Laurence de Cock et Riposte Laïque: même combat 11 février 2018
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 6 111 fois | ajouter un commentaire
Je résume.
Episode 1 : Laurence de Cock (LDC), enseignante un peu frappadingue à mon avis, qui se signale par une grosse présence et des messages très agressifs sur Twitter, tourne une vidéo YouTube sans avoir visiblement bien conscience que cette vidéo la ridiculise elle-même tant tout y est étriqué : le point de vue, le style, le ton ampoulé, sans parler du tic exaspérant de LDC pour remettre en place ses lunettes. La vidéo « Vade Retro Sarrasinas Que s’est-il passé à Poitiers ?» est une sorte de tentative de déconstruction du « mythe national » qui serait enseigné aux écoliers français. L’objectif est de démontrer que la phrase « Charles Martel a arrêté les arabes à Poitiers » est excessive et LDC consacre 10 minutes lourdingues à nous « démontrer », grimaces à l’appui, que 1) ça s’est passé près de Poitiers et non pas à Poitiers, 2) des éléments de politique intérieure (entre le prince Eudes et Charles Martel) doivent être pris en compte et 3) il n’y avait pas réellement invasion arabe, on peut tout au plus parler d’incursion. L’avenir de la chrétienté n’était nullement en cause et donc le slogan retenu n’est qu’un message mythique, « inventé par la 3ème République », « favorisant les thèmes d’extrême droite » (7mn55s).
Episode 2 : Riposte laïque, une association qui l’air de se sentir visée dès qu’on parle d’extrême droite, monte au créneau, dénonce Laurence de Cock et demande son renvoi de l’Education Nationale (ça ne coûte rien d’essayer).
Episode 3 : Laurence de Cock et toute la mouvance auto-intitulée « anti-fachosphère » (1) dénoncent les attaques « gravissimes », « inqualifiables », « brunes » qui rappellent « les pires heures de notre histoire », etc.
Je vous prie de le croire, les tweets sont martiaux et personne ne se laissera impressionner ! Très grand frisson et no pasaran ! Tous, droite et gauche, en appellent évidemment à Jean-Michel Blanquer, qui devra déployer des trésors d’habileté pour se sortir de ce merdier.
Une thèse commune à LDC et Riposte Laïque : l’hérédité du mérite
LDC et Riposte Laïque sont d’accord sur au moins un point. Il serait très important de déterminer, aujourd’hui, si Charles Martel a réellement arrêté les arabes à Poitiers. Pour Riposte Laïque, il y va sans doute de notre « fierté nationale » et la performance de Charles Martel honorerait alors tous les français ici et maintenant (surtout s’ils sont, semble-t-il, blancs et de souche). Cette vision d’un mérite « héréditaire » est évidemment absurde pour un grand nombre de raisons que je ne vais pas détailler ici.
Mais ce qui est étrange, c’est que LDC adopte elle aussi, de fait, cette vision. Son point de vue est destiné à éviter l’humiliation aux musulmans d’aujourd’hui (vus comme les héritiers des arabes d’hier). Pour éviter cette humiliation ou tout amalgame, il convient de dire que les arabes d’hier n’avaient pas de volonté de « grand remplacement » (terme employé par LDC dans sa vidéo) et qu’il s’agissait non pas d’une conquête mais d’une simple « incursion ». Ce qui se cache en creux derrière cette tentative de démonstration, c’est que LDC pense qu’il est important de déterminer les motivations des arabes d’hier pour démonter les arguments de l’extrême-droite face aux arabes d’aujourd’hui. Là aussi, cette possibilité de transmission héréditaire d’une (soi-disant) culpabilité arabe est d’une rare bêtise – le problème, c’est que LDC, comme Riposte Laïque sans doute, y croit. Sinon, elle ne dépenserait pas autant de temps à réaliser ses vidéos.
Et donc, on a le paradoxe suivant :
Dans le pays qui a aboli les privilèges héréditaires, qui a réduit en ridicule la notion de « mérite hérité » depuis Beaumarchais (dont Bourdieu est un des héritiers), extrême-gauche et extrême-droite se rejoignent en ceci qu’ils croient tout deux que le mérite, ou l’humiliation, sont de fait transmis à travers les générations. Au lieu de prendre la distance nécessaire, ils rejouent, finalement, la bataille de Poitiers (en y introduisant un zeste de 2ème guerre mondiale).
