“Nature is code” : un message d’espoir pour 2021 31 décembre 2020
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 6 fois | ajouter un commentaire
En cette fin d’année 2020, il est difficile d’envoyer des vœux positifs. Le COVID a tué environ 1 personne sur 1000 en France et aux Etats-Unis (série en cours) ; la crise économique qui s’annonce risque d’avoir des conséquences directes ou indirectes encore plus graves – souvenons-nous de la crise de 1929 et de ses conséquences, en particulier la 2ème guerre mondiale.
Je voudrais pour ma part revenir sur l’immense espoir que représente la mise au point du vaccin ARN pour l’avenir. Ce vaccin a été développé et mis au point en moins d’un an, ce qui constitue une prouesse technique sans égal. Mais cette prouesse en annonce bien d’autres car la raison de cette rapidité de développement est la suivante : le vaccin ARN mis au point par Pfizer est le premier vaccin numérique. La technologie de conception étant de nature logicielle, il sera de plus en plus facile – et rapide – de développer de tels vaccins.
Le vaccin est structuré comme un code informatique. Quand vous échangez des données entre systèmes informatiques, vous le faites souvent sous forme de messages, qui sont structurés ainsi :
Entête | Contenu | Fin |
---|---|---|
O1O1001 | 01001001100011010 | 111111 |
« Entête » sert par exemple à indiquer au récepteur du message qu’il s’agit bien d’un message à interpréter et qu’il s’agit par exemple de données provenant du système comptable qui lui sont bien destinées. « Contenu » contiendra l’ensemble de ces données et « Fin » lui indiquera que les données ont été transmises. Les données sont envoyées sous forme binaire (des « 0 » et des « 1 »).
La structure du vaccin ARN de Pfizer est strictement identique à ce schéma. Il s’agit ni plus ni moins d’un bout de code contenant ces éléments. La principale différence est que ces données ne sont pas de nature binaire mais quaternaire : les éléments de base sont les briques du vivant, au nombre de 4 : les bases A, C, G et U.
Faire un vaccin ARN, c’est donc concevoir un message informatique. Ce message sera ensuite synthétisé très facilement à l’aide d’imprimantes à ADN.
L’entête
L’entête du vaccin contient différentes informations de type « métadonnées » qui vont indiquer à la cellule où, quand et comment les données génétiques (le contenu du message) doivent être utilisées. Une des prouesses techniques importante pour la réalisation du vaccin est la suivante : la base « U » est remplacée par une base de synthèse nommée Ψ. Cette astuce a pour conséquence principale d’inactiver le système immunitaire. Le message ne sera pas attaqué ni détruit et pourra pénétrer dans la cellule. Ensuite, cette base Ψ est une base de synthèse, qui n’appartient pas au « monde du vivant ». Elle ne peut être synthétisée par l’organisme. Aucun virus connu ne peut l’incorporer pour se cacher. Cette molécule Ψ est donc à la fois une des clés de l’efficacité et de la sécurité du vaccin.
Le contenu du message
Le contenu du message contient environ 4 000 lettres représentant le code génétique de la protéine « Spike », caractéristique du COVID. L’ARN ayant pénétré dans la cellule, la protéine « Spike » sera ainsi générée et le système immunitaire commencera à produire des anti-corps permettant à l’organisme de détruire le COVID 19, qui expose cette molécule. C’est le mécanisme classique des vaccins, à ceci près qu’ici ce n’est pas le vaccin affaibli qui est introduit dans l’organisme, mais sa signature (la protéine Spike).
Là aussi, je passe rapidement sur les prouesses techniques. Pour augmenter le rendement du vaccin, pour optimiser la façon dont la protéine va se configurer, on modifie astucieusement quelques lettres du code génétique. Le vaccin de Pfizer ne fait pas que reproduire la nature, il est plus efficace que la nature.
La fin du message
La fin du message est une répétition de termes, de type « FINFINFINFIN… » qui se dégrade au fur et à mesure que l’ARN est utilisé. Au bout de quelques dizaines d’utilisation, l’ARN est dégradé et sera détruit.
Prouesses technologiques mises à part, que constate-t-on ?
L’entête et la queue du message sont essentiellement des constantes. Ils sont à peu de choses près réutilisables pour tout vaccin.
Les données internes du message contiennent l’information du vaccin, son « contenu ». Il suffit pour obtenir celui-ci d’analyser la molécule et un de ses éléments caractéristiques, puis de synthétiser le tout via une imprimante ADN par exemple.
Ceux qui maîtrisent ce processus logiciel ont réussi à développer le vaccin avec une rapidité jamais vue jusqu’à présent, mais dans quelques années, ce travail ne sera plus une question de mois ou d’années, mais d’heures ou de jours. On le réalisera sans doute intégralement à l’aide d’un simple ordinateur relié à l’imprimante ADN. La partie la plus longue sera alors la validation du vaccin (vérification de l’efficacité et surtout essais cliniques de phase 1, 2 et 3).
