Les statuts altruistes et l’indice altruiste constant 22 novembre 2008
Par Thierry Klein dans : Entreprise altruiste.Lu 11 903 fois | trackback
Le premier but de l’Association Capital Altruiste était de réaliser des statuts altruistes, librement utilisables par tout entrepreneur intéressé.
Les statuts altruistes sont au Capital Altruiste ce que la licence Open Source est au logiciel libre: ils fixent un cadre d’action et rendent les choses possibles.
Leur rédaction est maintenant presque terminée et je publierai les statuts altruistes complets la semaine prochaine, dans le cas d’une SAS.
J’en explique les principes ci-dessous. C’est un sujet un peu technique, mais beaucoup de questions qui me sont posées tournent autour de ça.
Qu’est-ce que l’indice altruiste ?
L’indice altruiste est égal au pourcentage que représentent les actions altruistes par rapport au nombre total d’actions composant le capital social. Ces actions constituent la « classe d’actions altruiste » et ont des droits et des devoirs spécifiques.
Il mesure l’engagement humanitaire permanent de la Société, c’est-à-dire la quote-part du capital social dévolue à des organisations humanitaires. C’est le pourcentage de la société que les associés ont donné « à l’Humanité » (représentée par l’ONG qu’ils ont choisie).
Principe d’invariance
Les statuts d’une société altruiste posent le principe de l’indice altruiste constant, pour toute la durée de vie de la société. Ceci veut dire qu’en cas d’augmentation de capital, des parts altruistes doivent être créées et ces parts apportées à des ONG (choisies par les financeurs de l’augmentation de capital).
Les méthodes pour créer ces parts et pour les donner sont évidemment multiples et au libre choix des actionnaires et des donateurs. Cette liberté permet au donateur de choisir la méthode la plus intéressante (par exemple, une méthode qui permet d’obtenir une déduction fiscale).
Autrement dit, une société qui démarre donnant 5% du capital social à une ONG gardera toute sa vie cet « engagement », même après de multiples restructurations, augmentations de capital, etc…
Que se passe-t-il lorsque l’ONG souhaite vendre ses actions ?
L’ONG actionnaire peut souhaiter, à un moment, vendre ses actions à un actionnaire économique. Mais la vente de ces actions ne change pas leur « classe », autrement dit, ces actions restent altruistes, même si l’acheteur est un acheteur purement économique. L’indice altruiste ne change donc pas lors d’une simple vente d’actions altruistes.
Ceci peut sembler paradoxal puisqu’on peut se retrouver alors avec une société altruiste sans ONG au capital.
Pourquoi ce choix « paradoxal » ?
L’indice altruiste représente l’engagement des actionnaires de la société. Si les actionnaires ont à un moment donné 20% du capital à une ONG, il serait injuste de les pénaliser la société lorsque l’ONG décide d’en retirer quelque chose – cette décision est tout à fait arbitraire et leur échappe totalement. En quelque sorte, si l’ONG revend ses actions, le don n’est pas annulé mais accompli et l’entreprise ne change pas de statut.
Tout choix différent, outre qu’il serait injuste et arbitraire pour les donateurs, pénaliserait aussi l’ONG qui n’aurait plus la possibilité de vendre librement ses actions – d’où une baisse de la valeur des actions altruistes.
Or le Capital Altruiste vise à apporter toute la valeur en capital possible à l’ONG, qui a de multiples garanties sur ce point dans les statuts.
Exception au principe altruiste
Il n’est possible de déroger au principe altruiste que si 80% des actionnaires le souhaitent.
L’idée est de permettre à une société en difficulté de réaliser une augmentation de capital « classique », sans avoir à obliger un investisseur d’investir dans une ONG. Le but du Capital Altruiste n’est pas de bloquer le fonctionnement d’une société – là encore cela pourrait faire baisser sa valeur ou la conduire à disparaître, avec toutes les conséquences négatives pour l’ONG actionnaire.
Dans ce cas, la société a l’obligation de prévenir l’Association Capital Altruiste, de façon à ce qu’un nouvel indice altruiste lui soit attribué.
Je rappelle que le but de l’Association Capital Altruiste n’est pas d’imposer l’indice altruiste, mais de le labelliser, de faire en sorte que nulle société ne puisse se prévaloir d’un don ou d’un engagement qui n’a pas été réalisé. Il s’agit avant tout d’obtenir une grande transparence sur les engagements et de s’écarter du phénomène « humarketing« .
Garanties dont jouissent les ONG sur la valeur des actions qu’elles possèdent.
Tout est fait, dans les statuts, pour que l’ONG ne soit pas lésée lorsqu’il y a mouvement de capital. L’ONG est assurée que ses actions valent le même prix que celles des actionnaires économiques.
Les ONG possèdent un droit de sortie et un droit de suite lors de toute vente d’actions. Ceci veut dire que si un actionnaire vend 10% de ses actions, l’ONG a le droit de vendre 10% des siennes à l’acheteur, au même prix. Si l’ONG vend ses actions à un actionnaire de l’entreprise, et que celui-ci réalise une plus-value dans les 6 mois suivant l’opération, la plus-value est due à l’ONG.
Les droits de vote de l’ONG
Les droits de vote de l’ONG peuvent être modulés dans les statuts en fonction de la volonté des donateurs, lors de la création des actions altruistes. L’idée encore une fois est de ne jamais pénaliser la valeur de l’entreprise, car c’est elle qui crée la valeur pour l’ONG.
Je trouve normal que le chef d’entreprise ait des craintes s’il se retrouve avec un acteur non économique dans son capital et je n’ai pas voulu que des chefs d’entreprise renoncent à donner à cause de ce point.
