Le temps de l’innocence, d’Edith Wharton, au programme des classes prépas 13 août 2024
Par Thierry Klein dans : Critiques,René Girard.Lu 171 fois | ajouter un commentaire
Il doit y avoir quelque part, haut placé au Ministère de l’Education Nationale, un réactionnaire masqué qui définit les merveilleux programmes de français des prépas scientifiques. Ces programmes, depuis deux ans, constituent une déconstruction en règle de toute la rhétorique de gauche qui soumet toute la société à l’hypertrophie des droits de l’individu. En 2023, c’est le “droit à la paresse” qui était déconstruit, le programme allant pile poil à l’auteur clé pour moi sur ce sujet, Simone Weil (“Conditions pour un travail non servile”). La deuxième partie du programme, “Faire croire”, permettait de relativiser largement la notion, aujourd’hui mise à toutes les sauces, louée, hypertrophiée par l’extrême-gauche, de “désobéissance civique” (avec Hannah Arendt, là encore remarquablement pertinente et permettant de réfléchir sur les moments où ce concept peut être ou ne pas être justifié) ainsi que de comprendre les ressorts du discours totalitaire menant à la violence, typique de partis tels que le parti nazi à l’époque, typique de partis tels que LFI aujourd’hui.
En 2024, ce haut fonctionnaire masqué, que j’aimerais vraiment rencontrer, qui sauve l’honneur de l’Education Nationale, a récidivé et enfoncé le clou: le thème du programme 2024 est encore plus explicite, actuel et politique: “La communauté et l’individu”. Pourtant, ce thème n’est abordé qu’à travers des œuvres classiques très anciennes. Eschyle, naturellement; Spinoza, bien sûr; il manque “Le contrat social” (mais on aura sans doute pu en parler en classe autour de Hannah Arendt) mais surtout, surtout !, il y a cet extraordinaire roman d’Edith Wharton, “The age of innocence”, écrit il y a une centaine d’années qui aborde, entre autres, le thème de la contrainte sociale, du politiquement correct, des “codes” que fait peser la société New-yorkaise sur ses membres. Ces phénomènes, les élèves n’en ont le plus souvent aujourd’hui qu’une vision unilatérale, militante, statistique, sociologique – via Bourdieu et ses descendants “déconstructeurs”.
Le point de vue d’Edith Wharton en tant que romancier est radicalement différent. Là où la sociologie utilise une sorte de télescope tentant d’analyser de loin la tendance statistique d’un groupe, elle se sert elle d’un microscope pointé sur chaque individu pour étudier les répercussions psychologiques du groupe sur l’individu. On oppose souvent la soit-disant “objectivité” de la sociologie à la “subjectivité” du romancier pourtant cela n’a aucun sens tant l’approche de Wharton est clinique et pour tout dire, anthropologique puisque ce roman est en fait la description d’une exclusion rituelle, tribale, d’un des membres du groupe. Le langage anthropologique, sacrificiel, religieux est partout présent chez Edith Wharton.
Quelques exemples:
“L’individu est presque toujours sacrifié à ce qu’on pense être l’intérêt collectif.”
“Il fut frappé par la dévotion religieuse des femmes américaines, même les plus candides, envers la signification sociale de la robe.”
“Certaines choses devaient absolument être accomplies et parmi elles […], selon le vieux code New-yorkais, il y avait les manifestations de soutien tribales à une parente en voie d’exclusion de la tribu. […] C’était la façon qu’avait New-York de prendre la vie “sans effusion de sang. ”
On pense à Proust (qu’Edith Wharton avait évidemment lu – “Le temps de l’innocence” est aussi une histoire de “salons”), à l’exclusion de Swann ou de Saniette du salon des Verdurins et à l’analyse qu’en fait René Girard, arrivé à la compréhension anthropologique du meurtre collectif via le roman :
“ Les rites d’union sont des rites de séparation camouflés. On n’observe plus ces rites pour communier avec ceux qui les observent pareillement, mais pour se distinguer de ceux qui ne les observent pas.”
Ainsi le point de vue du romancier, aujourd’hui décrié, est à la fois antérieur à celui du sociologue et plus profond car la communauté sociologique fonctionne aujourd’hui, à son corps défendant, comme la haute société new-yorkaise et le salon des Verdurins, qu’elle croit dénoncer. Elle a ses propres rites d’inclusion et d’exclusion. Le romancier, ou son lecteur, comprennent tout ceci alors que le sociologue et son étudiant passent à côté. Et on touche du doigt tout le paradoxe moderne: un grand nombre de disciplines qui croient aller au-delà de la critique classique, la dépasser, sont en fait l’objet même de la critique classique, et ce depuis plus de 2 000 ans.
