Pulsion de mort, islamo-gauchisme et judéo-christianisme. 17 juin 2024
Par Thierry Klein dans : 7 Octobre,Aliénation,Politique,Wokisme.Lu 37 fois | ajouter un commentaire
Le lien entre islamisme et extrême-gauche1 n’est pas simplement un lien de circonstance. Profondément, ils sont liés par ce qu’on peut appeler une pulsion de mort.
La pulsion de mort est partout dans l’islamisme. Les attentats suicides, les promesses de paradis pour les martyrs, les morts innocentes mais utiles (11 Septembre, 7 Octobre, Bataclan…).
Dans les manifestations islamo-gauchistes « anti front-national » du 15 juin, je relève par exemple cette vidéo:
Aujourd’hui soit vous restez dans la lutte et on se décolonisera ensemble soit on est amenés à CREVER tous ensemble. On CREVERA pas seuls.
Cette position est presqu’incompréhensible pour un occidental, élevé dans la tradition judéo-chrétienne, qui protège l’innocent jusqu’à l’extrême et donne un prix maximum à la vie, empêchant le suicide en toute circonstance.
Quand il apprend que Dieu veut aveuglément détruire la ville de Sodome, Abraham se lance dans une négociation avec Dieu, qui accepte finalement de sauver la ville si on peut y trouver ne serait-ce que 10 justes.
Pendant la guerre, même pour les missions les plus risquées atteignant des taux de pertes de 90%, Romain Gary raconte que les aviateurs avaient TOUJOURS une possibilité, même faible, même théorique, de s’en sortir.
Et me revient aussi à l’esprit cette citation de Golda Meir:
« Nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir obligés à tuer leurs enfants. Nous n’aurons la paix avec les Arabes que lorsqu’ils aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous détestent.”
Il y a un courant d’idée occidental en rupture avec cette tradition judéo-chrétienne, c’est le courant socialiste. Pour Dostoïevski, le socialisme était un produit dérivé du catholicisme, qui avait lui-même perverti l’enseignement chrétien. Dans un chapitre célèbre des Frères Karamazov, le « Grand Inquisiteur »2 est en quelque sorte le porte-voix des thèses socialistes telles que Dostoïevski les perçoit. Plutôt que de prêcher aux hommes l’idéal chrétien, jugé inatteignable, insensé, il préfère le corriger. Sa version du paradis terrestre est proche de celle de Nathaniel Hawthorne dans « Le Chemin de fer céleste ».
« De nombreux voyageurs s’arrêtent pour prendre leur plaisir ou récolter leurs bénéfices à la foire aux vanités, au lieu de se diriger vers la cité céleste. Les charmes de l’endroit sont tels que les gens affirment souvent qu’il est le seul et vrai paradis; soutenant qu’il n’en existe aucun autre, que ceux qui recherchent davantage sont de doux rêveurs et que si la clarté légendaire de la cité céleste se présentait à moins d’un km des portes des vanités, ils ne seraient pas assez bêtes pour s’y rendre. »
Le Grand Inquisiteur brosse un portrait saisissant de la société d’aujourd’hui, dirigée par des experts au nom d’un idéal de consommation. C’est l’aliénation (inconsciente) de leur liberté, jointe à la satisfaction de leurs besoins matériels, qui garantit le bonheur des hommes:
« Oh ! nous les persuaderons qu’ils ne seront vraiment libres qu’en abdiquant leur liberté en notre faveur […] Certes, nous les astreindrons au travail, mais aux heures de loisir nous organiserons leur vie comme un jeu d’enfant, avec des chants, des chœurs, des danses innocentes […]
Ils n’auront nuls secrets pour nous. Suivant leur degré d’obéissance, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes ou leurs maîtresses, d’avoir des enfants ou de n’en pas avoir, et ils nous écouteront avec joie. »
Quel est le but final de cette vie ? Pour le Grand Inquisiteur, c’est la mort, le rien.
« Il comprend qu’il faut écouter l’Esprit profond (le Diable), cet Esprit de mort et de ruine, et pour ce faire, admettre le mensonge et la fraude, mener sciemment les hommes à la mort et à la ruine, en les trompant durant toute la route, pour leur cacher où on les mène.
Les deux gauches
Camus, dans les Justes, met en scène ce conflit entre la justice et le mensonge, entre la vie et la pulsion de mort. Le terroriste Kaliayev est dans la tradition judéo-chrétienne et refuse de lancer sa bombe car les enfants du Tsar (des innocents) sont dans la calèche.
« J’aime ceux qui vivent aujourd’hui sur la même terre que moi. C’est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. […] Je n’irai pas ajouter à l’injustice vivante pour une injustice morte. »
Il s’oppose à l’autre terroriste « socialiste », Stepan pour qui:
« C’est tuer pour rien, parfois, que de ne pas tuer assez. […] Nous sommes des meurtriers et nous avons choisi de l’être. »
Je rapproche cette position des déclarations récentes de Yahya Sinwar, chef du Hamas:
« Le bain de sang va servir la Cause. La mort de civils est un sacrifice nécessaire. »
La différence irréconciliable entre ces deux positions « de gauche » est aussi celle dont parle Simone Weil dans l’Enracinement. De même que le discours du Grand Inquisiteur est quasiment indifférenciable du discours chrétien, mais en représente l’exacte négation:
« Sous le même nom de révolution, et souvent sous des mots d’ordre et des thèmes de propagande identiques, sont dissimulées deux conceptions absolument opposées.
L’une consiste à transformer la société de manière à ce que les opprimés puissent y avoir des racines; l’autre consiste à étendre à toute la société la maladie du déracinement qui a été infligée aux opprimés. Il ne faut pas dire ou penser que la seconde opération puisse jamais être un prélude de la première; cela est faux. Ce sont deux directions opposées. »
- J’emploierai indifféremment « socialiste » et extrême-gauche dans la suite de ce billet. J’entends socialiste au sens marxiste du XIXème siècle, évidemment plus proche du terme « bolchevik » que du parti socialiste… ↩︎
- https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Dostoievski-Karamazov-1.pdf, page 629 ↩︎
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Une proposition pas si absurde de Najat Vallaud-Belkacem 18 mars 2024
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Google.Lu 36 fois | ajouter un commentaire
Dieu sait si son action au Ministère de l’Education a été nocive mais la proposition de limiter l’accès à Internet n’est pas absurde. Internet fonctionne évidemment comme une drogue pour beaucoup et limiter la consommation de drogue a beaucoup de sens.
Internet est aussi le vecteur principal de la publicité incontrôlée. Pour rappel, Google, Facebook, Instagram, Tik Tok sont des régies publicitaires. Internet stimule donc violemment nos pulsions de surconsommation, ce qui , à l’échelle planétaire, est un des facteurs déterminant du réchauffement climatique (qui dit surconsommation dit surproduction). Il est important de poser le problème de la surconsommation générale (je le faisais dans ce billet de 2009).
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La valeur travail existe-t-elle ? 30 septembre 2022
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Economie,Open Source,Politique.Lu 696 fois | 1 commentaire
Le chasseur-cueilleur préhistorique, directement en lien avec la nature, n’agit que sous la pression de celle-ci et a bien conscience que son activité a pour but direct sa survie. L’homme moderne vit sous le règne de la division du travail, des myriades de métiers existent dans notre société. La division du travail a augmenté de façon extraordinaire la productivité humaine mais nous cache de plus en plus ce fait fondamental : le travail est la façon dont nous arrachons à la nature ce qui nous est nécessaire pour survivre. Elle nous le cache car quand l’activité de chacun est parcellaire, plus personne ou presque ne peut reconstituer l’ensemble de la chaîne industrielle qui extrait les moyens de la survie de la nature. L’ouvrier qui produit un clou n’a pas forcément conscience du rôle de son usine dans la survie de l’espèce pourtant, comme Adam Smith l’a montré, sa productivité est infiniment supérieure à l’artisan du moyen-âge. Le fait que la production du clou nécessite si peu d’effort humain aide à la satisfaction des besoins vitaux de l’humanité (constructions, infrastructures…).
Les écologistes et la valeur paresse
Ceux qui ont récemment nié la “valeur travail” (j’essaierai par la suite de parfaitement définir cette expression) et prôné un “droit à la paresse” sont donc en premier lieu ceux qui, oubliant la logique profonde, bien qu’inconsciente, de la division du travail, mettent l’accent sur ses défauts, ses absurdités, ses gaspillages. Ils constatent que la société crée de nouveaux besoins, non liés à la survie, qu’on peut philosophiquement qualifier d’inutiles; qu’elle génère de nombreux gaspillages, par exemple énergétiques; que la répartition des ressources est mal effectuée, une partie de l’humanité n’ayant pas assez pour survivre alors que quelques milliardaires accumulent les richesses. Si on croit que la machine industrielle s’est emballée, qu’elle produit en quelque sorte “à vide”, on doit donc produire moins, travailler moins, au nom de l’écologie ou du besoin de “sobriété”. A la limite, on peut considérer tout ou partie de l’activité humaine comme contre-productive, générant simplement gaspillage et pauvreté. Constater ceci,ce serait créer non seulement un droit mais un devoir de paresse.
Mais en réalité, la division du travail actuelle a permis à l’humanité d’atteindre 7 milliards d’individus, en croissance exponentielle depuis le début de l’ère industrielle où la population atteignait 1 milliard. Il n’est pas certain que l’agriculteur africain ou australien, brûlant des kilomètres carrés de terre, soit moins destructeur que l’homme moderne, capable de fournir l’énergie nécessaire à des villes entières à partir de quelques kilogrammes d’uranium. Le gaspillage moderne n’est peut être pas plus important, en proportion, que celui qui a mené aux pyramides égyptiennes. Le PIB des pays est fortement lié à l’espérance de vie ce qui signifie que toute baisse de productivité, ou toute crise énergétique réduisant la production, aura des conséquences directes sur la mortalité. Les écologistes échouent à montrer qu’un modèle sobre est compatible avec le niveau actuel de la population humaine et leurs arguments sont sentimentaux, mais pas raisonnables. On ne peut pas, au nom de l’écologie, justifier un quelconque droit ou devoir à la paresse.