Que vaut la thèse historique de Laurence de Cock ?
Déconstruire une thèse simpliste « Charles Martel arrête les arabes à Poitiers » n’a de sens que si on la remplace par une thèse plus éclairante. En l’occurrence, pour LDC, « Charles Martel n’a pas arrêté les arabes à Poitiers, car les arabes ne voulaient pas envahir l’Europe, ils étaient dans une logique d’intrusion » et « le Prince Eudes a été effacé des tablettes pour des raisons de propagande politique ». A l’appui de cette thèse, LDC cite un bouquin français où elle a « tout pompé » (sic !) : le « Charles Martel » édité par Libertalia (dont l’auteur, non lisible dans la vidéo, a semble-t-il très peu d’importance pour LDC).
Qu’en est-il réellement ? J’ai repris un de mes livres de chevet, l’Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, de Gibbon, qui parle au chapitre 52, des invasions arabes (2).
Je rappelle que Gibbon est un anglais, qui n’a que faire du soi-disant roman national français. C’est un des plus grands historiens de tous les temps et ses nombreuses sources sont précisées dans le texte lui-même, à chaque page. Sa position vaut donc bien, pour moi, celle de Laurence de Cock ou de Libertalia. Je cite simplement quelques passages de ce livre. Qu’apprend-on ?
- le sud de la France était déjà occupé de façon permanente par les arabes (rappelons que les conquêtes espagnoles étaient toutes récentes, début des années 700 et que les arabes sont restés des centaines d’années en Espagne. On ne peut donc parler d’incursion).
« Les vignobles de la Gascogne et des environs de Bordeaux devinrent la possession du souverain de Damas et de Samarcande, et le midi de la France, depuis l’embouchure de la Garonne jusqu’à celle du Rhône, adopta les mœurs et la religion de l’Arabie. »
- Sur les ambitions du chef arabe Abderame, qu’évoque LDC
« Ce vieux et intrépide général destinait au joug du prophète le reste de la France et de l’Europe ; et, se croyant certain de vaincre tous les obstacles que lui pourraient opposer la nature ou les hommes, il se disposa, à l’aide d’une armée formidable, à exécuter l’arrêt qu’il avait porté ; »
- Sur les victoires initiales d’Abderame
Abderame passa le Rhône sans perdre de temps, et mit le siége devant Arles. Une armée de chrétiens voulut secourir cette ville ; on voyait encore au treizième siècle les tombeaux de leurs chefs, et le fleuve rapide entraîna dans la Méditerranée des milliers de leurs cadavres. Abderame n’eut pas moins de succès du côté de l’Océan. Il traversa sans opposition la Garonne et la Dordogne, qui réunissent leurs eaux dans le golfe de Bordeaux ; mais il trouva au-delà de ces rivières le camp de l’intrépide Eudes qui avait formé une seconde armée, et qui essuya une seconde défaite si fatale aux chrétiens, que, de leur aveu, Dieu seul pouvait compter le nombre des morts…
…
[A noter que Gibbon relate la création du « mythe » national, sans en faire tout un plat, lui]
La tradition a conservé longtemps le souvenir de ces ravages, car Abderame n’épargnait ni le pays ni les habitans ; et l’invasion de la France par les Maures et les musulmans, a donné lieu à ces fables, dont les romans de chevalerie ont dénaturé les faits d’une manière si bizarre
- Sur les conséquences, enfin, de la victoire de Charles Martel
Les Sarrasins s’étaient avancés en triomphe l’espace de plus d’un millier de milles, depuis le rocher de Gibraltar jusqu’aux bords de la Loire ; encore autant, et ils seraient arrivés aux confins de la Pologne et aux montagnes de l’Écosse: le passage du Rhin n’est pas plus difficile que celui du Nil et de l’Euphrate, et d’un autre côté la flotte arabe aurait pu pénétrer dans la Tamise sans livrer un combat naval.
Les écoles d’Oxford expliqueraient peut-être aujourd’hui le Koran, et du haut de ses chaires on démontrerait à un peuple circoncis la sainteté et la vérité de la révélation de Mahomet.