Il y a aussi ces observations stupéfiantes de lucidité d’Edith Wharton sur la façon dont la société new-yorkaise gère ses transitions.
“C’était ainsi que New York gérait ses transitions: conspirant pour les ignorer jusqu’à ce qu’elles soient accomplies, et alors, en toute bonne foi, imaginer qu’elles avaient été accomplies depuis longtemps. Il y avait toujours un traître dans la citadelle et après qu’il eut donné les clés, quel avantage y avait-il à la déclarer imprenable ?”
Sur ce plan, la société progressiste actuelle est infiniment proche de la haute société new-yorkaise de l’époque. Ce n’est nullement un hasard puisqu’elle en est en quelque sorte la mère (via l’influence des philosophes déconstructeurs français) et la fille (via l’export culturel des courants sociaux américains vers l’Europe dans les 30 dernières années). Je vous donne quelques exemples d’applications récents tirés de l’actualité (et vous laisse en découvrir d’autres).
- La négation pendant 50 ans des effets de l’immigration, suivie de l’observation qu’il est trop tard pour revenir en arrière. « Notre peuple s’est créolisé, le peuple français a commencé une sorte de créolisation. il ne faut pas en avoir peur, c’est bien. On avance, on vit » (Jean-Luc Mélenchon, après avoir pendant des dizaines d’années minimisé ou nié l’importance du phénomène migratoire). Ce point de vue présente de multiples variantes, fausses mais énoncées probablement en toute bonne foi, comme “Historiquement, la France a toujours été une terre de migration”).
- La non reconnaissance de la baisse de niveau en orthographe depuis 40 ans, suivie de l’observation, une fois cette baisse de niveau accomplie, qu’améliorer le niveau ne sert à rien. “Ca ne sert à rien d’étudier l’orthographe qui n’est qu’un code social arbitraire et inutile” a récemment déclaré Franck Ramus, membre du conseil scientifique de l’éducation Nationale. De multiples universitaires, les mêmes qui annonçaient fièrement que la baisse de niveau était une illusion, qu’en fait le niveau moyen montait, ont adopté ce point de vue.
- Le refus par les Verts de relancer les programmes nucléaires au prétexte qu’il serait trop tard, puisque les réacteurs planifiés aujourd’hui ne seraient pas prêts avant 2040. Depuis 50 ans, les Verts, avec succès, ont retardé ou tué les programmes nucléaires les prétendant superflus, en prônant le développement d’énergies alternatives qui sont très loin de pouvoir subvenir aux besoins énergétiques. Plutôt que d’utiliser la technologie la plus intéressante pour lutter contre le réchauffement, ils décrètent que la transition est accomplie.
Pour René Girard1, tout grand roman est l’histoire de la conversion chrétienne du héros et c’est à mon sens bien ainsi qu’il faut interpréter le choix ultime de Newland. Au dernier moment, alors qu’il peut renouer le contact avec Mme Olenska, 25 ans après son renoncement contraint, il renonce à la voir et son sacrifice subi se transforme en sacrifice consenti ce qui est l’archétype de la position chrétienne. On pense au Drogo à la fin du désert des Tartares ou, évidemment, au temps retrouvé chez Proust.
Les événements qui vont déterminer le destin de Newland Archer s’enchaînent pour lui de façon inexorable, mécanique et selon une logique qui lui est extérieure. Il les vit comme le héros d’une tragédie grecque – retour à l’Eschyle du programme, le destin étant symbolisé dans le roman par la combustion et l’effondrement des bûches dans la cheminée, qui accompagnent chaque coup de théâtre tragique. Mais nous ne sommes plus en Grèce et ce ne sont plus les Dieux qui sont responsables du destin de Newland. En toute rigueur, ce n’est peut être même pas non plus “la société” (qui est aux sociologues ce que les Dieux étaient parfois à la Grèce, un bouc émissaire de circonstance). Le responsable direct est Archer Newland lui-même. Le roman le désigne mais ne le nomme pas, ne l’accuse pas et c’est peut-être (voir ci-dessous) ce qui crée l’atmosphère de poésie.
