L’état de droit mène à tout, à condition d’en sortir. 1 octobre 2024
Par Thierry Klein dans : 7 Octobre,Politique.Lu 20 fois | ajouter un commentaire
L’état de droit n’est pas sacré. Tout système judiciaire doit avoir pour objectif de maximiser la quantité de justice qu’il produit et l’état de droit n’est qu’un outil au service de cet objectif. Seule la Justice est sacrée, au sens où elle est inscrite dans la conscience universelle et c’est relativement à elle qu’on mesure le degré de progrès ou de civilisation. Dire que l’état de droit est sacré, c’est confondre la fin et le moyen, c’est-à-dire se rendre coupable d’idolâtrie.
Le principe fondamental de l’état de droit est le refus de l’arbitraire et l’égalité de tous devant la loi. Les principes étant fixés et connus à l’avance, il assure que je suis jugé de façon équitable, exactement comme mon prochain. Le juge n’est chargé que de l’interprétation de ces principes – dont la réunion forme le corpus de la loi. Cette condition de relativité absolue (“juge ton prochain comme toi-même”) est bien indispensable à l’atteinte de la justice.
Le juge ne faisant qu’interpréter les textes de loi, la plupart des décisions de justice sont de nature procédurale et c’est pourquoi, si le système judiciaire fonctionne, on peut considérer que les décisions ne peuvent pas être critiquées. En France, jeter le discrédit sur une décision de justice est depuis longtemps une infraction, infraction commise de plus en plus fréquemment et de moins en moins poursuivie, signe très sûr de la déliquescence de notre système judiciaire.
L’état de droit en lui-même n’est évidemment pas suffisant et la qualité de la justice dépend évidemment du contenu de la loi elle-même, en particulier de son accord à la conscience universelle. Simone Weil écrivait que c’est relativement à cet accord qu’on mesure le progrès.
Il appartient donc aux textes de loi de résoudre les problèmes éthiques qui se posent à l’homme et la société. Chez les anciens hébreux ou dans l’Islam, la loi procède de Dieu et les religieux détiennent largement le pouvoir judiciaire. En France, la loi procède du peuple français, les principes éthiques étant largement influencés par notre histoire judéo-chrétienne, à commencer évidemment par la notion même d’état de droit, dont découle la condition de relativité que j’ai évoquée ci-dessus.
Ainsi doivent normalement être soumis au Peuple Français les choix fondamentaux sur son avenir, les choix éthiques qui représentent les “cas limites” du droit, ceux que les textes existants ne pouvaient envisager. Dans la mesure où depuis une quarantaine d’années, les français ont été de moins en moins consultés sur ces cas, on peut dire que notre système est sorti de l’état de droit ou plutôt qu’il y a eu abus de l’état de droit. Ainsi en est-il de l’abolition de la peine de mort, de l’adhésion au Traité Constitutionnel Européen, de la non consultation des français sur la politique migratoire, de l’extension du rôle du Conseil Constitutionnel ou de diverses décisions prises par le Conseil d’Etat… Ces choix auraient dû remonter aux citoyens, à qui on doit demander de se positionner non pas en partisans mais en philosophes, ou au Parlement. Ainsi quoi qu’on pense des décisions elles-mêmes, elles ont été prises contre l’état de droit. A l’inverse, la loi Veil sur l’avortement, votée par l’Assemblée suite à un débat exemplaire, est totalement conforme à l’esprit de l’état de droit.
La procédure de destitution du Président Macron constitue une perversion de l’état de droit. Car la loi précise que “Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.”. Qui peut en conscience nier la pleine capacité d’Emmanuel Macron ? Ainsi, les députés qui ont validé la procédure, se conduisant en partisans et non pas en philosophes, créent la confusion entre conscience universelle et esprit partisan. Seule la première relève de l’état de droit.
L’appel entendu si fréquemment depuis le 7 Octobre au “droit international” est aussi une perversion de l’état de droit, dans la mesure où celui-ci procède de l’ONU, lui-même majoritairement soumis à des états partisans, non démocratiques, qui prendront des décisions ne reposant pas sur la conscience universelle mais sur les intérêts de pays obscurantistes, voire terroristes et de dictatures. Ces sophismes doivent être dénoncés avec force car la confiance des français en l’état de droit, confondu avec la Justice, est telle qu’elle désarme souvent toute critique.