Et donc, la thèse de Laurence de Cock n’est en rien plus éclairante que le message donné aux écoliers français depuis longtemps. Elle complique inutilement la réalité et surtout la travestit, à des fins idéologiques que Laurence de Cock, « historienne », ne perçoit probablement même pas consciemment.
Ce qu’il faut enseigner aux enfants, avant tout, c’est bien que Charles Martel a arrêté les arabes à Poitiers.
(1) En vrac et dans le désordre, Daniel Scheidermann, Michel Lussault, Philippe Watrelot, etc.
(2) texte complet en ligne, à partir de https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gibbon_-_Histoire_de_la_d%C3%A9cadence_et_de_la_chute_de_l%27Empire_romain,_traduction_Guizot,_tome_10.djvu/360 jusqu’à https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gibbon_-_Histoire_de_la_d%C3%A9cadence_et_de_la_chute_de_l%27Empire_romain,_traduction_Guizot,_tome_10.djvu/380)
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Bienvenue au Bett Show, le salon où le délire technologique remplace l’intention pédagogique 1 février 2018
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 7 fois | ajouter un commentaire
Le Bett Show est le plus grand salon éducatif européen. Il rassemblait la semaine dernière un millier d’exposants et, comme tous les ans depuis 2005, j’y ai passé une journée. En une journée, on a le temps de voir à peu près la moitié des stands, la plupart d’assez loin. J’ai donc pu rater des choses intéressantes, mais voici les principales tendances – illustrées – du salon.
La réalité virtuelle
Jamais, je n’ai vu un Bett avec une telle concentration de nouvelles technologies. Au moins 200 stands consacrés à la robotique (nom de code STEM : Science, Technology, Engineering and Mathematics). Sous ce terme fourre-tout, on peut caser un peu tout et n’importe quoi, évidemment.
Des dizaines de stands consacrés à la réalité virtuelle – mais personne, sur le salon n’a été capable de m’expliquer en quoi l’expérience « immersive » proposée, dont j’admets qu’elle est parfois en tous points remarquable, améliorerait en quoi que ce soit le niveau ou même les connaissances de l’élève. Poser cette question paraît même un peu incongru.
Personne ne semble remarquer que la première conséquence de ces lunettes 3D est de rendre l’enfant aveugle en le coupant de son environnement réel. Une des tendances actuelles de l’école semble être d’éloigner l’enfant du réel, alors qu’elle devrait au contraire permettre à l’enfant d’appréhender le réel. Il y a trois ans, l’Education Nationale a tout fait pour que l’éclipse, un des phénomènes naturels les plus grandioses ne soit pas vue des élèves. En 2016, le pays de Pasteur a interdit la dissection en classe de sciences naturelles au nom du fumeux « respect du vivant » (terme utilisé tel quel sur le site de l’Education Nationale). De la maternelle à l’enseignement supérieur, il y a peu de phénomènes plus faciles à observer, plus riches à commenter, plus propres à susciter des vocations que l’éclipse ou la dissection des grenouilles. Les lunettes 3D symbolisent de façon quasi- parfaite l’évolution, au niveau mondial, de l’école vers un certain obscurantisme – terme à prendre ici dans un sens on ne peut plus littéral. Cet « en avant vers le passé » avance masqué derrière une apparence de modernité (ici, les nouvelles technologies et le principe de précaution).
“J’ai tout vu au Bett – Non, tu n’as rien vu.” – Extrait de “Bett 2018, mon amour”.
L’absence d’intention pédagogique
Pour un grand nombre de technologies proposées au Bett, la fonctionnalité « intelligence artificielle » est glorieusement mise en avant. Beaucoup de sociétés proposent ainsi des cursus scolaires adaptatifs et personnalisés grâce à l’intelligence artificielle et aux « algorithmes adaptatifs » (adaptive learning). Mais s’avèrent incapables d’informer sur la nature et l’étendue des choix faits par l’ordinateur pour proposer le contenu à l’élève. Là aussi, poser la moindre question semble incongru. « L’algorithme est adaptatif, mon bon Monsieur, que voulez-vous qu’on vous dise de plus ? »
De tout ceci, on peut tirer une première règle générale :
Plus l’accent est mis sur la technologie dans une présentation, plus l’intention pédagogique est absente – dans la plupart des cas, le délire technologique ne fait que purement et simplement masquer l’absence totale d’intention pédagogique.
