Imprégnation et aliénation infantile 16 avril 2010
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Non classé.Lu 5 353 fois | trackback
Comment cette magnifique photo a-t-elle été prise ?
Il suffit que le cameraman soit à proximité des oisons lorsqu’ils viennent au monde et ceux-ci s’attacheront à lui pour toute leur vie. Ils ne le quitteront plus et le suivront comme si c’était leur mère. Si le cameraman achète un deltaplane, ils voleront instinctivement en formation avec lui. C’est ce que Konrad Lorenz appelle l’imprégnation.
L’imprégnation est donc plus qu’une simple aliénation inconsciente, comme l’était l’aliénation consommatrice. C’est une aliénation instinctuelle, fruit de l’évolution et qui échappe totalement au libre arbitre ou à tout calcul coût-bénéfice conscient ou inconscient (1). L’imprégnation est. Point-barre.
On peut évidemment déplorer, au nom du droit des oiseaux à disposer d’eux-mêmes, cette aliénation totale de l’oison à sa mère. Mais on ne peut pas l’empêcher sans employer la contrainte.
Et même si vous contraignez l’oiseau toute sa vie, même si vous contraignez ses petits et les petits de ses petits, même si, selon le souhait de Lenine, vous contraignez 10 générations d’oiseaux, vous ne rendez jamais la 11ème génération d’oiseaux heureuse car il est dans la constitution de l’oiseau d’être imprégné : il est câblé ainsi.
Dans l’amour d’un enfant pour sa mère, il y a probablement une composante instinctuelle très comparable dans son principe (sinon dans sa cause biologique) à l’imprégnation, le plus remarquable étant que les deux attachements sont totalement aveugles – oison et enfant s’attachent à ceux qui vont s’occuper d’eux sans aucune considération biologique.
De tous temps, dans les régimes totalitaires les plus avancés, on tente de combattre l’imprégnation de l’enfant à sa famille parce qu’elle fait en quelque sorte concurrence à une aliénation dont l’intérêt est jugé supérieur : celle du citoyen à l’état. C’est ce qui se passait à Sparte, dans la Rome des origines (Horace tue sa sœur parce qu’elle pleure la mort de son fiancé Curiace), en Union Soviétique, dans la Chine de Mao (et encore d’aujourd’hui, mais dans une moindre mesure).
En URSS, des bébés de quelques mois pouvaient, sous Lenine, être enlevés à leurs parents « réactionnaires » et placés dans des écoles d’éducation collective au nom d’une double « logique » : leur éviter d’être contaminés par les opinions contre-révolutionnaires des parents, placer l’ensemble des enfants dans de strictes conditions d’égalité.
L’aliénation, si tant est qu’elle existe, est souvent ancrée en nous de façon si profonde que seules des méthodes parfaitement inhumaines semblent pouvoir la tuer ou la réduire. On sent bien aussi le côté inhumain des thèses d’Elisabeth Badinter, qui, voulant lutter contre l’aliénation maternelle, nie la composante instinctuelle, présente dans un grand nombre d’espèces animales, qui donne envie à une mère de s’occuper de son enfant.
Le problème, c’est que même si les autres (aliens) sont un enfer, il n’y a probablement pas de bonheur possible sans aliénation.
(1) Voir les remarques de PBD sur les boucles longues et les boucles courtes. Ici, il n’y a pas de boucle – ou alors, c’est une boucle à l’échelle de l’évolution, sur une durée d’au moins 1000 fois la vie de l’individu.
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