La valeur travail existe-t-elle ? 30 septembre 2022
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Economie,Open Source,Politique.Lu 691 fois | ajouter un commentaire
Le chasseur-cueilleur préhistorique, directement en lien avec la nature, n’agit que sous la pression de celle-ci et a bien conscience que son activité a pour but direct sa survie. L’homme moderne vit sous le règne de la division du travail, des myriades de métiers existent dans notre société. La division du travail a augmenté de façon extraordinaire la productivité humaine mais nous cache de plus en plus ce fait fondamental : le travail est la façon dont nous arrachons à la nature ce qui nous est nécessaire pour survivre. Elle nous le cache car quand l’activité de chacun est parcellaire, plus personne ou presque ne peut reconstituer l’ensemble de la chaîne industrielle qui extrait les moyens de la survie de la nature. L’ouvrier qui produit un clou n’a pas forcément conscience du rôle de son usine dans la survie de l’espèce pourtant, comme Adam Smith l’a montré, sa productivité est infiniment supérieure à l’artisan du moyen-âge. Le fait que la production du clou nécessite si peu d’effort humain aide à la satisfaction des besoins vitaux de l’humanité (constructions, infrastructures…).
Les écologistes et la valeur paresse
Ceux qui ont récemment nié la “valeur travail” (j’essaierai par la suite de parfaitement définir cette expression) et prôné un “droit à la paresse” sont donc en premier lieu ceux qui, oubliant la logique profonde, bien qu’inconsciente, de la division du travail, mettent l’accent sur ses défauts, ses absurdités, ses gaspillages. Ils constatent que la société crée de nouveaux besoins, non liés à la survie, qu’on peut philosophiquement qualifier d’inutiles; qu’elle génère de nombreux gaspillages, par exemple énergétiques; que la répartition des ressources est mal effectuée, une partie de l’humanité n’ayant pas assez pour survivre alors que quelques milliardaires accumulent les richesses. Si on croit que la machine industrielle s’est emballée, qu’elle produit en quelque sorte “à vide”, on doit donc produire moins, travailler moins, au nom de l’écologie ou du besoin de “sobriété”. A la limite, on peut considérer tout ou partie de l’activité humaine comme contre-productive, générant simplement gaspillage et pauvreté. Constater ceci,ce serait créer non seulement un droit mais un devoir de paresse.
Mais en réalité, la division du travail actuelle a permis à l’humanité d’atteindre 7 milliards d’individus, en croissance exponentielle depuis le début de l’ère industrielle où la population atteignait 1 milliard. Il n’est pas certain que l’agriculteur africain ou australien, brûlant des kilomètres carrés de terre, soit moins destructeur que l’homme moderne, capable de fournir l’énergie nécessaire à des villes entières à partir de quelques kilogrammes d’uranium. Le gaspillage moderne n’est peut être pas plus important, en proportion, que celui qui a mené aux pyramides égyptiennes. Le PIB des pays est fortement lié à l’espérance de vie ce qui signifie que toute baisse de productivité, ou toute crise énergétique réduisant la production, aura des conséquences directes sur la mortalité. Les écologistes échouent à montrer qu’un modèle sobre est compatible avec le niveau actuel de la population humaine et leurs arguments sont sentimentaux, mais pas raisonnables. On ne peut pas, au nom de l’écologie, justifier un quelconque droit ou devoir à la paresse.
La nécessité du travail.
Le travail n’est devenu une notion noble que récemment. Chez les grecs, seuls les esclaves travaillaient et les citoyens dédiaient leur temps aux activités dites nobles (telles que la philosophie, la géométrie, la guerre …). En temps de paix, le citoyen grec libre se consacre donc uniquement à ce que nous appelons aujourd’hui “loisir”. Dans l’Ancien Régime, les nobles ne travaillaient pas, ne commerçaient pas. C’est la Révolution qui introduit la notion de travail pour tous, au nom de l’égalité et du respect du Contrat Social de Rousseau, qui définit précisément le point de contact frictionnel entre individu et société. Chaque citoyen est censé participer à l’effort collectif que mène l’homme face à la nature. Refuser de mener cet effort en invoquant un droit à la paresse, c’est une rupture du contrat qu’impose la société à l’individu. C’est une forme de malhonnêteté envers la collectivité souveraine qu’on peut comparer, dans l’esprit, au refus de faire son service militaire ou à la fraude fiscale.
La paresse en tant que morale de l’assistanat
On commence à rentrer ici dans la notion morale, même si c’est sous l’angle de la nécessité. Le travail est nécessaire, il n’élève pas forcément l’être humain mais ne pas se plier à cette nécessité collective est une fraude immorale. Il n’y a pas forcément de “valeur travail” mais il y a un état immoral, qui est l’oisiveté. Cette opinion reste très répandue aujourd’hui et c’est pourquoi les déclarations sur le “droit à la paresse”, qui provenaient de représentants de mouvements d’extrême gauche (LFI et EELV) ont choqué. Pour un grand nombre de gens, l’indemnité chômage, par exemple, est nécessaire face aux accidents de la vie mais une aide permanente destinée à soutenir l’inactivité, nommons ceci “assistanat”, n’est pas acceptable pour des raisons morales, pas plus que ne le serait un soutien à la fraude fiscale par exemple. Et cette idée, quoi qu’en pense Aymeric Caron, est une idée de gauche.
Les sociétés où tout ou partie de la population ne travaille pas sont des sociétés serviles ou en route vers la servitude. Si la classe dominante ne travaille pas, c’est que le reste de la population est asservie, comme dans l’Ancien Régime. Quand c’est le peuple qui ne travaille pas, la société est une dictature en devenir comme Rome l’a été sous le règne du “panem et circenses” ou comme la société totalitaire qu’évoque brillamment Orwell dans 1984. Le “panem”, c’est l’équivalent du RSA pour la plèbe, l’assistanat de toute la population pauvre qui va de pair avec le “circenses”, le loisir, visant à occuper les esprits. L’ensemble a pour but d’amollir toute velléité de résistance, de mettre la population en état de servitude volontaire. En prônant le droit à la paresse, l’extrême-gauche oublie le contrat social, balaie la notion de citoyenneté et ouvre la voie à la dictature. Cela s’appelle oublier d’où on vient.
Pourquoi donc cet oubli, en rupture totale avec sa tradition historique ?
L’explication nous est encore donnée par les penseurs de gauche. Pour Marx, la conscience sociale et la morale résultent des conditions économiques, dont elles forment une sorte de superstructure. Pour Proudhon, “La pensée d’un homme, c’est son traitement”. A partir du moment où, comme c’est le cas en France, un large partie de la population est structurellement assistée, l’état de chômage permanent devient une sorte de métier à plein temps et il est inévitable qu’une morale associée à cet état économique se crée. Le chômage, honteux au départ, devient le “droit à la paresse” et n’est plus vécu comme une contrainte mais comme une condition sociale comme une autre. On doit alors augmenter la rétribution de la paresse, c’est-à-dire les minimums sociaux, au détriment de la rétribution du travail. L’argument de l’extrême gauche va au-delà du clientélisme: il prend en compte la nouvelle réalité économique et la création d’une classe d’assistés permanents, ayant sa propre morale, dont l’extrême-gauche, reniant sa mission historique, protègera les intérêts.
L’impossible liberté du travail
Mais quelle est cette mission historique de la gauche ? Notre chasseur-cueilleur a une productivité très faible, nous l’avons vu, comparée à celle du travailleur moderne. Mais il est seul, libre d’agir, face à la pression aveugle de la nature alors que le travailleur, subissant l’organisation moderne et la mécanisation de son poste de travail, est face à un commandement humain qui l’aliène. “La nature peut constituer un obstacle, une résistance mais seul l’homme peut enchaîner » (Simone Weil). Il semble que l’homme ne puisse se débarrasser de la pression de la nature sans créer sa propre oppression, bien humaine. Tout gain de productivité (l’agriculture, l’industrie…) permettant de développer économiquement les sociétés humaines est comme lié à des structures oppressives (esclavage, servage, fordisme…) aliénant l’individu. Le travailleur devient un simple outil de production, une chose. Le travail est une aliénation et n’est que ceci. La mission historique de la gauche est donc de protéger l’individu contre cette organisation aliénante, que Marx a identifiée et dénoncée dans le capitalisme.
D’où viennent les 35 h ?
Aucune valeur travail n’est compatible avec cette vision. Aucune amélioration morale de l’Homme n’en sort. Un travailleur à la chaîne subit, devant sa machine, une vie inhumaine – même s’il joue un rôle social important vis-à-vis de la société. Sa profession est purement utilitaire. Pendant qu’il travaille, l’ouvrier est soumis à sa hiérarchie, n’apprend rien, ne progresse pas. Il n’est plus vraiment un homme, plutôt une fourmi. Il n’est homme que pendant ses loisirs et cette vision conduit inéluctablement à une volonté de réduire le temps du travail et d’augmenter les loisirs – sans aller jusqu’à l’assistanat cependant. C’est là l’origine de la vision que la gauche a mise en œuvre ces 30 dernières années et cette vision est probablement partagée par un grand nombre d’employés de ma société.