Je répète encore une fois : le Capital Altruiste vise à donner aux ONG de la valeur, une capacité d’ingérence économique pour mener à bien leurs programmes.
Dans tous les cas, voir ci-dessus, ce qu’on ne peut pas faire, c’est réduire la valeur des actions de l’ONG par-rapport à celle des autres actionnaires.
Que se passe-t-il si l’entreprise altruiste fait faillite ? L’ONG doit-elle couvrir les dettes ?
Non. Un actionnaire n’a pas à couvrir les dettes d’une société. En cas de faillite, ses actions perdent leur valeur, point final.
Quelle est la forme juridique d’une entreprise altruiste ?
Les statuts concernent une SAS. La raison est que le droit des SARL, EURL et SA est très rigide. Il est tout à fait possible de réaliser une SARL altruiste, mais cela passerait plutôt par des pactes d’actionnaire. Je rappelle d’autre part qu’il sera possible dès janvier 2009 de créer des SAS avec 1 € de capital, ce qui rendra la formule accessible à tous.
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Commentaires»
Ca se précise ! Bravo. Je continue à suivre tout ça de près pour ma propre boîte. Histoire d’essayer de contribuer, voici quelques remarques et questions qui me viennent à l’esprit :
– on décrit ici les statuts et donc une situation désirée, mais as-tu déjà posté quelques idées concernant le chemin qui mène à cette situation : comment fait-on pour contaminer l’économie avec le concept de capital altruiste ?
– forcément, j’aime bien le parallèle entre ce projet de clauses statutaires et les licences libres ! 🙂 A noter : il convient de parler de licence libre et non de licence open source. En effet, il existe des logiciels dont les codes sources sont publics (open source) mais dont les licences sont propriétaires (non libres).
– le fait d’impliquer une association (l’association capital altruiste) dans un rôle de central et obligatoire du dispositif me pose problème ; je préfèrerais qu’aucun acteur central n’ait de rôle obligatoire dans le système : cela me semble réduire la liberté des participants ainsi que, surtout, la robustesse et la « scalabilité » du système. Ceci n’est qu’une intuition. Pour faire un parallèle un peu hâtif, la Free Software Foundation ne joue aucun rôle juridique dans le fait qu’un bénéficiaire d’un logiciel libre (utilisateur…) conclut une licence libre avec ses auteurs. Qu’une association tierce joue un rôle important dans le système est une bonne chose : promotion du concept, référence morale, soutien juridique, etc. Mais qu’une association joue un rôle « obligatoire » de gardien et « d’attributeur d’indice » me semble dangeureux et peut-être superflu. Pourquoi ne pas simplement obliger les sociétés à publier certaines infos et à rendre la méthode de détermination de l’indice publique plutôt que de rendre l’indice attribuable par une association centrale ? Ne pourrait-on pas remplacer ce rôle obligatoire par une obligation de certification publique par un commissaire aux comptes, un notaire, un huissier ou un autre professionnel de ce genre ?
Voila pour mes idées du moment.
Il me tarde de suivre le prochain épisode…
Bonjour Sig,
Tout ça, ce sont de très bonnes questions. Sur la stratégie que je suis actuellement pour « contaminer » l’économie, tel un gros virus, elle est publiée ici.
Tu as raison, il vaut mieux parler de logiciel libre plutôt qu »Open Source.
Sur l’Association comme acteur central. Tes remarques sont 100% valables et je me les suis faites aussi. Simplement:
– je suis très très méfiant quant à l’immense capacité des sociétés à détourner le concept, c’est à dire à s’en réclamer sans l’appliquer. Je pense que c’est une des lois de l’économie, une entreprise cherche à valoriser son image à moindre coût. Les moyens financiers pour « donner l’impression qu’on fait du Cap. Altr. sans le faire » sont infinis et le libéralisme pousse en ce sens, ce que, d’ailleurs, je ne condamne pas forcément. Je cherche à créer une parfaite transparence et, pour l’instant, je pense que ça ne se délègue pas car c’est un des deux points clés du Cap Altr (l’autre étant l’efficacité du don en Capital). Ceci dit,
– l’indice altruiste est une notion très simple et l’Association ne le fixe pas ni n’empêche sa modification. Elle est simplement notifiée. On a fait très attention à ce que l’Association ne soit pas un acteur de la vie de l’entreprise.
– en cas de doute, la certification sera faite par des experts tels que tu les désignes (mais des experts NEUTRES, pas financés par l’entreprise). Quand il y aura des millions d’entreprises, un jour j’espère, on verra.
– je suis à la fois très admiratif et très critique sur la FSF. A mon avis, le libre souffre de multiples « déviances » qu’on aurait pu éviter, d’un lourd problème économique car très peu d’entreprises réussissent à en vivre et, sur certains points, de rigidités idéologiques qui nuisent à sa divulgation. Bref, j’essaie de m’en inspirer mais, si possible, en faisant mieux.
Surtout, si l’Association est une référence morale, il faut qu’elle ait les moyens de contrôler la façon dont on utilise son nom, il me semble que c’est le minimum pour être crédible.
Salut Thierry!!!
C’est William.. Lequel? (ca commence par P. et ca a travaillé sur EDF en premier boulot).
C’est beau Internet! Ce que tu fais est G-E-N-I-A-L !
Files moi ton Email! (j’espere que les commentaires sont modérés 🙂 ), que j’évite de te poluer le blog.
[…] déjà expliqué tous les principes juridiques qui régissent ces statuts altruistes. Je vous renvoie à ces […]