On apprend bien mieux dans un livre que sur un écran 25 janvier 2018
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 3 fois | ajouter un commentaire
De multiples études récentes – et à mon sens déterminantes – ont montré depuis 5 ans qu’on apprend mieux dans les pages d’un livre qu’en visionnant un écran (1). Pour en résumer l’essentiel:
- la compréhension d’un même texte est meilleure quand il est lu sur du papier que sur un écran. Plus le texte a un contenu abstrait, plus l’écart de compréhension grandit.
- la mémorisation à court, moyen et long terme est meilleure quand un texte est lu sur du papier
- la supériorité du livre est probablement due à son côté physique, qui faciliterait la compréhension (2)
Qu’en pensent les élèves ?
Les élèves sont pourtant d’un avis tout à fait contraire ! Si on les interroge, la plupart ont l’impression de mieux comprendre le texte sur l’écran que dans un livre ! D’une façon générale:
- Les élèves préfèrent lire sur tablette
- Ils lisent plus vite en ligne que sur papier
- Ils pensent mieux comprendre ce qu’ils lisent sur un écran, mais cette impression est démentie par toutes les études
- Pour répondre aux questions très générales telles que “quel est le sujet principal de ce texte ?”, le papier et l’écran sont équivalents
- Pour les questions plus spécifiques, pour les textes plus complexes, la compréhension est meilleure après lecture du livre que sur l’écran.
Conclusion: il faut cesser de s’intéresser au “ressenti” des élèves
Malheureusement, la plupart des études que j’ai pu voir circuler, depuis des années, sur l’évaluation de nouvelles méthodes pédagogiques ne s’intéressent en rien au niveau acquis par les élèves, mais à leur ressenti, à leur satisfaction. On confond allègrement savoir et satisfaction sans oublier bien sûr “le vécu des parents” ou la fameuse “satisfaction du corps enseignant” – tout ceci mélangé jusqu’à la nausée dans une sorte de purée démagogique. Une phrase du fameux rapport Fourgous sur les TICE en 2012, (rapport depuis longtemps oublié, je dois être le seul survivant à en connaître encore quelques passages par cœur), me revient en mémoire : “Il FAUT utiliser les technologies de l’information à l’école parce qu’elles satisfont “les élèves, les parents, les professeurs” !
La satisfaction de l’élève n’est pas l’objectif de l’école, surtout si elle s’oppose à la progression de l’élève. Les objectifs prioritaires de l’école : la transmission du savoir et la transformation de l’élève en citoyen. C’est selon ces deux critères qu’on doit évaluer l’intérêt des nouvelles technologies à l’école, et surtout leur rapport qualité/prix. Dépenser des milliards pour “satisfaire” le monde éducatif, c’est du gaspillage pur et simple. (Il est évidemment nécessaire d’intéresser l’élève pour qu’il apprenne mieux, il est nécessaire de rassurer les parents, il est nécessaire de valoriser les professeurs. Mais ces éléments sont des moyens, non des fins.)
(1) Baron, N. (2016). Why digital reading is no substitute for print. New Republic. https://newrepublic.com/article/135326/digital-reading-no-substitute-print
Connell, C., Bayliss, L., & Farmer, W. (2012). Effects of eBook readers and tablet computers on reading comprehension. International Journal of Instructional Media. 39(2), 131–140.