De l’instinct animal au travail
Si on considère le travail sous l’angle unique de la nécessité, il est donc bien difficile d’en faire ressortir la moindre valeur morale. Pourtant cette valeur existe et pour aller la chercher, il faut partir, encore une fois de notre chasseur-cueilleur et comprendre en quoi le travailleur en diffère. Le chasseur-cueilleur des origines ne travaille pas vraiment. Poussé par la faim, il agit et chasse et il est donc dans un optique de satisfaction immédiate de ses besoins élémentaires. En ceci, il ne diffère pas des animaux qui chassent instinctivement et on ne peut pas appeler sa chasse “travail”. “Les animaux s’agitent, l’homme seul travaille, parce que seul il conçoit son travail” (Proudhon). Pour qu’il y ait réellement un travail, il faut une suite d’opérations manuelles et de pensée en vue de produire un objet qui sera consommé – et plus la division du travail est forte, plus il est probable que la production du travailleur sera consommée par d’autres hommes, lui-même achetant ou échangeant, grâce à sa production, les biens nécessaires à son entretien. Ainsi, notre clou n’est pas consommé par l’ouvrier qui le produit mais, via un système d’échange, lui permet d’acheter sa nourriture. Il n’y a donc travail que lorsque l’homme n’agit pas par impulsion instinctive, mais en vue d’un objectif pensé, qui est la consommation. La consommation n’est alors plus la cause mais la fin de l’action. “La consommation comme besoin est un moment interne de l’activité productive” (Marx). L’homme consomme en qualité d’être vivant, il travaille en qualité d’être pensant » (Simone Weil).
Le travail est une donc activité pensée ayant pour fin la satisfaction d’un besoin (Simone Weil). Ces deux aspects sont absolument nécessaires. Si on exclut le besoin, en ne gardant que l’activité ou la pensée, on en revient à cette transition qu’a représentée la Grèce. La Grèce a séparé l’activité du besoin, inventant l’athlétisme. Elle a séparé la pensée de la nature, inventant la géométrie, science dont l’utilité pratique est nulle au départ – si les Grecs avaient cherché un savoir réellement utilitaire, ils auraient inventé l’algèbre.
Le chasseur-cueilleur est donc dominé par la nature alors que Grâce à son activité et à sa pensée, “le travailleur soumet la nature en lui obéissant” (Bacon). Passer de la domination pure à la seconde forme d’obéissance est une libération et c’est même l’unique libération possible pour l’homme. “Le génie du plus simple artisan l’emporte autant sur les matériaux qu’il exploite que l’esprit d’un Newton sur les sphères inertes dont il calcule les révolutions” (Proudhon).
Qu’est-ce que la valeur morale du travail ?
La valeur morale du travail procède donc de la confrontation entre la pression de la nature et l’action du travailleur. L’aliénation oppressive au travail, c’est la confrontation entre la pression humaine (l’organisation du travail mise en place) et l’action du travailleur. Seuls les métiers non touchés par l’organisation du travail peuvent être considérés comme totalement libres de toute oppression (par exemple le paysan qui laboure son champ à la faux, l’artisan qui produit seul son objet).
Les autres métiers sont toujours sujets à une oppression humaine, qui est la seule oppression possible, la nature agissant en tant que pression et non en tant qu’oppression puisqu’elle n’a pas d’intention. L’oppression naît du fait que, selon la remarque de Marx, ceux qui organisent contrôlent le travail de ceux qui exécutent, et ont tendance à les asservir. Il est impossible de se débarrasser de l’organisation du travail car il en résulterait une perte de productivité incompatible avec, entre autres, le maintien de la population à son niveau actuel. Donc il est impossible d’éliminer totalement toute forme d’oppression.
[Les larmes de Federer. J’ai choisi une approche philosophique pour définir cette valeur morale mais j’aurais pu aussi bien m’appuyer sur la psychologie populaire. Quand on dit de quelqu’un qu’il est “un grand professionnel”, on y met évidemment une signification morale. Pour comprendre comment le travail élève, il suffit de prendre un exemple récent, celui des larmes de Federer et de Nadal lors des adieux de Federer. Dans sa carrière, Federer a d’abord tout gagné “facilement”, puis est apparu Nadal qui, comme la nature pour le travailleur, lui a résisté et l’a forcé, par le travail physique et la réflexion, qui sont les deux grands constituants du travail, à améliorer son jeu, à aller plus loin, atteignant à la fin de sa carrière des sommets qui l’ont sans doute surpris lui-même. Federer pleure non pas les grands chelems perdus mais la grandeur que Nadal lui a permis d’atteindre, son dépassement, sa pleine réalisation en tant que joueur de tennis. Et Nadal, qui ne prend pas encore sa retraite, pleure exactement la même chose. Toute personne qui a eu la chance à un moment ou un autre de travailler intensément, dans un contexte où ce travail a été effectué de façon non servile, comprend de quoi je parle.
]
Vers une société de la coopération ?
On peut cependant avoir pour objectif de minimiser cette oppression. Ainsi, dans les manufactures du moyen-âge, le mode d’interaction entre les travailleurs était la coopération entre hommes. Chaque travailleur négociait avec un autre travailleur l’objet qu’il allait lui fournir, dans un but commun. Les compagnons collaboraient pour l’édification des cathédrales.
Lorsque cette coopération humaine a été remplacée, au moment de la révolution industrielle, par une collaboration de machines, les travailleurs ont perdu toute capacité d’élaboration et coopération. Ils sont devenus asservis aux machines, c’est-à-dire aux ingénieurs et aux contremaîtres. Cette forme de production s’est imposée à cause de sa grande productivité, mais a été un recul sur le plan humain.
L’Open Source et la société de la collaboration
Dans notre société moderne, le développement logiciel, s’il est bien réalisé, donne une idée de ce que pourrait être une industrie de la coopération. Les ingénieurs conçoivent des architectures globales, qui sont nos cathédrales modernes, définissent leurs interfaces internes, les composants qu’ils utiliseront et échangeront avec eux. Cette coopération dans un but commun nécessite effort et créativité et respecte la liberté individuelle de chacun.
Le mouvement Open Source est une parfaite illustration de ce que peut être l’industrie de la coopération, réunissant idéal et utilité. Lancé en 1984 par Richard Stallman, il a pour objectifs de favoriser la libre circulation des connaissances et des logiciels (en opposition avec les stratégies privées de sociétés telles que Microsoft), de faire collaborer les ingénieurs et de mettre à la disposition de tous le résultat de leurs travaux. En générant des dizaines de milliers de projets logiciels, en faisant travailler de façon collaborative des centaines de milliers d’ingénieurs, l’Open Source a eu – a encore – un impact majeur sur la société et est, entre autres, à l’origine d’Internet.
Dans une entreprise, chaque dirigeant devrait, dans la mesure du possible, tenter de susciter à tous les niveaux la collaboration, son rôle se limitant à organiser et synchroniser les travaux. Chaque exécutant devrait admettre sans ressentiment que la coopération parfaite étant impossible, une part d’arbitraire, de travail forcé, voire de travail absurde, subsistera dans toute activité professionnelle. Et cette part peut malheureusement être parfois très importante. Plus le dirigeant et l’exécutant tentent de se conformer à ce modèle qu’il faut voir comme un état limite impossible à atteindre, plus il y a de vertu dans le monde et plus le travail prend de la valeur.
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L’œuvre maîtresse de Rawls, « La théorie de la Justice » est relativement peu connue du grand public. C’est une œuvre monumentale, complexe, dense – et aussi imparfaite. On peut la comparer à celles d’Aristote, de Marx ou de Freud pour les raisons suivantes :
- Les concepts introduits changent profondément l’interprétation du monde. Par exemple, pour Freud, le concept de l’inconscient. Pour Marx, celui de l’aliénation.
- Ces œuvres s’inspirent de l’époque et y infusent tout à la fois. Elles ont une influence profonde qui se prolonge sur des dizaines ou des centaines d’années. Cette influence est principalement indirecte (c’est sans doute dommage). Peu de marxistes ont lu Marx dans le texte et pourtant tout le monde comprend le concept d’aliénation. Il en est de même pour le retour du refoulé.
- Les textes sont bourrés d’erreurs, mais ces erreurs même sont souvent fondatrices et parfois géniales. Il ne reste rien, au sens des résultats scientifiques, de la Physique d’Aristote. Et pourtant Galilée lui rend constamment hommage. Même chose à des degrés divers pour Freud et Marx.
Tout se passe aujourd’hui comme si le consensus social-libéral résultait d’une sorte de synthèse, simpliste et réductrice, de « la théorie de la justice » – et en particulier des trois principes de Rawls (voir ci-dessous). Néanmoins, les adeptes de Rawls n’ont pour la plupart pas lu Rawls. Certes, la plupart des marxistes n’ont pas lu Marx. La plupart des catholiques ne connaissent les évangiles que de façon indirecte, via un catéchisme réducteur. Mais à la différence des marxistes ou des chrétiens, beaucoup de sociaux-libéraux ne connaissent même pas l’existence de la théorie de la Justice et donc n’ont aucune idée de la source de leur vision de la société. Le social-libéralisme est une sorte d’église sans évangile.
