Les « accommodements raisonnables » de la Cour de Justice européenne (Affaire ETAM) 14 mars 2019
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 5 569 fois | ajouter un commentaire
Une entreprise est fondée à refuser d’engager une personne, ou à la licencier, s’il est précisé dans son règlement intérieur que la neutralité politique et religieuse s’impose, particulièrement quand il y a un contact avec la clientèle. Telle est la position de la Cour de Justice européenne.
Or, cette position est absurde en raison.
En effet, soit refuser le port du voile induit une vraie discrimination vis à vis de la personne voilée et dans ce cas, le refus de cette discrimination s’impose à l’entreprise de plein droit, même si cela va à l’encontre de l’intérêt économique de celle-ci. Une entreprise ne peut en droit, par exemple, invoquer la couleur de peau pour refuser d’embaucher un vendeur, même si son principal client est le KKK. Et c’est très bien, car ce faisant, elle importerait la discrimination promue par le KKK dans l’entreprise. Elle deviendrait ainsi elle-même vecteur de cette discrimination.
Soit refuser le port du voie dans l’entreprise n’est pas une discrimination (mais plutôt l’application du droit des autres salariés à ne pas subir de pression religieuse indue) et dans ce cas, ce droit s’impose à l’intérieur de l’entreprise, partout, même pour les femmes voilées qui ne sont pas en contact avec les clients.
Au final, la position de la Cour de Justice est un « accommodement raisonnable », sauf que justement, il n’est pas raisonnable. Ce n’est pas non plus, on le voir dans l’affaire ETAM, un accommodement. L’esprit politique et religieux de l’Islam intégriste lui permet de tirer, avec un grand talent, toutes les conséquences des incohérences des démocraties occidentales.
C’est un signe très sûr que la loi doit absolument changer. Il faut s’y atteler. Quand le droit n’est pas basé sur la raison et l’éthique,il est source de troubles et dégénère en rapport de forces pur.
De quoi la législation européenne est-elle le nom ?
La position de la Cour de Justice marque simplement sa soumission à l’intérêt économique de l’entreprise. C’est lui et lui seulement qui fixe pour le juge la limite du droit de porter le voile. Le juge n’a pas considéré le problème éthique, le problème posé vis à vis de la laïcité mais simplement l’intérêt économique étroit de l’entreprise.
En résumé, voici ce que dit le juge européen: « si cela ne nuit pas aux ventes, soit ! ».
J’ai aussi retrouvé cette citation de Saladin, qui date de 1174 car on ne saurait mieux dire.
« Il n’est pas un seul des soldats-marchands de Gênes, Pise, Venise qui ne vienne aujourd’hui nous apporter les armes avec lesquelles il nous combattait, pas un qui ne recherche notre faveur par l’offre de ses richesses et des plus beaux produits de son industrie. Nous avons établi de bons rapports avec eux et conclu des traités de commerce avantageux en dépit de leur résistance et en plaçant nos intérêts au dessus des leurs ».
Saladin (et non pas Lenine) à propos des marchands italiens (et non pas de Décathlon, d’Etam ou de la Cour de Justice européenne)
Billets associés :- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Comment bien voter le 29 mai
- Les points communs et les différences entre le Capital Altruiste et l’entreprenariat social de Mohammed Yunus
- Un point de vue de néophyte sur Outreau
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
Le directeur de l’éducation de l’OCDE confond éducation et élevage 2 mars 2019
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 5 fois | ajouter un commentaire
C’est le prototype même de la mauvaise question. Le directeur de l’OCDE estime que c’est une perte de temps d’apprendre aux enfants à coder car dans le futur, cette compétence ne leur sera pas utile au travail.
Derrière cette affirmation, quelle qu’en soit la pertinence, il y a le présupposé suivant : l’école est uniquement là pour former professionnellement les enfants. Tout ce qui n’est pas professionnel n’est pas du domaine de l’école.
C’est une grave erreur. Une erreur que répète de façon constante l’OCDE dans toutes ses analyses d’ailleurs.
La plus-value économique, professionnelle, n’est pas l’objectif premier de l’école, qui depuis Jules Ferry a d’abord eu pour but de former des citoyens libres, au sens du premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
La liberté réelle du citoyen dérive directement de sa capacité à comprendre le monde. C’est bien pour cela qu’on enseigne aux enfants un tas de choses « inutiles » (du moins au travail). La philosophie, le latin et même les mathématiques, comme le prétendait cet imbécile de Ferry, ancien ministre de l’Education Nationale, (Luc, pas Jules), sont, en premier ressort, des matières totalement « inutiles ».
L’informatique est devenue une science de base. Une connaissance de la programmation est nécessaire pour l’étude de presque toutes les autres sciences (chimie, biologie, physique, médecine…). C’est à ce titre, parce que le l’informatique est devenue une science fondamentale, que le codage, clé d’accès à cette science, doit être enseigné à l’école – dès la 6ème, comme je le martèle depuis 10 ans dans ce blog. Ne pas l’enseigner à l’école, c’est donner un retard aux enfants pour l’apprentissage de presque toutes les sciences.
L’école, au sens républicain du terme, est conçue pour les enfants, dans leur intérêt. C’est le don que la génération actuelle fait à la génération future. L’école doit traiter les enfants comme des êtres humains au plein sens du terme, non pas comme un simple matériau qui sera économiquement nécessaire, plus tard, au monde du travail. A partir du moment où l’école cherche à apprendre aux enfants des choses pour la seule raison qu’elles sont « utiles professionnellement », le don désintéressé, raison d’être de l’école républicaine, devient un investissement méprisable. L’école est une entreprise d’émancipation humaine, pas un l’élevage de poulets humains en batterie.
Voilà pour ce qui est de la fonction première de l’école. Il y a un autre argument qu’on oublie trop souvent, et que l’OCDE oublie toujours, c’est que dans un monde en transformation technique rapide comme le nôtre, les savoirs dits « inutiles » sont les seuls qui durent, en raison de leur caractère intemporel. Le triangle rectangle restera, de tout temps, inscrit dans son demi-cercle. Le latin permettra toujours de mieux comprendre notre langue, notre histoire, notre culture. Stimulant notre cerveau, il nous rend aussi plus intelligent pour toujours. La philosophie et le français continueront, demain comme aujourd’hui, à nous aider à comprendre le monde qui nous entoure.
Un enfant à qui on apprend une « compétence » (j’emploie le terme de l’OCDE) telle que « se servir du logiciel Word » ou « savoir taper à la machine » a toutes les chances d’aller à l’école pour rien, puisque dans 10 ans, cette compétence sera devenue inutile. Un enfant à qui apprend quelques grands principes fondamentaux mais valables de tout temps a une capacité d’adaptation professionnelle beaucoup plus grande.
Finalement, plus la technique prend de l’importance dans le monde, plus le scientifique, le fondamental, les savoirs généraux sont indispensables à l’école. L’efficacité économique, quoi qu’on veuille nous faire croire, est profondément corrélée à l’intérêt long terme de l’enfant. La vision la plus généreuse de que nous pouvons avoir de l’école est aussi la plus productive.
Billets associés :- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu
- Les conséquences sociales des évaluations sur les enseignants et sur la liberté pédagogique
- Du principe de Peter et autres âneries
- Dialogue en faveur de l’évaluation