Il n’y a pas non plus d’état de droit sans force exécutive. Un des objectifs clés du système judiciaire est la protection des citoyens et si la décision du juge n’est pas mise en œuvre, l’état tombe dans l’anarchie, la violence interminable.
Ainsi non seulement Bruno Rétailleau a philosophiquement raison lorsqu’il déclare que “l’Etat de droit n’est pas sacré” mais il est en quelque sorte en deçà de la réalité: en France, l’état de droit n’est plus, par défaut de la force exécutive. Les peines de prison sont édulcorées, raccourcies. Les zones de non droit pullulent. Les OQTF ne sont pas exécutées. Le meurtre de Philippine a précisément mis en évidence de façon criante la faillite de l’état de droit et ceux qui s’indignent des déclarations du Ministre de l’Intérieur crient d’autant plus au feu que, selon les termes du grand psychanalyste Winnicott, la catastrophe est déjà accomplie. L’effondrement tant redouté de l’état de droit a déjà eu lieu. S’ils crient si fort au scandale, c’est justement pour ne pas voir la vérité en face – très souvent, ils ont été les acteurs de l’effondrement.
Dans l’Orestie, Eschyle décrit de façon très profonde la création du premier système judiciaire. Clytemnestre assassine Agamemnon, Oreste tue Clytemnestre et l’aréopage – le jury – est créé précisément par Athéna, la sagesse, pour mettre fin au cycle de violence interminable. Un processus formel de vote est mis en place mais au dernier moment Athéna en modifie les règles en décrétant qu’en cas d’égalité de voix, Oreste sera acquitté. En sortant de l’état de droit, elle rend possible l’état de droit. Une part d’humain, une part de divin – appelons le “conscience universelle”, la conscience qu’il n’y a pas de justice purement procédurale, Eschyle en savait déjà plus que nous sur l’état de droit.
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Pulsion de mort, islamo-gauchisme et judéo-christianisme. 17 juin 2024
Par Thierry Klein dans : 7 Octobre,Aliénation,Politique,Wokisme.Lu 37 fois | ajouter un commentaire
Le lien entre islamisme et extrême-gauche1 n’est pas simplement un lien de circonstance. Profondément, ils sont liés par ce qu’on peut appeler une pulsion de mort.
La pulsion de mort est partout dans l’islamisme. Les attentats suicides, les promesses de paradis pour les martyrs, les morts innocentes mais utiles (11 Septembre, 7 Octobre, Bataclan…).
Dans les manifestations islamo-gauchistes « anti front-national » du 15 juin, je relève par exemple cette vidéo:
Aujourd’hui soit vous restez dans la lutte et on se décolonisera ensemble soit on est amenés à CREVER tous ensemble. On CREVERA pas seuls.
Cette position est presqu’incompréhensible pour un occidental, élevé dans la tradition judéo-chrétienne, qui protège l’innocent jusqu’à l’extrême et donne un prix maximum à la vie, empêchant le suicide en toute circonstance.
Quand il apprend que Dieu veut aveuglément détruire la ville de Sodome, Abraham se lance dans une négociation avec Dieu, qui accepte finalement de sauver la ville si on peut y trouver ne serait-ce que 10 justes.
Pendant la guerre, même pour les missions les plus risquées atteignant des taux de pertes de 90%, Romain Gary raconte que les aviateurs avaient TOUJOURS une possibilité, même faible, même théorique, de s’en sortir.
Et me revient aussi à l’esprit cette citation de Golda Meir:
« Nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir obligés à tuer leurs enfants. Nous n’aurons la paix avec les Arabes que lorsqu’ils aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous détestent.”