L’objectif initial de cet article était de mettre en évidence les liens qui relient les conceptions de Rawls aux politiques éducatives modernes, prônées par des organismes tels que l’OCDE, Terra Nova[1] ou mises en place depuis une trentaine d’années au sein de l’Education Nationale. Pour ce faire, les nombreuses autres relations de Rawls avec les politiques sociales libérales modernes doivent être aussi expliquées. Ces relations m’ont semblé, sous certains aspects, aussi intéressantes que leurs à-côtés éducatifs. J’ai donc décidé de les intégrer, quitte à beaucoup (trop) rallonger mon billet.
Celui-ci peut donc se lire, au final et évidemment en toute modestie, comme une tentative de déconstruction du libéralisme social, mouvement qui, grosso modo, va en France de la gauche dite « de gouvernement » à la droite dite « modérée » et dont se revendique notre prochain Président de la République[2].
Qu’est-ce que le libéralisme Rawlsien ?
« Mon objectif, explique John Rawls au début de sa « théorie de la justice », est d’élaborer une théorie de la justice qui remplace ces doctrines : l’utilitarisme et l’intuitionnisme ».
Rawls part d’une position dite originelle. Il imagine les citoyens placés sous un voile d’ignorance : les citoyens sont certes adultes mais ne connaissent pas leur position future dans la société, leur statut, la classe sociale à laquelle ils vont appartenir. Ils doivent alors se mettre d’accord sur des principes, admissibles par tous, qui régiront cette société. Rawls « démontre[3] » que les trois principes sur lesquels les citoyens doivent se mettre d’accord sont les suivants[4] :
Premier principe (libertés): les citoyens doivent tous avoir accès au maximum de libertés de base (ou de « biens primaires » – les biens que tout homme normal désire et est en droit d’obtenir – par exemple, la nourriture)
Second principe (droits) : Si des inégalités existent, elles ne doivent pas nuire à l’égalité des chances.
Troisième principe (dit principe de différence) : si des inégalités existent, elles doivent maximiser le niveau de vie des plus faibles.
Le troisième principe et le problème du salaire maximum
Actualité électorale exige, je vais commencer par l’explication de ce troisième principe et montrer les différences entre le « social-libéralisme » de Rawls et le libéralisme (ou l’utilitarisme). Rawls ne cherche pas à supprimer les inégalités, mais à les utiliser pour maximiser la position des plus faibles[5].
Si l’impôt est conçu pour que tous les citoyens gagnent la même chose, il est évident que les citoyens les plus « productifs » (entrepreneurs, industriels, chercheurs…) sont découragés et cessent de produire – ou partent à l’étranger. Du coup, la richesse générale diminue et si le niveau de production est trop bas, le niveau de vie du citoyen le moins favorisé baisse. Ce débat, c’est celui du salaire maximum. Pour Rawls, on peut fixer un salaire maximum, mais celui-ci doit être suffisamment élevé pour que les forces productives gardent l’essentiel de leur motivation, la redistribution de richesse ayant des effets sur les plus pauvres supérieurs à la baisse de la production qui s’ensuit. Les mesures proposées en 2012 par le candidat Hollande, puis abandonnées par le Président, les mesures proposées en 2017 par le candidat Mélenchon sont toutes compatibles avec le modèle libéral Rawlsien.
A l’inverse, un utilitariste (ou un libéral) « pur » va avoir comme but unique d’augmenter la richesse totale et va donc tolérer toutes les inégalités de richesse créés par le marché.
L’articulation des trois principes dans le social-libéralisme moderne
Le point clé qui régit les trois principes, c’est qu’ils doivent s’entendre dans l’ordre, le premier étant prioritaire sur le deuxième, lui-même prioritaire sur le troisième. Les deux premiers principes ont trait aux libertés et aux droits, seul le troisième principe a trait à l’économie et c’est ce qui fait de Rawls, au fond, un penseur « de gauche » – ou social. Aucun gain économique ne peut être justifié au détriment d’une liberté fondamentale. Aucun gain économique ne peut être justifié au détriment du principe d’égalité des chances.
Ce qui fait de Rawls un penseur libéral, c’est que, une fois ces principes établis[6], ils régissent toute la société selon une logique procédurale pure. Ils constituent l’état du droit sur lequel la société est fondée. Le marché est un des aspects de la société ainsi définie. Il tolère des inégalités « justes » – Rawls qualifie ainsi toute inégalité qui permet de faire monter le niveau de vie du plus pauvre.
Une critique psychologique de l’édifice Rawlsien
Mon objectif n’est pas ici de critiquer la « construction » Rawlsienne au sens économique du terme. Je n’ai aucune compétence spéciale pour le faire et cette critique, ayant été mille fois faite (ou plutôt tentée), n’aurait pas grande originalité. Je vais plutôt essayer d’expliquer quelles sont les conséquences actuelles des théories de Rawls et à quoi tient leur succès.
Rawls et le retour du Religieux
Les citoyens qui se mettent d’accord sur les principes fondateurs ont leur propre croyance en tant qu’hommes. Le voile d’ignorance ne concerne que leur position sociale future dans la société. Rawls suppose – c’est la base de sa démonstration – que les citoyens vont trouver un consensus minimal sur les principes qui régissent leur vie en commun, et en particulier leur liberté, mais ne traite par définition pas le cas où une doctrine religieuse, que je vais nommer « intégriste », empêcherait l’établissement de tout consensus. L’hypothèse de Rawls, qui commence à publier, rappelons-le dans les années 70, c’est que l’Histoire a déjà pris fin. Les démocraties libérales comprennent peu à peu, depuis le 11 septembre 2001, que l’hypothèse de base est absurde. Certaines, refusant de le comprendre, en restent encore sidérées.
Social-libéralisme et multi-culturalisme.
En l’absence de position intégriste, le consensus Rawlsien est plutôt de nature multi-culturaliste. Les citoyens peuvent tous avoir leur propre vision de la société, de la vie religieuse et vivre dans des cultures totalement différentes au sein de la même nation. Peu importe l’aliénation, au sens où par exemple Marx l’entend, du moment qu’elle est compatible avec le consensus social. Dans une telle société, le concept d’intégration, au sens où nous l’entendons en France, n’a pas de sens. C’est sans doute pourquoi Rawls est enseigné si librement sur les campus américains. On voit bien aussi les problèmes d’une grande partie de la gauche et de la droite dites « libérales » à comprendre, parfois même à nommer, les attaques faites à la laïcité (par exemple, le problème posé par le voile ou le voile intégral). Il n’y a simplement pas, chez Rawls, de concept théorique correspondant. Cela ne fait pas partie de son logiciel.
La critique de Bourdieu sur Rawls / La bien-pensance Rawlsienne
Bourdieu critique la construction Rawlsienne au prétexte qu’elle ferait la part trop belle, de façon arbitraire, à la liberté et aurait pour objectif caché de justifier l’idéal démocratique américain. L’idéal de liberté (premier principe Rawlsien) serait donc encore un produit de l’habitus (la tendance du social à classer les objets selon un ordre arbitraire perçu comme naturel). On pourrait donner en réponse à Bourdieu l’argument de la Boétie[7], qui est aussi celui de Darwin, à savoir que l’amour de la liberté n’est pas un produit du social mais une donnée naturelle, biologique, manifeste non seulement chez l’homme mais aussi presqu’universellement répandue dans toute le règne animal. Mais là n’est pas la question. La critique de Bourdieu est pénétrante en ceci qu’elle cherche ce que la théorie de Rawls masque. Et ce qu’elle masque, c’est une forme sophistiquée de bien-pensance.
Les derniers seront les derniers.
Imaginez, dans une société utilitariste pure, la position des plus pauvres. Ceux-ci peuvent s’en prendre à la terre entière. Le capitalisme est injuste. La liberté et l’égalité des chances ne sont que formelles – il est évident que riches et pauvres n’ont en fait pas les mêmes droits ni les mêmes opportunités. Les pauvres peuvent lutter pour un avenir meilleur, même si cet avenir est lointain (« le grand soir ») ou très lointain (l’Eglise, opium du peuple, leur garantit que, après leur mort, « les derniers seront les premiers »).
Qu’en est-il du plus pauvre dans une société Rawlsienne ? Il n’est certes pas moins méritant que les autres, il a droit au respect des autres et de lui-même (notion centrale chez Rawls, car sans respect de soi-même, il ne peut y avoir d’égalité réelle des chances). Mais il faut bien qu’il admette aussi, le pauvre bougre, que la société a tout fait, absolument tout, pour qu’il ait la meilleure position économique possible. Il ne peut donc, ne doit donc pas se plaindre. « Toutes les mesures nécessaires pour améliorer les choses ont été prises ». Cette petite musique doit vous rappeler quelque chose.
Mathématiquement, si on améliorait la condition du mois bien loti, cela signifierait qu’on créerait d’autres derniers, dont le niveau de vie serait alors inférieur. Ou qu’on porterait atteinte aux droits fondamentaux (principe 2). Ou aux libertés fondamentales (principe 1). Chez Rawls, les derniers sont les derniers, et c’est très bien comme ça.