La nécessité du travail.
Le travail n’est devenu une notion noble que récemment. Chez les grecs, seuls les esclaves travaillaient et les citoyens dédiaient leur temps aux activités dites nobles (telles que la philosophie, la géométrie, la guerre …). En temps de paix, le citoyen grec libre se consacre donc uniquement à ce que nous appelons aujourd’hui “loisir”. Dans l’Ancien Régime, les nobles ne travaillaient pas, ne commerçaient pas. C’est la Révolution qui introduit la notion de travail pour tous, au nom de l’égalité et du respect du Contrat Social de Rousseau, qui définit précisément le point de contact frictionnel entre individu et société. Chaque citoyen est censé participer à l’effort collectif que mène l’homme face à la nature. Refuser de mener cet effort en invoquant un droit à la paresse, c’est une rupture du contrat qu’impose la société à l’individu. C’est une forme de malhonnêteté envers la collectivité souveraine qu’on peut comparer, dans l’esprit, au refus de faire son service militaire ou à la fraude fiscale.
La paresse en tant que morale de l’assistanat
On commence à rentrer ici dans la notion morale, même si c’est sous l’angle de la nécessité. Le travail est nécessaire, il n’élève pas forcément l’être humain mais ne pas se plier à cette nécessité collective est une fraude immorale. Il n’y a pas forcément de “valeur travail” mais il y a un état immoral, qui est l’oisiveté. Cette opinion reste très répandue aujourd’hui et c’est pourquoi les déclarations sur le “droit à la paresse”, qui provenaient de représentants de mouvements d’extrême gauche (LFI et EELV) ont choqué. Pour un grand nombre de gens, l’indemnité chômage, par exemple, est nécessaire face aux accidents de la vie mais une aide permanente destinée à soutenir l’inactivité, nommons ceci “assistanat”, n’est pas acceptable pour des raisons morales, pas plus que ne le serait un soutien à la fraude fiscale par exemple. Et cette idée, quoi qu’en pense Aymeric Caron, est une idée de gauche.
Les sociétés où tout ou partie de la population ne travaille pas sont des sociétés serviles ou en route vers la servitude. Si la classe dominante ne travaille pas, c’est que le reste de la population est asservie, comme dans l’Ancien Régime. Quand c’est le peuple qui ne travaille pas, la société est une dictature en devenir comme Rome l’a été sous le règne du “panem et circenses” ou comme la société totalitaire qu’évoque brillamment Orwell dans 1984. Le “panem”, c’est l’équivalent du RSA pour la plèbe, l’assistanat de toute la population pauvre qui va de pair avec le “circenses”, le loisir, visant à occuper les esprits. L’ensemble a pour but d’amollir toute velléité de résistance, de mettre la population en état de servitude volontaire. En prônant le droit à la paresse, l’extrême-gauche oublie le contrat social, balaie la notion de citoyenneté et ouvre la voie à la dictature. Cela s’appelle oublier d’où on vient.
Pourquoi donc cet oubli, en rupture totale avec sa tradition historique ?
L’explication nous est encore donnée par les penseurs de gauche. Pour Marx, la conscience sociale et la morale résultent des conditions économiques, dont elles forment une sorte de superstructure. Pour Proudhon, “La pensée d’un homme, c’est son traitement”. A partir du moment où, comme c’est le cas en France, un large partie de la population est structurellement assistée, l’état de chômage permanent devient une sorte de métier à plein temps et il est inévitable qu’une morale associée à cet état économique se crée. Le chômage, honteux au départ, devient le “droit à la paresse” et n’est plus vécu comme une contrainte mais comme une condition sociale comme une autre. On doit alors augmenter la rétribution de la paresse, c’est-à-dire les minimums sociaux, au détriment de la rétribution du travail. L’argument de l’extrême gauche va au-delà du clientélisme: il prend en compte la nouvelle réalité économique et la création d’une classe d’assistés permanents, ayant sa propre morale, dont l’extrême-gauche, reniant sa mission historique, protègera les intérêts.
L’impossible liberté du travail
Mais quelle est cette mission historique de la gauche ? Notre chasseur-cueilleur a une productivité très faible, nous l’avons vu, comparée à celle du travailleur moderne. Mais il est seul, libre d’agir, face à la pression aveugle de la nature alors que le travailleur, subissant l’organisation moderne et la mécanisation de son poste de travail, est face à un commandement humain qui l’aliène. “La nature peut constituer un obstacle, une résistance mais seul l’homme peut enchaîner » (Simone Weil). Il semble que l’homme ne puisse se débarrasser de la pression de la nature sans créer sa propre oppression, bien humaine. Tout gain de productivité (l’agriculture, l’industrie…) permettant de développer économiquement les sociétés humaines est comme lié à des structures oppressives (esclavage, servage, fordisme…) aliénant l’individu. Le travailleur devient un simple outil de production, une chose. Le travail est une aliénation et n’est que ceci. La mission historique de la gauche est donc de protéger l’individu contre cette organisation aliénante, que Marx a identifiée et dénoncée dans le capitalisme.
D’où viennent les 35 h ?
Aucune valeur travail n’est compatible avec cette vision. Aucune amélioration morale de l’Homme n’en sort. Un travailleur à la chaîne subit, devant sa machine, une vie inhumaine – même s’il joue un rôle social important vis-à-vis de la société. Sa profession est purement utilitaire. Pendant qu’il travaille, l’ouvrier est soumis à sa hiérarchie, n’apprend rien, ne progresse pas. Il n’est plus vraiment un homme, plutôt une fourmi. Il n’est homme que pendant ses loisirs et cette vision conduit inéluctablement à une volonté de réduire le temps du travail et d’augmenter les loisirs – sans aller jusqu’à l’assistanat cependant. C’est là l’origine de la vision que la gauche a mise en œuvre ces 30 dernières années et cette vision est probablement partagée par un grand nombre d’employés de ma société.
De l’instinct animal au travail
Si on considère le travail sous l’angle unique de la nécessité, il est donc bien difficile d’en faire ressortir la moindre valeur morale. Pourtant cette valeur existe et pour aller la chercher, il faut partir, encore une fois de notre chasseur-cueilleur et comprendre en quoi le travailleur en diffère. Le chasseur-cueilleur des origines ne travaille pas vraiment. Poussé par la faim, il agit et chasse et il est donc dans un optique de satisfaction immédiate de ses besoins élémentaires. En ceci, il ne diffère pas des animaux qui chassent instinctivement et on ne peut pas appeler sa chasse “travail”. “Les animaux s’agitent, l’homme seul travaille, parce que seul il conçoit son travail” (Proudhon). Pour qu’il y ait réellement un travail, il faut une suite d’opérations manuelles et de pensée en vue de produire un objet qui sera consommé – et plus la division du travail est forte, plus il est probable que la production du travailleur sera consommée par d’autres hommes, lui-même achetant ou échangeant, grâce à sa production, les biens nécessaires à son entretien. Ainsi, notre clou n’est pas consommé par l’ouvrier qui le produit mais, via un système d’échange, lui permet d’acheter sa nourriture. Il n’y a donc travail que lorsque l’homme n’agit pas par impulsion instinctive, mais en vue d’un objectif pensé, qui est la consommation. La consommation n’est alors plus la cause mais la fin de l’action. “La consommation comme besoin est un moment interne de l’activité productive” (Marx). L’homme consomme en qualité d’être vivant, il travaille en qualité d’être pensant » (Simone Weil).
Le travail est une donc activité pensée ayant pour fin la satisfaction d’un besoin (Simone Weil). Ces deux aspects sont absolument nécessaires. Si on exclut le besoin, en ne gardant que l’activité ou la pensée, on en revient à cette transition qu’a représentée la Grèce. La Grèce a séparé l’activité du besoin, inventant l’athlétisme. Elle a séparé la pensée de la nature, inventant la géométrie, science dont l’utilité pratique est nulle au départ – si les Grecs avaient cherché un savoir réellement utilitaire, ils auraient inventé l’algèbre.
Le chasseur-cueilleur est donc dominé par la nature alors que Grâce à son activité et à sa pensée, “le travailleur soumet la nature en lui obéissant” (Bacon). Passer de la domination pure à la seconde forme d’obéissance est une libération et c’est même l’unique libération possible pour l’homme. “Le génie du plus simple artisan l’emporte autant sur les matériaux qu’il exploite que l’esprit d’un Newton sur les sphères inertes dont il calcule les révolutions” (Proudhon).
Qu’est-ce que la valeur morale du travail ?
La valeur morale du travail procède donc de la confrontation entre la pression de la nature et l’action du travailleur. L’aliénation oppressive au travail, c’est la confrontation entre la pression humaine (l’organisation du travail mise en place) et l’action du travailleur. Seuls les métiers non touchés par l’organisation du travail peuvent être considérés comme totalement libres de toute oppression (par exemple le paysan qui laboure son champ à la faux, l’artisan qui produit seul son objet).
Les autres métiers sont toujours sujets à une oppression humaine, qui est la seule oppression possible, la nature agissant en tant que pression et non en tant qu’oppression puisqu’elle n’a pas d’intention. L’oppression naît du fait que, selon la remarque de Marx, ceux qui organisent contrôlent le travail de ceux qui exécutent, et ont tendance à les asservir. Il est impossible de se débarrasser de l’organisation du travail car il en résulterait une perte de productivité incompatible avec, entre autres, le maintien de la population à son niveau actuel. Donc il est impossible d’éliminer totalement toute forme d’oppression.
