Qu’a-t-il manqué au Grenelle de l’environnement ? Un zeste de Capital Altruiste 9 mai 2010
Par Thierry Klein dans : Economie,Entreprise altruiste.Lu 4 315 fois | trackback
La mort du Grenelle
Il y a 18 mois, il y avait un consensus général autour du Grenelle de l’environnement. Ce consensus était démocratique. Il était démocratique ! C’était un engagement, peut-être même une conviction, du candidat Sarkozy – qui en l’occurrence ratissait bien au-delà de son propre camp.
Investir pour la création d’une industrie verte est évidemment la voie à suivre, pour la France en tant que puissance économique, pour l’être humain en tant qu’espèce. Il n’y a aucun secteur ou l’investissement lié au grand emprunt ne peut être plus rentable pour l’avenir (les fonds dépensés par la France dans le numérique et l’éducation le seront en pure perte, comme d’habitude).
De tout ça, il ne reste rien, ou presque 18 mois plus tard. Que s’est-il passé ?
Le Grenelle attaquait directement les intérêts à court terme de certains secteurs (chimie, nucléaire, transport…).
Le rôle du lobbying
Des entreprises se sont organisées en lobbies, avec des moyens importants et ont fait la promotion de leurs intérêts tous azimuts. On a attaqué le Grenelle au nom de la sauvegarde des emplois, de l’intérêt du consommateur, de la rationalité économique, etc…
Le pouvoir politique, et en particulier le pouvoir législatif –députés et sénateurs – a reculé.
On peut dénoncer le cynisme des entreprises, le côté velléitaire des élus, mais le lobbying est une pratique légale. Qu’auriez-vous fait si vous étiez à la tête d’une grande entreprise de chimie ? Ou si vous aviez une entreprise de chimie installée dans votre circonscription, qui emploie vos électeurs, finance votre campagne, etc. ? Très probablement la même chose.
Lobbying et démocratie
Non seulement le lobbying est une pratique légale, mais il est aussi indissociable des démocraties modernes. Si on ne donne pas des voies d’influence officielles au pouvoir économique, il cherche des voies occultes, beaucoup plus nuisibles à la démocratie et à la liberté. Lobbying n’est pas corruption (sinon parfois corruption intellectuelle).
Imaginez un pays où la presse serait libre, mais où il faudrait investir 100 millions d’euros pour créer un journal. La presse jouerait-t-elle son rôle démocratique ? Bien sûr que non ! Faudrait-il la supprimer pour autant ? Non plus, car le remède serait pire que le mal. L’équilibre démocratique serait rétabli dès lors que des groupements de citoyens partisans peuvent facilement se créer pour rassembler ces sommes.
(L’équilibre démocratique : la confrontation des opinions partisanes. Le déficit démocratique actuel : la prise de contrôle totale du champ du lobbying par un seule cause : celle du pouvoir économique.)
Ce qui est réellement inadmissible, ce n’est donc pas le lobbying lui-même, mais l’absence de « contre lobbying ». Ce que les entreprises ont fait (et elles étaient en droit de tenter de protéger leurs intérêts), les ONG qui sont « en face » ne peuvent pas le faire par manque de moyens économiques. L’Economique dispose d’un moyen d’influence extrêmement puissant, que l’Intérêt Général n’a pas (2).
Temps médiatique et temps législatif
Les ONG présentes au Grenelle peuvent bien, durant quelques semaines, être présentes au Grenelle ou peser le temps d’une élection, d’une émission de télé – ce que j’appelle le temps médiatique. Seuls les intérêts économiques peuvent aujourd’hui peser efficacement sur la procédure législative elle-même. Cette procédure est par nature longue (plusieurs années) et l’influencer est un processus coûteux (cela veut dire effectuer un travail de fond auprès de quelques centaines d’élus et de fonctionnaires).
Il s’est passé exactement la même chose aux USA pour la réforme de la santé (j’en ai parlé dans un précédent billet) et tout ça se répète pour la réforme financière. Les réformes à faire sont évidentes mais les décisions finales sont largement vidées de leur contenu sous l’influence du lobbying – et surtout, en l’absence de « contre lobbying » efficace, car actuellement le lobbying n’est accessible, pour des raisons de coût, qu’aux entreprises (1).
Comment le Capital Altruiste peut-il corriger cette situation ?
Si un grand nombre d’entreprises adoptent le Capital altruiste, s’il devient un vrai courant économique, alors les moyens des ONG seront automatiquement indexés sur la valeur du capital des entreprises. Ce qui veut dire que le « contre lobbying » devient une dépense accessible aux organisations d’intérêt général.
On résout le déficit démocratique non pas en restreignant le lobbying, mais en l’ouvrant à tous.
ONG, associations: vous pèserez sur le cours du monde en utilisant la même tactique que les entreprises, non pas en essayant d’interdire aux entreprises de les mener.
(1) On parle de dépenses de quelques millions de dollars aux USA dans le cas de la réforme de la santé (aux USA, les données sont publiques). En France, quelques centaines de milliers d’euros auraient inversé le cours législatif. Aucune association ou ONG française ne peut aujourd’hui consacrer de telles sommes pour ce type de dépenses.
(2) Sur l’augmentation des dépenses de lobbying aux USA et le contrôle ainsi exercé par les entreprises sur le Législatif, voir aussi l’excellent livre « de l’intérieur du sérail » de Bob Reich: Supercapitalisme.
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