Archer Newland, s’il analyse parfaitement a posteriori les ressorts sociaux de son environnement traverse son histoire en aveugle car sa compréhension de ce qui se joue est toujours tardive, comme celle d’Oedipe chez Sophocle. C’est Mme Olenska qui le pousse à exprimer ses sentiments, en lui montrant qu’elle a compris la signification des roses jaunes qu’il lui envoie. Il comprend trop tard qu’il en est amoureux et c’est lui qui lui conseille de ne pas divorcer – il croit ainsi lui éviter un scandale alors que ce divorce la rendrait libre de l’épouser. Il comprend trop tard aussi qu’il est le jouet de la société new-yorkaise et que sa femme est moins candide qu’elle n’en a l’air. C’est elle qui convainc Mme Olenska de ne pas s’engager dans une relation en lui annonçant qu’elle est enceinte. 15 jours plus tard, elle convainc Archer en lui annonçant à nouveau la même nouvelle. A chaque fois, Archer décode ce qui se passe avec un certain retard, ce qui l’empêche d’agir comme il le souhaiterait. On pourrait parler de victime consentante.
Contrairement à Proust, tout le roman baigne dans une atmosphère de nostalgie et de poésie incomparable, émouvante, poignante – j’avoue avec une certaine honte que pour cette raison, je mets Edith Wharton devant Proust, au moins jusqu’au Temps Retrouvé.
L’atmosphère rappelle par moments, je ne sais pourquoi, celle du Grand Meaulnes. Ou plutôt si, je sais pourquoi: parce que le roman peut se lire à deux niveaux. Entre Newland Archer et Mme Olenska, il s’agit d’une histoire très courte et inachevée. Tout œuvre poétique résulte d’une transfiguration et dans le Grand Meaulnes, l’histoire réelle du héros est, on le sait, celle d’un échec amoureux, d’un amour qui n’a jamais commencé, Alain Fournier ayant simplement croisé dans Paris une jeune femme qui a refusé ses avances. Je fais l’hypothèse que la Madame Olenska, qui fuit à Paris (comme Edith Wharton l’a fait) par idéal, pour éviter que son amant ne trahisse sa femme, l’amitié, la société new-yorkaise…, c’est Edith Wharton elle-même. Edith Wharton qui se décrit de façon sublime et émouvante, “différente”, comme elle aurait souhaité que l’homme qu’elle aimait la vît. Et que Newland Archer, comme beaucoup d’hommes, n’a simplement pas voulu rompre son mariage par simple respect des conventions et peur sociale, parce qu’il n’était pas assez amoureux. Ainsi, comme Mlle de Galais, Newland Archer n’est peut-être qu’un fantasme sans réalité, il s’agit, de façon infiniment banale et horrible, d’un amour non réellement partagé. Le soit-disant comportement vertueux de Newland tient au mieux du manque de courage, au pire de l’indifférence. Edith Wharton, comme Alain Fournier, le sait sans vouloir l’exprimer clairement au lecteur et au-delà de l’analyse sociale, remarquable, la lumière poétique, tragique, douce-amère du roman provient de cette transfiguration: rendre idéal un amour qui n’a pas été.
Le seul défaut de ce programme ? La traduction française indigente (pourtant prescrite par le programme !) chez Garnier Flammarion. Indigente parce qu’elle omet des passages entiers – environ ¼ de l’œuvre a été expurgée dans le plus pur esprit “Reader’s Digest”. Les élèves ne liront pas Edith Wharton mais une œuvre différente, inférieure et moins subtile que l’œuvre originale. J’espère que les profs de français rectifieront et utiliseront une traduction intégrale. L’anglais d’Edith Wharton est trop complexe pour 99% des élèves de prépa mais une telle œuvre justifierait une collaboration avec les professeurs d’anglais pour que des passages puissent être travaillés en VO.
Quoi qu’il en soit, le programme de Français des deux dernières années permet aux ingénieurs qui seront capables de le recevoir de comprendre le monde et d’y avoir un impact positif qui va au-delà de la simple et facile “dénonciation gauchiste du système capitaliste”. On a vu récemment des ingénieurs d’Agro Paris Tech refuser leur diplôme au nom d’une remise en cause bien-pensante et convenue de “l’ordre capitaliste”. Le programme de français donne aux ingénieurs les armes pour résister intellectuellement à cette propagande, que ce soit au niveau de la compréhension profonde de ce qu’est le travail, la liberté individuelle, la pression sociale, la propagande politique intense à laquelle ils ont été soumis, malheureusement via l’école, dès leur plus jeune âge. Au moment où le niveau s’effondre, tous les espaces gagnés sur l’obscurantisme sont bons à prendre.
- Mensonge romantique et vérité romanesque ↩︎
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De Maître Pancrace au Docteur Raoult : la peste et les maladies infectieuses à Marseille 4 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Critiques,Politique.Lu 1 557 fois | 1 commentaire
Pagnol raconte dans une nouvelle, Les pestiférés, l’histoire de Maître Pancrace, ancien médecin du Roy, qui durant la grande peste de 1720 sauva tout le quartier de la colline Devilliers à Marseille.