Il y a un courant d’idée occidental en rupture avec cette tradition judéo-chrétienne, c’est le courant socialiste. Pour Dostoïevski, le socialisme était un produit dérivé du catholicisme, qui avait lui-même perverti l’enseignement chrétien. Dans un chapitre célèbre des Frères Karamazov, le « Grand Inquisiteur »2 est en quelque sorte le porte-voix des thèses socialistes telles que Dostoïevski les perçoit. Plutôt que de prêcher aux hommes l’idéal chrétien, jugé inatteignable, insensé, il préfère le corriger. Sa version du paradis terrestre est proche de celle de Nathaniel Hawthorne dans « Le Chemin de fer céleste ».
« De nombreux voyageurs s’arrêtent pour prendre leur plaisir ou récolter leurs bénéfices à la foire aux vanités, au lieu de se diriger vers la cité céleste. Les charmes de l’endroit sont tels que les gens affirment souvent qu’il est le seul et vrai paradis; soutenant qu’il n’en existe aucun autre, que ceux qui recherchent davantage sont de doux rêveurs et que si la clarté légendaire de la cité céleste se présentait à moins d’un km des portes des vanités, ils ne seraient pas assez bêtes pour s’y rendre. »
Le Grand Inquisiteur brosse un portrait saisissant de la société d’aujourd’hui, dirigée par des experts au nom d’un idéal de consommation. C’est l’aliénation (inconsciente) de leur liberté, jointe à la satisfaction de leurs besoins matériels, qui garantit le bonheur des hommes:
« Oh ! nous les persuaderons qu’ils ne seront vraiment libres qu’en abdiquant leur liberté en notre faveur […] Certes, nous les astreindrons au travail, mais aux heures de loisir nous organiserons leur vie comme un jeu d’enfant, avec des chants, des chœurs, des danses innocentes […]
Ils n’auront nuls secrets pour nous. Suivant leur degré d’obéissance, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes ou leurs maîtresses, d’avoir des enfants ou de n’en pas avoir, et ils nous écouteront avec joie. »
Quel est le but final de cette vie ? Pour le Grand Inquisiteur, c’est la mort, le rien.
« Il comprend qu’il faut écouter l’Esprit profond (le Diable), cet Esprit de mort et de ruine, et pour ce faire, admettre le mensonge et la fraude, mener sciemment les hommes à la mort et à la ruine, en les trompant durant toute la route, pour leur cacher où on les mène.
Les deux gauches
Camus, dans les Justes, met en scène ce conflit entre la justice et le mensonge, entre la vie et la pulsion de mort. Le terroriste Kaliayev est dans la tradition judéo-chrétienne et refuse de lancer sa bombe car les enfants du Tsar (des innocents) sont dans la calèche.
« J’aime ceux qui vivent aujourd’hui sur la même terre que moi. C’est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. […] Je n’irai pas ajouter à l’injustice vivante pour une injustice morte. »
Il s’oppose à l’autre terroriste « socialiste », Stepan pour qui:
« C’est tuer pour rien, parfois, que de ne pas tuer assez. […] Nous sommes des meurtriers et nous avons choisi de l’être. »
Je rapproche cette position des déclarations récentes de Yahya Sinwar, chef du Hamas:
« Le bain de sang va servir la Cause. La mort de civils est un sacrifice nécessaire. »
La différence irréconciliable entre ces deux positions « de gauche » est aussi celle dont parle Simone Weil dans l’Enracinement. De même que le discours du Grand Inquisiteur est quasiment indifférenciable du discours chrétien, mais en représente l’exacte négation:
« Sous le même nom de révolution, et souvent sous des mots d’ordre et des thèmes de propagande identiques, sont dissimulées deux conceptions absolument opposées.
L’une consiste à transformer la société de manière à ce que les opprimés puissent y avoir des racines; l’autre consiste à étendre à toute la société la maladie du déracinement qui a été infligée aux opprimés. Il ne faut pas dire ou penser que la seconde opération puisse jamais être un prélude de la première; cela est faux. Ce sont deux directions opposées. »
- J’emploierai indifféremment « socialiste » et extrême-gauche dans la suite de ce billet. J’entends socialiste au sens marxiste du XIXème siècle, évidemment plus proche du terme « bolchevik » que du parti socialiste… ↩︎
- https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Dostoievski-Karamazov-1.pdf, page 629 ↩︎
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