La bien-pensance
Pour les plus favorisés, la théorie Rawlsienne est donc idéale : ils sont au sommet de l’échelle et ils ont en plus la satisfaction profonde de vivre dans la meilleure société possible pour ceux qui sont en bas. Dans une telle société « libérale avancée », une fois les principes de gouvernement posés, il n’y a pour ainsi dire plus de mesure politique à prendre
Les arbitrages sont principalement de nature technique et ils nécessitent un niveau d’expertise important. On assiste à la création d’une élite fonctionnarisée satisfaite d’elle-même qui n’a plus à communiquer au Peuple le pourquoi des arbitrages, cette communication devenant finalement la seule fonction du personnel politique[8]. Les moins favorisés n’ont plus d’échappatoire possible et traversent comme hébétés les bas-fonds livides de la société Rawlsienne. Dieu a disparu, la déconstruction a fait son œuvre et il n’y a plus de grand soir envisageable puisque la société qui en résulterait serait pire que l’existante. Rose, c’est rose, il n’y a plus d’espoir. On vous encule, mais avec le plus profond respect. La démocratie Rawlsienne, c’est le valium du peuple.
Les sociaux-libéraux sont des rawlsistes qui s’ignorent
Il faut faire crédit à Rawls d’avoir répondu par avance à la plupart des critiques envisageables – un des aspects qui rend son œuvre fascinante. La société que je critique au paragraphe précédent emprunte des traits à celle que Rawls nomme « Aristocratie naturelle » – étape vers la démocratie parfaite telle qu’il la conçoit. En toute rigueur, ma critique vise donc avant tout les adeptes sociaux-libéraux, conscients ou inconscients, de Rawls plutôt que la construction Rawlsienne elle-même.
Les formes de démocraties Rawlsiennes
Dans une certaine interprétation, la démocratie Rawlsienne n’a plus besoin d’élus et peut reposer presqu’entièrement sur ses fonctionnaires (selon le modèle de l’Union Européenne). Ou, si le Président est lui-même un technicien et n’assume pas son rôle de « grand communicant », on assiste à une interprétation à la Hollande, qui attend simplement pendant tout son mandat que la « boîte à outils » mise en place pendant les premières années de son mandat produise ses effets positifs. Le côté technique et désincarné jusqu’à l’absurde du modèle transparaît alors et les positions politiques dites extrêmes (c’est à dire remettant en cause le modèle lui-même) progressent.
La démocratie Rawlsienne ne réussit en fait jamais mieux que lorsque le Politique assume son rôle de façon flamboyante et parvient à donner du sens à des mesures techniques qui n’en ont pas forcément (par exemple Kennedy, Trudeau et peut-être bientôt Macron ?). C’est un des paradoxes du modèle pourtant basé sur une méthode procédurale pure, sur une croyance absolue en la puissance des mécanismes du Droit.
Le glissement moderne du sens du mot « respect ».
Rawls met au centre de sa théorie la notion de respect, au nom de son deuxième principe (égalité des chances), dont on rappelle qu’il a une priorité supérieure au principe économique de différence. « Il faut chercher à donner aux plus défavorisés l’assurance de leur propre valeur, afin de limiter les formes de hiérarchie et les degrés d’inégalité que la justice autorise ».
Dans notre société post-moderne, il y a eu une évolution récente du sens du mot « respect » qui est extrêmement intéressante car elle montre que nous pensons dorénavant tous, sans le savoir, en termes Rawlsiens. Alors qu’elle correspondait précisément au second principe Rawlsien, la notion de respect s’est déplacée:
Vers le premier principe…
Les précieux ridicules ont pris possession du jargon Rawlsien et dans notre société, le mot « respect » est mis à toutes les sauces et perd tout sens. Dans les quartiers, il vaut mieux ne pas se faire rappeler qu’on a manqué de respect à quelqu’un, car cela signifie qu’on a enfreint la loi mafieuse, qui est, en fait, l’exact contraire de la liberté telle que Rawls la définit dans son premier principe : « manquer de respect », c’est rappeler à l’autre que son attitude est en contradiction avec le principe de liberté.
Ou vers le troisième principe…
Le joueur de foot professionnel déclare lui qu’on lui a manqué de respect si l’offre salariale faite par son club (offre pourtant indécente) est inférieure à ses espérances. Manquer de respect à Franck Ribéry, c’est simplement lui rappeler que ses attentes sont en contradiction avec le principe économique de différence (minimax, troisième principe).
D’une façon générale, le terme « respect » est donc employé dans notre monde à chaque fois qu’il faut masquer la contradiction entre les principes Rawlsiens et la dure réalité. Plus la société, qui se veut Rawlsienne « craque », plus le terme respect est employé dans ses sens dévoyés.
Hollande expulse Leonarda mais perd son temps à faire savoir qu’il la respecte. Les salariés de Florange doivent être licenciés mais surtout écoutés et respectés, etc. On reproche à Emmanuel Macron – sans doute une erreur de jeunesse – de traiter des ouvrières d’illettrées au nom du respect qui leur est dû (cela évite d’essayer de comprendre comment cette situation peut se produire dans une société où l’école est obligatoire).
L’intolérance rawlsienne
Un libéral pur, se promenant dans notre monde moderne tel le Candide de Voltaire, aurait évidemment un mal fou à se persuader qu’il s’agit du meilleur des mondes possibles.
Mais le libéral-social Rawlsien, à condition qu’il ne gratte pas trop fort, dispose d’outils théoriques convenables pour s’en convaincre. Son standard de comportement, l’altruisme dont il fait preuve sont nettement en dessous de l’idéal chrétien : il ne s’agit plus de traiter son prochain comme soi-même, mais comme soi-même aurait pu l’être s’il avait, par malchance, hérité de la position la moins favorisée.
Au sens de l’évolution des idées, la position dite « progressiste » est donc une position chrétienne imparfaite, archaïque (ou si l’on est croyant, pervertie). Pour le reste, à partir du moment où ils paient leurs impôts, où ils font preuve envers l’autre de tout le respect qui lui est dû, les plus riches peuvent vivre en toute bonne conscience.
Cette position est évidemment très, trop confortable et repose sur des bases bien peu solides, ce qui fait que tout questionnement doit être refoulé. Si vous remettez en cause ce sophisme, vous serez traité, au choix, de populiste, de fasciste, d’idiot, d’être irrationnel ou instable (c’est selon). Car, « toutes les études le prouvent », vous êtes dans le camp du mal. Et alors,
« Pas besoin d’être Jérémie
Pour d’viner l’sort qui vous est promis. »
Les sociaux-libéraux sont des conservateurs.
Les sociaux-libéraux se vivent comme « progressistes » et une grande confusion politique résulte du fait qu’ils ont obtenu le monopole de ce terme. Cependant, Marx les aurait simplement qualifiés de bourgeois honteux. Le social-libéralisme actuel, n’étant qu’une façon de rationaliser les injustices de la société, de les justifier en disant que rien de plus ne peut, ne doit être fait pour combattre l’injustice, n’est avant tout qu’un conservatisme.
Tous ceux qui dénoncent cet état de fait seront traités de populistes (ce n’est pas entièrement faux: parfois, ils le sont !). Mais pour les « progressistes », ils le sont nécessairement puisque je vous rappelle qu’il n’y a rien de mieux à faire. Tout a déjà été essayé.
La position vis-à-vis de l’Islamisme
L’extrême-gauche n’est pas dans une logique Rawlsienne mais adopte une tolérance extrême pour tout ce qui touche à l’Islam au nom de son engagement à supporter les plus défavorisés –la raison morale de cet engagement est probablement liée à notre tradition judéo-chrétienne mais il ne faut pas non plus le rappeler trop fort – toute référence à cet héritage est honnie (« on nie »). Au nom, donc, de l’aide envers le plus faible, elle qualifie les excès de l’Islam de « production du social » et elle accepte de renoncer aux lendemains qui chantent, à la prise de conscience de l’aliénation religieuse qui va de pair avec l’Islam intégriste. Pour oublier cette trahison, elle redouble de vigilance sur les crimes passés et présents de l’Eglise, de l’inquisition au refus de l’avortement et sur le comportement forcément condamnable des mâles blancs dominants, qui bien entendu sont à la source de la « production du social » stigmatisant l’Islam.
Cette position « indigéniste » est très différente, sur le fond, de la position multi-culturaliste Rawlsienne décrite plus haut, qui correspond plutôt à une sorte d’indifférence (en général renommée « tolérance ») conduisant à un « laisser-faire » généralisé en la matière[10]. Mais les deux positions sont, dans une très large mesure, compatibles et c’est pourquoi la tolérance vis-à-vis de l’islamisme est une notion partagée de l’extrême-gauche (soutien) au centre-droit (indifférence / incompréhension des enjeux et souvent même, incapacité totale à nommer ces enjeux sur lesquels la théorie Rawlsienne ne dit rien). Les indigénistes / islamistes, situés à l’extrême-gauche du PS, n’ont aucun mal à soutenir Macron qui affiche une simple position de « respect » vis-à-vis de l’Islam et d’indifférence profonde vis-à-vis de ses manifestations visibles. Et Macron accepte sans problème apparent ce soutien.