[Les larmes de Federer. J’ai choisi une approche philosophique pour définir cette valeur morale mais j’aurais pu aussi bien m’appuyer sur la psychologie populaire. Quand on dit de quelqu’un qu’il est “un grand professionnel”, on y met évidemment une signification morale. Pour comprendre comment le travail élève, il suffit de prendre un exemple récent, celui des larmes de Federer et de Nadal lors des adieux de Federer. Dans sa carrière, Federer a d’abord tout gagné “facilement”, puis est apparu Nadal qui, comme la nature pour le travailleur, lui a résisté et l’a forcé, par le travail physique et la réflexion, qui sont les deux grands constituants du travail, à améliorer son jeu, à aller plus loin, atteignant à la fin de sa carrière des sommets qui l’ont sans doute surpris lui-même. Federer pleure non pas les grands chelems perdus mais la grandeur que Nadal lui a permis d’atteindre, son dépassement, sa pleine réalisation en tant que joueur de tennis. Et Nadal, qui ne prend pas encore sa retraite, pleure exactement la même chose. Toute personne qui a eu la chance à un moment ou un autre de travailler intensément, dans un contexte où ce travail a été effectué de façon non servile, comprend de quoi je parle.
]
Vers une société de la coopération ?
On peut cependant avoir pour objectif de minimiser cette oppression. Ainsi, dans les manufactures du moyen-âge, le mode d’interaction entre les travailleurs était la coopération entre hommes. Chaque travailleur négociait avec un autre travailleur l’objet qu’il allait lui fournir, dans un but commun. Les compagnons collaboraient pour l’édification des cathédrales.
Lorsque cette coopération humaine a été remplacée, au moment de la révolution industrielle, par une collaboration de machines, les travailleurs ont perdu toute capacité d’élaboration et coopération. Ils sont devenus asservis aux machines, c’est-à-dire aux ingénieurs et aux contremaîtres. Cette forme de production s’est imposée à cause de sa grande productivité, mais a été un recul sur le plan humain.
L’Open Source et la société de la collaboration
Dans notre société moderne, le développement logiciel, s’il est bien réalisé, donne une idée de ce que pourrait être une industrie de la coopération. Les ingénieurs conçoivent des architectures globales, qui sont nos cathédrales modernes, définissent leurs interfaces internes, les composants qu’ils utiliseront et échangeront avec eux. Cette coopération dans un but commun nécessite effort et créativité et respecte la liberté individuelle de chacun.
Le mouvement Open Source est une parfaite illustration de ce que peut être l’industrie de la coopération, réunissant idéal et utilité. Lancé en 1984 par Richard Stallman, il a pour objectifs de favoriser la libre circulation des connaissances et des logiciels (en opposition avec les stratégies privées de sociétés telles que Microsoft), de faire collaborer les ingénieurs et de mettre à la disposition de tous le résultat de leurs travaux. En générant des dizaines de milliers de projets logiciels, en faisant travailler de façon collaborative des centaines de milliers d’ingénieurs, l’Open Source a eu – a encore – un impact majeur sur la société et est, entre autres, à l’origine d’Internet.
Dans une entreprise, chaque dirigeant devrait, dans la mesure du possible, tenter de susciter à tous les niveaux la collaboration, son rôle se limitant à organiser et synchroniser les travaux. Chaque exécutant devrait admettre sans ressentiment que la coopération parfaite étant impossible, une part d’arbitraire, de travail forcé, voire de travail absurde, subsistera dans toute activité professionnelle. Et cette part peut malheureusement être parfois très importante. Plus le dirigeant et l’exécutant tentent de se conformer à ce modèle qu’il faut voir comme un état limite impossible à atteindre, plus il y a de vertu dans le monde et plus le travail prend de la valeur.
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Sciences Po: de la discrimination positive à la « culture du viol » 16 février 2021
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.Lu 1 827 fois | ajouter un commentaire
Il y a actuellement à gauche une tendance à faire du vice, ou de toute tendance affective personnelle, un système élaboré de « valeurs ». Dans les années 80, ces valeurs étaient « la libération sexuelle », surjouée, forcée – avec les abus inévitables qui font que ces valeurs ont aujourd’hui été transformées en « me too ». Ceux qui portent ces valeurs sont les mêmes personnes et si je puis dire, la Vanessa Springora des années 80, icone consentante sur l’autel de la libération sexuelle, annonce celle des années 2020, icone consentante sur l’autel « me too ». Elle est le niveau à bulle de l’époque, ayant pour fonction d’être un reflet. J’ai entendu Jack Lang l’autre jour condamner violemment, presqu’en larmes, une pétition qu’il avait signée dans les années 80 en faveur de l’inceste.
Idem pour Sciences Po. Dès lors qu’un seul élève est rentré de façon injuste à Sciences-Po (discrimination positive), c’est tout un système qui a été transformé, d’une hiérarchie de compétences vers une hiérarchie aristocratique, privilégiant l’origine, la position, le mensonge et le népotisme. La « culture du viol » est présente dès l’époque Descoings, qui séduit des élèves de 17 ans, et dès cette époque, tout le monde se tait. Cet enchainement est très compréhensible et simplement une dérive banale, qu’on a vue dans de multiples établissements d’enseignement supérieur politiquement corrects aux US. J’avais pu moi-même la constater à Stanford dans les années 90.
Mais ce matin, Alexandre Kouchner au micro d’Europe 1 fait de cette dérive un système général. « Non, nous dit-il, la dérive du viol n’est pas propre à Sciences Po mais à toute la société ». On voit comment cette théorie se fait jour dans son esprit. Il y a d’abord la dérive névrotique d’une organisation, à laquelle il a participé de façon active ou, plus probablement, lâche. Il y a le contexte familial du viol toléré, sinon encouragé et là aussi, il a fallu détourner le regard – et comme c’était impossible, se forcer à ne pas penser, ce mécanisme étant caractéristique de ce que Simone Weil nomme « attachement » (à sa famille, à ses amis, à son groupe de pensée, tout ceci étant, dans le cas de Kouchner, presque confondu).
Ensuite il y a le refus de regarder sa réalité en face et la projection de ses propres turpitudes sur autrui, sous forme de rationalisation a posteriori : « toute le société est gangrénée, Sciences Po n’a rien d’exceptionnel ». En ceci, il est exactement comme un cardinal qui refuserait d’admettre le problème de la pédophilie ecclésiastique au prétexte qu’elle concernerait toute la société. Ou comme un Tartuffe (mais ici, un Tartuffe probablement inconscient), qui demande à couvrir ce sein (transformation du désir personnel en norme de comportement générale).
Ce mécanisme définit actuellement de façon très profonde la gauche, dans ce qu’elle a de plus woke. Elle est plus une fidélité à un groupe, un attachement, qu’une pensée. La recherche systématique d’un racisme « systémique » (qui n’a plus rien à voir avec le racisme), de la « culture » du viol, de la « violence symbolique » à l’école, de la « violence coloniale systémique » sont des névroses de type paranoïde projetées sur l’ensemble de la société, déclarée malade par les malades eux-mêmes. Ces termes nous parlent de ceux qui les emploient plus que de notre société. Ces théories seraient risibles si elles n’étaient pas aussi répandues. Cliniquement, la gauche woke est une forme de paranoïa décomplexée.
(Je pense profondément que la « pourriture » n’est pas une question de couleur politique, et donc il y a sans doute une proportion constante de pourris à droite et à gauche.
Mais un violeur de droite ne ferait pas tous ces chichis. Il ne chercherait sans doute qu’à se cacher. Difficile de savoir si c’est par manque d’intelligence, par lucidité sur soi-même, par égoïsme ou par indifférence.)
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L’esprit perdu de l’article 28 de la loi de 1905 30 septembre 2018
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.Lu 16 405 fois | 1 commentaire
« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »
L’article 28 de la loi de 1905 vise évidemment la religion catholique. Le rédacteur de la loi a cependant voulu lui donner une portée plus générale, à savoir que toute religion visible dans l’espace public est susceptible de peser socialement sur les individus, de nuire à leur liberté de conscience ainsi qu’à la séparation du religieux et du politique.
Supprimer les crucifix dans la rue tient, pour les adultes, de la même logique que supprimer les crucifix dans la salle de classe des enfants. Vous ne pouvez pas, en toute rigueur, prouver que le crucifix dans la rue vous influence, cependant, à partir d’un certain degré de présence, la présence du crucifix donne un pouvoir politique à l’Eglise, le vecteur de transmission de cette influence sur les esprits étant à la fois conscient et inconscient. Si les croix sont partout, le curé a du pouvoir.
On aurait pu imaginer que le rédacteur de la loi se montre plus tolérant. Après tout, jusqu’à un certain point, la présence limitée de signes religieux ne pèse pas sur les consciences. Mais dans l’article 28, il n’y pas de notion de seuil de tolérance, de degré. L’Eglise catholique était puissante, partout présente, invasive. Le législateur a, de façon très juste, jugé que l’introduction d’un seuil de tolérance pouvait enlever à cette loi tout sens pratique, face aux bigots qui ne manqueraient pas de tirer parti de toutes les exceptions que la loi leur accorderait. Il a voulu protéger le citoyen totalement, pour toujours.
Pour éviter toute contagion hypothétique, il bannit le signe religieux partout, comme le médecin désinfecte totalement la salle d’opération pour éliminer toutes les bactéries.
L’article 28 est, au sens propre, une mesure de prophylaxie radicale.
L’oubli de la loi de 1905
Il semble tout à fait incroyable, quand on considère la multiplication des affaires actuelles concernant le voile et le burkini, signes religieux présents dans l’espace public, que cette loi ne les ait pas interdits « par avance ». Le voile et le burkini présentent tous les attributs du signe religieux oppresseur :
- Ils sont extrêmement visibles
- Ils donnent un pouvoir politique à une religion, l’Islam. La multiplication des voiles permettant aux musulmans intégristes de se compter. En ceci, voiles et, surtout, burkinis ont une fonction très comparable aux uniformes des milices fascistes.
- Ils se propagent effectivement de façon contagieuse, mimétique, selon la dynamique décrite par Ionesco, dans son « Rhinocéros » ou par Camus, dans « La Peste ». La Mairie de Rennes, négligeant cette dynamique, a stupidement justifié cette semaine l’autorisation du burkini dans ses piscines au prétexte qu’il ne concernerait que 5 nageuses…
- La pression sociale engendrée par ces accoutrements est évidemment intense. Beaucoup de femmes portent le voile contre leur gré, par contrainte familiale ou culturelle. Beaucoup d’autres le portent sans ordre explicite, comme un « accommodement raisonnable » permettant de passer inaperçue dans un environnement de plus en plus islamisé. Beaucoup d’autres encore le portent par superstition religieuse.
Tout ceci constitue la forme de pression la plus grave que la société peut faire peser sur un individu. C’est ce que le législateur de 1905 avait voulu à tous prix casser.
Et tous les hommes politiques partisans du soi-disant « juste milieu », qui se disent en même temps « certes préoccupés par le problème que pose le voile », mais ajoutent qu’il faut simplement « s’assurer qu’aucune femme ne le porte contre son gré », sont des hypocrites qui renient l’esprit de l’article 28. Dans des quartiers où le trafic de drogue est devenu une activité commerciale comme une autre, qui va s’assurer que telle ou telle femme est voilée ou pas de son plein gré ? Qui relèvera les insultes et les pressions envers les femmes non voilées ?
L’article 28 avait tranché dans le vif, de la seule façon possible, en instaurant l’interdiction absolue du signe religieux public.
Si l’esprit de l’article 28 est perdu, l’article 31 ne peut plus être appliqué
Art. 31: Sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, ont agi en vue de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte.
L’article 31, c’est celui qui sanctionne les pressions effectuées sur les individus pour des raisons religieuses. Non seulement les partisans du « juste milieu » renient l’esprit de l’article 28, mais, ce faisant, ils rendent l’article 31 de la loi de 1905 inapplicable. Comme on ne peut pas mettre un policier derrière chaque femme non voilée, il est devenu de fait impossible aujourd’hui d’appliquer l’article 31. Aujourd’hui, dans les quartiers, des femmes sont agressées tous les jours, au moins verbalement, pour non port du voile. De fait, si les articles 28 et 31 ne sont pas appliqués de concert, ils deviennent tous deux inopérants.
Liberté individuelle et article 28
L’argument de la liberté individuelle avait évidemment été posé dès 1905. Le choix fait par l’article 28 est très clair : la liberté du croyant s’arrête dès lors qu’elle fait encourir le moindre risque à la liberté d’autrui, dès lors donc qu’un risque de pression sociale s’exerce sur autrui.
Le raisonnement laïque est le suivant :
- La République ne reconnaît aucun culte, ce qui signifie que toute religion est vue comme une superstition tolérée
- Cette superstition n’est tolérée que si elle est totalement inoffensive.
- La présence du signe religieux dans l’espace public constitue un risque dont le citoyen doit être protégé.
Aujourd’hui, les partisans du voile invoquent de même l’argument de la liberté individuelle (le « droit ») des femmes à le porter – et il n’est pas douteux qu’au moins pour certaines, il s’agisse d’un choix positif.
Mais pour ce qui est du voile, l’article 28 a déjà tranché, au moins dans l’esprit. La liberté individuelle du croyant doit toujours s’effacer face au risque qu’elle entraîne sur la liberté du non croyant. Le « droit individuel » s’efface immédiatement face au devoir collectif qu’a la société envers l’individu : celui de le préserver des effets de l’aliénation ou de la superstition.
A partir du moment où certaines femmes sont obligées, en France, de porter le voile (ce qui est évidemment le cas), à partir du moment où une pression religieuse liée au signe religieux que constitue le voile ou le burkini, s’exerce dans l’espace public, ce signe devrait être interdit. Tel est l’esprit oublié de l’article 28.
Pourquoi l’article 28 ne parle-t-il pas du vêtement ?
En 1905, la religion catholique est dominante. Elle n’impose pas à ses fidèles d’accoutrement. Seuls les membres du clergé portent un uniforme et leur nombre est par nature limité à une infime partie de la population, population fermée par construction et en constante diminution. Les protestants n’ont aucun accoutrement et cela vaut pour leur clergé. Les juifs orthodoxes sont reconnaissables mais infiniment minoritaires et cette religion est par nature fermée aux autres. Personne n’envisage que l’Islam, religion des territoires colonisés, dominés, puisse acquérir en France la moindre puissance.
Le législateur, bien que recherchant la généralité, n’a tout simplement pas pensé à étendre la notion de signe religieux au vêtement. L’eût-il fait, il aurait forcément tranché dans le même sens que l’article 28 et pour les mêmes raisons, en vertu du même principe.
L’erreur de 2010
La loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été, à cet égard, une grave erreur et une hypocrisie. Elle atteint, pour ce qui est de la burka, le but recherché mais le prétexte invoqué est la dissimulation du regard. En vérité, toute le monde sent bien que l’Islam était en cause. Il l’était pour des raisons tout à fait justifiées qui n’avaient rien à voir avec le regard. Il aurait été bien plus cohérent, bien plus dans l’esprit de la laïcité, d’invoquer l’esprit de l’article 28 et d’étendre cet article.
L’utilisation d’un prétexte et d’un mauvais principe de droit a eu une double conséquence : beaucoup de musulmans se sont sentis stigmatisés, totalement à tort puisqu’on a vu que l’Islam passe en fait, pour des raisons historiques, « entre les gouttes » de la loi de 1905. Surtout, l’esprit politique et religieux de l’Islam intégriste consistant à tirer, avec un grand talent, toutes les conséquences des incohérences des démocraties occidentales, on voit, on verra sans cesse, apparaître de multiples tentatives pour augmenter la pression de l’Islam dans l’espace public. L’extension du port du voile, le burkini, font partie de ces tentatives d’occupation de l’espace et on ne peut évidemment ni les interdire, ni les limiter dans le cadre de la loi de 2010.
En finir avec la rhétorique de l’aliénation
Les féministes « universalistes » tentent actuellement de limiter le port du voile en invoquant l’aliénation patriarcale des femmes qui le portent.
Cet argument me paraît non pas nécessairement faux mais pas assez convaincant. Beaucoup de musulmanes portent le voile de façon tout à fait volontaire et, invoquant leur droit individuel à le porter, renvoient à ces féministes une autre aliénation qui est, grosso modo, la soumission aux normes occidentales, elles-mêmes considérées comme culturellement arbitraires. Dans ce combat, je suis évidemment infiniment plus proche des féministes universalistes, qui se placent dans le sillage de la gauche émancipatrice, de Voltaire à Jaurès, que des féministes dites indigénistes ou racialistes, qui alimentent un courant d’inspiration totalitaire, sectaire et raciste. Mais l’argument de l’aliénation a toujours un côté totalitaire et dangereux. Il présuppose la supériorité de la personne qui l’énonce, il ne peut être réfuté et il peut être retourné à l’infini puisque la personne censée subir l’aliénation la subit de façon inconsciente. L’argument de l’aliénation est, par nature, un procès stalinien affaibli. On ne devrait l’utiliser qu’avec une extrême précaution et en tout dernier recours.
Pour obtenir gain de cause, il me paraît beaucoup plus simple, beaucoup plus élégant, beaucoup plus convaincant d’invoquer l’esprit oublié de l’article 28. Ce n’est pas au nom du féminisme qu’il faut interdire voile et burkini, mais au nom de la laïcité universelle, elle-même ayant pour but de nous protéger du « gros animal » de Platon.
Un tel argument a en outre l’avantage de pouvoir unir politiquement tous les opposants à la prise de puissance politique de l’Islam, ou de quelque religion que ce soit, sur des bases saines.
De quelle façon pourrait-on donc étendre cet article ?
On pourrait évidemment interdire, de façon prophylactique, la présence de tout signe religieux dans l’espace public. Même si beaucoup de catholiques en seraient ulcérés, la situation à laquelle on arriverait serait alors infiniment meilleure que la situation actuelle.
De façon sans doute plus raisonnable, mais aussi efficace, trois critères devraient être pris en compte concernant le signe religieux dans l’espace public sous forme de vêtement :
- Son caractère ostentatoire (une croix cachée sous un pull a moins d’impact qu’une burka)
- La fréquence de sa présence (la robe Krishna a moins d’impact que le voile, car très peu de gens la portent)
- La contrainte potentiellement imposée sur les personnes (dans le cas de la robe de la religieuse catholique, il n’y a évidemment aucune contrainte. Pour ce qui est du voile, le voilement même des petites filles, qui ne peuvent évidemment rien refuser aux parents, constitue une contrainte manifeste, sans parler des insultes qu’encourent actuellement en banlieue les femmes non voilées).
Des vêtements masculins ostentatoires pourraient évidemment être interdits dans le cadre de cette loi. Face à l’oppression religieuse, les hommes sont des femmes comme les autres. Le combat contre le voile est universel.
Ces critères peuvent évidemment varier dans le temps et un texte pourrait fixer le principe général de l’interdiction, en laissant au juge une certaine liberté d’appréciation.
24/02/2019 : Les débats de 1905 et le costume religieux (ajout pour les lecteurs très motivés uniquement)
Suite aux différents retours que j’ai reçus sur ce texte, il convient de le corriger après lecture des séances, tout à fait extraordinaires, du 26/27 juin 1905 de l’Assemblée Nationale.
Il y a deux erreurs de fait dans mon texte. La première, c’est que le point du costume ecclésiastique est effectivement abordé à l’Assemblée. Mais presqu’uniquement sous l’angle de l’autorité que confère ce costume, qui est comparé au costume des militaires. La question débattue est donc de savoir si ce costume confère une quelconque autorité aux prêtres. Non, répond justement Briand car « En régime de séparation, la question du costume ecclésiastique ne pouvait pas se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel ».
Ce n’est donc pas la question du costume en tant qu’emblème religieux qui a été discutée à l’Assemblée. Cette question, posée par le député Chabert, n’occupe qu’une dizaine de lignes dans la séance (sur plus de 80 pages) et, fait remarquable, Briand, rapporteur de la commission, l’élude totalement. Les arguments de Chabert sont pourtant remarquables.
Chabert déclare a) « qu’il y a, dans la loi soumise à nos délibérations, deux articles, les articles 25 et 26 qui interdisent l’un de porter, de promener en public, l’autre de placer dans les emplacements ou sur les monuments publics aucun signe ou emblème religieux. » et que par conséquent, b) « « Le costume religieux n’est-il pas essentiellement un emblème ? Son port n’est-il pas au premier chef une manifestation confessionnelle ? … la soutane en public, ce sont les choses de la conscience dans la rue ! »
J’en viens à ma deuxième erreur, faite aussi par Chabert et je pense beaucoup d’entre nous, qui interprète la loi comme une interdiction totale du signe religieux dans l’espace public. Briand, rapporteur de la commission précise alors qu’il ne s’agit que d’une interdiction du signe sur les bâtiments publics ou dans les espaces publics. Un signe religieux sur une façade privée, dans un jardin privé, reste toléré. Au moment où parle Chabert, l’état de la loi interdit de promener en public tout signe religieux (interdiction des processions, qui sera invalidée le lendemain par amendement).
Bref, personne n’a répondu aux arguments de Chabert, qui pourtant donne toutes les raisons, bonnes et mauvaises, présentes et passées d’interdire le vêtement religieux du prêtre. De façon tout à fait remarquable, l’argument de l’aliénation, que j’évoque dans mon article, est aussi mentionné pour le costume du prêtre (comme aujourd’hui on parle de l’aliénation des femmes voilées).
La question est de savoir si ces deux erreurs invalident le raisonnement que je fais sur l’esprit de la laïcité. Je ne le pense pas du tout. En un sens, ces erreurs confirment même le raisonnement.
Car la raison pour laquelle personne ne répond à Chabert, c’est que tous ces débats ne concernent finalement que l’église catholique et uniquement l’église catholique. A l’exception de Chabert, qui fait preuve d’une lucidité peu commune, les parlementaires jaugent toutes les mesures à l’aune de leur impact sur l’église et de l’impact de l’église sur la société.
Le lendemain, le vote du 27 juin autorisera les processions pour de mauvaises raisons. Elles y seront vues comme « des manifestations » et non pas comme ce qu’elles sont: des prières de rue. On sent dans les débats le compromis ou le troc politique qui s’effectue entre députés de gauche (droit à manifester des ouvriers) et de droite (en faveur des prières de rue). En 1905, l’église a déjà perdu. Les processions sont déjà des manifestations minoritaires, un peu pagnolesques et donc, comme le costume des prêtres, elles sont peu dangereuses pour la gauche.
Bref, ce qu’il faut retenir de tout ça, c’est que :
- Un seul député a vu juste et son point de vue n’a pas été discuté
- Quelle que soit la forme finale que prend la loi, qui semble d’inspiration universelle, la discussion porte sur l’église catholique uniquement et jamais sur l’Islam, comme je le mentionne dans mon article.
Les premiers arguments multiculturalistes contre l’esprit de la laïcité: signe religieux dans l’espace public contre « tolérance universelle »
Lors des débats du 26/27 juin 1905, le député Grousseau (droite catholique) introduit des arguments de nature finalement multiculturaliste. « Tant à cause de cette tradition que de cette signification profonde, on comprend que les cérémonies extérieures du culte soient considérées par l’Eglise comme essentielles ; elles sont un des éléments de sa catholicité. » (et par conséquent) « La liberté de conscience ne doit pas être conçue d’une façon négative, comme imposant aux différentes confessions religieuses l’obligation de se dissimuler, elle doit être conçue d’une façon positive, comme leur imposant l’obligation de se tolérer réciproquement, ce qui entraîne pour chacune d’elles la faculté de se développer et de se manifester. »
Cet argument invoque très clairement le droit du croyant comme « essentiel » et le fait passer devant la protection du non-croyant face au signe religieux au nom d’un soi-disant liberté de manifester.
Ainsi, la liberté des processions , qui sont des prières de rue, et du costume religieux arboré en public, sont, dès le départ, des manifestations d’un multiculturalisme qui ne dit pas encore son nom.
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Lettre aux nouveaux racistes qui se croient anti-colonialistes ou anti-racistes 25 juin 2017
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.Lu 2 231 fois | ajouter un commentaire
La France n’est pas une personne, la France est un pays. Les citoyens que vous condamnez aujourd’hui ne sont pas ceux qui ont fait le colonialisme, l’esclavage, etc.
Un grand nombre, sans doute la plupart, essaient sincèrement de faire en sorte que cet état de choses ne puisse plus arriver.
La France a complètement, totalement pardonné les deux premières guerres mondiales à l’Allemagne en 1958 et c’est peut-être l’acte le plus grand qu’elle ait jamais accompli. Vous devriez vous inspirer de ce pardon, dont les effets sont immenses.
Car la paix en Europe depuis 58 repose sur ce double paradoxe : les Français ont pardonné aux Allemands; les Allemands d’aujourd’hui , bien qu’ils ne soient coupables de rien, connaissent leur histoire et essaient sincèrement de ne pas reproduire les erreurs du passé. Et ceci les rend grands aussi.
Français et Allemands se posent ainsi la seule question qui vaille: « Comment des gens comme moi (mes parents, mes grands-parents…) ont-ils pu perpétuer ces atrocités ? Si ces temps reviennent, aurai-je le courage, aurai-je la clairvoyance de ne pas contribuer à la violence ? De résister à ceux qui appellent à la violence ? »
Cette question, c’est la question fondamentale que tous les être humains doivent se poser. Enfants des victimes, enfants des oppresseurs, nous pouvons tous un jour devenir bourreaux. Personne n’est protégé.
En condamnant injustement les Français d’aujourd’hui, vous perpétuez la haine. Les « intellectuels » qui vous fournissent des arguments en ce sens, au lieu de vous appeler à tourner la page, ont une immense responsabilité.
La justice n’est pas la vengeance. Le monde ne va pas mieux si les enfants des victimes ont pour seul objectif de devenir les bourreaux des enfants des anciens oppresseurs. Le racisme d’hier n’est pas annulé par celui d’aujourd’hui, mais au contraire prolongé. Le racisme envers la France est une fausse façon, qui vous abaisse, d’affirmer votre fierté.
La vraie grandeur : pardonner, sans oublier.
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La vérité sur l’affaire Free – Google. 4 janvier 2013
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Google,Politique.Lu 5 751 fois | ajouter un commentaire
1) Quel enjeu économique ? Free estime que Google prend trop de la valeur de l’internaute et met la publicité en « opt-in » (c’est son droit de vouloir rééquilibrer le business model en faveur du « tuyau », on peut juste s’étonner que personne ne l’ait fait avant). Free prend grosso modo 30€ / internaute / mois et Google a peu près la même chose (indirectement, sous forme de revenu publicitaire généré par l’Internet). Cela a donc un grand sens économique pour Free d’aller attaquer le revenu pour l’instant capté par Google. Il peut y multiplier par deux son chiffre d’affaires.
2) Que reprochent les internautes à Free ? Alors que toutes les « bonnes » pratiques publicitaires sont en opt-in, tous les internautes hurlent, par Twitter interposé, contre Free qui ne fait au fond que mettre en œuvre une politique opt-in réclamée à corps et à cri par ces mêmes internautes pour les mails… C’est surprenant sur le fond et sans doute un symptôme a) d’aliénation collective et 2) de très forte efficacité de la pub Google qui semble vue comme inséparable, voire plus importante, que le contenu. Voir aussi Comment Google contribue au rétrécissement du savoir.
3) Imagine-t-on un système similaire pour la télé, qui couperait la pub ? Oui, car il y a eu des tentatives (et même des boîtiers anti-pub qui sont sortis), la plupart du temps avortées car illégales ou fonctionnant mal. Mais la réaction du public est inverse pour la télé (cf les débats lors de la privatisation de TF1 sur les films coupés … et aussi la valeur sentimentale de mesures telles que l’absence de pub sur les chaines publiques). A la télé, les gens veulent moins de pub mais sur Google ils en veulent plus !
4) Fleur Pellerin se déclare plutôt en faveur de Google (politique opt-out), ce qui est idéologiquement contradictoire avec le fait d’être à gauche, au sens où ce qui définit la gauche, c’est – ce devrait être – la lutte contre l’aliénation. Mais aussi contradictoire avec sa position sur la presse. Car si on admet que Google « prend » trop de valeur au détriment des journaux, pourquoi ne pas être ouvert a priori à toutes les tentatives de déplacement de cette valeur ? Free vient au fond de mettre en place un mécanisme qui force Google – et potentiellement toutes les régies de pub – à discuter ! [Vous pouvez être certains que la vision « presse » n’est pas absente dans la stratégie de Free, Xavier Niel est aussi patron du Monde].
Derbière contradiction pour finir, Pellerin privilégie aussi Google, qui ne crée pas d’emploi en France, sur Free, qui en crée (au moins potentiellement). Bonjour le redressement productif.
5) Nicolas Colin, co-auteur du meilleur livre sur l’économie numérique de l’année dernière se retrouve à la tête d’une mission dont le but est de définir un nouvel impôt sur la multitude, c’est à dire sur les données. L’idée de base est que Google utilise la richesse des français pour son business et donc les données que possèdent Google, utilisées pour servir statistiquement le bandeau publicitaire le plus pertinent possible, peuvent, à ce titre, être taxées. Cela permettrait aussi de taxer Google dès aujourd’hui sans avoir à unifier les politiques de TVA européennes (doit-on taxer là où est le serveur de Google ? là où est l’internaute ?) , ce qui peut prendre 10 ans. Mais il y a pour moi un vice de fond: que se passe-t-il si une entreprise possède les données (taxables) sans pouvoir en tirer de revenu (car c’est le « tuyau » qui en profite le plus). Le modèle « Colin » taxe donc potentiellement des entreprises sans revenu. Il serait intéressant de l’entendre à ce sujet.