Ce médecin atypique s’était renseigné avant tout le monde sur les modes de contagion de la peste– il avait observé en particulier que les moines cloîtrés ne l’attrapaient pas. Il avait lu tous les livres et en particulier l’histoire des 19 épidémies documentées – la première source remontant à Thucydide.
Quand l’épidémie se déclara, il fut le premier à la reconnaître et isola immédiatement tout son quartier, une centaine de personnes, se murant derrière des murs et se protégeant avec de l’eau fortement vinaigrée – seule barrière ayant semblé faire ses preuves contre la maladie. Les habitants de la colline avaient constitué plusieurs mois de réserve, mais ils se cachaient des autorités et durent quand même évacuer au bout de quelques semaines.
Pagnol raconte leur fuite de Marseille et les libertés que le médecin dut prendre avec le protocole – déjà – pour les sauver. Quand ils atteignirent le village d’Allauch, on ne décomptait pas le moindre mort dans leurs rangs. La moitié de la population de Marseille, 40 000 personnes, était morte.
(Histoire probablement totalement imaginaire, faut pas rêver non plus, c’est du Pagnol)
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Comprendre la publication scientifique, quelques commentaires 10 novembre 2019
Par Thierry Klein dans : Critiques,Technologies.Lu 2 427 fois | ajouter un commentaire
Quelques réflexions qui me sont inspirées en commentaire du billet de Franck Ramus: comprendre la publication scientifique
1) Le cas des Sciences Humaines et Sociales (SHS)
Le billet contient une critique implicite et à mon sens parfaitement justifiée des SHS, en particulier dans sa note [5]. Il y a effectivement confusion, depuis l’origine de ces sciences, entre œuvre scientifique et œuvre littéraire – ainsi Freud, dont le contenu scientifique de l’œuvre reste soumis à caution, n’en est pas moins un auteur de génie. Qui plus est, les SHS s’arrêtent souvent bien en deçà de l’ouvre littéraire, pour tomber au niveau du manifeste politique – là aussi, c’est le fruit d’une longue tradition (cf Bourdieu, etc). Un large pan des SHS a été contaminé ; un grand nombre d’études SHS tiennent aujourd’hui littéralement du tract et n’ont de fait pas de contenu scientifique.
Le mécanisme de « peer review », dont Franck Ramus chante les louanges n’empêche pas ce phénomène, ni au niveau français ni au niveau international (la « profondeur » de la théorie du genre, un must international des SHS, mettrait en joie Rabelais ou Molière). Dans le cas des SHS, le « Peer review » amplifie même, en l’espèce le phénomène, les pairs formant alors une sorte d’aristocratie tendant à sa propre reproduction et recherchant de façon circulaire, dans les papiers soumis, une forme d’auto-confirmation de ses propres idées.
2) Critique des « peer reviews »
Du fait de l’hyperspécialisation des sciences à laquelle on assiste depuis un peu plus d’un siècle, le nombre des pairs, pour chaque spécialité, est très réduit (souvent ces pairs se connaissent tous. Dans le cas des grandes universités anglo-saxonnes, ils vivent ensemble, se côtoient à la ville et dans les congrès, leurs femmes se côtoient, les cancans sur leur vie privée circulent entre eux, etc). Considéré spécialité par spécialité, le global village, même s’il est mondial, même à l’ère d’Internet, est donc minuscule.
Dans ce village, les opinions des profanes ne sont jamais considérées, même s’ils ont dédié 30 ans de leur vie à étudier les livres des savants. Les opinions des savants des autres disciplines ne sont non plus jamais considérées du fait de l’hyperspécialisation scientifique. Les pressions sociales qui s’y exercent sont intenses (argent, considération, amitiés, jalousies, réputation, lutte entre les générations…) comme dans toutes les activités humaines. Les savants sont des gens très doués, sélectionnés sur examen qui jugent leurs aptitudes supposées à la science, mais pas leur goût pour la vérité. Il y donc aussi des modes en sciences, d’une durée d’environ 10 à 20 ans et qui produisent ce qu’il faut bien appeler une opinion moyenne, au sens où l’entend Franck Ramus. Même si cette opinion s’appuie sur des données expérimentales, ces expériences sont réalisées dans le village, les a priori qui les sous-tendent ne sont compris que dans le village, nécessitent des appareils coûteux et ne sont interprétées que par les habitants du village. Planck : « Même dans le cas des mesures les plus directes et les plus exactes, par exemple celle du poids ou de l’intensité d’un courant, les résultats ne peuvent être utilisables qu’après avoir subi nombre de corrections dont le calcul est déduit d’une hypothèse…».
Il ne faut donc pas exagérer la valeur du mécanisme de « peer review », même si, évidemment, la situation des SHS reste une exceptionnelle sorte de « cas limite » : toutes les autres spécialités justifient cette critique, sans atteindre cette limite.
3) La forme des publications
Le mode de fonctionnement scientifique actuel semble bien adapté à des évolutions techniques incrémentales. Les savants sont payés pour aller toujours de l’avant, produire de nouveaux papiers sans quoi on n’obtient ni avancement ni prix Nobel. Pourtant Aristote, Galilée, Newton… ont écrit de grands livres et dans le cas d’Aristote et de Galilée au moins, contenant une grande part d’opinion. (C’est une évidence aujourd’hui pour Aristote et dans le cas de Galilée, le Dialogue sur les systèmes du monde, un livre extraordinaire dans sa forme et son impact, est bourré d’approximations et d’erreurs scientifiques, en particulier sur la théorie des marées). La méthode actuelle à base de publications courtes est une sorte de caricature (perversion) de la méthode expérimentale de Descartes : chaque papier apportant une pierre supplémentaire à l’édifice mais sans jamais un retour sur les fondements. Ainsi, autant que j’en puisse très modestement juger en tant que non habitant du village, en dépit d’avancées techniques absolument uniques depuis un siècle, la physique fondamentales s’est arrêtée depuis la découverte de la relativité et de la physique quantique, chacune résolvant d’un coup un grand nombre de contradictions classiques mais introduisant naturellement de nouvelles contradictions (Platon : « tout ce que l’intelligence humaine peut se représenter enferme des contradictions qui sont le levier par lequel elle s’élève » – Je ne sais pas si la mécanique quantique, dont la forme scientifique actuelle est essentiellement non représentable à l’intelligence humaine, est concernée).
Pour en revenir à l’analyse initiale de FR, ce qui se joue ici est plus important que la science même, c’est la notion de vérité, remplacée un peu partout par la notion d’utilité, que ce soit au sein du village ou des autres modes de publication « grand public ». Tout nous ramène à l’utilité, personne ne songe à la définir. En fait, l’opinion publique règne aussi dans le village des savants. Nous sommes revenus à la Grèce telle que Platon la décrit dans la République, au point qu’il semble décrire notre époque. L’art de persuader, la publicité, la propagande, le cinéma, le journal, la radio, la télé, Google, tiennent lieu de pensée et ont simplement remplacé Protagoras et les sophistes. Malheureusement, il semble que Socrate, Platon, la tradition pythagoricienne nous fassent défaut.
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Copé, la victime émissaire et le misanthrope 3 mars 2016
Par Thierry Klein dans : Critiques,Politique,René Girard.Lu 2 592 fois | ajouter un commentaire
Copé s’est abondamment présenté, sur tous les plateaux télé, comme une « victime innocente, un bouc émissaire » en précisant bien lourdement qu’il entendait ces termes au sens de René Girard. Pour Girard, les hommes, soumis au désir mimétique, ont tendance à expulser la violence à certains moments de leur histoire en désignant arbitrairement une victime émissaire, en la tuant, puis en la divinisant car, le meurtre de la victime ayant miraculeusement ramené le calme dans les rangs, des pouvoirs surnaturels lui sont ensuite attribués.
Dans les peuplades primitives, la victime émissaire était probablement dépecée et mangée, et le sort de Copé, exclu de l’UMP certes, mais toujours à même de pérorer sur un plateau, reste donc éminemment enviable.
Mais surtout Copé, qui n’a sans doute pas bien lu Girard, s’il l’a vraiment lu, oublie que la victime émissaire n’est, chez Girard, nullement innocente. Elle est désignée, certes, de façon arbitraire mais elle fait partie de la horde dévorante et aurait avec joie participé à la fête générale si une autre victime avait été choisie. La victime est littéralement partie prenante au massacre, parfois même comme Oedipe, convaincue de sa propre culpabilité. Elle n’a pas un statut supérieur aux autres, elle ne détient aucune vérité : elle a juste manqué de bol.
La seule victime innocente, pour Girard, c’est le Christ. Pour les autres, le simple fait de se croire, comme Jean-François Copé, différent des autres, séparé, innocent, incapable de faire le mal, de trahir est un très fort indice d’appartenance à la meute. C’est Pierre, qui a déclaré qu’il ne renierait jamais Jésus – et pour Girard, parce qu’il l’a déclaré, qui justement le renie avant que le coq ne chante trois fois.