La position vis-à-vis de la laïcité.
On reproche souvent à la gauche d’avoir abandonné la laïcité. Mais c’est oublier qu’à gauche, l’anticléricalisme précède la laïcité et que, pour une grande partie de la gauche, la notion de laïcité n’a jamais été que le prolongement d’un anticléricalisme viscéral, primaire. Alors que la laïcité, lorsqu’elle est correctement comprise, est une position de tolérance et une protection contre les excès de la religion.
Pour cette gauche là, qui ne sait en quelque sorte pas lire, l’Eglise, prise au sens le plus littéral, le plus restreint qui soit – c’est-à-dire l’Eglise catholique – sera toujours l’unique opium du peuple. (De même, les adeptes actuels de la théorie du genre ont interprété au sens littéral la phrase de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient ». Beaucoup de malentendus politiques seraient évités si les lecteurs étaient à la hauteur).
Cette gauche là n’a eu aucun mal à soutenir l’islamisme au nom du soutien des plus pauvres, car elle n’a jamais été réellement laïque mais simplement anticléricale. Il y a eu, pendant une centaine d’année, identité entre ces deux positions.
Et c’est cette gauche là qui accuse automatiquement d’islamophobie tous les « républicains » (j’appelle ainsi ceux qui ont compris la notion de laïcité et qui entendent limiter la puissance politique de toutes les religions, quelles qu’elles soient, Eglise ou Islam). Elle ne peut, elle ne sait concevoir le débat autrement qu’avec ces œillères.
Et l’éducation dans tout ça ?
Lecteur, tu as sans doute oublié que le but de mon article était de traiter des conséquences de l’œuvre de Rawls sur l’école. Mais heureusement (ou peut-être malheureusement) pour toi, ce n’est pas mon cas.
L’œuvre moderne qui a eu le plus d’impact sur l’école est celle de Bourdieu. Pour Bourdieu, l’école n’est qu’une production sociale, un mythe qui, sous couvert de sélectionner « les meilleurs », permet la reproduction des classes sociales dominantes et destiné à donner à cette reproduction un semblant de rationalité. L’école n’est pas le lieu de la transmission du savoir, mais transmet de simples codes qui sont les codes des classes culturelles dominantes.
Cette théorie est à la fois brillante et absurde. A moins de considérer que la rotation de la terre autour du soleil soit aussi une « production du social »[11], il est prouvé qu’en matière de sciences au moins, c’est un savoir de nature non relative que l’école transmet aux élèves et il est évident, même si toute démonstration rigoureuse est impossible, qu’un savoir est transmis aussi dans les Humanités, même si ce savoir est forcément mélangé à des codes. La théorie de la « reproduction » de Bourdieu, relayée par ses innombrables disciples, est en grande partie responsable de l’effondrement actuel de l’école et de sa profonde crise morale. S’il s’agit simplement de transmettre des codes, quelle est alors l’utilité réelle du professeur ? Et où trouver le mérite de l’élève, si tout bon élève n’est que l’« héritier culturel » des codes de sa classe sociale[12] ?
La position de Rawls est très différente de celle de Bourdieu, mais là encore, compatible avec sa théorie de la reproduction. Rawls ne déconstruit pas la notion de savoir mais uniquement celle de mérite. Pour lui, l’intelligence, comme la richesse héritée, sont des attributs reçus à la naissance, une chance – et non un mérite. Rawls reconnaît aussi que le goût pour l’école, pour le travail intellectuel dépendent profondément du milieu familial et que donc même les efforts des élèves habituellement qualifiés de « méritants » sont, pour une très large part, la résultante de l’environnement et non pas d’un mérite personnel. C’est à ma connaissance le seul penseur libéral à avoir une pleine lucidité sur le sujet. Le mérite, pour Rawls est donc largement attaché aux conditions initiales du sujet, donc à la chance.
[L’infiltration des sociaux-libéraux par les extrémistes.
Le modèle Rawlsien ne partage pas les prémisses ni les causes des indigénistes, des intégristes, des ultra-gauchistes mais on voit qu’il est, le plus souvent, compatible avec leurs conclusions. Ceci soit au nom d’une certaine tolérance (en fait, plutôt une forme d’indifférence), soit parce qu’il induit lui-même déjà une certaine forme de déconstruction. Les mouvements sociaux-démocrates sont donc un point d’entrée idéal pour les extrémismes et me semblent peu protégés contre cette forme d’entrisme. C’est un grand danger pour l’avenir.]
Le principe de différence en matière éducative
On a vu depuis 30 ans apparaître dans l’école française une sorte de notion « maximin » éducative, qui, bien qu’elle n’ait jamais été théorisée par Rawls correspond bien à l’application du principe de différence appliqué au niveau des élèves. Dans une très large part, les réformes menées depuis 30 ans ont bien pour objectif plus ou moins affiché de maximiser le niveau de l’élève le plus faible. Nombreux sont les enseignants qui reçoivent cette « consigne » en inspection. François Dubet préconise[13] que les connaissances à acquérir au collège soient définies «en fonction de ce que doit savoir le plus faible des élèves » et cette philosophie ressort aussi de diverses publications de Terra Nova, lobby de réflexion libéral de gauche qui a inspiré les dernières réformes de l’Education Nationale – et en particulier la Réforme du collège.
Evidemment, ceux qui prônent cette stratégie sont encore les héritiers, à leur corps défendant, d’une tradition chrétienne non assumée et pervertie : la défense des plus faibles. Mais surtout, ce « principe » éducatif ne repose, à la différence du principe économique, sur aucune base théorique solide et son application est extrêmement nuisible.
L’éducation est un point très important dans l’œuvre de Rawls car elle doit en particulier garantir au citoyen l’égalité des chances et l’accès juste aux positions (principe n°2 voir plus haut). Cependant, Rawls ne fait, à aucun moment appel à un quelconque principe « maximin » en matière scolaire.
En effet, un tel principe est, sur le plan théorique, une absurdité. La pertinence du principe de différence en matière économique est liée au fait que, la production n’étant pas infinie, il faut la répartir de façon équitable et « partager le gâteau ». Ce que les pauvres obtiennent, les plus riches ne l’auront pas. En matière de niveau, ou de savoir, rien[14] ne s’oppose à ce que le moins favorisé reçoive le même savoir, développe les mêmes compétences, que le plus favorisé. La nature du savoir est logicielle. Comme vos fichiers musicaux, il peut être dupliqué à l’infini (avec la différence notable que copier un fichier prend quelques secondes, alors que le processus de transmission du savoir s’étale sur une vingtaine d’années). C’est ce principe qui fonde l’école dite républicaine – et il est mieux fondé en raison que sa perversion « Rawlsienne ».
Les droits fondamentaux des élèves les plus doués (quelle qu’en soit la raison) sont violés par l’application du principe « maximin » à l’école. On empêche aujourd’hui beaucoup d’enfants de progresser librement et de développer leurs capacités intellectuelles en les bridant. Or, pour Rawls, ces droits tiennent des principes numéro 1 et 2, qui sont absolument prioritaires sur le principe « maximin ». L’application de la théorie du développement du niveau plus faible est donc en complète contradiction avec la construction Rawlsienne.
Non seulement on nuit aux droits fondamentaux des élèves les plus doués, mais cette nuisance ne profite probablement en rien aux élèves les moins doués. L’argument du niveau du plus faible permet simplement aujourd’hui à l’Education Nationale de justifier la baisse dramatique du niveau scolaire, dans l’absolu et comparativement aux autres pays, que subit le pays depuis 30 ans. L’école de « la réussite pour tous les élèves » devient progressivement l’école de l’ignorance pour tous.
Le principe de différence appliqué à l’Education
En matière scolaire, l’objectif philosophique de l’Education Nationale devrait être de faire monter le niveau moyen des élèves et de permettre, dans la mesure du possible, à chaque élève d’atteindre 1) le niveau scolaire minimal permettant sa participation éclairée en tant que citoyen à notre société (en vertu du principe n°2 de Rawls qu’on pourrait ici renommer « principe d’émancipation » puis 2) son niveau maximum, son « potentiel scolaire » (principe n°3 de Rawls appliqué à l’éducation).
Seul ce double objectif est compatible avec les conceptions de Rawls et il n’a rien à voir avec l’objectif actuel – l’augmentation du niveau du plus faible. Si ces objectifs étaient inscrits dans la loi, on pourrait s’en servir pour, réellement, commencer à refonder l’école.
[1] http://www.liberation.fr/france/2012/06/03/olivier-ferrand-poil-a-gratter_823292
[2] http://theconversation.com/quest-ce-que-le-liberalisme-egalitaire-comprendre-la-philosophie-de-macron-76808
[3] Je juge pour ma part que Rawls échoue dans sa démonstration. Celle-ci prend plusieurs centaines de pages et n’est pas l’objet de cet article. Je vous renvoie à son livre directement pour les détails de cette « démonstration », géniale sous de nombreux aspects. Toutes les explications que j’ai pu en lire sont en effet plus complexes ou moins convaincantes que l’exposé original.
