dont les hommes tentent de mettre en œuvre un message et le message. De même, le Goulag russe n’est pas une démonstration contre le marxisme, etc.

Quand Macron s’adresse à l’Eglise catholique, il la garde à la place que la République lui a assignée : loin du pouvoir temporel. Quand il s’adresse aux chrétiens, il leur demande de se mettre au service de la France, non pas en tant que membres de l’Eglise, mais en tant que citoyens pris chacun individuellement.

Je précise que je ne suis ni de religion chrétienne ni croyant. Il y a grosso modo aujourd’hui trois catégories de laïcs : des laïcs « stricts » qui n’ont rien contre les personnes croyantes a priori (j’en fais partie), des laïcs dits « accommodants » qui pour moi n’ont plus rien à voir avec la laïcité (contre lesquels je lutte), des laïcs stricts, bouffeurs de curé, avec lesquels je n’ai rien en commun. Ces bouffeurs de curé arrivent souvent aux mêmes conclusions que moi, mais c’est presque par hasard et ça ne compte pas vraiment, si on considère qu’il n’y a que le raisonnement qui compte.

Le principe de laïcité réaffirmé : « Vous comme moi, nous savons que la voix de l’Eglise ne peut être injonctive »

S’il y avait une phrase, une seule, à retenir de ce discours, c’est celle-ci :

« Vous comme moi, nous savons que la voix de l’Eglise ne peut être injonctive ».

Petite explication de texte : l’utilisation du terme « injonctive » définit exactement la place de l’Eglise telle qu’elle lui a été attribuée par le principe de laïcité. « Vous comme moi, nous savons… » : « Vous » (L’Eglise) car il vous a été demandé de « rendre à César ce qui appartient à César » et que cette citation de Jésus est une des sources de la laïcité française. Et « moi » (Macron), Président de la République à qui, donc, la laïcité républicaine s’impose nécessairement. Même si cela paraît paradoxal, la laïcité est bien une idée chrétienne que nous, français, avons dû imposer à l’Eglise catholique. L’Eglise catholique, en s’opposant à la laïcité a commis une erreur historique et surtout n’a pas su interpréter ses propres textes fondateurs. (D’autres textes évangéliques esquissent par ailleurs la séparation temporel / intemporel, par exemple l’opposition permanente entre « le Père » et « les puissances du monde »). A tel point qu’on peut certainement considérer sérieusement l’idée que l’émergence « miraculeuse » de ce courant philosophique justement en occident chrétien, justement en France, n’est pas un hasard mais une conséquence de la « Révélation » chrétienne.

Le lien abîmé : « nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer »

Les « athées » de la Révolution et ceux qui ont suivi sont imbibés de christianisme jusqu’à la moelle pour la plupart. Ils haïssent l’Eglise, certes, mais l’Eglise avait commis de nombreux abus et ce qui leur fait haïr ces abus, c’est peut-être justement la part de l’influence du christianisme en eux. (« athée » entre guillemets car évidemment, aussi de nombreux croyants chez les révolutionnaires). A un certain moment, finalement, être chrétien sincère, cela signifiait forcément s’opposer – avec force – à l’Eglise et beaucoup d’athées partagent avec les chrétiens le même esprit de Justice, qui imbibe toute notre société. Comme Mr Jourdain fait de la prose, ils font du christianisme en le rejetant, et sans le savoir. Voilà pour les crimes de l’Eglise, qu’il vous convient de réparer. D’un autre côté (et en même temps !), des abus ont été commis du côté de l’Etat même (spoliations, assassinats et persécutions de prêtres). Et ces crimes, c’est à l’Etat français, à moi, de les réparer aujourd’hui. Quand il dit donc qu’un lien a été cassé entre l’Eglise et l’Etat, Macron ne parle pas nécessairement d’un lien institutionnel ou juridique. Il parle d’une situation historique, où les torts sont partagés.

Sur le rôle des chrétiens et des croyances dans la société

On a reproché à Macron de flatter les catholiques et de ne s’adresser qu’à eux, de ne louer qu’eux. Ce reproche est évidemment injuste. Macron s’est adressé aux juifs, aux protestants, en des termes à peu près similaires (tradition républicaine d’ailleurs). Il pourrait s’adresser aussi bien d’ailleurs à des associations non cultuelles telles que les francs-maçons. Il a appelé à l’engagement tous les jeunes. Tout ceci n’est pas forcément de la basse politique ou de la flatterie clientéliste. Le rôle du Président est de rassembler les énergies et de les mettre au service d’une « certaine idée de la France ». Qu’il s’adresse à chaque association de façon indépendante ne constitue pas un communautarisme, mais plutôt une spécialisation, une segmentation d’un discours politique universel et qui prône l’engagement.

Sur le nécessaire comportement d’un citoyen chrétien au quotidien

Macron appelle les chrétiens à s’engager en tant qu’ils sont citoyens, il n’appelle pas l’Eglise à prendre plus de pouvoir. Le principe républicain ne fait pas fi des croyances. Il est écrit simplement que « la République ne reconnaît aucun culte », c’est très différent. Ensuite, dans notre vie privée, professionnelle, tout ce que nous faisons est nécessairement influencé, infusé, par nos croyances (pas forcément religieuses, la vision qu’on a de l’homme est aussi une croyance. La laïcité n’a de sens que si on croit en l’Homme, comme Zola, et Buisson, à juste titre, parlait de « foi laïque »). Laïcs, athées, agnostiques, religieux, nos croyances dictent nécessairement notre comportement éthique. Vouloir enlever ceci aux chrétiens, dans la mesure évidemment où leurs croyances sont compatibles avec nos lois, c’est une vision liberticide et totalitaire des choses. Tout ceci est une évidence mais il faut le rappeler car beaucoup de laïcs stricts ont été choqués que Macron rappelle le rôle de la croyance dans le comportement de tout chrétien. Rappeler ceci, ce n’est pas une atteinte à la laïcité, ce n’est pas avoir avalé l’eau des burettes, c’est simplement reconnaître que l’Homme est un animal métaphysique.

Il faut réfléchir au comportement d’un croyant fonctionnaire, par exemple d’un juge chrétien, pour comprendre ce que veut dire Macron. Si les lois françaises, s’opposent à la vision qu’a le juge chrétien des lois de Dieu, il ne peut y avoir de juge chrétien stricto sensu, car tout croyant sincère, et c’est normal, et cela ne peut être autrement, doit faire passer les lois de Dieu avant celles des hommes. S’il y a donc des juges chrétiens, c’est que la vision de la Justice au sens des évangiles et au sens de la République sont absolument compatibles (1). Le juge chrétien jugera donc au nom de Dieu (par principe) et au nom du peuple français (raisonnement de droit), mais

« Ces dimensions en réalité sont tellement entrelacées qu’il est impossible de les démêler » [Macron, à propos du gendarme Beltrame]

L’Eglise catholique, les islamistes, ont-ils compris ce discours ?

On a vu des représentants officiels de l’Eglise catholique se féliciter de ce discours, ainsi que diverses associations de l’Islam communautariste et de l’islamisme. A mon avis, ils ont eu tort de se réjouir car la puissance de « la voix non injonctive » est terrible. Si les islamistes acceptent de reconnaître que la voix de l’islam est non injonctive, eh bien, c’est parfait !

La réalité, c’est qu’après un tel discours, Macron garde les mains libres. Laïcité stricte ou accommodante (qui est en réalité une sortie de la laïcité), il est toujours impossible de dire quel parti Macron va prendre. Ce discours, et les réactions qui ont suivi, pourrait bien être l’équivalent Macronien du « Je vous ai compris ». – où justement personne n’avait compris !


(1) Raphaël Enthoven, dans le fin mot de l’info cette semaine: « la laïcité, c’est la reconnaissance qu’il y a plusieurs vérités ». Je pense plutôt que le concept ne fonctionne que parce qu’il n’y a qu’une seule vérité, un seul esprit de justice. La laïcité fait passer le reste (Dieu, etc.) au second plan.

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Laurence de Cock et Riposte Laïque: même combat 11 février 2018

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Je résume.

Episode 1 :  Laurence de Cock (LDC), enseignante un peu frappadingue à mon avis, qui se signale par une grosse présence et des messages très agressifs sur Twitter, tourne une vidéo YouTube sans avoir visiblement bien conscience que cette vidéo la ridiculise elle-même tant tout y est étriqué : le point de vue, le style, le ton ampoulé, sans parler du tic exaspérant de LDC pour remettre en place ses lunettes. La vidéo « Vade Retro Sarrasinas  Que s’est-il passé à Poitiers ?» est une sorte de tentative de déconstruction du « mythe national » qui serait enseigné aux écoliers français. L’objectif est de démontrer que la phrase « Charles Martel a arrêté les arabes à Poitiers » est excessive et LDC consacre 10 minutes lourdingues à nous « démontrer », grimaces à l’appui, que 1) ça s’est passé près de Poitiers et non pas à Poitiers, 2) des éléments de politique intérieure (entre le prince Eudes et Charles Martel) doivent être pris en compte et 3) il n’y avait pas réellement invasion arabe, on peut tout au plus parler d’incursion. L’avenir de la chrétienté n’était nullement en cause et donc le slogan retenu n’est qu’un message mythique, « inventé par la 3ème République », « favorisant les thèmes d’extrême droite » (7mn55s).