Pour Girard, ce meurtre originel est fondateur de toute culture. Nous noterons simplement qu’il ne semble pas avoir augmenté la culture de Jean-François Copé.
Copé a aussi cité, pour preuve de sa grande sincérité, ces vers du misanthrope:
« Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent.
Morbleu : Sorte de jurement en usage
même parmi les gens de bon ton.
Morbleu ! C’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme »
Mais Copé n’a visiblement pas bien lu Molière non plus, s’il l’a vraiment lu. Car ce que la pièce met en évidence, c’est que le misanthrope n’est qu’un accablant donneur de leçons, qui se leurre lui-même sur sa soi-disant sincérité. Célimène, le personnage de loin le plus brillant de la pièce, montre qu’il n’est qu’un snob qui se cache et que sa prétendue misanthropie n’est qu’une posture.
« Il penserait paraître un homme du commun,
Si l’on voyait qu’il fût de l’avis de quelqu’un.
L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui. »
Son snobisme est de nature profondément mimétique, au sens Girardien du terme (VRAIMENT Girardien, cette fois-ci). Au lieu de copier le désir d’autrui, le misanthrope l’inverse, ce qui est exactement la même chose et il se cache à lui-même cette dépendance aux autres. Ce n’est pas un hasard si Girard a découvert sa théorie sur le désir mimétique dans quelques grandes œuvres de la littérature.
Le misanthrope, sous le coup du désespoir il est vrai, pousse même la bassesse d’âme jusqu’à tenter de corrompre Célimène et lui demande de lui mentir, ce qu’elle refuse:
« Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
Et je m’efforcerai, moi, de vous croire telle. »
Bref, si on s’en tient aux déclarations de Jean-François Copé, il est difficile de savoir s’il a changé ou pas. Il est facile, cependant, de prouver qu’il n’a pas compris les oeuvres qu’il cite.
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Sur Onfray, sans l’avoir lu 25 avril 2010
Par Thierry Klein dans : Critiques.Lu 5 091 fois | 3 commentaires
Si je comprends bien, Onfray critique Freud et crée un sorte d’événement en affirmant que « la psychanalyse ne fournit aucune vérité universelle« . Mais ceci est une évidence, connue depuis Popper, qui a écarté la psychanalyse du champ des sciences en montrant qu’elle faisait partie des théories non réfutables.
Consulté par le comité Nobel, Einstein ne soutint pas la nomination de Freud au Prix Nobel de Médecine et répondit lui aussi qu’il était incapable de dire si la psychanalyse était ou non vraie.
En fait, tout cela n’a pas grande importance.
Quel que soit le degré de vérité des « résultats » de la psychanalyse, Freud a posé les jalons d’un nouveau champ d’exploration de l’être humain, d’une discipline nouvelle.
On peut comparer son œuvre à celle d’Aristote, pour la physique. Avec 2000 ans de recul, il est clair qu’Aristote s’est trompé sur presque tout. Presque tout ! Pourquoi donc le lit-on encore aujourd’hui ? Parce que ce qui est le plus intéressant, c’est la méthode qu’il invente pour arriver au résultat (ce qu’on appelle aujourd’hui la physique, ou la science) et la façon dont il avance, pose les termes, sépare les concepts – tout ce qu’on appelle la démarche.
Aristote ne publie presque que des erreurs mais il donne un cadre à tous les scientifiques qui viennent après lui, dont il devient la référence presqu’unique. Sans Aristote, pas de Galilée (c’est Galilée lui-même qui lui rend constamment hommage, bien qu’inversant totalement ses résultats), pas de Newton pas de physique moderne. Il est faux de dire que Galilée infirme Aristote; en fait, il redécouvre Aristote et, le premier en 2000 ans, le prolonge.
Pendant 2000 ans, le génie d’Aristote stupéfie littéralement tous ceux qui s’y frottent. L’œuvre est tellement géniale, tellement en avance, que ceux qui l’étudient en sont réduits à la paraphraser de façon jargonneuse (voir les médecins de Molière) et la science devient une sorte de religion, de secte, dont Aristote aurait écrit la Bible. Critiquer Aristote tient littéralement du blasphème, comme Galilée en fera l’amère expérience.
Vous noterez l’analogie avec ce qui se passe pour la psychanalyse. L’œuvre de Freud est absolument géniale, je n’ai aucun doute là-dessus (et si je n’ai jamais lu Onfray, j’ai bien lu tout Freud).