6) Google est réellement, fondamentalement menacé par ce genre de modèle. Il a systématiquement lutté contre toutes les tentatives de « dérive » de revenu publicitaire, même très mineures et même quand une vision à court terme aurait pu être à son avantage économique immédiat (fraude au clic, voir le cas de la fraude au clic et des moteurs de recherche solidaires ). Free a coupé aussi l’info qui permet à Google d’avoir un retour sur les clics, donc toute possibilité de chiffrage et de facturation de leur pub ! La France doit vraiment commencer à les emmerder. On est vraiment une grande puissance.
7) Quand j’étais petit, deux choses ne rentraient pas à l’école: les croix et la pub. L’église a fait tomber l’interdiction des croix depuis longtemps et Google a fait tomber l’autre barrière puisque les écoles paient des ordinateurs pour que les élèves y reçoivent de la pub. Ce que Free tente de faire pour des raisons économiques, l’état français aurait dû l’imposer à Google depuis longtemps pour des raisons politiques.
8 ) La réponse de Google est à mon avis déjà prête. C’est trop important pour eux pour ne pas réagir. Au-delà de la réponse médiatique (ça semble déjà parti) et / ou légale, je parierais qu’ils ont des possibilités déjà prêtes pour faire varier le code servant les pubs, de façon à contourner un filtrage. On peut envisager des algorithmes générant des millions de façons différentes de présenter les pubs, ceci variant à chaque seconde. A la fin, c’est le plus avancé techniquement, c’est à dire à mon avis Google, qui gagne. Et comme d’habitude sur le Net, « code will be law« .
[Cet article, écrit à la va-vite, sera revu et corrigé. En attendant, régalez-vous.]
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Imprégnation et aliénation infantile 16 avril 2010
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Non classé.Lu 5 350 fois | ajouter un commentaire
Comment cette magnifique photo a-t-elle été prise ?
Il suffit que le cameraman soit à proximité des oisons lorsqu’ils viennent au monde et ceux-ci s’attacheront à lui pour toute leur vie. Ils ne le quitteront plus et le suivront comme si c’était leur mère. Si le cameraman achète un deltaplane, ils voleront instinctivement en formation avec lui. C’est ce que Konrad Lorenz appelle l’imprégnation.
L’imprégnation est donc plus qu’une simple aliénation inconsciente, comme l’était l’aliénation consommatrice. C’est une aliénation instinctuelle, fruit de l’évolution et qui échappe totalement au libre arbitre ou à tout calcul coût-bénéfice conscient ou inconscient (1). L’imprégnation est. Point-barre.
On peut évidemment déplorer, au nom du droit des oiseaux à disposer d’eux-mêmes, cette aliénation totale de l’oison à sa mère. Mais on ne peut pas l’empêcher sans employer la contrainte.
Et même si vous contraignez l’oiseau toute sa vie, même si vous contraignez ses petits et les petits de ses petits, même si, selon le souhait de Lenine, vous contraignez 10 générations d’oiseaux, vous ne rendez jamais la 11ème génération d’oiseaux heureuse car il est dans la constitution de l’oiseau d’être imprégné : il est câblé ainsi.
Dans l’amour d’un enfant pour sa mère, il y a probablement une composante instinctuelle très comparable dans son principe (sinon dans sa cause biologique) à l’imprégnation, le plus remarquable étant que les deux attachements sont totalement aveugles – oison et enfant s’attachent à ceux qui vont s’occuper d’eux sans aucune considération biologique.
De tous temps, dans les régimes totalitaires les plus avancés, on tente de combattre l’imprégnation de l’enfant à sa famille parce qu’elle fait en quelque sorte concurrence à une aliénation dont l’intérêt est jugé supérieur : celle du citoyen à l’état. C’est ce qui se passait à Sparte, dans la Rome des origines (Horace tue sa sœur parce qu’elle pleure la mort de son fiancé Curiace), en Union Soviétique, dans la Chine de Mao (et encore d’aujourd’hui, mais dans une moindre mesure).
En URSS, des bébés de quelques mois pouvaient, sous Lenine, être enlevés à leurs parents « réactionnaires » et placés dans des écoles d’éducation collective au nom d’une double « logique » : leur éviter d’être contaminés par les opinions contre-révolutionnaires des parents, placer l’ensemble des enfants dans de strictes conditions d’égalité.
L’aliénation, si tant est qu’elle existe, est souvent ancrée en nous de façon si profonde que seules des méthodes parfaitement inhumaines semblent pouvoir la tuer ou la réduire. On sent bien aussi le côté inhumain des thèses d’Elisabeth Badinter, qui, voulant lutter contre l’aliénation maternelle, nie la composante instinctuelle, présente dans un grand nombre d’espèces animales, qui donne envie à une mère de s’occuper de son enfant.
Le problème, c’est que même si les autres (aliens) sont un enfer, il n’y a probablement pas de bonheur possible sans aliénation.
(1) Voir les remarques de PBD sur les boucles longues et les boucles courtes. Ici, il n’y a pas de boucle – ou alors, c’est une boucle à l’échelle de l’évolution, sur une durée d’au moins 1000 fois la vie de l’individu.
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Les formes élémentaires de la névrose (3) : l’aliénation consommatrice 21 mars 2010
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Non classé.Lu 6 389 fois | 6 commentaires
Suite de mes billets sur l’aliénation.
Pour Marx, victime et oppresseur sont clairement distincts. La classe dirigeante opprime ; le prolétariat est exploité.
Depuis 50 ans environ, nous assistons à une fusion des concepts qui correspond très exactement à ce que nous appelons la mondialisation.
En tant que consommateurs, nous voulons tous acheter moins cher et faisons jouer la concurrence. Pour répondre à cette contrainte, les entreprises s’adaptent et mettent la pression sur leurs employés – les travailleurs. Le consommateur est devenu l’oppresseur du travailleur, position devenue parfaitement schizophrène au fil des années, car dans l’immense majorité des cas, le consommateur est un travailleur.
Cette lutte entre le consommateur et le travailleur est une des clés de l’époque, mais elle a été longue à se faire jour. D’abord, nous avons une tendance naturelle à refouler toute mauvaise conscience liée à nos actes d’achat à partir du moment où le mot « moins cher » est inscrit sur l’étiquette, ensuite et surtout, les conséquences de cet acte d’achat ne permettent pas de remonter aux actes précis d’un individu – ce qui nous rend tous irresponsables – et sont différées dans le temps, parfois de plusieurs dizaines d’années.
En achetant un nouveau téléviseur, je ne suis pas directement responsable de la fermeture de telle ou telle usine. Mais ce comportement, répété des milliers de fois pendant des dizaines d’années, a pour résultat final la délocalisation totale de presque toute l’industrie. Des travailleurs occidentaux « pré-conscients » (au sens marxiste du terme) ont été remplacés par des travailleurs prolétarisés en Chine ou en Europe de l’Est.
L’aliénation consommatrice est quantifiable
Aucune aliénation n’est « prouvable » en tant que telle, mais, rappelons-le, certaines sont quantifiables, ce qui leur donne une crédibilité plus importante (je parlerai alors dans la suite de ces billets d’aliénation forte). Ainsi Marx quantifie l’aliénation capitaliste par le taux de sur-travail, mais Elisabeth Badinter serait bien en peine de quantifier l’aliénation maternelle (aliénation faible, au sens ci-dessus).
Dans le cas de l’aliénation consommatrice, on pourrait définir différents outils de mesure tels que le pourcentage des dépenses qui ne sont pas de première nécessité dans les dépenses des individus ou bien la part des échanges internationaux dans le PIB d’un pays (ces dépenses caractérisant l’acte d’achat mentionné plus haut).
Tu noteras avec intérêt, cher lecteur – ou dois-je écrire « Enzo » ? – que ces deux critères sont corrélés à ce qu’on appelle la mondialisation (le deuxième critère caractérise même exactement la mondialisation), en telle sorte qu’on peut dire qu’aliénation consommatrice et mondialisation sont deux phénomènes profondément imbriqués et peut être même identiques, au sens où ils sont les facettes différentes d’une même médaille. J’y reviendrai.
L’aliénation consommatrice est aussi une névrose.
Dans cette forme d’aliénation, le consommateur opprime le travailleur. Mais nous sommes tous à la fois consommateurs et travailleurs et participons tous à cette forme d’oppression.
Dans certains cas, le consommateur est un capitaliste, mais cela ne change rien à l’affaire (exemple: à travers les fonds de pension, le citoyen américain « actionnaire » force l’entreprise américaine à délocaliser au nom de la baisse des coûts – et perd son emploi).
Le côté névrotique de cette aliénation est probablement une des raisons pour laquelle elle est passée pratiquement inaperçue jusqu’à présent. Freud a expliqué pourquoi des raisons cachées et profondes nous poussent à nier l’existence même de la névrose. Plus généralement: ce qui nous marque fortement est inconscient – ainsi les quatre premières années de la vie, sans doute les plus importantes, disparaissent-elles de notre mémoire.
La victoire du consommateur
Dans la lutte impitoyable qui opposait travailleur et consommateur, le consommateur a gagné à plate couture. Il n’y a pas eu de « prise de conscience » au sens marxiste du terme ; au contraire, la publicité et le marketing ont fait rentrer le travailleur marxiste dans le monde enchanté de la consommation..
Ce que le Capital n’a jamais réussi à faire, ni aucune religion, la publicité l’a réussi de façon totalement involontaire ! .