Episode 2 : Riposte laïque, une association qui l’air de se sentir visée dès qu’on parle d’extrême droite, monte au créneau, dénonce Laurence de Cock et demande son renvoi de l’Education Nationale (ça ne coûte rien d’essayer).

Episode 3 : Laurence de Cock et toute la mouvance auto-intitulée « anti-fachosphère » (1) dénoncent les attaques « gravissimes », « inqualifiables », « brunes » qui rappellent « les pires heures de notre histoire », etc.
Je vous prie de le croire, les tweets sont martiaux et personne ne se laissera impressionner ! Très grand frisson et no pasaran ! Tous, droite et gauche, en appellent évidemment à Jean-Michel Blanquer, qui devra déployer des trésors d’habileté pour se sortir de ce merdier.

Une thèse commune à LDC et Riposte Laïque : l’hérédité du mérite

LDC et Riposte Laïque sont d’accord sur au moins un point. Il serait très important de déterminer, aujourd’hui, si Charles Martel a réellement arrêté les arabes à Poitiers. Pour Riposte Laïque, il y va sans doute de notre « fierté nationale » et la performance de Charles Martel honorerait alors tous les français ici et maintenant (surtout s’ils sont, semble-t-il, blancs et de souche). Cette vision d’un mérite « héréditaire » est évidemment absurde pour un grand nombre de raisons que je ne vais pas détailler ici.

Mais ce qui est étrange, c’est que LDC adopte elle aussi, de fait, cette vision. Son point de vue est destiné à éviter l’humiliation aux musulmans d’aujourd’hui (vus comme les héritiers des arabes d’hier). Pour éviter cette humiliation ou tout amalgame, il convient de dire que les arabes d’hier n’avaient pas de volonté de « grand remplacement » (terme employé par LDC dans sa vidéo) et qu’il s’agissait non pas d’une conquête mais d’une simple « incursion ». Ce qui se cache en creux derrière cette tentative de démonstration, c’est que LDC pense qu’il est important de déterminer les motivations des arabes d’hier pour démonter les arguments de l’extrême-droite face aux arabes d’aujourd’hui. Là aussi, cette possibilité de transmission héréditaire d’une (soi-disant) culpabilité arabe est d’une rare bêtise – le problème, c’est que LDC, comme Riposte Laïque sans doute, y croit. Sinon, elle ne dépenserait pas autant de temps à réaliser ses vidéos.

Et donc, on a le paradoxe suivant :

Dans le pays qui a aboli les privilèges héréditaires, qui a réduit en ridicule la notion de « mérite hérité » depuis Beaumarchais (dont Bourdieu est un des héritiers), extrême-gauche et extrême-droite se rejoignent en ceci qu’ils croient tout deux que le mérite, ou l’humiliation, sont de fait transmis à travers les générations. Au lieu de prendre la distance nécessaire, ils rejouent, finalement, la bataille de Poitiers (en y introduisant un zeste de 2ème guerre mondiale).

Que vaut la thèse historique de Laurence de Cock ?

Déconstruire une thèse simpliste « Charles Martel arrête les arabes à Poitiers » n’a de sens que si on la remplace par une thèse plus éclairante. En l’occurrence, pour LDC, « Charles Martel n’a pas arrêté les arabes à Poitiers, car les arabes ne voulaient pas envahir l’Europe, ils étaient dans une logique d’intrusion » et « le Prince Eudes a été effacé des tablettes pour des raisons de propagande politique ».  A l’appui de cette thèse, LDC cite un bouquin français où elle a « tout pompé » (sic !) : le « Charles Martel » édité par Libertalia (dont l’auteur, non lisible dans la vidéo, a semble-t-il très peu d’importance pour LDC).

Qu’en est-il réellement ? J’ai repris un de mes livres de chevet, l’Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, de Gibbon, qui parle au chapitre 52, des invasions arabes (2).

Je rappelle que Gibbon est un anglais, qui n’a que faire du soi-disant roman national français. C’est un des plus grands historiens de tous les temps et ses nombreuses sources sont précisées dans le texte lui-même, à chaque page. Sa position vaut donc bien, pour moi, celle de Laurence de Cock ou de Libertalia. Je cite simplement quelques passages de ce livre. Qu’apprend-on ?

  • le sud de la France était déjà occupé de façon permanente par les arabes (rappelons que les conquêtes espagnoles étaient toutes récentes, début des années 700 et que les arabes sont restés des centaines d’années en Espagne. On ne peut donc parler d’incursion).