L’œuvre est totalement saisissante, mais il absolument possible que tout, ou presque tout, soit faux dans les résultats de Freud. Il faudra peut être des centaines d’années pour qu’on en fasse quelque chose de réellement scientifique, pour qu’on obtienne des résultats. Peut-être même n’en sortira-t-il jamais rien car rien ne prouve que le psychisme humain soit réductible à une théorie scientifique, comme l’est le mouvement des planètes.
En attendant, des mouvements sectaires se sont emparé de la psychanalyse et jargonnent à qui mieux mieux (voir les réponses involontairement comiques de Julia Kristeva à Michel Onfray dans le Nouvel Observateur de cette semaine). Les descendants de Freud ont créé leurs chapelles (Freudiens, Lacaniens…) et suivent aveuglément la parole du Maître, à défaut de pouvoir la comprendre puisqu’elle n’est pas, à ce stade, réfutable. Et ils jetteront l’anathème sur le premier qui tirera un vrai résultat de la psychanalyse, exactement comme cela s’est passé pour Galilée et pour les mêmes raisons.
Reste que les concepts posés par Freud, la méthode, la démarche, l’art inspirent aujourd’hui même ses critiques les plus virulents. Quand Onfray dénonce, toujours dans le Nouvel Obs, « une théorie universellement valable en vertu de la seule extension du désir de Freud à la totalité du monde » ou « le fait que le complexe d’Oedipe explique toute la passion incestueuse que Freud manifeste dans la totalité de sa vie« , se rend-il seulement compte que c’est l’œuvre de Freud, et elle seule, qui lui permet de poser ce diagnostic (et qu’en outre, c’est dommage pour lui, il jargonne comme un Freudien de pure souche) ?
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BHL à « On n’est pas couché ». 14 février 2010
Par Thierry Klein dans : Critiques.Lu 3 753 fois | 1 commentaire
J’ai lu 4 ou 5 livres de Bernard-Henri Levy – tous mauvais, mal écrits, superficiels et, ce qui ne pardonne pas pour moi, lourds.
Mais à chaque fois que je le vois à la télé, il y est excellent, intéressant, parfois même profond – et reste assez léger.
Il n’y aurait pas grand chose à reprocher à BHL s’il ne cherchait pas à s’intituler philosophe ou écrivain (jamais je n’ai vu un tel décalage entre l’écrit et l’oral !).
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L’hypothèse Zemmour : l’homme dont le principe est la laideur 26 mai 2009
Par Thierry Klein dans : Critiques,Politique.Lu 21 132 fois | 23 commentaires
J’aime beaucoup les émissions de Laurent Ruquier, que ce soit à la radio ou à la télé. Je ne loupe jamais les interventions critiques ou politiques d’Eric Zemmour le samedi soir.
La grande qualité de Laurent Ruquier : il s’entoure de gens intéressants et complémentaires dont il ne partage pas forcément les idées (le grand défaut de Ruquier: ses calembours foireux !).
Zemmour déclenche des réactions exacerbées parce qu’il est d’une rare agressivité sur un plateau télé et parce que, très souvent, ses prises de position ou ses remarques sont considérées comme non politiquement correctes – ce n’est pas toujours le cas, j’y reviendrai.
Mais il faut arrêter les contre-vérités sur Zemmour, que je trouve un peu partout en tapant « Zemmour » sur Google. Ce n’est pas un facho, pas un type d’extrême-droite, pas un raciste. Quoi qu’on pense de ses thèses, je ne l’ai jamais vu déraper en plusieurs dizaines d’émissions, ce qui est en fait assez exceptionnel.
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La fin d’une illusion 10 mai 2009
Par Thierry Klein dans : Critiques,Littérature.Lu 5 448 fois | 4 commentaires
Inventé il y a peu plus de cent ans, le cinématographe est le plus souvent associé au cinéma en tant que nouveau moyen d’expression culturelle.
Mais qu’en est-il réellement ? L’audiovisuel a certes pris une place majeure dans le monde moderne mais il constitue avant tout le principal vecteur de l’abêtissement général (à travers la publicité et la télévision).
Le cinéma qui promettait, le nouveau moyen d’expression culturel (sans même parler du cinéma en tant que nouvelle forme artistique) a presque totalement disparu. Il n’a pas été tué par la censure (communisme, maccarthysme), mais par son propre avatar, la publicité télé qui, au nom de l’endoctrinement du consommateur, coupe littéralement les oeuvres.
(Berlusconi aura finalement, sous cet aspect, été bien plus efficace que Staline).
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Comment la BNP rend un match de tennis obscène 7 mars 2009
Par Thierry Klein dans : Critiques,Humeur,Sport.Lu 4 109 fois | 3 commentaires
Une nouveauté inaugurée aujourd’hui sur France 2 pour la Coupe Davis: les ralentis démarrent et se terminent par une petite animation BNP, quasi-subliminale, de 2 secondes. Presqu’un ralenti à chaque point, cela va faire pas moins de 600 animations BNP à subir.