Que verrez-vous au Bett l’année prochaine ?
La conséquence de cette règle est la suivante :
Comme la plupart des sociétés ne cherchent qu’à recycler les technologies qui font le buzz actuellement pour les présenter dans un contexte vaguement éducatif, il est extrêmement simple de prédire de quoi seront faits les Bett 2019, 2020, 2021.
Je prédis en vrac, dans le désordre: les applications de la blockchain à l’éducation (whatever that means), le « machine learning » et les objets connectés (qu’on rencontre d’ailleurs d’ores et déjà assez fréquemment).
Et Speechi dans tout ça ?
Je voudrais en profiter pour répondre à des remarques qu’on me fait souvent à propos des articles critiques publiés dans ce blog. Il y aurait une contradiction entre mes critiques et la mission de Speechi, qui est d’utiliser justement ces nouvelles technologies pour améliorer la transmission du savoir. Certains me reprochent de « cracher dans la soupe », d’autres me félicitent de montrer tant d’objectivité qu’ils supposent contraire aux intérêts de Speechi (autrement dit, ils pensent eux aussi que je crache dans la soupe, mais ils m’en félicitent !).
Il n’y a en réalité aucune contradiction.
L’éducation sera profondément impactée par les nouvelles technologies et j’ai grand espoir qu’elle le sera pour le mieux, d’une façon réellement utile aux élèves. C’est le métier de Speechi de participer, même très modestement, à cette grande aventure. Mais ce grand espoir n’est pas une croyance, pas une foi intrinsèque de nature « religieuse » : la technologie a des bons et mauvais côtés; elle est parfois inutile voire contre-productive ; elle est toujours coûteuse; elle est aussi, tous ceux qui lisent ce blog le savent, soumise à divers lobbies dont l’intention pédagogique est nulle.
Je m’oppose donc régulièrement à ceux qui ont une foi, à mon sens irraisonnée, en la technologie, qui croient que toute introduction de nature technologique dans la salle de classe est bonne.
Cette croyance « a priori », irraisonnée et aveugle dans les bienfaits de la technologie, je l’appelle pédago-scientisme.
Il m’arrive aussi, me direz-vous, de critiquer nos propres produits. Oui car nous ne faisons pas toujours bien les choses. Parfois (trop souvent !) nous pouvons laisser de côté cette fameuse « intention pédagogique » et le fait est que nous n’en souffrons pas toujours immédiatement en tant qu’entreprise : il est assez frustrant pour moi en fait de constater que le succès commercial des solutions que nous proposons n’est pas forcément lié à leur intérêt pédagogique réel.
La critique de ce que nous faisons reste nécessaire pour au moins deux raisons : d’abord, il faut progresser, toujours et si nous n’arrêtions pas de nous féliciter, si nous manquions trop d’esprit critique, nous n’arriverions jamais à avancer. Publier ce que je pense réellement constitue souvent une sorte d’électrochoc salutaire pour réellement progresser.
Ensuite, il y a quand même pour nous un besoin de crédibilité et d’expertise. Je sais bien que le marketing peut faire beaucoup, mais si nous avions simplement sauté sur notre chaise depuis 10 ans comme des cabris en criant « tableau interactif, tableau interactif ! », je pense que nous serions tout simplement moins crédibles aujourd’hui.
Et donc, dans la mesure où ma “franchise” n’est pas contraire aux intérêts de l’entreprise, où je trouve même qu’elle est utile à l’entreprise, je n’ai aucun mérite personnel à être franc. Nous sommes simplement dans un cas où intérêt et morale se rejoignent.
Notre objectif reste toujours d’introduire des produits ayant une intention pédagogique réelle, de les évaluer, de les critiquer de façon à avancer. Nous nous trompons parfois mais l’erreur n’est pas honteuse en elle-même. Ce qui serait honteux serait de la masquer volontairement. Ce qui serait stupide serait de la nier par manque d’objectivité. Il est de toutes les façons beaucoup plus facile d’accepter les critiques qu’on se fait à soi-même que celles des autres. Les critiques, comme dit Cyrano :
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