Cull, B. W. (2011). Reading revolutions: Online digital text and implications for reading in academe. First Monday, 16(6). http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/3340
Jabr, F. (2013). The Reading Brain in the Digital Age: The Science of Paper versus Screens. Scientific American. Retrieved from https://www.scientificamerican.com/article/reading-paper-screens/
Kaufman, G., & Flanagan, M. (2016, May). High-low split: Divergent cognitive construal levels triggered by digital and non-digital platforms. Proceedings of the 2016 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 2773-2777. http://www.tiltfactor.org/wp-content/uploads/2017/02/2016-tiltfactor-chi-digital-nondigital.pdf
Mangen, A., Walgermo, B. R., & Brønnick, K. (2013). Reading linear texts on paper versus computer screen: Effects on reading comprehension. International Journal of Educational Research, 58, 61-68. http://www.ore.org.pt/filesobservatorio/pdf/ReadingonPaperVsScreencomputerScreen.pdf
Santana, A. D., Livingstone, R. M., & Cho, Y. Y. (2013). Print readers recall more than do online readers. Newspaper Research Journal, 34(2), 78-92. Retrieved from https://www.academia.edu/6572113/Print_Readers_Recall_More_Than_Do_Online_Readers?auto=download
Singer, L, M., & Alexander, P. A. (2017; Online first). Reading on paper and digitally: What the past decades of empirical research reveal. Review of Educational Research, 1–35. doi:10.3102/0034654317722961
Alexander, P. A., & Singer, L. M. (2017). A new study shows that students learn way more effectively from print textbooks than screens. Business Insider. http://www.businessinsider.com/students-learning-education-print-textbooks-screens-study-2017-10?international=true&r=US&IR=T
(2) Pourquoi lit-on mieux dans un livre ?
Probablement, le côté physique du livre facilite la compréhension. On voit quand le livre commence, quand il finit. On sait intuitivement, par l’évolution de la répartition de son poids “gauche/droite” où on en est dans le livre. Une carte mentale se crée inconsciemment qui permet de positionner chaque passage de façon topographique. Esprit et corps sont en relation. (Voir les travaux de Mangren, de Jabr ou de Baron, ci-dessous). Et si on avait un peu de temps pour ça, on investirait certainement, chez Speechi, dans cette recherche qui paraît assez simple: comment “augmenter” l’interface de lecture d’une tablette de façon à restituer au lecteur l’expérience physique que procure un livre ? Et de quelle façon l’interface de lecture joue-t-elle sur la compréhension d’un texte ? On le fera peut-être un jour, d’ailleurs.
(3) Source principale d’inspiration ici : https://3starlearningexperiences.wordpress.com/2017/11/21/paper-or-screen-for-comprehension-and-learning/
Billets associés :- Nous ne faisons pas des écrans interactifs, nous transformons les entreprise
- Ne pas déprécier l’initiative du MIT / Do not undervalue the MIT initiative
- Lunettes numériques : en attendant l’EyePod
- Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu
- Nomadisme, religion, mécanique quantique et enseignement
Ce que Winnicott nous dit sur les cahiers antisémites de Céline 23 janvier 2018
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 3 325 fois | ajouter un commentaire
Que peuvent donc craindre ceux qui souhaitent interdire la publication des cahiers antisémites de Céline ?
Soit ces cahiers disent essentiellement la vérité et prouvent le bien-fondé de l’antisémitisme (ou contiennent des arguments valables qui vont en ce sens). Dans ce cas, même si c’est malheureux, il faudrait publier ces cahiers au nom de la vérité.
Mais ceux-qui ont fait interdire leur publication ne sont pas, dans leur immense majorité, antisémites. On ne peut donc retenir cet argument.
Soit ces cahiers contiennent des arguments faux, mais convaincants et on cherche alors à les interdire pour que des personnes non déjà antisémites, lisant les cahiers, ne le deviennent. Ces lecteurs hypothétiques ne sont évidemment pas les mêmes que ceux qui demandent l’interdiction – ceux qui demandent l’interdiction sont bien convaincus d’être protégés contre tout antisémitisme. Ils demandent donc cette censure au nom de lecteurs moins intelligents, moins éduqués ou moins lucides qu’eux-mêmes, qui pourraient être convaincus par les arguments de Céline.
Les cahiers de Céline propageraient l’antisémitisme de façon tellement radicale, violente, rapide qu’il faudrait alors les interdire de crainte que la société ne s’effondre à nouveau. Mais ces cahiers seront évidemment extrêmement peu lus. Quelle est donc l’origine de cette peur panique de les voir publiés ?