Avec la BNP et France 2, c’est Orange Mécanique tous les week-ends et sans interdiction pour les mineurs.
(Et alors que tout le monde hurle à la mort sur un site confidentiel qui ose proposer des corrections de devoir payant – pas très glorieux mais pas bien dangereux – il n’y a sans doute que sur ce blog que vous entendrez parler de cette réelle, obscène et très efficace initiative pour prendre le contrôle de votre esprit disponible; comme quoi, la pub, c’est vraiment l’opium du peuple !)
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Parler d’humanitaire, toujours une hypocrisie. 4 octobre 2008
Par Thierry Klein dans : Critiques.Lu 4 358 fois | 4 commentaires
Pour la première fois de ma vie, j’ai dû tenir, vendredi dernier, un discours humanitaire. C’est beaucoup plus difficile que ça en a l’air. J’ai passé 2 jours complets à préparer quelque chose et rien, strictement rien n’est venu (d’habitude, il me faut tout au plus 2 h pour écrire une intervention).
La principale difficulté, c’est que d’habitude, j’en appelle à la raison du public plutôt qu’à l’émotion. J’ai la plus grande méfiance envers les gens qui utilisent l’émotion pour faire passer leur point de vue: en règle générale, je trouve ça facile, déplacé, indigne ou vulgaire (c’est selon).
Surtout, c’est souvent une manipulation du public et je trouve que notre époque souffre énormément de ce besoin affiché partout de faire passer de l’émotion à tort et à travers (appelons ça le syndrôme StarAc).
Il y a une grande part de raison, dans le Capital Altruiste mais évidemment aussi une part d’émotion à faire passer.
J’avais besoin, par exemple, d’expliquer ce que signifient les gorilles (puisque des amis me reprochent d’avoir choisi une cause mineure). Les gorilles ont évidemment un côté symbolique: comme les éléphants de Gary, le Poisson du Vieil Homme ou la Baleine, ils représentent l’Humanité tout entière et c’est justement par souci d’universalité que je les ai choisis.
Mais ils y a aussi un côté purement sentimental, ce sont des animaux très proches de nous dans le comportement, dont je parle à mes enfants, qui ont un regard humain – bref, une partie du choix ne repose que sur le « coeur » et j’aurais du mal à me défendre face à quelqu’un qui m’accuserait de pure sensiblerie.
Au royaume de la raison pure, il n’y a pas photo, ce sont toujours les causes sérieuses qui gagnent. Mais la raison pure nous a mené aussi à tous les holocaustes, au Fordisme, au communisme, au nazisme… Bref, il me semble que l’Humanité n’a plus trop à espérer de la Raison Pure. Le matérialisme a déjà largement assez donné.
J’ai envie d’essayer les sentiments, pour changer.
Tout ça peut s’écrire (la preuve !). Mais j’espère que vous sentez le côté assez grandiloquent, incongru, déplacé qu’il y aurait à tenir un tel discours en public (on en arrive à relier le destin de gorilles à celui de l’Humanité et au nazisme). Il faut effectuer un vrai travail d’acteur pour le prononcer de façon à faire passer l’émotion – faute de quoi il tomberait totalement à plat et nuirait à la cause même que j’essaie de défendre.
Or qu’est-ce qu’un acteur ? L’acteur est justement celui qui feint l’émotion à la place d’un autre (le personnage qu’il joue) et pour d’autres (le public). Aucune hypocrisie là-dedans si le public est au courant (ce qui est le cas dans une salle de théâtre ou de cinéma).
L’hypocrisie démarre lorsqu’on joue quelque chose alors que le public n’est pas prévenu, ce qui est le cas dans un discours puisque le public attend de la sincérité.
Dans le cas d’un discours humanitaire, vous avez donc le choix entre un mauvais discours ou un discours un peu hypocrite (car joué).
Le fait de jouer ne vous empêche nullement, parfois, de faire un mauvais discours (cf Ségolène Royal au Zénith la semaine dernière). Le fait de ne pas préparer n’empêche pas non plus toute hypocrisie (cf Bernard Tapie, qui est un improvisateur de génie – on peut parler d’acteur naturel).
Vendredi dernier, j’ai résolu le problème en organisant un petit débat sur le Capital Altruiste, débat qui a été finalement bien plus intéressant qu’un discours grâce à la présence de Marie-Noëlle Lienemann, mais je ne pourrai pas toujours m’en sortir ainsi.
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