Nous assistons ici, tout simplement, à une nouvelle manifestation de la pénétration de la révolution numérique et du pouvoir universel du software dans des sciences fondamentales telles que la chimie (voir un précédent billet) ou ici la biologie (l’autre exemple important en biologie étant Crispr, lui aussi de nature logicielle). Ce vaccin est le premier d’une longue série, qui permettront de générer à volonté de nouveaux vaccins de façon très rapide, avec une très grande souplesse et à un coût très réduit. Les GAFAM nous ont appris à notre détriment, selon l’heureuse expression de Lawrence Lessig, que « Code is law ». Avec ce vaccin, nous constatons que « Nature is Code» et c’est une excellente nouvelle pour l’avenir de l’humanité.
Dans nos écoles Algora, nous essayons depuis 2017 de faire comprendre aux enfants, et aujourd’hui aux adultes, toutes les conséquences de cette révolution numérique. Nous abordons tous les sujets: automatisation, intelligence artificielle et compréhension de la nature.
Voici le vrai message d’espoir qui nous vient de l’année 2020.
Meilleurs vœux à tous
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Non, Mr McAuley, vous n’avez pas compris l’idéal français. 11 décembre 2020
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 212 fois | 2 commentaires
(En réponse à la tribune sur la laïcité de James McAuley, journaliste au Washington Post, publiée dans le Monde du 5 décembre dernier).
Pour comprendre la différence fondamentale de perspective entre la France et l’Amérique vis-à-vis des religions, il faut se souvenir que les Etats-Unis ont été fondés par des bigots persécutés, qui ont avant tout cherché à ce que cette situation ne se reproduise jamais sur le sol américain.
Aux Etats-Unis, la religion est au centre, sur les billets de banque mêmes, et toutes les religions sont également favorisées. Votre pays est religieux par défaut.
Au contraire, les français ont cherché avant tout à se protéger contre les excès d’une religion dominante et omniprésente, le catholicisme. Cette lutte contre l’emprise politique du catholicisme, achevée par la république en 1905 avec la laïcité, avait été initiée sous la royauté, au moins depuis Philippe le Bel. La position française est une position de méfiance envers les excès des religions et bien qu’une communication politique malheureuse et récente, que vous reprenez James McAuley, l’affadisse en la réduisant à « la liberté de croire et de ne pas croire », l’article réellement révolutionnaire du texte, dont tout l’esprit de la laïcité découle, est bien l’article 2 qui précise que « la République ne reconnaît aucun culte ».
Ainsi, les religions ont en France le simple statut de superstitions tolérées. Comme la notion de culte n’est pas reconnue, la notion de blasphème ne peut l’être. Blesser un croyant en critiquant son culte n’a pas non plus de sens légal.
En France, la religion est à la périphérie et toutes les religions sont également déconsidérées. Mon pays est agnostique par défaut, voire athée. Je chéris ce principe d’un pays débarrassé de l’omniprésence religieuse. Je n’échangerais pour rien au monde cette position avec la position américaine. Avec l’arrogance française qui me caractérise, je pense que notre perspective, découlant directement de l’esprit des Lumières, est philosophiquement supérieure.
En temps normal, les différences concrètes entre ces deux positions sont minimes, presque folkloriques. Chaque français apprend ainsi avec étonnement, grâce à Jules Ferry ou grâce à Hollywood, que les témoins d’un procès sont tenus au Etats-Unis de jurer sur la Bible. Mais le plus important, de part et d’autre de l’Atlantique, reste l’égalité de traitement des religions et la liberté de croyance, qui garantit le bonheur de tous les citoyens des deux côtés de l’Atlantique : ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas.
Le discours français sur l’universalisme, contrairement à ce que vous pensez, Mr Mc Auley, a toujours été dur et même parfois très violent. C’est la loi de 1905 qui de fait met fin à la persécution des religieux catholiques en France. Auparavant, Napoléon avait intégré les juifs en tant que citoyens français en leur imposant de façon très ferme la primauté des lois françaises. En particulier, les juifs devaient admettre le principe du mariage mixte, de la monogamie, et regarder leur France comme leur patrie. Trois points qui, l’actualité récente l’a montré, posent encore problème aujourd’hui à beaucoup de musulmans.