« Les vignobles de la Gascogne et des environs de Bordeaux devinrent la possession du souverain de Damas et de Samarcande, et le midi de la France, depuis l’embouchure de la Garonne jusqu’à celle du Rhône, adopta les mœurs et la religion de l’Arabie. »

 

  • Sur les ambitions du chef arabe Abderame, qu’évoque LDC

« Ce vieux et intrépide général destinait au joug du prophète le reste de la France et de l’Europe ; et, se croyant certain de vaincre tous les obstacles que lui pourraient opposer la nature ou les hommes, il se disposa, à l’aide d’une armée formidable, à exécuter l’arrêt qu’il avait porté ; »

 

  • Sur les victoires initiales d’Abderame

Abderame passa le Rhône sans perdre de temps, et mit le siége devant Arles. Une armée de chrétiens voulut secourir cette ville ; on voyait encore au treizième siècle les tombeaux de leurs chefs, et le fleuve rapide entraîna dans la Méditerranée des milliers de leurs cadavres. Abderame n’eut pas moins de succès du côté de l’Océan. Il traversa sans opposition la Garonne et la Dordogne, qui réunissent leurs eaux dans le golfe de Bordeaux ; mais il trouva au-delà de ces rivières le camp de l’intrépide Eudes qui avait formé une seconde armée, et qui essuya une seconde défaite si fatale aux chrétiens, que, de leur aveu, Dieu seul pouvait compter le nombre des morts…


[A noter que Gibbon relate la création du « mythe » national, sans en faire tout un plat, lui]
La tradition a conservé longtemps le souvenir de ces ravages, car Abderame n’épargnait ni le pays ni les habitans ; et l’invasion de la France par les Maures et les musulmans, a donné lieu à ces fables, dont les romans de chevalerie ont dénaturé les faits d’une manière si bizarre

 

  • Sur les conséquences, enfin, de la victoire de Charles Martel

Les Sarrasins s’étaient avancés en triomphe l’espace de plus d’un millier de milles, depuis le rocher de Gibraltar jusqu’aux bords de la Loire ; encore autant, et ils seraient arrivés aux confins de la Pologne et aux montagnes de l’Écosse: le passage du Rhin n’est pas plus difficile que celui du Nil et de l’Euphrate, et d’un autre côté la flotte arabe aurait pu pénétrer dans la Tamise sans livrer un combat naval.

Les écoles d’Oxford expliqueraient peut-être aujourd’hui le Koran, et du haut de ses chaires on démontrerait à un peuple circoncis la sainteté et la vérité de la révélation de Mahomet.

Et donc, la thèse de Laurence de Cock n’est en rien plus éclairante que le message donné aux écoliers français depuis longtemps. Elle complique inutilement la réalité et surtout la travestit, à des fins idéologiques que Laurence de Cock, « historienne », ne perçoit probablement même pas consciemment.

Ce qu’il faut enseigner aux enfants, avant tout, c’est bien que Charles Martel a arrêté les arabes à Poitiers.

 


(1) En vrac et dans le désordre, Daniel Scheidermann, Michel Lussault, Philippe Watrelot, etc.
(2)  texte complet en ligne, à partir de https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gibbon_-_Histoire_de_la_d%C3%A9cadence_et_de_la_chute_de_l%27Empire_romain,_traduction_Guizot,_tome_10.djvu/360 jusqu’à https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gibbon_-_Histoire_de_la_d%C3%A9cadence_et_de_la_chute_de_l%27Empire_romain,_traduction_Guizot,_tome_10.djvu/380)

 

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Bienvenue au Bett Show, le salon où le délire technologique remplace l’intention pédagogique 1 février 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Le Bett Show est le plus grand salon éducatif européen. Il rassemblait la semaine dernière un millier d’exposants et, comme tous les ans depuis 2005, j’y ai passé une journée. En une journée, on a le temps de voir à peu près la moitié des stands, la plupart d’assez loin. J’ai donc pu rater des choses intéressantes, mais voici les principales tendances – illustrées – du salon.

La réalité virtuelle

Jamais, je n’ai vu un Bett avec une telle concentration de nouvelles technologies. Au moins 200 stands consacrés à la robotique (nom de code  STEM : Science, Technology, Engineering and Mathematics). Sous ce terme fourre-tout, on peut caser un peu tout et n’importe quoi, évidemment.