[4][4] En fait, Rawls énonce deux principes, contenant trois clauses. Pour simplifier mon exposé, je les présente sous la forme de trois principes. Cette présentation ne nuit en rien aux réflexions que contient ce billet.
[5] On parle, en mathématiques, d’une optimisation « maximin ».
[6] Rawls passe des centaines de pages à construire puis à « démontrer » ces principes. Rappelons qu’il a pour objectif une démarche non intuitionniste.
[7] Discours de la servitude volontaire / La descendance de l’homme et la sélection sexuelle
[8] Ce fonctionnement a été théorisé par John Kennedy, dont le modèle de gouvernement a profndément inspiré Rawls. Toujours Kennedy « If a free society cannot help the many who are poor, it cannot save the few who are rich.” ou encore ““If by a « Liberal » they mean someone who looks ahead and not behind, someone who welcomes new ideas without rigid reactions, someone who cares about the welfare of the people-their health, their housing, their schools, their jobs, their civil rights and their civil liberties-someone who believes we can break through the stalemate and suspicions that grip us in our policies abroad, if that is what they mean by a « Liberal », then I’m proud to say I’m a « Liberal.” De nombreuses déclarations de Macron durant la campagne 2017 sont des adaptations plus ou moins libres de ces dernières citations.
[9] Il faut faire crédit à Rawls d’avoir répondu par avance à la plupart des critiques envisageables – un des aspects qui rend son œuvre fascinante et immense. La société que je critique ici emprunte des traits à celle que Rawls nomme « Aristocratie naturelle » – étape vers la démocratie parfaite telle qu’il la conçoit. En toute rigueur, ma critique vise donc avant tout les adeptes, conscients ou inconscients, de Rawls plutôt que la construction Rawlsienne elle-même.
[10] Kennedy : « If we cannot end now our differences, at least we can help make the world safe for diversity.”
[11] Voir par exemple https://www.speechi.net/fr/2013/12/03/pourquoi-le-niveau-baisse-cest-la-faute-a-bourdieu/
[12] Selon Najat Vallaud-Belkacem et Jean-Marie Le Guen, interviewés sur la réforme du collège, , Les élèves qui choisissent l’option latin-grec sont les « sachants »dont les parents auraient les « codes » nécessaires pour favoriser la réussite scolaire et reproduire leur position sociale. La preuve ? ces élèves constituent bien « les 20% qui réussissent » !
[13] Le 16/06/2001 au Forum des États Généraux de l’Écologie Politique) http://www.humanite.fr/node/314535
[14] Hors peut être la nature (les dons) et la naissance (le milieu social)
[15] Psychanalyse des foules et analyse du moi
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De Carlos Ghosn à Donald Trump 24 janvier 2017
Par Thierry Klein dans : Economie,Humeur,Politique.Lu 1 678 fois | ajouter un commentaire
Sur le plan éthique, il n’y a aucun fondement valable pour que Carlos Ghosn gagne plus que ma femme de ménage. Les deux ont un travail difficile, prenant, contraignant, même si les contraintes sont différentes.
Alors, au nom de l’efficacité, on peut admettre certaines différences.
Sans doute les « qualités » de Carlos Ghosn sont-elles un peu plus rares (quoique… je ferai une très mauvaise femme de ménage, j’en suis certain, alors que je pourrais peut être très bien diriger Renault).
Sans doute, Carlos Ghosn a-t-il besoin d’argent devant lui pour ne pas être « acheté » par la concurrence (quoique… quand on regarde, les tops managers passent comme une fleur d’une entreprise à une autre, comme les hauts fonctionnaires passent de l’état à l’entreprise. Et Carlos Ghosn me semble en situation de conflit d’intérêts permanent du fait des différentes entreprises qu’il dirige et des différents états qui le soutiennent).
Etc… Toutes ces raisons tiennent de l’efficacité, pas de l’éthique. On peut les tolérer pour justifier une certaine différence de revenus entre les gens, au nom d’une certaine efficacité économique. Par exemple des écarts de 1 à 10 ? De 1 à 100 ?
Mais ressaisissez-vous ! ressaisissez-vous tous ! Quand on commence à gagner 1000 fois ou plus (cas de Carlos Ghosn) le salaire de l’ouvrier de base, on porte atteinte à l’essence même de la démocratie. Avec ces écarts là, plus d’égalité qui tienne. Vous êtes, ni plus ni moins, dans les mêmes conditions qu’avant la révolution française, quand quelques nobles détenaient 99% des terres – les terres en 89, l’équivalent aujourd’hui du capital.
A ce niveau là, il ne peut y avoir que vol, spoliation, passe-droits et surtout ce comportement est nuisible pour l’intérêt général. Il gagne le salaire de 1000 ou 10000 de ses ouvriers, c’est forcément un frein pour leur rémunération et le développement de l’entreprise. Je vous rappelle l’origine de la crise de 2008: leurs salaires baissant, les salariés américains ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins et ont massivement emprunté, en particulier pour se loger. Pendant 30 ans, ils ont vécu de la plus-value immobilière au lieu de vivre de leur salaire. La bulle qui en a résulté a créé la crise financière.
Depuis une quarantaine d’années, le capital se concentre entre un nombre de plus en plus réduit de mains. Nous créons une aristocratie de même type que sous les rois. Les effets de tout ceci sont évidemment nuisibles.
Quels ont été les gains de productivité depuis 100 ans ? 1000 % 10 000 % ? Pourtant, 99% des êtres humains restent obligés de travailler beaucoup, jusqu’à un âge de plus en plus avancé. La sécurité sociale va disparaître. Ces gains de productivité non redistribués, c’est le salaire des Carlos Ghosn. [Et il en adviendra de même des gains de productivité liés aux robots]
La principale force de patrons comme Carlos Ghosn: disposant de moyens illimités, ils parviennent à convaincre leurs actionnaires, qui sont pourtant intelligents, qu’ils sont indispensables. Ils parviennent à vous convaincre, et vous êtes pourtant intelligents, qu’ils agissent « pour le meilleur » (je reprends l’expression de Voltaire face à Leibniz, le débat est au fond le même).
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50 milliards de litres d’eau dans l’Océan Pacifique (la méthode Valls) 16 avril 2014
Par Thierry Klein dans : Economie,Politique.Lu 6 765 fois | ajouter un commentaire
Imagine, chez lecteur, qu’un jour Manuel Valls t’affirme, la tête haute, le regard franc, bref les yeux dans les yeux comme on dit, qu’il y a 50 milliards de litres d’eau dans l’Océan Pacifique. Confiant comme tu es, cher Lecteur, tu ne demandes évidemment qu’à le le croire. Mais au bout de quelques jours, tu as comme un doute et tu lui demandes quelques précisions: Manuel, dis-moi donc, comme arrives-tu à ce chiffre ?
Manuel a l’air un peu embêté, te demande quelques jours de délai puis te répond:
« Voilà pourquoi, je vais te donner le détail du calcul. Eh bien, il y a 25 milliards de litres dans le Pacifique Nord et 25 dans le Pacifique Sud. Au total, cela fait bien 50 milliards. Le compte y est, je te le dis et te le redis avec force. Le calcul est juste. »
Cette méthode, c’est exactement celle que Manuel Valls a utilisée dans sa communication sur le plan d’économies que l’Etat compte, soi-disant, mettre en place. 18 milliards d’économies seront réalisées par l’Etat, 11 par les collectivités territoriales et 21 par la santé.
Mais les masses restent énormes et aucune justification des sommes annoncées n’est mise sur la table (le gel du point d’indice, des retraites expliquent au mieux 10% des sommes totales). L’annonce des sommes n’est rien, la difficulté opérationnelle est tout (sans compter que certaines économies, comme celles des collectivités locales, ne dépendent pas de l’Etat lui-même !
De même qu’on ne peut pas savoir combien de litres d’eau il y a en coupant le Pacifique en deux, parce que chacune des parties ainsi obtenues reste aussi difficile à mesurer que le tout, de même il n’y a pas le début du commencement d’un plan dans l’annonce de Manuel Valls (et tous ceux qui sont opposés aux économies peuvent dormir tranquilles).
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Qu’y a-t-il de plus stupide qu’un pigeon ? 3 octobre 2012
Par Thierry Klein dans : Economie,Non classé.Lu 6 825 fois | 2 commentaires
On voit fleurir un peu partout des tribunes écrites par des « pigeons » autoproclamés.
Les pigeons sont des entrepreneurs qui pleurnichent devant le nouveau projet de loi de finances pour 2013 en tapotant de façon hystérique sur la touche « vierge éplorée » de leur clavier.
Ils sont « incompris et vilipendés », « marqués au fer rouge » alors qu’ils n’ont pas « l’argent comme moteur » et qu’ils travaillent « quand même 6 jours sur 7 » (Patrick Robin, Huffington Post). La France est évidemment un pays « anti-entrepreneurs » (Marc Simoncini, Les Echos). Certains ont l’esprit tellement ouvert et généreux qu’ils ont même voté à gauche, c’est dire ! (Pierre Chappaz, Au revoir les startups).
