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Prêt à penser, propagande, amalgame: lisez le dernier Pierre-Antoine Delhommais dans le Monde. 1 août 2006

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Un article de Pierre-Antoine Delhommais, dans le Monde, pompeusement intitulé « L’obscure lubie des objecteurs de croissance« .

Tous les défauts du journalisme à la grand-papa y sont présents: c’est simpliste, caricatural et bassement politique (au-sens où l’article est un pur article de propagande, qui procède par amalgame, dans le grand style de l’Huma ou du Figaro).

En gros, l’auteur s’oppose aux thèses qui visent à réduire la production industrielle pour sauver la planète.

Et voilà les arguments employés.

« La thèse de la réduction de la production industrielle profiterait de la perte de vitesse de l’alter-mondialisme et son concept repose en réalité sur des fondations philosophico-scientifiques complexes, voire obscures. »

Evidemment, pour le Monde, tout mouvement estampillé comme concurrent potentiel de l’alter-mondialisme est un danger ! Le journaleux auteur de l’article illustre son propose avec une une citation effectivement obscure, tirée d’on ne sait où, mais qui n’est en fait pas plus obscure qu’une citation de Marx sur la paupérisation croissante ou de Smith sur la fonction de la valeur ajoutée – elle est simplement tirée de tout contexte…
Surtout, ce qui fait la base de ce que l’auteur appelle la « théorie de la décroissance » est extrêmement limpide: l’Homme est en train de faire disparaître son habitat naturel (faune, flore) et l’ensemble des ressources énergétiques disponibles du fait de la croissance de l’industrie. Il faut contrôler cette production pour sauver l’espèce. Les données montrent que ce problème est devenu urgent (de l’ordre de quelques dizaines d’années, si les diverses pressions naturelles et démographiques n’entraînent pas auparavant une guerre générale).

Les décroissants se déclarent humanistes, mais ne croient pas en l’Homme. Leur pessimisme leur fait dire que l’humanité ne sera pas assez inventive pour trouver des énergies de substitution au pétrole ni assez raisonnable pour éviter un désastre écologique.

Ce n’est pas la question. Je en sais pas si on trouvera des alternatives aux énergies fossiles (je l’espère). Mais je ne vais certainement pas rester assis le cul par terre, en croisant les doigts religieusement et espérant qu’on en trouvera un jour, comme le suggère l’auteur. La nécessité politique aujourd’hui consiste à rechercher les alternatives ET à se préparer à la fin des énergies fossiles.

Quand à l’argument miteux comme quoi les décroissants se déclarent humanistes, mais ne croient pas en l’Homme… Je ne vois pas ce que ça vient faire. Sans doute une version qui se veut évoluée de « Qui aime les bêtes n’aime pas les gens », dans la cervelle du journaleux… Pour moi, avoir une action politique, c’est quand même croire en l’Homme, non ? Mais la thèse du journaleux, c’est en fait que la décroissance de la production s’opposerait à l’Homme, que ce serait une thèse de riches.

Les décroissants laissent à son sort le milliard d’êtres humains qui vit avec 1 dollar par jour, puisque les économistes s’accordent pour dire que la progression du PIB est une condition nécessaire…

En Chine, le nombre de personnes très pauvres est passé, grâce au boom économique, de 377 millions en 1990 à 173 millions en 2003.

La théorie de la décroissance est une théorie élaborée par des individus habitant des sociétés prospères. Une lubie de gosses de riches parfaitement égoïstes. Mais cela va généralement ensemble.

Là on a tout, amalgame, à peu près dans les affirmations et surtout, renversement des perspectives.

D’abord, la compétence des économistes dans l’analyse de ce qui fait la pauvreté et la richesse des nations est plus que douteuse – il suffit d’entendre des experts discuter entre eux pour s’en rendre compte. Mais surtout, opposer l’intérêt des individus « pauvres » par-rapport aux « riches » est un simple relent de lutte des classes bêlante. Ca leur fera du bien, aux « pauvres », d’être au niveau des riches quand tout le monde sera mort, avec un revenu de 0 dollar par jour !

La pauvreté moderne est principalement le problème de la répartition de la production, la survie de l’espèce est un problème de contrôle global de la production. Pourquoi vouloir opposer les deux ?

Evidemment, si on produisait en quantité infinie, comme semble le suggérer l’auteur, la quantité de pauvreté se réduirait probablement au fur et à mesure. Mais on ne peut plus produire en quantité infinie parce qu’on se détruit. Point final.

L’amalgame consiste ensuite à décrédibiliser la théorie en décrédibilisant ceux qui la tiennent qui sont « des gosses de riches »…Doit-on vraiment répondre à ça ? Le paysan asiatique qui doit travailler pour se nourrir participe évidemment de bon coeur à la déforestation et n’a pas le loisir de réfléchir au problème général qui se pose, c’est clair. Son travail fait reculer le niveau de pauvreté général car il est rémunéré pour déforester. Mais la déforestation accélérée, qui détruit équilibre, espèces, joue sur le réchauffement climatique, en est-elle souhaitable pour autant ? Encore une fois, il s’agit de problèmes différents.

Désolé si c’est politiquement incorrect, mais le bon sens n’est pas la chose au monde la mieux partagée. Les lumières sur ce point sont forcément dans les pays riches – et qui plus est dans les classes aisées, pour qui la pression du quotidien n’est pas trop forte.

Les employés de Marlboro sont mal placés pour théoriser sur la lutte anti-tabac. C’est peut-être injuste pour eux, mais ça ne rend pas le tabac moins nocif pour autant.

Enfin, toute croissance n’est pas nuisible à l’Humanité. Seule la croissance qui détruit, qui pollue d’une façon irréversible l’est. Il existe une bonne et une mauvaise croissance. C’est comme le cholestérol. Les investissements visant à développer des sources d’énergie alternatives au pétrole (électricité, nucléaire, etc…) créent des emplois et préservent l’avenir des générations futures. Il en est de même des investissements qui visent à développer des techniques modernes de dépollution, des techniques propres d’agriculture – empêchant la déforestation ou privilégiant des produits alternatifs, etc…

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Commentaires»

1. Metallah - 5 août 2006

Pas mieux , je ne peux être que d’accord , et pourtant je ne suis pas un grand décroissant !

Cet article a beaucoup fait jaser sur toute la toile et on voit une fois de plus Le Monde dans une espèce de campagne anti décroissant et anti Verts
(alors que les Verts ne sont pas forcément décroissants mais bon…)

sourisdudesert.free.fr/in…

Hubert Reeves semble avoir été choqué, à juste titre, par l’article ordurier du journal Le Monde sur la décroissance. A la stupidité et aux amalgames, Hubert Reeves oppose une réponse intelligente qui revient sur le pourquoi de la décroissance et sur ce à quoi elle s’applique

et finalement Hubert dit la même chose 😉

Il y a de la bonne et de la mauvaise croissance
On peut très bien croitre sur certaines choses et décroitre sur d’autres… sans que cela pose problème…

2. Metallah - 5 août 2006

Et pour "Le Monde"
franck93700.blog.lemonde….

Ils se décrédiblisent de plus en plus…
campagne anti Verts (des mots très bien choisis pour leurs titres…)
pro Bové et maintenant pro Hulot

je sens que cela va mériter prochainement un article tiens, et une petite enquête