Des dizaines de stands consacrés à la réalité virtuelle – mais personne, sur le salon n’a été capable de m’expliquer en quoi l’expérience « immersive » proposée, dont j’admets qu’elle est parfois en tous points remarquable, améliorerait en quoi que ce soit le niveau ou même les connaissances de l’élève. Poser cette question paraît même un peu incongru.

Personne ne semble remarquer que la première conséquence de ces lunettes 3D  est de rendre l’enfant aveugle en le coupant de son environnement réel. Une des tendances actuelles de l’école semble être d’éloigner l’enfant du réel, alors qu’elle devrait au contraire permettre à l’enfant d’appréhender le réel. Il y a trois ans, l’Education Nationale a tout fait pour que l’éclipse, un des phénomènes naturels les plus grandioses ne soit pas vue des élèves. En 2016, le pays de Pasteur a interdit la dissection en classe de sciences naturelles au nom du fumeux « respect du vivant » (terme utilisé tel quel sur le site de l’Education Nationale).  De la maternelle à l’enseignement supérieur, il y a peu de phénomènes plus faciles à observer, plus riches à commenter, plus propres à susciter des vocations que l’éclipse ou la dissection des grenouilles. Les lunettes 3D symbolisent de façon quasi- parfaite l’évolution, au niveau mondial, de l’école vers un certain obscurantisme – terme à prendre ici dans un sens on ne peut plus littéral. Cet « en avant vers le passé » avance masqué derrière une apparence de modernité (ici, les nouvelles technologies et le principe de précaution).

“J’ai tout vu au Bett – Non, tu n’as rien vu.” – Extrait de “Bett 2018, mon amour”.

L’absence d’intention pédagogique

Pour un grand nombre de technologies proposées au Bett, la fonctionnalité « intelligence artificielle » est glorieusement mise en avant. Beaucoup de sociétés proposent ainsi des cursus scolaires adaptatifs et personnalisés grâce à l’intelligence artificielle et aux « algorithmes adaptatifs » (adaptive learning). Mais s’avèrent incapables d’informer sur la nature et l’étendue des choix faits par l’ordinateur pour proposer le contenu à l’élève. Là aussi, poser la moindre question semble incongru. « L’algorithme est adaptatif, mon bon Monsieur, que voulez-vous qu’on vous dise de plus ? »

De tout ceci, on peut tirer une première règle générale :

Plus l’accent est mis sur la technologie dans une présentation, plus l’intention pédagogique est absente – dans la plupart des cas, le délire technologique ne fait que purement et simplement masquer l’absence totale d’intention pédagogique.

Que verrez-vous au Bett l’année prochaine ?

La conséquence de cette règle est la suivante :

Comme la plupart des sociétés ne cherchent qu’à recycler les technologies qui font le buzz actuellement pour les présenter dans un contexte vaguement éducatif, il est extrêmement simple de prédire de quoi seront faits les Bett 2019, 2020, 2021.

Je prédis en vrac, dans le désordre: les applications de la blockchain à l’éducation (whatever that means), le « machine learning » et les objets connectés (qu’on rencontre d’ailleurs d’ores et déjà assez fréquemment).

Et Speechi dans tout ça ?

Je voudrais en profiter pour répondre à des remarques qu’on me fait souvent à propos des articles critiques publiés dans ce blog. Il y aurait une contradiction entre mes critiques et la mission de Speechi, qui est d’utiliser justement ces nouvelles technologies pour améliorer la transmission du savoir. Certains me reprochent de « cracher dans la soupe », d’autres me félicitent de montrer tant d’objectivité qu’ils supposent contraire aux intérêts de Speechi (autrement dit, ils pensent eux aussi que je crache dans la soupe, mais ils m’en félicitent !).

Il n’y a en réalité aucune contradiction.

L’éducation sera profondément impactée par les nouvelles technologies et j’ai grand espoir qu’elle le sera pour le mieux, d’une façon réellement utile aux élèves. C’est le métier de Speechi de participer, même très modestement, à cette grande aventure.  Mais ce grand espoir n’est pas une croyance, pas une foi intrinsèque de nature « religieuse »  : la technologie a des bons et mauvais côtés; elle est parfois inutile voire contre-productive ; elle est toujours coûteuse; elle est aussi, tous ceux qui lisent ce blog le savent, soumise à divers lobbies dont l’intention pédagogique est nulle.

Je m’oppose donc régulièrement à ceux qui ont une foi, à mon sens irraisonnée, en la technologie, qui croient que toute introduction de nature technologique dans la salle de classe est bonne.

Cette croyance « a priori », irraisonnée et aveugle dans les bienfaits de la technologie, je l’appelle pédago-scientisme.