C’est donc uniquement pour faire œuvre de bien public qu’ils mettent à profit leur expertise économique (immense, forcément immense) pour avertir « le gouvernement de profs et de fonctionnaires ignorants qui sont au pouvoir » des multiples dangers présents dans la nouvelle loi fiscale. « Une loi de finances anti-startups« , proposée après un « débat superficiel voire démagogique ». Une loi qui va les conduire, eux qui sont pourtant si altruistes « à passer aux 35h pour toucher le chômage » (Marc Simoncini) ou – bien sûr – les contraindre à s’expatrier prochainement ce qu’ils auraient évidemment du faire depuis longtemps déjà si leur générosité légendaire ne les avait pas retenus contre toute logique tant il est vrai qu’en France, « rester, c’est déjà être un peu de gauche, non ? » (Patrick Robin, futur pigeon voyageur).
J’en passe et des meilleures, tellement le style, les termes, les expressions employés sont risibles et grandiloquents. Patrick Robin (« Moi, entrepreneur ») manie pour le pire, si c’est encore possible, le style anaphorique que notre nouveau Président a déjà bien lourdement remis à l’ordre du jour. Marc Simoncini nous parle d’enfer fiscal (comme quoi, l’enfer, c’est toujours les autres). Jean-David Chamboredon qui souhaite se la jouer plus « expert », parle de « taux marginal confiscatoire, d’expropriation larvée » !
C’est donc par manque d’imagination, plus que par retenue, que le terme « racisme anti-entrepreneurs » n’a pas encore été employé. Mais cela ne saurait tarder.
Le point commun entre tous ces entrepreneurs, à part la lourdeur de leur style ? Ils sont tous (relativement) jeunes, riches et ont fait fortune rapidement dans la nouvelle économie en revendant leurs entreprises. Tout ceci n’est pas une tare mais la « création de valeur » qu’ils mettent en avant pour montrer leur expertise est toute spéculative et virtuelle. Fragile et légère comme une bulle, elle n’a eu, jusqu’à présent, aucun impact sur l’activité économique réelle.
Comme l’écrit Henri Verdier, « Il y a des gens qui souffrent plus que nous, dans ce pays comme ailleurs et je crois qu’il fait meilleur être entrepreneur en France que salarié d’Arcelor ».
La posture adoptée (dite « du pigeon ») n’est pas sérieuse. S’ils étaient réellement généreux, soucieux du bien public, tous ces entrepreneurs seraient relativement indifférents au fait d’être plus ou moins taxés.
Aucun d’entre eux n’est habilité à parler d’intérêt général, ils sont tous à la fois juge et partie. Leur avis sur la question est à peu près aussi intéressant que celui des buralistes sur le prix du tabac, des restaurateurs sur la TVA ou de Servier sur le Mediator. Ils ne peuvent être écoutés, quoi qu’ils en disent, comme des observateurs impartiaux.
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Qu’a-t-il manqué au Grenelle de l’environnement ? Un zeste de Capital Altruiste 9 mai 2010
Par Thierry Klein dans : Economie,Entreprise altruiste.Lu 4 312 fois | ajouter un commentaire
La mort du Grenelle
Il y a 18 mois, il y avait un consensus général autour du Grenelle de l’environnement. Ce consensus était démocratique. Il était démocratique ! C’était un engagement, peut-être même une conviction, du candidat Sarkozy – qui en l’occurrence ratissait bien au-delà de son propre camp.
Investir pour la création d’une industrie verte est évidemment la voie à suivre, pour la France en tant que puissance économique, pour l’être humain en tant qu’espèce. Il n’y a aucun secteur ou l’investissement lié au grand emprunt ne peut être plus rentable pour l’avenir (les fonds dépensés par la France dans le numérique et l’éducation le seront en pure perte, comme d’habitude).
De tout ça, il ne reste rien, ou presque 18 mois plus tard. Que s’est-il passé ?
Le Grenelle attaquait directement les intérêts à court terme de certains secteurs (chimie, nucléaire, transport…).
Le rôle du lobbying
Des entreprises se sont organisées en lobbies, avec des moyens importants et ont fait la promotion de leurs intérêts tous azimuts. On a attaqué le Grenelle au nom de la sauvegarde des emplois, de l’intérêt du consommateur, de la rationalité économique, etc…
Le pouvoir politique, et en particulier le pouvoir législatif –députés et sénateurs – a reculé.
On peut dénoncer le cynisme des entreprises, le côté velléitaire des élus, mais le lobbying est une pratique légale. Qu’auriez-vous fait si vous étiez à la tête d’une grande entreprise de chimie ? Ou si vous aviez une entreprise de chimie installée dans votre circonscription, qui emploie vos électeurs, finance votre campagne, etc. ? Très probablement la même chose.
Lobbying et démocratie
Non seulement le lobbying est une pratique légale, mais il est aussi indissociable des démocraties modernes. Si on ne donne pas des voies d’influence officielles au pouvoir économique, il cherche des voies occultes, beaucoup plus nuisibles à la démocratie et à la liberté. Lobbying n’est pas corruption (sinon parfois corruption intellectuelle).
Imaginez un pays où la presse serait libre, mais où il faudrait investir 100 millions d’euros pour créer un journal. La presse jouerait-t-elle son rôle démocratique ? Bien sûr que non ! Faudrait-il la supprimer pour autant ? Non plus, car le remède serait pire que le mal. L’équilibre démocratique serait rétabli dès lors que des groupements de citoyens partisans peuvent facilement se créer pour rassembler ces sommes.
(L’équilibre démocratique : la confrontation des opinions partisanes. Le déficit démocratique actuel : la prise de contrôle totale du champ du lobbying par un seule cause : celle du pouvoir économique.)
Ce qui est réellement inadmissible, ce n’est donc pas le lobbying lui-même, mais l’absence de « contre lobbying ». Ce que les entreprises ont fait (et elles étaient en droit de tenter de protéger leurs intérêts), les ONG qui sont « en face » ne peuvent pas le faire par manque de moyens économiques. L’Economique dispose d’un moyen d’influence extrêmement puissant, que l’Intérêt Général n’a pas (2).
Temps médiatique et temps législatif
Les ONG présentes au Grenelle peuvent bien, durant quelques semaines, être présentes au Grenelle ou peser le temps d’une élection, d’une émission de télé – ce que j’appelle le temps médiatique. Seuls les intérêts économiques peuvent aujourd’hui peser efficacement sur la procédure législative elle-même. Cette procédure est par nature longue (plusieurs années) et l’influencer est un processus coûteux (cela veut dire effectuer un travail de fond auprès de quelques centaines d’élus et de fonctionnaires).
Il s’est passé exactement la même chose aux USA pour la réforme de la santé (j’en ai parlé dans un précédent billet) et tout ça se répète pour la réforme financière. Les réformes à faire sont évidentes mais les décisions finales sont largement vidées de leur contenu sous l’influence du lobbying – et surtout, en l’absence de « contre lobbying » efficace, car actuellement le lobbying n’est accessible, pour des raisons de coût, qu’aux entreprises (1).
Comment le Capital Altruiste peut-il corriger cette situation ?
Si un grand nombre d’entreprises adoptent le Capital altruiste, s’il devient un vrai courant économique, alors les moyens des ONG seront automatiquement indexés sur la valeur du capital des entreprises. Ce qui veut dire que le « contre lobbying » devient une dépense accessible aux organisations d’intérêt général.
On résout le déficit démocratique non pas en restreignant le lobbying, mais en l’ouvrant à tous.
ONG, associations: vous pèserez sur le cours du monde en utilisant la même tactique que les entreprises, non pas en essayant d’interdire aux entreprises de les mener.
(1) On parle de dépenses de quelques millions de dollars aux USA dans le cas de la réforme de la santé (aux USA, les données sont publiques). En France, quelques centaines de milliers d’euros auraient inversé le cours législatif. Aucune association ou ONG française ne peut aujourd’hui consacrer de telles sommes pour ce type de dépenses.
(2) Sur l’augmentation des dépenses de lobbying aux USA et le contrôle ainsi exercé par les entreprises sur le Législatif, voir aussi l’excellent livre « de l’intérieur du sérail » de Bob Reich: Supercapitalisme.
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Les TICE aux Pays des Merveilles 20 mars 2010
Par Thierry Klein dans : Economie,Politique,Technologies.Lu 4 526 fois | 2 commentaires
Je me suis « coltiné » à peu près 50% du rapport Fourgous ces dernières semaines – j’emploie le mot « coltiné » pour rester poli, tellement ce rapport est indigeste.
Je dois être une des seules personnes au monde à en avoir lu presque la moitié, je vous assure que ça tient de l’exploit, c’est ma performance du mois, un peu comme si j’avais couru un 100 m en 10 secondes ou si j’étais resté 6 mn sous l’eau sans respirer. D’ailleurs, c’est un peu ce que je ressentais à la lecture des phrases du rapport: « est-ce que je vais tenir jusqu’à la fin sans mourir (d’ennui) ? ».
L’histoire retiendra donc qu’Einstein a changé l’histoire de la physique avec un papier de 10 pages mais que Fourgous n’a rien changé du tout avec un pavé de 326 pages. Comme quoi, avant de s’intéresser aux TICE, un peu de bonne vieille instruction classique ne nuit jamais et aurait peut être permis au(x) rédacteur(s) d’apprécier les mérites de la concision et de la clarté. (Je sais, cher lecteur, tu penses toi aussi que l’introduction de ce billet est bien trop longue ! Pourtant tu vas poursuivre sa lecture le sourire aux lèvres – et crois moi, tu apprendras bien plus en lisant ces quelques lignes qu’en consultant le rapport Fourgous, même si, à ton grand regret, leur auteur n’est pas non plus Einstein !).
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Les formes élémentaires de l’aliénation (2) : la névrose 26 février 2010
Par Thierry Klein dans : Economie,Politique.Lu 17 376 fois | 4 commentaires
Billet précédent : Les formes élémentaires de l’aliénation (1)
La névrose est une aliénation particulière, de nature inconsciente, où la victime est confondue avec l’oppresseur – le terme « alien » fait explicitement référence à un tiers lorsque victime et oppresseur sont distincts. Il est intéressant de noter que Marx et Freud ont tous deux eu l’impression que « la prise de conscience » (de la cause du refoulement dans le cas de Freud, de la lutte des classes dans le cas de Marx) permettrait de résoudre le problème.
Freud s’est assez vite rendu compte que l’observation clinique contredisait sa thèse initiale, mais aucune observation n’a jamais pu confirmer la thèse de Marx. Son oeuvre a principalement été utilisée de façon tactique pour la prise de pouvoir (en particulier lors du coup d’état de 1917) mais la fameuse « prise de conscience » a toujours été remise à plus tard. En termes marxistes, on pourrait dire que la contrainte communiste (consciente) a simplement remplacé l’aliénation du régime tsariste (inconsciente), sans aboutir jamais à la moindre prise de conscience, ni même, ce qui aurait été intéressant, à la transformation de cette contrainte en aliénation – c’est-à-dire en une adhésion populaire massive au mythe communiste.
Il semble que dans le monde moderne seule la démocratie possède cette propriété de faire adhérer la population au « mythe » (c’est bien un mythe, car penser que la vérité procède de la majorité est du domaine de la croyance. Tocqueville: « La démocratie […] entraîne une immense pression de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun »).
Cette distinction entre névrose et aliénation était nécessaire pour introduire l’aliénation consommatrice, qui définit et structure le monde actuel, tous pays et tous régimes confondus, et qui sera le sujet de mon prochain billet.
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D’un certain discours lénifiant sur le numérique à l’école vu comme un symptôme de la perte du capital scolaire. 4 février 2010
Par Thierry Klein dans : Crise Financière,Economie.Lu 19 378 fois | ajouter un commentaire
Françoise Benhamou (Le Monde du 27/01/2010) décrète que « le numérique à l’école constitue le grand oubli du grand emprunt ».
Elle nous présente les technologies numériques, en vrac, comme l’avenir, la panacée, le symbole de l’enseignement de demain, les technologies qui créeront les emplois, relanceront notre économie, éveilleront nos enfants et même, réduiront leurs scolioses (je m’arrêterai là car les lieux communs me manquent).
Un impact industriel quasi nul
Mais introduire les technologies numériques à l’école, surtout sous la forme d’un « plan d’équipement massif en tableaux interactifs » comme le propose Françoise Benhamou n’aurait aucun effet de levier industriel. Presque tous les fournisseurs d’ordinateurs et de tableaux interactifs » étant étrangers : ces dépenses iront donc, tout naturellement, renforcer d’autres économies que la notre.
Seul donc l’argument pédagogique pourrait justifier un tel plan, même si c’est un argument à très long terme puisqu’il il faudrait une bonne dizaine d’années pour que les élèves concernés rentrent dans la vie professionnelle.
Les tableaux interactifs sont-ils utiles pour l’enseignement ?
En tant que chef d’une des entreprises qui en vend le plus en France, je vais vous répondre « Oui, bien sûr ! ». En tant qu’individu intuitif et à titre personnel, j’en suis assez convaincu. Mais en tant qu’être humain raisonnable, doté d’une capacité d’analyse critique, lisant à peu près tout ce qui s’écrit dans ce domaine, je suis obligé de reconnaître qu’il n’y a aucune preuve : les études sérieuses sur le sujet sont à peu près inexistantes et les retours d’expérience contradictoires (aux USA, certaines écoles abandonnent progressivement l’utilisation des nouvelles technologies).
Au fur et à mesure que la technologie se répand, la question même de l’utilité devient tabou, un intérêt commun finissant par réunir décisionnaires, acheteurs, vendeurs et utilisateurs.
En vérité, ce que masquent tous ces discours lénifiants, qui s’apparentent au final à de la pure propagande, c’est une perte de projet et de capital scolaire, au sens où l’entend Bourdieu dans La Noblesse d’Etat.
» La logique qui pousse les écoles les plus démunies de capital proprement scolaire […] trouve un contrepoids qui impose un effort pour accumuler du capital scolaire, fût-ce au prix d’une exhibition ostentatoire des signes extérieurs de l’avant-gardisme pédagogique: par exemple en déployant des trésors d’invention moderniste, tant en matière d’équipements, laboratoires de langues, ressources informatiques, moyens audio-visuels, qu’en matière de techniques pédagogiques, qui se veulent toujours plus actives, plus modernes, plus internationales. «
1) Les budgets de l’Education Nationale sont de plus en plus réduits, le nombre de professeurs diminue. Simultanément, on met en valeur un peu partout les investissements TICE les plus visibles et les plus modernistes (laboratoires de langues, ressources informatiques, etc…). Cet effort masque (ou plutôt accompagne) la baisse moyenne du capital scolaire. Combien de professeurs vaut pour un TBI ?
2) Le Royaume-Uni, pays « exemple » selon Mme Benhamou car « déjà » équipé presqu’à 100% en tableaux interactifs, est surtout le pays où l’enseignement a été le plus désorganisé dans les 10 dernières années. Depuis les réformes de Tony Blair, les écoles se sont retrouvées de plus en plus en concurrence et doivent afficher des « signes extérieurs» de capital scolaire à défaut d’en posséder toujours. Faut-il intégralement s’en inspirer ?
3) De Gaulle refusait d’inaugurer les chrysanthèmes mais on inaugure plusieurs fois par jour des tableaux interactifs et des écoles numériques. Presqu’à chaque fois, le discours est similaire et lénifiant, toutes tendances politiques confondues. On parle de l’avenir de la nation qui passe par les TICE, de la réduction de la fracture numérique… On masque, une fois encore, l’absence de projet.
4) Or, la réalité du terrain, je la constate quotidiennement : une grande partie de l’équipement déjà acheté est sous-utilisé. On voit souvent du matériel flambant neuf et rien derrière. Peu de support, peu de suivi, peu de compétence et surtout, aucune réflexion éducative.
Faut-il donc, dans ces conditions, faire de l’école numérique la norme ?
Evaluer les effets de l’Ecole Numérique.
L’évaluation de la politique numérique reste à faire, en France comme ailleurs.
Reconnaître ce point, là est l’avantage compétitif et industriel.
La France s’est dotée depuis une vingtaine d’années d’un système d’évaluation de masse, mais le temps nécessaire pour obtenir des résultats est trop long compte tenu de la vitesse des changements qui s’opèrent dans le secteur numérique.
Depuis quelques années, une chercheuse française, Esther Duflo, a utilisé la méthode aléatoire pour évaluer les effets des politiques de lutte contre la pauvreté avec des résultats remarquables.
La méthode aléatoire repose sur des évaluations faites sur des petits groupes dont les caractéristiques sont identiques au départ. Un de ces petits groupes adopte un « processus nouveau» et on compare ensuite, sur des critères précis, leur performance (leur richesse, leur taux d’équipement, d’épargne, etc…).
Il est stupéfiant de constater qu’avec des moyens très limités, la méthode aléatoire a donné, en Inde, plus de renseignement sur les usages du numérique que dans tous les pays développés !
Le tableau interactif est-il plus utile en zone rurale ou urbaine ? Faut-il en mettre plus ou moins dans les zones défavorisées ? Un par classe ou un par école ? Peut-on réellement observer des améliorations de niveaux pour les classes qui l’utilisent ? Y a-t-il des matières où son rendement s’avère meilleur que d’autres ? A coût comparable, vaut-il mieux embaucher une personne chargée du soutien scolaire ou investir dans une classe numérique ?
Ne serait-il pas intéressant d’avoir un début de réponse à toutes ces questions pour la France ?
La méthode aléatoire permet d’obtenir des résultats rapides de façon peu coûteuse et à partir de là, d’infléchir les politiques.
Dans un secteur aussi sujet aux idées reçues et aux influences de toutes sortes, dans un secteur finalement aussi peu connu que le Numérique, il ne devrait pas y avoir d’investissement sans une réflexion, menée simultanément, sur l’évaluation future et à court terme de cet investissement.
En mesurant l’efficacité relative de différentes mesures, les expérimentations aident les décideurs à mieux dépenser l’argent public.
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