Au nom de « la liberté de choix », les grands monopoles (téléphone, électricité…), les services publics ont disparu ou sont en train de disparaître. .
Pour que le consommateur occidental puisse faire jouer à plein son « droit à consommer » toujours moins cher, le monde s’est globalisé. Mais en achetant des produits chinois, le consommateur occidental crée son propre chômage ou, dans le meilleur des cas, contribue à la perte de ses avantages acquis (il devra allonger son temps de travail, réduire ses vacances, baisser son niveau de prestation sociale, etc…)..
La gauche est gênée aux entournures. Tout discours visant le pouvoir d’achat immédiat des plus faibles paraît indécent à ses yeux. Or le pouvoir d’achat des plus faibles en France, c’est l’exploitation d’autres faibles (en Chine), puis, ensuite, l’importation de la baisse de niveau de vie en France. On le voit bien aujourd’hui..
D’une façon générale, la droite a un peu mieux perçu et surtout mieux utilisé le phénomène. D’abord, cela fait longtemps que le patronat a compris, sans aucune considération freudienne ou marxiste, que ses travailleurs étaient aussi des consommateurs (Ford voulait déjà faire des voitures assez bon marché pour que ses ouvriers puissent les acheter).
Ensuite, la valeur des entreprises est corrélée à la croissance de leur chiffre d’affaires, partant, à la consommation générale.
Concrètement, dans une logique de droite, tout l’art consiste à convaincre le consommateur au détriment du travailleur – en masquant les effets futurs sur ce même travailleur. Je vous cite quelques exemples en vrac :.
– travailler le dimanche (au nom du droit à consommer à toute heure, du droit au loisir, etc…). D’une façon générale, augmenter la durée du travail, au nom du pouvoir d’achat (”travailler plus pour gagner plus”), au nom du droit de Guy Roux à entraîner à 67 ans, etc….
– libéraliser le secteur des télécoms ou de l’électricité (au nom du droit à choisir son opérateur).
– déréglementer la grande distribution (au nom du pouvoir d’achat).
– favoriser le travail des femmes (pour qu’elles soient économiquement indépendantes, pour augmenter la consommation)
[Si la gauche était marxiste, elle passerait son temps à dénoncer l’aliénation consommatrice et à tenter de provoquer une « prise de conscience » de cette aliénation. Elle devrait donc lutter systématiquement et de façon uniforme, contre les quatre phénomènes décrits ci-dessus. Problème, la gauche est soit « de gouvernement » (ce qui veut dire, au final, « à droite ») ou « anti-capitaliste » (ce qui veut dire qu’on s’en tient à une lecture quasi-religieuse des oeuvres de Marx en oubliant que Marx écrivait à une certaine époque et dans un certain contexte.]
Oppresseur et victime inter-agissent de façon inconsciente.
Si on reprend ma typologie des aliénations, on constate qu’ici, victime et oppresseurs sont totalement inconscients. Nous verrons qu’en plus du côté névrotique, c’est le symptôme d’une forme d’aliénation extrêmement forte.
Tous les actionnaires du monde se sont donc naturellement donnés la main pour tenir le discours du consommateur roi ; les départements marketing ont été leurs talentueux – et aveugles – porte-voix.
Le publiciste qui fait la pub de la dernière Renault n’a pas une capacité d’analyse supérieure au consommateur qui achète chez Leclercq – d’ailleurs, c’est souvent la même personne !
Il n’a pas l’impression de faire le moindre mal à quiconque, ni en concevant sa pub, ni en allant chez Leclerq. Et d’ailleurs, au sens strict du terme, il n’en fait pas. Faire vendre une Megane, acheter un téléviseur, sont des actions tout à fait anodines, ou plutôt infinitésimales. C’est la répétition sans fin de ses actes, par tous, à grande échelle qui crée l’aliénation consommatrice: la plus forte, la plus importante de toutes. Celle qui mène le monde à sa perte.
Nous verrons comment dans mon prochain billet.
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Les formes élémentaires de l’aliénation (réponse à Enzo) 22 février 2010
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.Lu 105 299 fois | 18 commentaires
Enzo a laissé une diarrhée de commentaires sur mon précédent article « L’aliénation choisie ».
En fin d’écoulement, Enzo finit par écrire qu’il ne sait pas très bien ce qu’est l’aliénation (ce qui fait que pour lui, à la fin des fins, tout devient « une question de curseur »). Il y a pas mal d’autres choses, positives et négatives, à prendre dans les commentaires d’Enzo qui sont aussi intéressants par leurs « a priori » et en particulier ce que j’appelle « l’a priori féministe ».
J’y répondrai progressivement, dans ce billet et dans ceux qui suivront, mais en attendant, tu n’as pas idée du plaisir que je prends, cher lecteur, à affirmer des conjectures, à les écrire sur ce ton professoral et pontifiant et à les regrouper sous un titre pompeux, un peu comme un professeur en classe prépa (on a le syndrôme de Stockholm qu’on peut !). Sans penser que tu vas (peut-être) les lire. Rien que pour ça, ce blog est totalement irremplaçable. Merci, merci, merci !
Le concept d’aliénation suppose une victime et un oppresseur, ainsi qu’une sorte de « collaboration » entre la victime et son oppresseur. Pour bien comprendre les différentes formes d’aliénation, il faut s’intéresser au côté conscient ou inconscient de la victime, au côté conscient ou inconscient de l’oppresseur et aussi à la réalité de l’oppression (il n’est en effet pas toujours évident de savoir s’il y réellement une victime et un oppresseur).
On peut jouer presqu’à l’infini avec tous ces paramètres et s’en servir pour créer une typologie des aliénations.
L’esclavage: contrainte et aliénation
Dans l’esclavage, la victime est consciente et l’oppresseur est, le plus souvent, lui aussi conscient de l’oppression. Dans ce cas, on ne parle pas d’aliénation mais plutôt de contrainte. La notion d’esclavage est incompatible avec la notion de liberté individuelle ce qui fait qu’il n’est pas toléré dans les pays dont la législation découle plus ou moins « des Lumières ». Cette situation reste une exception historique et l’esclavage reste une structure fondamentale du développement de l’humanité à travers presque tous les âges.
Dans certains cas, l’esclavagiste peut être inconscient. Aristote réduit l’esclave au rang « d’objet animé », dont la vocation est d’être commandé et justifie ainsi la légitimité de l’esclavage par l’intérêt commun du maître et de l’esclave. On peut dire qu’Aristote rationalise ainsi une structure dont il tire évidemment un avantage personnel, comme le faisaient les esclavagistes américains ou Afrikaners (comme le font aujourd’hui les néo-libéraux qui justifient les excès du capitalisme par son utilité finale) mais c’est prendre un homme génial pour un pur imbécile.
Plus probablement, Aristote voit dans l’esclavage une sorte de « structure stable et naturelle de développement de l’humanité », au sens où un structuraliste pourrait aujourd’hui la concevoir. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas certain qu’Aristote soit juste un pré-hégélien ou un pré-marxiste, totalement inconscient du côté arbitraire et injuste de la relation « maître / esclave » (il évoque d’ailleurs ces deux aspects). Aristote raisonne surtout en politique et voit les inconvénients qu’il peut y avoir à casser cette relation pour le bon développement de la société. En ce sens, il est aussi un « post-marxiste » qui a su tirer les leçons de la chute du Mur – le communisme, c’est à dire la destruction systématique de toutes les relations capitaliste / travailleur, fussent-elles injustes, ne fonctionne pas car il ne crée pas un modèle politique harmonieux de développement, une « structure stable et naturelle de développement de l’humanité ».
[Par rapport à quelqu’un comme Elisabeth Badinter, il se pourrait bien qu’Aristote ait 100 ans d’avance et non pas 2000 ans de retard. Je m’expliquerai plus en détail sur ce point dans mon prochain billet.]
Le servage
Dans le cas du servage, tel qu’il est pratiqué en France au Moyen-âge, il est clair que seigneur et serf sont en grande partie inconscients, sans que le côté contrainte de la relation ne soit jamais totalement éliminé cependant. Le Noble est certain que sa supériorité repose sur des critères génétiques et de caractère, le Serf voit dans la société une structure naturelle – on est dans un cas d’aliénation à peu près pur, si l’on admet que l’oppression est bien réelle (elle l’est, au moins sous l’angle de la liberté politique ou des droits de l’homme – 2 critères auxquels j’ accorde beaucoup de valeur, mais dont l’objectivité me force à reconnaître le caractère arbitraire et exceptionnel au sens historique).
Cette forme d’aliénation disparaît de façon tout à fait remarquable: la prise de conscience de l’aliénation la fait disparaître.
Avec Voltaire et Beaumarchais, Noble et Serf perdent progressivement l’illusion de leur différence. La demande « naturelle » du serf pour la liberté n’est plus contrebalancée par la croyance du Maître en sa supériorité. L’ordre naturel des choses s’effondre. La Révolution française n’a lieu que parce que les Nobles ne croient plus en leur supériorité intrinsèque. Ils ne se battent alors plus que pour conserver des privilèges. Ce combat est perdu d’avance, ne serait-ce que sur le plan moral.
Le travailleur et le capitaliste.
Marx nous parle d’une aliénation inconsciente du travailleur par le capitaliste et décrit, dans le premier livre du Capital, comment se crée la dépendance et l’oppression. Pour lui, le travailleur n’a que l’illusion de la liberté mais la plus-value qu’il crée par son travail est intégralement captée, à ses dépens, par le Capitaliste.
[A noter, pour Enzo, que Marx, comparant les taux de surtravail (2) de l’esclave, du serf et du travailleur montre que l’aliénation par le travail est la pire qui soit – au sens où l’ouvrier, en pourcentage de son temps de travail, passe plus de temps au bénéfice de son patron que l’esclave antique ou que le serf. En ce sens, l’aliénation capitaliste est pire que l’oppression esclavagiste].