Des débats parlementaires en 1905, il se dégage que les députés, enfants de Marx, avaient compris remarquablement tôt que l’emprise politique de la religion repose entre autres sur l’omniprésence, en quelque sorte publicitaire, du signe religieux. Ils ont cherché par tous les moyens à limiter ces signes. Toute religion visible dans l’espace public est susceptible de peser socialement sur les individus, de nuire à leur liberté de conscience ainsi qu’à la séparation du religieux et du politique. L’article 28, visant évidemment la religion catholique, est une mesure de prophylaxie radicale à cet égard. Il interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit […] ». Ainsi, les français n’ont pas été aussi loin que les talibans, ils n’ont pas détruit leurs monuments religieux, mais ils se sont arrêtés juste avant le fanatisme en empêchant l’édification de nouveaux signes religieux. L’article 28 permet de bien sentir en quoi la position française de bornage strict du domaine religieux est radicalement différente de la position américaine, qui est une position de bienveillance envers la religion.
Dans cet esprit, il paraît tout à fait naturel que lorsqu’une nouvelle religion apparaît sur le sol français, les « laïcards », dans l’esprit de la loi de 1905, cherchent à limiter cette visibilité et à contraindre cette religion à se soumettre à l’esprit de la loi. Or l’Islam est une religion devenue aujourd’hui hyper visible dans l’espace public – ne serait-ce que par le port du voile. Pour les laïcards, il ne s’agit donc pas de pointer du doigt l’Islam mais simplement de lui imposer un traitement comparable à celui qu’ont connu les autres grandes religions. Car même si le législateur de 1905 a cherché à être universel dans son principe, il ne pouvait prévoir la force que prendrait l’Islam en 2020 sur le sol français.
Le plus étonnant, en fait, c’est que les laïcards aient pu se diviser sur cette question. Comment des hommes de gauche, et souvent d’extrême gauche, ont-ils pu oublier que la religion était « l’opium du peuple » – au point de laisser un temps à la droite le monopole de la défense de la laïcité ? J’ai longuement réfléchi à cette question et je propose ici une explication, qui éclairera aussi à mon sens le terme « islamo-gauchisme » que James McAuley juge flou et « aux connotations historiques sinistres » (cherchant ainsi, de façon rhétorique à diaboliser l’expression en faisant référence au terme raciste « judéo-bolchevisme », largement utilisé par les nazis).
La loi de 1905 est effectivement une loi de tolérance mais beaucoup à gauche n’y ont vu qu’une façon de lutter contre l’influence de l’Eglise catholique, église honnie en tant que symbole bourgeois, colonial, réactionnaire, etc. On les croyait laïcards universels mais ils n’étaient que des bouffeurs de curés intolérants et la laïcité servait d’alibi à leur intolérance. Ils n’ont eu aucun problème pour laisser tomber les principes laïcs car ils n’en avaient pas. L’Islam a été vue comme la religion des défavorisés, des victimes du colonialisme et comme une force d’opposition à l’église catholique.
Les représentants de l’Islam politique ont utilisé cette sensibilité avec habileté pour entrer dans le sein des partis de gauche – là est l’origine et la signification profonde du terme « islamo-gauchisme » qui ne fait nullement référence aux musulmans dans leur ensemble mais évidemment uniquement à l’Islam politique, à l’Islamisme. Il faut évidemment le distinguer du terme « judéo-bolchevisme », qui faisait référence aux juifs en tant que personnes. Et la confusion entre Islam et Islamisme, c’est donc vous, James McAuley qui la faites en introduisant cette comparaison. Vous qui la faites en utilisant par exemple le terme « islamophobie » dans de nombreux articles, alors que ce terme entretient la confusion entre ceux qui luttent contre l’influence politique de l’Islam, forme d’anti-cléricalisme parfaitement dans la tradition laïque française et ceux qui veulent s’en prendre aux musulmans, discrimination raciste totalement contraire à l’idéal universel de la France. Vous qui la faites encore en qualifiant d’organisations « musulmanes » le CCIF et Baraka City, alors que ce sont des organisations islamistes, jouant elles aussi abondamment sur l’ambigüité du terme « islamophobie » pour essentialiser tous les musulmans.
Contrairement à ce que vous affirmez, la projection des caricatures sur les murs ne viole en rien la neutralité de l’Etat. Les cultes n’étant pas reconnus, les caricatures ne sont pas projetées en référence à une religion, mais en tant que symboles de la liberté d’expression. Projeter ces caricatures ne signifie même pas qu’on soit en accord avec leur contenu – pour ma part, je trouve qu’elles sont médiocres. Cela signifie simplement, selon le mot de Voltaire, que même si nous ne sommes pas d’accord avec le contenu des caricatures, nous nous battrons jusqu’à la mort pour qu’elles puissent exister.
Comme vous l’écrivez, il existe une composante universaliste admirable au sein des trois grandes religions du Livre. Cet idéal universaliste n’est en rien mis en danger par la laïcité. C’est uniquement la composante sectaire, obscurantiste, superstitieuse que nous, les « laïcards », combattons lorsque, devenant visible, publique, omniprésente, elle fait peser, comme l’écrit Tocqueville, français qui avait compris l’Amérique mieux que vous n’avez compris la France, « une immense pression de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun ».
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