Il m’arrive aussi, me direz-vous, de critiquer nos propres produits. Oui car nous ne faisons pas toujours bien les choses. Parfois (trop souvent !) nous pouvons laisser de côté cette fameuse « intention pédagogique » et le fait est que nous n’en souffrons pas toujours immédiatement en tant qu’entreprise : il est assez frustrant pour moi en fait de constater que le succès commercial des solutions que nous proposons n’est pas forcément lié à leur intérêt pédagogique réel.

La critique de ce que nous faisons reste nécessaire pour au moins deux raisons : d’abord, il faut progresser, toujours et si nous n’arrêtions pas de nous féliciter, si nous manquions trop d’esprit critique, nous n’arriverions jamais à avancer. Publier ce que je pense réellement constitue souvent une sorte d’électrochoc salutaire pour réellement progresser.

Ensuite, il y a quand même pour nous un besoin de crédibilité et d’expertise. Je sais bien que le marketing peut faire beaucoup, mais si nous avions simplement sauté sur notre chaise depuis 10 ans comme des cabris en criant « tableau interactif, tableau interactif ! », je pense que nous serions tout simplement moins crédibles aujourd’hui.

Et donc, dans la mesure où ma “franchise” n’est pas contraire aux intérêts de l’entreprise, où je trouve même qu’elle est utile à l’entreprise, je n’ai aucun mérite personnel à être franc. Nous sommes simplement dans un cas où intérêt et morale se rejoignent.

Notre objectif reste toujours d’introduire des produits ayant une intention pédagogique réelle, de les évaluer, de les critiquer de façon à avancer. Nous nous trompons parfois mais l’erreur n’est pas honteuse en elle-même. Ce qui serait honteux serait de la masquer volontairement. Ce qui serait stupide serait de la nier par manque d’objectivité. Il est de toutes les façons beaucoup plus facile d’accepter les critiques qu’on se fait à soi-même que celles des autres. Les critiques, comme dit Cyrano :

Nous nous les servons nous-mêmes avec assez de verve,
Mais ne permettons pas qu’un autre nous les serve.

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On apprend bien mieux dans un livre que sur un écran 25 janvier 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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De multiples études récentes – et à mon sens déterminantes – ont montré depuis 5 ans qu’on apprend mieux dans les pages d’un livre qu’en visionnant un écran (1). Pour en résumer l’essentiel:

  • la compréhension d’un même texte est meilleure quand il est lu sur du papier que sur un écran. Plus le texte a un contenu abstrait, plus l’écart de compréhension grandit.
  • la mémorisation à court, moyen et long terme est meilleure quand un texte est lu sur du papier
  • la supériorité du livre est probablement due à son côté physique, qui faciliterait la compréhension (2)

Qu’en pensent les élèves ?

Les élèves sont pourtant d’un avis tout à fait contraire ! Si on les interroge, la plupart ont l’impression de mieux comprendre le texte sur l’écran que dans un livre ! D’une façon générale:

  • Les élèves préfèrent lire sur tablette
  • Ils lisent plus vite en ligne que sur papier
  • Ils pensent mieux comprendre ce qu’ils lisent sur un écran, mais cette impression est démentie par toutes les études
  • Pour répondre aux questions très générales telles que “quel est le sujet principal de ce texte ?”, le papier et l’écran sont équivalents
  • Pour les questions plus spécifiques, pour les textes plus complexes, la compréhension est meilleure après lecture du livre que sur l’écran.

Conclusion: il faut cesser de s’intéresser au “ressenti” des élèves

Malheureusement, la plupart des études que j’ai pu voir circuler, depuis des années, sur l’évaluation de nouvelles méthodes pédagogiques ne s’intéressent en rien au niveau acquis par les élèves, mais à leur ressenti, à leur satisfaction. On confond allègrement savoir et satisfaction sans oublier bien sûr “le vécu des parents” ou la fameuse “satisfaction du corps enseignant” – tout ceci mélangé jusqu’à la nausée dans une sorte de purée démagogique. Une phrase du fameux rapport Fourgous sur les TICE en 2012, (rapport depuis longtemps oublié, je dois être le seul survivant à en connaître encore quelques passages par cœur), me revient en mémoire : “Il FAUT utiliser les technologies de l’information à l’école parce qu’elles satisfont “les élèves, les parents, les professeurs” !

La satisfaction de l’élève n’est pas l’objectif de l’école, surtout si elle s’oppose à la progression de l’élève. Les objectifs prioritaires de l’école : la transmission du savoir et la transformation de l’élève en citoyen. C’est selon ces deux critères qu’on doit évaluer l’intérêt des nouvelles technologies à l’école, et surtout leur rapport qualité/prix. Dépenser des milliards pour “satisfaire” le monde éducatif, c’est du gaspillage pur et simple. (Il est évidemment nécessaire d’intéresser l’élève pour qu’il apprenne mieux, il est nécessaire de rassurer les parents, il est nécessaire de valoriser les professeurs. Mais ces éléments sont des moyens, non des fins.)

(1) Baron, N. (2016). Why digital reading is no substitute for print. New Republic.  https://newrepublic.com/article/135326/digital-reading-no-substitute-print

Connell, C., Bayliss, L., & Farmer, W. (2012). Effects of eBook readers and tablet computers on reading comprehension. International Journal of Instructional Media. 39(2), 131–140.

Cull, B. W. (2011). Reading revolutions: Online digital text and implications for reading in academe. First Monday, 16(6).  http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/3340

Jabr, F. (2013). The Reading Brain in the Digital Age: The Science of Paper versus Screens. Scientific American. Retrieved from https://www.scientificamerican.com/article/reading-paper-screens/

Kaufman, G., & Flanagan, M. (2016, May). High-low split: Divergent cognitive construal levels triggered by digital and non-digital platforms. Proceedings of the 2016 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 2773-2777. http://www.tiltfactor.org/wp-content/uploads/2017/02/2016-tiltfactor-chi-digital-nondigital.pdf

Mangen, A., Walgermo, B. R., & Brønnick, K. (2013). Reading linear texts on paper versus computer screen: Effects on reading comprehension. International Journal of Educational Research, 58, 61-68.  http://www.ore.org.pt/filesobservatorio/pdf/ReadingonPaperVsScreencomputerScreen.pdf

Santana, A. D., Livingstone, R. M., & Cho, Y. Y. (2013). Print readers recall more than do online readers. Newspaper Research Journal, 34(2), 78-92. Retrieved from https://www.academia.edu/6572113/Print_Readers_Recall_More_Than_Do_Online_Readers?auto=download

Singer, L, M., & Alexander, P. A. (2017; Online first). Reading on paper and digitally: What the past decades of empirical research reveal. Review of Educational Research, 1–35. doi:10.3102/0034654317722961

Alexander, P. A., & Singer, L. M. (2017). A new study shows that students learn way more effectively from print textbooks than screens. Business Insider.  http://www.businessinsider.com/students-learning-education-print-textbooks-screens-study-2017-10?international=true&r=US&IR=T

(2) Pourquoi lit-on mieux dans un livre ?

Probablement, le côté physique du livre facilite la compréhension. On voit quand le livre commence, quand il finit. On sait intuitivement, par l’évolution de la répartition de son poids “gauche/droite” où on en est dans le livre. Une carte mentale se crée inconsciemment qui permet de positionner chaque passage de façon topographique. Esprit et corps sont en relation. (Voir les travaux de Mangren, de Jabr ou de Baron, ci-dessous). Et si on avait un peu de temps pour ça, on investirait certainement, chez Speechi, dans cette recherche qui paraît assez simple: comment “augmenter” l’interface de lecture d’une tablette de façon à restituer au lecteur l’expérience physique que procure un livre ? Et de quelle façon l’interface de lecture joue-t-elle sur la compréhension d’un texte ? On le fera peut-être un jour, d’ailleurs.

(3) Source principale d’inspiration ici : https://3starlearningexperiences.wordpress.com/2017/11/21/paper-or-screen-for-comprehension-and-learning/

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Ce que Winnicott nous dit sur les cahiers antisémites de Céline 23 janvier 2018

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Que peuvent donc craindre ceux qui souhaitent interdire la publication des cahiers antisémites de Céline ?

Soit ces cahiers disent essentiellement la vérité et prouvent le bien-fondé de l’antisémitisme (ou contiennent des arguments valables qui vont en ce sens). Dans ce cas, même si c’est malheureux, il faudrait publier ces cahiers au nom de la vérité.

Mais ceux-qui ont fait interdire leur publication ne sont pas, dans leur immense majorité, antisémites. On ne peut donc retenir cet argument.

Soit ces cahiers contiennent des arguments faux, mais convaincants et on cherche alors à les interdire pour que des personnes non déjà antisémites, lisant les cahiers, ne le deviennent. Ces lecteurs hypothétiques ne sont évidemment pas les mêmes que ceux qui demandent l’interdiction – ceux qui demandent l’interdiction sont bien convaincus d’être protégés contre tout antisémitisme. Ils demandent donc cette censure au nom de lecteurs moins intelligents, moins éduqués ou moins lucides qu’eux-mêmes, qui pourraient être convaincus par les arguments de Céline.

Les cahiers de Céline propageraient l’antisémitisme de façon tellement radicale, violente, rapide qu’il faudrait alors les interdire de crainte que la société ne s’effondre à nouveau. Mais ces cahiers seront évidemment extrêmement peu lus. Quelle est donc l’origine de cette peur panique de les voir publiés ?

Le grand psychanalyste Winnicott décrit la crainte de l’effondrement comme la crainte d’une catastrophe déjà arrivée. La réaction de défense du patient – la névrose ou la psychose – n’a pas d’autre objectif que de cacher la réalité suivante : dans le passé du patient, l’effondrement tant redouté a déjà eu lieu. Le patient vit la même situation que les héros de l’Enfer de Sartre : Il redoute l’enfer alors qu’il y vit ; ce faisant, il vit un enfer sans avoir le moins du monde conscience d’y être. Et le travail thérapeutique du médecin vise grosso modo à lui faire comprendre alors que « le malheur, c’est maintenant ! » (vaste programme).

L’antisémitisme, c’est maintenant

Que redoutent donc les partisans de la censure ? Il est facile de le voir. La réalité, c’est que l’antisémitisme est déjà de retour. Non pas sous sa forme historique, Célinienne, Maurrassienne, mais réimporté et puissamment renouvelé en France via l’immigration qui a débuté dans les années 60. Les mêmes qui crient au scandale à propos des cahiers de Céline détournent pudiquement les yeux quand il s’agit d’antisémitisme arabo-musulman. S’ils crient si fort au scandale, c’est JUSTEMENT parce qu’il ne faut pas regarder cette vérité en face. Les pauvres, on pourrait les traiter d’islamophobes. Couvrez donc cet antisémitisme que je ne saurais voir.

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Pourquoi il faudrait interdire les portables dans les amphis. 22 janvier 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Prendre ses notes à la main permet une meilleure mémorisation

Plein d’études récentes suggèrent qu’on apprend bien mieux en prenant des notes avec un papier et un crayon qu’en les tapant sur son ordinateur portable – pourtant, si vous vous baladez aujourd’hui dans un amphi, vous verrez que presque tous les élèves prennent leur notes sur un ordinateur portable.

Papillonnage actif et passif

Et sans même parler de mémorisation, les études suggèrent que jusqu’à 40% de l’attention de ces étudiants est perdue à cause du côté “multi-tâches” induit par l’ordinateur (l’élève fait son shopping, chatte, voit des vidéos, va sur Facebook, etc.).

Ci-dessous les effets du papillonnage sur la performance des étudiants (1).

Après tout, on pourrait les laisser faire et se nuire à eux-mêmes, au nom de leur liberté d’action, comme, dans les années 70, on laissait les fumeurs libres de fumer n’importe où. Mais le problème est que, comme pour le tabac, il y a un effet de “papillonnage passif” induit sur les autres élèves dans la classe. Le graphique ci-dessous compare la performance des élèves ayant une vue directe sur ceux qui papillonnent avec les autres et le verdict est sans appel: la vue sur un élève qui papillonne a un impact sur la performance aussi négatif que le papillonnage actif lui-même.

Effets du papillonnage passif sur la performance des étudiants (1):

Et donc, comme on a fort justement, aujourd’hui, interdit le tabac partout à cause du tabagisme passif, on devrait interdire de prendre des notes sur son portable à l’université, au nom du papillonnage passif.

Réservé aux “non-papillonneurs”

A Harvard, certains amphis sont coupés en deux. Papillonneurs et non-papillonneurs sont séparés au début du cours de façon à ce que les étudiants prenant leurs notes à la main ne soient plus impactés par les portables. Sans doute une bonne solution car, contrairement à la fumée du tabac, le papillonnage ne se répand pas dans toute la pièce et peut-être ainsi limité.

Quoi qu’il en soit, le règlement intérieur des écoles et des universités devrait préserver les droits des non papillonneurs avant tout et poser des règles strictes limitant l’usage des portables en cours.

(1) Sana, Weston, Cepeda, page 24.

(2) Source

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Apprendre aux enfants à coder avec des robots (vidéo, TedX) 11 décembre 2017

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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“Est-ce que nos enfants sauront programmer, ou est-ce qu’ils seront programmés ?”

Pourquoi avons nous créé notre cursus de robotique  à destination de l’Education Nationale ?

Et pourquoi ouvrons-nous actuellement des écoles de robotique à destination des enfants ?

(Et, accessoirement, vous aurez aussi la réponse à cette question qui vous taraude : pourquoi le logo de Speechi est-il un chien ?)

Vous saurez tout ça en visionnant la vidéo de mon intervention à TedX (ci-dessous).

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