L’aliénation dont parle Marx est de nature inconsciente, au moins pour l’ouvrier, qui n’a que l’illusion de la liberté. Marx crédite le capitaliste d’un plus haut niveau de conscience et montre comment l’exploitation ouvrière est organisée de façon rationnelle.
La réalité de l’aliénation marxiste reste à prouver. A partir du moment où le travailleur est formellement libre (d’aller voir ailleurs, de relire son contrat…), peut-on vraiment changer la société et les lois sur le présupposé que c’est un imbécile qui se laisse aliéner ? La gauche vous répondra « plutôt oui » (et c’est pourquoi elle a des tendances liberticides, au sens où elle veut changer les choses contre le gré de gens dont la prise de conscience n’a pas « encore » eu lieu), la droite vous répondra « plutôt non » (et c’est pourquoi elle a des tendances anti-sociales et un lien très fort avec la bêtise, puisqu’elle cherche avant tout à protéger et à nier des privilèges qui lui sont pourtant littéralement jetés sous les yeux ).
De toutes les façons, on reste dans le domaine des sciences sociales, c’est à dire en dehors du domaine de la science (3) et toujours dans le domaine de la conjecture, même s’il y a des degrés dans le niveau de la conjecture. Un des drames des sciences humaines est que les plus grands découvreurs, comme Marx ou Freud, pensent que leurs conclusions sont de nature scientifique alors que seule leur approche l’est. Là aussi, il me semble qu’Aristote, n’ayant pas cette illusion, leur est supérieur.
[Tu t’indignes et tu bous, cher lecteur qui te sens une fibre sociale, mais comme toi, je pense que les situations sociales que décrit Marx sont inhumaines et doivent être combattues. Simplement, la réalité de l’aliénation est un problème différent. Le fait qu’il y ait des situations inacceptables ne prouve pas en soi l’aliénation. Il se pourrait que les situations inacceptables soient inévitables, comme le pense Malthus, et que la notion d’aliénation procède d’un autre trait de caractère humain: la recherche d’une cause facile et pour tout dire, d’un bouc-émissaire.]
Marx a étudié la révolution française, Lénine et les bolcheviks sont littéralement captivés par son exemple et pensent qu’il est possible de renverser le régime capitaliste comme les Lumières ont renversé la Royauté, à ceci près que la prise de conscience aura lieu après la révolution et non pas avant. Il faut au moins deux présupposés pour penser ceci: penser que l’aliénation est réelle (j’ai déjà parlé de ce premier point) et surtout penser qu’une société de type marxiste-léniniste peut constituer un « état stable de l’humanité ».
Les bolchevicks négligent ce point car la Révolution française a débouché, certes après beaucoup de massacres et de guerres, sur une société totalement nouvelle, sans esclave, bâtie autour d’un principe de liberté et d’égalité : cet état de choses tient maintenant sans trop grosse contrainte depuis deux siècles. On est sorti d’une structure stable pour aller tout naturellement vers une autre structure stable – et cette nouvelle stabilité empêche le retour en arrière (la Restauration). Il apparaît aux Bolcheviks que le plus dur, c’est de réussir la révolution.
Mais la vraie question, on le sait à présent c’est celle-ci: la structure qu’envisage Marx (ou plutôt Lénine) pour sa société peut-elle être stable ?
La question reste posée puisqu’un échec, celui de la période 1917-1989, ne peut pas prouver l’impossibilité théorique (4). De façon scientifique, je ne peux donc pas répondre non, mais de façon sensible et empirique, je pense profondément que la correction de l’aliénation par la prise de conscience est une vision de l’esprit (5), que les sociétés bâties selon les principes marxistes sont forcément inhumaines et ne peuvent, en tant que telles, perdurer de façon stable. En gros, ma position vis à vis du marxisme est « quelle que soit la réalité du phénomène constaté par Marx, le remède qu’on nous propose est pire. Et la possibilité même d’un remède de nature structurelle et permanente n’a pas encore été établie. ».
(La révolution française: une révolution qui réussit et qui aboutit vers un modèle de société stable.
Le communisme : une révolution qui réussit et une société qui échoue, car non stable.)
Le féminisme, l’aliénation maternelle.
Pour les féministes, l’aliénation de la femme est un processus inconscient pour la victime et plus ou moins conscient pour l’homme (comme chez Marx, on prend l’opprimé pour un imbécile mais on fait en quelque sorte honneur à l’oppresseur en lui accordant un degré de conscience assez élevé. On peut excuser ce travers et penser que, s’il y a réellement aliénation, l’indignation que montrent les féministes et Marx envers l’oppresseur est somme toute assez naturelle).
Mais là aussi, y a-t-il aliénation ? Dans le modèle « la femme au foyer, l’homme au boulot » qui a prévalu jusque dans les années 60 dans notre société, il est difficile de déterminer oppresseur et victime. Il y a juste partage des tâches, l’homme faisant indirectement vivre à la famille à travers son temps passé au travail et la femme directement par le temps passé au foyer.
L’aliénation féministe est encore plus difficile à mettre en évidence que l’aliénation marxiste. Au moins Marx peut-il mettre en évidence une captation de plus-value, qui constitue une sorte de « symptôme » aliénant – sans que l’aliénation elle-même ne soit formellement prouvée. Mais rien de tel chez les féministes. Pas de lien d’intérêt direct entre homme et femme, juste une contribution pour un objectif commun. Depuis au moins 50 ans, la femme est aussi tout à fait libre de travailler (c’est à dire, au sens marxiste, libre de s’aliéner). Donc il n’y a pas non plus contrainte, au sens où je le définissais précédemment dans ce billet.
Les liens entre féminisme et marxisme.
Les deux reposent sur la dénonciation d’une structure d’aliénation inconsciente et non démontrée (ce qui fait que les féministes comme les marxistes sont de gauche), mais ces aliénations sont inconciliables et opposées: si les femmes travaillent « comme » les hommes, ce qui est le cas aujourd’hui, l’exploitation des travailleurs augmente (en gros, il faut deux personnes aujourd’hui pour faire vivre un foyer alors qu’il en fallait une il y a un siècle. Le temps passé à faire la vaisselle est troqué contre le temps passé à s’acheter le lave-vaisselle. Est-ce un progrès ?).
En augmentant la taille de « l’armée de réserve », les femmes mettent les travailleurs de tous les sexes en concurrence au bénéfice du Capitaliste, qui profite à la fois de l’augmentation de la réserve de travailleurs et de celle du nombre de consommateurs (c’est à dire du marché). (6)
Le slogan féministe : « A travail égal, salaire égal ! (pour les femmes)». La réalité « A travail égal, salaire inférieur » (pour tous !).
Il semble honteux, pour les féministes, d’invoquer la « loi naturelle » pour justifier la femme au foyer, ou simplement la femme qui élève son enfant. Il n’y aurait là qu’aliénation. Les deux hypothèses étant des conjectures, qui plus est non exclusives l’une de l’autre, j’ai plutôt tendance à croire en la réalité d’une loi naturelle, observable chez la plupart des espèces animales et dans la plupart des sociétés, qui fait que la femme a plus naturellement « envie » de s’occuper de ses enfants que l’homme.
Je ne suis pas sûr que le mélange à égalité des rôles parentaux corresponde à une structure stable de la société et je pressens autant d’inconvénient à imposer ceci qu’il a pu y en avoir à imposer une structure marxiste de la société.
Le capitalisme moderne crée aujourd’hui des foyers où les enfants sont laissés à l’abandon par les parents des deux sexes – au mieux, ils sont laissés à l’éducation des tiers (professeurs, nounous, etc…) – le but final semblant être de pouvoir les équiper de Nike. On a troqué l’éducation parentale contre des biens de consommation. Mais une des sources de la supériorité de l’homme, c’est sa capacité à transmettre aux générations futures et son principal risque de survie, en tant qu’espèce, c’est son incapacité à maîtriser sa consommation, qui se traduit par l’épuisement des ressources dont il vit.
La femme au travail, au regard de ces deux critères, apparaît donc avant tout comme un élément de développement non durable.
(J’espère que comme Enzo tu m’excuseras, cher lecteur, pour cette phrase qui peut sembler provocatrice mais dont j’admets volontiers que le principal intérêt est de fournir une chute élégante à ce billet qui commence à se faire un peu long mais qui est loin d’être terminé. Je t’infligerai rapidement une suite dont la trame est la suivante: aliénation et névrose, l’aliénation consommatrice, imprégnation et aliénation, aliénation allemande et Lebensraum, aliénation envie et victimisation, le syndrôme de Stockholm humain, l’aliénation animale, une modélisation physique des sociétés stables).
(1)Cela semble un point évident, mais ce n’est pas si facile à montrer. Si le critère est la liberté ou les droits de l’homme, l’oppression du serf par le seigneur est réelle.
(2)Dans le temps de travail de l’esclave ou du travailleur, Marx distingue le temps nécessaire pour assurer sa subsistanceies du temps (sorte de minimum de travail incompressible) du temps qui enrichit ou accroît le confort de son oppresseur (sorte d’unité de mesure de l’aliénation).
(3)On est dans le domaine de la science quand on est capable de prédire des phénomènes de façon quantitative à partir de lois déduites de l’observation.
(4)Qui plus est le marxisme-léninisme ou le stalinisme ont à peu près autant de choses à voir avec Marx que l’Eglise de l’Inquisition avec les évangiles.
(5) Comme l’est, au niveau individuel, la correction de la névrose par la prise de conscience.
(6) Un problème politique intéressant en découle. Dans la mesure où les aliénations s’entrechoquent, une société sans aliénation est-elle possible ou simplement souhaitable ? Selon quel modèle les aliénations s’entrechoquent-elles ? Je sens ton impatience, cher lecteur, surtout si ton nom est Enzo et j’essaierai de te fournir quelques conjectures à la fin de ce billet.
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