Le grand psychanalyste Winnicott décrit la crainte de l’effondrement comme la crainte d’une catastrophe déjà arrivée. La réaction de défense du patient – la névrose ou la psychose – n’a pas d’autre objectif que de cacher la réalité suivante : dans le passé du patient, l’effondrement tant redouté a déjà eu lieu. Le patient vit la même situation que les héros de l’Enfer de Sartre : Il redoute l’enfer alors qu’il y vit ; ce faisant, il vit un enfer sans avoir le moins du monde conscience d’y être. Et le travail thérapeutique du médecin vise grosso modo à lui faire comprendre alors que « le malheur, c’est maintenant ! » (vaste programme).
L’antisémitisme, c’est maintenant
Que redoutent donc les partisans de la censure ? Il est facile de le voir. La réalité, c’est que l’antisémitisme est déjà de retour. Non pas sous sa forme historique, Célinienne, Maurrassienne, mais réimporté et puissamment renouvelé en France via l’immigration qui a débuté dans les années 60. Les mêmes qui crient au scandale à propos des cahiers de Céline détournent pudiquement les yeux quand il s’agit d’antisémitisme arabo-musulman. S’ils crient si fort au scandale, c’est JUSTEMENT parce qu’il ne faut pas regarder cette vérité en face. Les pauvres, on pourrait les traiter d’islamophobes. Couvrez donc cet antisémitisme que je ne saurais voir.
Billets associés :- Céline Alvarez, Maria Montessori, Mlle Grenier, la Belle et Lumineuse Nature et moi
- L’esprit perdu de l’article 28 de la loi de 1905
- Antisionisme = antisémitisme
- L’extrême-droite est-elle vraiment plus antisémite que l’extrême-gauche ?
- Dialogue en faveur de l’évaluation
Pourquoi il faudrait interdire les portables dans les amphis. 22 janvier 2018
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 1 fois | ajouter un commentaire
Prendre ses notes à la main permet une meilleure mémorisation
Plein d’études récentes suggèrent qu’on apprend bien mieux en prenant des notes avec un papier et un crayon qu’en les tapant sur son ordinateur portable – pourtant, si vous vous baladez aujourd’hui dans un amphi, vous verrez que presque tous les élèves prennent leur notes sur un ordinateur portable.
Papillonnage actif et passif
Et sans même parler de mémorisation, les études suggèrent que jusqu’à 40% de l’attention de ces étudiants est perdue à cause du côté “multi-tâches” induit par l’ordinateur (l’élève fait son shopping, chatte, voit des vidéos, va sur Facebook, etc.).
Ci-dessous les effets du papillonnage sur la performance des étudiants (1).
Après tout, on pourrait les laisser faire et se nuire à eux-mêmes, au nom de leur liberté d’action, comme, dans les années 70, on laissait les fumeurs libres de fumer n’importe où. Mais le problème est que, comme pour le tabac, il y a un effet de “papillonnage passif” induit sur les autres élèves dans la classe. Le graphique ci-dessous compare la performance des élèves ayant une vue directe sur ceux qui papillonnent avec les autres et le verdict est sans appel: la vue sur un élève qui papillonne a un impact sur la performance aussi négatif que le papillonnage actif lui-même.
Effets du papillonnage passif sur la performance des étudiants (1):
Et donc, comme on a fort justement, aujourd’hui, interdit le tabac partout à cause du tabagisme passif, on devrait interdire de prendre des notes sur son portable à l’université, au nom du papillonnage passif.
Réservé aux “non-papillonneurs”
A Harvard, certains amphis sont coupés en deux. Papillonneurs et non-papillonneurs sont séparés au début du cours de façon à ce que les étudiants prenant leurs notes à la main ne soient plus impactés par les portables. Sans doute une bonne solution car, contrairement à la fumée du tabac, le papillonnage ne se répand pas dans toute la pièce et peut-être ainsi limité.
Quoi qu’il en soit, le règlement intérieur des écoles et des universités devrait préserver les droits des non papillonneurs avant tout et poser des règles strictes limitant l’usage des portables en cours.
(1) Sana, Weston, Cepeda, page 24.
(2) Source
Billets associés :- Qu’y a-t-il de commun entre le robot Asimo de Sony et le joueur d’échec de Maezel ?
- Qui les sponsorise ?
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Prêt à penser, propagande, amalgame: lisez le dernier Pierre-Antoine Delhommais dans le Monde.
- Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu