Une étude criminelle sur le coronavirus à l’APHP Paris 7 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 593 fois | ajouter un commentaire
Dans cette étude menée la semaine dernière à l’APHP Paris sur 11 patients positifs au coronavirus, le protocole testé est celui de Marseille (hydroxychloroquine et azithromycine).
Oui, mais :
– 8 patients sur 11 présentaient une maladie grave qui aurait dû constituer un critère d’exclusion, médical ou éthique, au traitement à l’hydroxychloroquine (obésité, cancer, HIV…)
– 10 patients sur 11 étaient déjà à un stade de maladie très avancé (devant être mis sous ventilateur). Or on sait que ce traitement agit en priorité aux stades peu avancés de la maladie ; il empêche le basculement vers les cas les plus graves.
Et donc, par conséquent, les mêmes causes ayant les mêmes effets :
– Un patient est mort, sans qu’on sache bien si c’est le traitement qui l’a tué ou le corona
– Un patient a dû stopper le traitement (arythmie cardiaque très probablement liée au traitement)
– 8 patients sur 10 encore positifs après 6 jours de traitement.
L’étude conclut (évidemment…) à l’échec de l’expérience.
Je ne suis pas médecin, mais ayant simplement lu les études Raoult, je pouvais le prédire, je n’avais nul besoin d’avoir une telle confirmation avec un coût humain aussi élevé. A quoi joue-t-on ? De telles études sont criminelles. Je n’ose croire à la malveillance, à la volonté de simplement discréditer le traitement marseillais; il s’agit de médecins dont le comportement éthique est bien évidemment soumis aux plus hauts standards. Mais alors, ces médecins sont des ânes.
Billets associés :- Grandeur et failles de l’étude Lancet
- Une discussion intéressante (enfin !) sur Twitter
- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Hydroxychloroquine : les américains aussi étudient n’importe quoi
















De Maître Pancrace au Docteur Raoult : la peste et les maladies infectieuses à Marseille 4 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Critiques,Politique.Lu 1 595 fois | 1 commentaire
Pagnol raconte dans une nouvelle, Les pestiférés, l’histoire de Maître Pancrace, ancien médecin du Roy, qui durant la grande peste de 1720 sauva tout le quartier de la colline Devilliers à Marseille.
Ce médecin atypique s’était renseigné avant tout le monde sur les modes de contagion de la peste– il avait observé en particulier que les moines cloîtrés ne l’attrapaient pas. Il avait lu tous les livres et en particulier l’histoire des 19 épidémies documentées – la première source remontant à Thucydide.
Quand l’épidémie se déclara, il fut le premier à la reconnaître et isola immédiatement tout son quartier, une centaine de personnes, se murant derrière des murs et se protégeant avec de l’eau fortement vinaigrée – seule barrière ayant semblé faire ses preuves contre la maladie. Les habitants de la colline avaient constitué plusieurs mois de réserve, mais ils se cachaient des autorités et durent quand même évacuer au bout de quelques semaines.
Pagnol raconte leur fuite de Marseille et les libertés que le médecin dut prendre avec le protocole – déjà – pour les sauver. Quand ils atteignirent le village d’Allauch, on ne décomptait pas le moindre mort dans leurs rangs. La moitié de la population de Marseille, 40 000 personnes, était morte.
(Histoire probablement totalement imaginaire, faut pas rêver non plus, c’est du Pagnol)
Billets associés :- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Mac Kinsey : l’enfant monstrueux de la gauche, de la droite, de l’Europe et d’Hollywood.
- Quelques causes morales de la crise des élites françaises
- Une discussion intéressante (enfin !) sur Twitter
















Ne rejouons pas « Oedipe-Roi » 2 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 198 fois | ajouter un commentaire
« La mort est sur la ville… et en fait un désert » (1)…
On abandonne sans les pleurer, sans les plaindre, les corps gisant sur le sol où ils propagent la mort.
Un chef jeune, talentueux et impulsif…
La situation de Thèbes est très proche de la nôtre. Thèbes est dirigée par un chef jeune et dynamique, Œdipe, marié à une femme bien plus âgée que lui mais dont il a eu 4 enfants. Cinq ans plus tôt, personne ne le connaissait. Il est arrivé là très vite, certains diront que c’est par hasard car il a profité d’une vacance presque miraculeuse du pouvoir en place mais en fait non : il s’est imposé grâce à sa compétence supérieure en répondant à l’énigme de la Sphinx. Il est très conscient de sa valeur, un peu donneur de leçons, impulsif et en permanence,
« il impose à tous le visage de sa supériorité »
La peste l’a pris de cours, il n’a aucune solution concrète à apporter, il est inquiet des conséquencespour le peuple et craint sans doute aussi un peu pour son trône. Le microbe est assimilé à la guerre :
« Pour nous assaillir aujourd’hui
Ares n’a ni épée ni cuirasse »
Œdipe déclare la guerre au microbe et suivra l’avis de son Conseil Scientifique
Alors Œdipe réagit en chef. Quand Créon lui apprend que la Peste est due au meurtre du roi, quelques années plus tôt, Œdipe saute sur l’occasion et s’engage publiquement à débusquer le meurtrier, à le vaincre, mais comment ? Cela semble impossible. Quand Tiresias « La Science », celui qui sait tout et ne se trompe jamais se présente, il déclare, très imprudemment qu’il s’en tiendra à son avis, celui du Scientifique :
Sois le sauveur de l’Etat, mon sauveur…
Nous sommes entre tes mains
La solution est sous les yeux de tous, personne n’en veut
Jusqu’ici, vous ne faîtes je pense que suivre mon regard. Mais ce qui est étonnant dans Œdipe Roi, c’est que Tiresias a vraiment la solution du problème et qu’Œdipe ne l’écoute pas. Quand il apprend la vérité (qui comme prévu, le met en cause), il ne veut rien entendre venant de
« ce charlatan retors qui n’y voit que pour ses profits mais dans son art radicalement aveugle » !
Les raisons de la thèse complotiste d’Oedipe sont doubles : d’abord, il est légèrement paranoïaque à cause de son complexe éponyme donc il soupçonne immédiatement Tirésias la Science de l’accuser avec des objectifs politiques. Ensuite, il raisonne en politique et la manifestation de la vérité toute nue est toujours inquiétante pour le pouvoir. A la grande satisfaction de Freud, Oedipe n’est sans doute pas conscient de ses propres raisons. Le traiter de complotiste, c’est donc s’exposer à l’accusation de populisme – accusation qu’Oedipe fait à Créon, son beau-frère.
Le peuple, alors que Tiresias a fait ses preuves maintes fois, suit Œdipe et retarde aussi la mise en œuvre du remède. Le Chœur décide donc, contre toute évidence (mais en toute bonne foi) qu’il faut rechercher d’autres preuves :
« Eh bien non moi, avant preuve directe,
Jamais je ne saurai admettre
Qu’on incrimine Œdipe ! »
Jocaste comprend beaucoup plus vite mais elle aussi cherche à retarder la découverte de la vérité, par intérêt personnel, parce qu’elle a compris de quoi il en retourne et aussi parce qu’elle cherche l’union sacrée et sent que Thèbes va tout droit vers la guerre civile.
« Ne rougissez vous pas, quand le pays souffre, de remuer des rancoeurs personnelles !
N‘allez pas grossir en tragédie un grief sans consistance »
Dans ce grand drame, ce qui frappe d’abord, c’est l’extrême, l’invraisemblable proximité politique et psychologique entre ce qui se passe chez nous et à Thèbes. Nous aussi, nous sommes dans cette situation totalement absurde où nous avons le remède depuis des semaines et ne l’utilisons pas. Et je n’ai même pas parlé du point plus évident tellement il nous, passez-moi l’expression, crève les yeux. Toute la pièce n’est une mise en scène de l’accusation envers le chef, la peste génère une violence qui se retourne contre le pouvoir. Cette haine délirante qu’on lit tous les jours sur les réseaux sociaux.
Difficulté de croire ceux qui disent que « rien ne sera plus comme avant » alors que tout est déjà comme avant, comme il y a 2 500 ans très exactement.
Supériorité immense des grecs qui ont été capables d’analyser leurs crises alors que nous ne le sommes plus. Rien ne sera comme avant parce que ce sera pire qu’avant.
Et espoir quand même, espoir parce que la vérité s’impose finalement. Elle arrive tard, d’une façon différente de celle qui était attendue, mais finit par s’imposer, comme par défaut.
(1) Toutes les citations sont tirées de la pièce de Sophocle, Oedipe Roi
Billets associés :- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- L’esprit perdu de l’article 28 de la loi de 1905
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Quelques notes sur « les armes de l’esprit »
- Lego, Speechi, Artec et moi : comment nous avons conçu nos robots pédagogiques
















Raoult n’est pas Galilée, mais le Conseil Scientifique est pire que l’Inquisition 29 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 648 fois | ajouter un commentaire
Sur le plan scientifique, il n’y a aucune commune mesure entre Galilée, un des plus grands découvreurs de l’humanité et Raoult, qui est juste un très bon chercheur.
L’excellence scientifique ne protège en rien contre l’erreur. Ni contre les publications faites trop rapidement. Il faut se souvenir que Galilée publiait très rapidement (parfois moins de 15 jours après ses observations) et s’est souvent complètement planté. Ses “Dialogues sur les deux systèmes du monde” fourmillent de graves erreurs, en particulier sur l’explication des marées (ce qui n’empêche pas que le livre soit magnifique). Surtout, si l’Eglise a condamné Galilée, ce n’est pas parce qu’elle pensait que sa thèse était fausse mais « simplement » parce que Galilée n’apportait pas les preuves de ses dires.
Le paradoxe a été le suivant : Galilée a été condamné par un tribunal de savants, majoritairement d’accord avec lui, mais qui a appliqué le droit de l’époque, droit qui disait que les Ecritures ne pouvaient être remises en cause sans preuve. La phrase qu’on prête à Galilée (« Et pourtant, elle tourne ! ») est probablement apocryphe, mais elle aurait sans doute pu être prononcée par la plupart des membres du tribunal le condamnant !
Donc, au moment de la condamnation de Galilée, qui est déjà postérieure aux travaux de Kepler, tout le monde savait, même si la preuve n’était pas disponible. La preuve n’arrivera que plus tard, progressivement, quelque part entre Newton et Foucault.
En ceci, la connaissance du tribunal condamnant Galilée est bien supérieure à celle des médecins et des politiques qui condamnent aujourd’hui Raoult, car ils sont dans l’illusion qu’ils sont « dans la science » et que Raoult est « en dehors de la science », qu’ils ont raison de suivre le protocole et que lui a tort.
Là où le tribunal ecclésiastique était savant, presqu’éclairé, le Conseil Scientifique est ignorant, alors qu’il pense être le produit des Lumières.
L’erreur du tribunal moderne est triple :
- Idolâtrie du protocole. il fait la confusion entre médecine et protocole, alors que le protocole est un moyen, non une fin. Ce que j’ai expliqué dans un précédent billet.
- Confusion entre savoir scientifique et opinion scientifique. Il estime naïvement qu’il y a une frontière stricte entre opinion et savoir scientifique. Or cette frontière est floue. Le savoir scientifique n’est qu’une évolution, sur des années de l’opinion scientifique. Ce que j’ai aussi expliqué dans un précédent billet.
- La bonne décision n’est pas une moyenne, un consensus entre les avis scientifiques, mais le meilleur avis scientifique. Et celui à même de le donner est clairement Raoult, meilleur chercheur français, si ce n’est mondial sur le sujet. Ainsi, la plupart des critiques faites à Raoult (la soi-disant dangerosité de son traitement, l’absence de recherche de l’effet placebo, l’absence d’échantillon de contrôle, différents problèmes de méthodologie) sont évidemment parfaitement connues de Raoult dès le départ. Ces critiques ne prennent pas en compte le fait que, meilleur spécialiste du moment, son avis doit être réputé supérieur aux autres.
En particulier, on ne semble pas voir que les études Raoult ont des conséquences profondes non seulement sur le soin immédiat apporté aux malades, mais sur la stratégie de test et de confinement. Elles sont pourtant écrites en ce sens: si la durée de contagion diminue de 20 j à 6 j, les conséquences positives sur la santé et l’économie sont énormes. Or les résultats sur la durée de contagion semblent mieux établis, dès la première étude, que ceux sur la santé des malades.
Tout ceci justifie très certainement qu’on lui demande de s’expliquer face à ses pairs, rapidement, dans l’heure même qui suit sa proposition de traitement (car il y a urgence, car il y a un certain risque de fraude) mais certainement pas qu’on le mette hors la loi. Or le décret gouvernemental n° 2020-293 du 29 mars 2020 rend de fait Raoult juridiquement coupable de prescrire son traitement à Marseille.
Rappelons que l’Eglise n’avait jamais été jusque là. Elle n’avait jamais prétendu empêcher Galilée de mener ses travaux, elle voulait simplement qu’ils ne soient pas publiés en l’absence de preuve.
Billets associés :- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- L’idolâtrie du protocole
- Une discussion intéressante (enfin !) sur Twitter
- Grandeur et failles de l’étude Lancet
















Du CSA au CS
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 933 fois | ajouter un commentaire
Tous ses membres étant nommé par l’exécutif, le Conseil Scientifique, soi-disant indépendant, ne peut qu’être à la science ce que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est à l’indépendance des media et à la liberté d’expression:
(au choix et successivement)
– un parapluie pour l’exécutif
– un dévoiement de la science
– un organisme partisan
– rien du tout
- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Marie Drucker peut-elle, déontologiquement, coucher avec Béatrice Schönberg ?
- Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu
- L’éternel retour du marketing tel qu’on l’a toujours connu
- Alain Juppé n’est pas Pierre Mendès France
















L’économie, c’est la santé 27 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 025 fois | ajouter un commentaire
il n’y a pas à opposer économie et santé. Le PIB / tête est clairement corrélé à la durée de vie, à la mortalité infantile. Une grave récession tuerait peut-être plus (pour ne pas dire bien plus) que le virus lui-même. Elle pourrait aussi tuer de façon indirecte sous forme de guerre civile ou de guerre.
L’économie n’est que notre forme d’organisation actuelle pour nous permettre de survivre face à la pression que nous met la nature. Nous ne sommes pas dans une logique si différente de celle du chasseur cueilleur préhistorique, mais nous ne nous en rendons plus compte car notre rapport à la nature est devenu indirect, via de multiples intermédiaires.
Que fait le chasseur cueilleur si on le confine 1 mois ? Il meurt. Attention, je suis très inquiet pour la suite, et ce n’est pas par fascination pour l’économie, le travail, l’argent ou le grand capital.
Billets associés :- La valeur travail existe-t-elle ?
- L’échec de la réforme de santé aux USA
- Pourquoi nos dépenses de santé dépendent de la réforme du système de santé américain.
- A la recherche de la valeur travail : le droit à la paresse (1)
- Quelques notes sur « les armes de l’esprit »
















Comment se crée l’opinion scientifique ? 26 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 2 126 fois | ajouter un commentaire
On oppose depuis Platon l’opinion, qui est un jugement porté sans connaissance véritable, à la science, qui tient du savoir.
Le principe de base qui régit la sélection scientifique, la revue par les pairs (« peer review ») est censé protéger l’état de la science, sélectionner justement ce qui tient du savoir, considéré comme un absolu, de ce qui tient de la simple opinion.
Le mécanisme de sélection par les pairs
Cependant, du fait de l’hyperspécialisation des sciences à laquelle on assiste depuis un peu plus d’un siècle, le nombre des pairs, pour chaque spécialité, est très réduit. Souvent ces pairs se connaissent tous. Dans le cas des grandes universités anglo-saxonnes, ils vivent ensemble, se côtoient à la ville et dans les congrès, leurs femmes se côtoient, les cancans sur leur vie privée circulent entre eux, etc. Considéré spécialité par spécialité, le global village, même s’il est mondial, même à l’ère d’Internet, est donc minuscule.
Dans ce village, les opinions des profanes ne sont jamais considérées, même s’ils ont dédié 30 ans de leur vie à étudier les livres des savants. Les opinions des savants des autres disciplines ne sont non plus jamais considérées du fait de l’hyperspécialisation scientifique. Les pressions sociales qui s’y exercent sont intenses (argent, considération, amitiés, jalousies, réputation, lutte entre les générations…) comme dans toutes les activités humaines. Les savants sont des gens très doués, sélectionnés sur examen qui jugent leurs aptitudes supposées à la science, mais pas leur goût pour la vérité. Il y donc aussi des modes en sciences, qui produisent ce qu’il faut bien appeler une opinion moyenne, au sens où l’entend Platon. Même si cette opinion s’appuie sur des données expérimentales, ces expériences sont réalisées dans le village, les a priori qui les sous-tendent ne sont compris que dans le village, nécessitent des appareils coûteux et ne sont interprétées que par les habitants du village. Planck : « Même dans le cas des mesures les plus directes et les plus exactes, par exemple celle du poids ou de l’intensité d’un courant, les résultats ne peuvent être utilisables qu’après avoir subi nombre de corrections dont le calcul est déduit d’une hypothèse».
Le « peer review » échoue donc souvent à différencier « opinion » et « savoir ». Qui plus est, la façon de fonctionner de l’Université actuelle nuit d’une certaine manière au progrès scientifique lui-même.
La forme des publications
Le mode de fonctionnement scientifique actuel semble bien adapté à des évolutions techniques incrémentales. Les savants sont payés pour aller toujours de l’avant, produire de nouveaux papiers sans quoi on n’obtient ni avancement ni prix Nobel. Pourtant Aristote, Galilée, Newton… ont écrit de grands livres et dans le cas d’Aristote et de Galilée au moins, contenant une grande part d’opinion. (C’est une évidence aujourd’hui pour Aristote et dans le cas de Galilée, le Dialogue sur les systèmes du monde, un livre extraordinaire dans sa forme et son impact, est bourré d’approximations et d’erreurs scientifiques, en particulier sur la théorie des marées).
La méthode actuelle à base de publications courtes est une sorte de caricature (perversion) de la méthode expérimentale de Descartes : chaque papier apportant une pierre supplémentaire à l’édifice mais sans jamais un retour sur les fondements. Ainsi, autant que j’en puisse très modestement juger en tant que non habitant du village, en dépit d’avancées techniques absolument uniques depuis un siècle, la physique fondamentales s’est arrêtée depuis la découverte de la relativité et de la physique quantique, chacune résolvant d’un coup un grand nombre de contradictions classiques mais introduisant naturellement de nouvelles contradictions (Platon : « tout ce que l’intelligence humaine peut se représenter enferme des contradictions qui sont le levier par lequel elle s’élève »).
Ce qui se joue ici est plus important que la science même, c’est la notion de vérité, remplacée un peu partout par la notion d’utilité, que ce soit au sein du village ou des autres modes de publication « grand public ». Tout nous ramène à l’utilité, personne ne songe à la définir. Et en fait, l’opinion publique règne aussi dans le village des savants. Nous sommes revenus à la Grèce telle que Platon la décrit dans la République, au point qu’il semble décrire notre époque. L’art de persuader, la publicité, la propagande, le cinéma, le journal, la radio, la télé, Google, Facebook, Twitter tiennent lieu de pensée et ont simplement remplacé Protagoras et les sophistes. Malheureusement, il semble que Socrate, Platon, la tradition pythagoricienne nous fassent défaut.
Comme les savants n’ont souvent qu’une opinion, la politique de Macron, qui consiste à faire reposer toutes les décisions politiques sur les propositions des savants, comme si les savants détenaient le savoir, me paraît d’une très grande naïveté, j’emploie ce mot par modération naturelle mais il faudrait plutôt parler d’aberration ou de grosse connerie. Pourtant cette position politique passe dans l’opinion comme une lettre à la poste en temps de non confinement, elle est très populaire.
L’état de la science, ce n’est certes pas rien. Mais il est toujours un mélange de savoir et d’opinion, la proportion de chaque élément étant inconnue de la plupart des savants eux-mêmes. Les échanges sur les réseaux sociaux montrent que beaucoup sont prêts à suivre presqu’aveuglément l’avis des savants, même lorsque cet avis n’est qu’une opinion Il s’agit ni plus ni moins que d’une forme d’aliénation à l’avis des savants, de servitude. Cette aliénation est très dure à combattre. Ceux qui en sont victimes sont souvent des gens dits bien éduqués qui se vivent comme des héritiers des Lumières. Ceux qui refusent de s’y soumettre sont à leurs yeux d’obscurantistes ennemis de la science (à moins que ce ne soient des désespérés refusant de regarder la réalité en face, presque des pré-religieux, injure suprême !, la religion étant à leurs yeux souvent incompatible avec la science).
« Devons-nous nous soumettre aveuglément à ces savants qui voient pour nous, comme si nous nous soumettions aveuglément à des prêtres eux-mêmes aveugles, si le manque de talent ou le loisir nous empêche d’entrer dans leurs rangs ? Rien n’est plus difficile, et en même temps rien n’est plus important à savoir pour tout homme. Car il s’agit de savoir si je dois soumettre la conduite de ma vie à l’autorité des savants ou aux seules lumières de ma propre raison ».
Simone Weil (1).
(1) Simone Weil inspire un grand nombre de ces réflexions, avec Arthur Koestler. En ces temps confinés, je ne peux que recommander d’ailleurs à tous ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’au bout la lecture des Somnambules, qui, parcourant l’époque menant de Copernic à Newton, reste pour moi le meilleur livre sur le sujet de la création du savoir scientifique.
Billets associés :- Comprendre la publication scientifique, quelques commentaires
- Doit-on s’opposer au redoublement pour des raisons scientifiques ?
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Raoult n’est pas Galilée, mais le Conseil Scientifique est pire que l’Inquisition
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
















Confiné, délivré : un algorithme pour lutter contre le virus tout en préservant l’économie 25 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 3 184 fois | ajouter un commentaire
La stratégie idéale serait de tester massivement la population et d’isoler les personnes positives. Mais les pays du tiers-monde, et la France, n’ont pas les moyens de cette stratégie. Ils confinent alors toute la population, pour un coût de plusieurs centaines de milliards. L’économie est arrêtée net, les désordres qui suivront (au mieux pauvreté, au pire guerre) tueront probablement plus que le virus lui-même.
Pourtant, il existe un moyen de ne pas tuer l’économie.
Comme seuls les vieux et quelques profils à risque peuvent mourir de ce virus (1), il suffit de les confiner eux, et eux seuls, en laissant le reste de la population libre d’aller travailler (pour les parents), d’aller à l’école (pour les enfants).
On peut mettre tous les moins de 60 ans au boulot dès demain, sauf s’ils habitent avec des vieux ou des personnes à risque. Dans ce cas, il faut les sortir de chez eux et les mettre pour quelques semaines dans des hôtels réquisitionnés, près de leur lieu de travail – ou en télétravail.
Le virus circulant librement parmi les personnes non confinées, on atteint rapidement le seuil dit « du troupeau » : à ce stade, le virus ne peut plus circuler du fait d’un trop grand nombre de personnes immunisées. Et les vieux peuvent mettre le nez dehors.
L’immense avantage de cette stratégie de confinement : elle empêche le virus de tuer et préserve l’économie.
(1) A ceux qui vont contester cette affirmation, je précise que je parle au sens statistique du terme. Et je leur demande de se concentrer sur la vision d’ensemble.
Billets associés :- Grandeur et failles de l’étude Lancet
- La valeur travail existe-t-elle ?
- Le coût exorbitant du confinement
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Interview : six questions sur le Capital Altruiste
















Le coût exorbitant du confinement
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 061 fois | ajouter un commentaire
La stratégie actuelle de confinement est moyennement efficace, puisqu’elle n’empêche pas les membres d’une même famille de se contaminer. Elle n’empêche pas non plus un positif d’en contaminer d’autres en allant faire ses courses, bosser sur son chantier, etc – je rappelle qu’on peut être positif 2 à 3 semaines avant de présenter le moindre symptôme. La Chine a cependant montré que cette stratégie, quand même lourdingue puisqu’on confine 60 millions de personnes, finissait par payer si elle était bien respectée.
Son coût est très difficile à estimer mais il est de quelques centaines de milliards. Macron a parlé de 300 milliards de garantie de l’Etat aux entreprises. Toutes ces garanties ne seront pas dépensées, mais ce chiffre n’intègre pas les effets de la crise économique à venir, qui peut être pire que celle de 1929. Et il ne faut pas oublier qu’une telle crise tue aussi, car elle entraîne toujours une grande pauvreté et parfois la guerre.
Les coréens du Sud ont, par opposition pratiqué une stratégie de tests systématiques sur leur population. Tout le monde est testé, les positifs, symptomatiques ou non, sont mis en quarantaine – et non pas confinés – jusqu’à ce qu’ils soient débarrassés du virus. Cette stratégie est très efficace, nul besoin d’être un grand ponte pour comprendre qu’une personne positive, détectée tôt, ne contaminera plus personne.
Il y a aujourd’hui 17 000 cas positifs identifiés en France, probablement 10 à 100 fois plus de cas réels, ce qui correspond à 1 million de personnes en quarantaine environ, peut-être bien moins (ce chiffre est très important, évidemment, et signifie que certaines personnes ne pouvant être isolées seraient simplement confinées, avec un maximum de précautions).
Avec le traitement Raoult, ces personnes ne resteraient en quarantaine qu’une semaine (au lieu de trois en Corée). Le coût du test est de l’ordre de 50€ et peut sans doute être baissé, mais même si on teste pendant 10 semaines toute la population tous les 15 jours, soient 5 campagnes, le coût serait de 60 millions x 50 € x 5 = 15 milliards « seulement », il s’agit sans doute d’un coût surestimé. Et ce test réduirait aussi significativement le nombre de morts, les positifs étant détectés avant tout symptôme.
Il commence à exister des tests imparfaits (fonctionnant à 80%), peu coûteux, qu’on peut produire en masse, avec lesquels la stratégie ciblée réussira tout aussi bien.
Une telle stratégie ciblée a en outre l’immense avantage de ne pas arrêter l’économie et d’éviter probablement la crise économique.
Aujourd’hui, nous mettons donc en oeuvre une stratégie très coûteuse et moyennement efficace, alors qu’il existe une stratégie peu coûteuse et très efficace.
Nous ne disposons pas aujourd’hui des tests (nous en produisons moins de 10 000 / jour, c’est nettement insuffisant, merci à nos champions). Mais toutes les solutions (achat, production, en France ou hors de France) devraient être envisagées pour changer, « à tout prix », de stratégie.
Mais ces solutions sont-elles à la portée d’un pays qui n’a pas su se procurer de gel, ni de masques ?
Billets associés :- Une explication mimétique de la crise financière (pourquoi nous sommes tous coupables)
- Faut-il boycotter les évaluations au CP et en CE1 ?
- Interview : six questions sur le Capital Altruiste
- Tous dopés / All guilty
- L’idolâtrie du protocole
















L’idolâtrie du protocole 24 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 3 873 fois | 1 commentaire
Adorer une idole, c’est confondre la statue avec Dieu. Plus généralement, l’idolâtrie, c’est confondre l’objet et le principe. Harpagon idolâtre l’argent, c’est-à-dire qu’il le confond avec la raison de vivre. Le Colonel Henry idolâtre l’armée et pense qu’il est plus important de protéger l’institution que la justice – ce faisant il oublie la finalité de l’armée. Il y a idolâtrie chaque fois qu’on confond la fin et le moyen, le moyen acquérant une telle importance qu’il finit par s’opposer à la fin, aussi élevée soit elle.
A quoi sert le protocole médical ? C’est un outil censé fixer les meilleures règles possibles pour permettre à chaque médecin de sauver des vies. Le soin envers les malades, sauver des vies, c’est la vraie fin de la médecine. Les principes éthiques régissant la pratique du médecin, immortels, éternels, les seuls qui tiennent, sont inscrits dans le serment d’Hippocrate. Pas dans le protocole.
Au nom du « protocole », le traitement proposé par Raoult est qualifié par ses opposants de « non éthique ». Et ce terme même constitue un élément de langage médical qui traduit l’idolâtrie, puisque ce qui n’est pas éthique, c’est de nuire au malade, non pas de sortir du protocole.
- Les tests proposés par Raoult ont fonctionné pour 6 patients sur 6, ce qui suggère un taux de succès supérieur à 95% du traitement. Même si Raoult a abordé ce point dans son papier, peu comprennent que la taille de l’échantillon est très significative, compte tenu de ce taux (plus le traitement marche, plus l’échantillon peut être réduit).
- Un grand nombre de critiques portant sur l’étude sont faites, je les ai attentivement lues et pour la plupart, elles sont de pure forme compte tenu du contexte (effet placebo non déterminé, manque de suivi de l’échantillon non testé…). Tout semble montrer que Raoult, quand il a a vu que le traitement fonctionnait, a publié en l’état, au plus vite, pour sauver des vies. Sa connaissance profonde de la chloroquine, dont il est un des experts mondiaux, l’a probablement conduit à faire des raccourcis. On peut l’interroger certes sur différents points (mais que font les journalistes scientifiques, on préférerait qu’ils interrogent Raoult plutôt que de partager leur « opinion » ?), mais on ne peut pas en faire un prétexte pour différer le traitement.
- Le traitement proposé a l’immense avantage d’être composé de deux médicaments parfaitement connus, l’hydroxychloroquine et un antibiotique. Comme pour tous les médicaments, des contre-indications existent et un suivi médical est certes nécessaire – mais il n’y aucune raison particulière de tester outre mesure cet assemblage. Ni surtout de faire de l’hydroxychloroquine, médicament couramment utilisé depuis des dizaines d’années, un épouvantail.
Car en même temps, chaque jour, les malades meurent par centaines. Tout retard lié à la prolongation des tests tue – mais respecte le protocole de façon impeccable.
Le Conseil Scientifique propose de traiter les malades les plus gravement atteints, mais c’est là où le traitement est le plus risqué et aussi là où le traitement sera le moins efficace. Il y aura donc des accidents et il y aura donc des échecs – on a presque l’impression que ceux-ci sont recherchés, provoqués.
Il y a une part totalement méprisable dans cette décision, qui résulte des conflits d’ego et d’intérêts et probablement aussi de l’absence de stock des médicaments nécessaires. Peut-être y a-t-il même, de la part des membres du Conseil, le besoin de sauver leur putain de cul, tant l’ère est à la judiciarisation de toute décision – et il est évidemment plus confortable, juridiquement, de rester dans le cadre parfait du protocole. Le Conseil n’ose même pas annoncer la décision effective (retarder la généralisation du traitement). Il annonce simplement « effectuer des tests qui permettront de sécuriser le traitement ».
Je vois aussi des médecins, des journalistes scientifiques, beaucoup de gens respectables soutenir, de bonne foi, la décision du Conseil. Il y a là-dedans une part d’incompétence, celle qui les empêche d’analyser correctement l’étude de Raoult et aussi, surtout, une forme d’adoration du protocole. Ils ont perdu de vue que la médecine est faite pour sauver des vies, pas pour appliquer les protocoles. Le protocole n’est qu’un outil qui, dans l’immense majorité des cas, contribue au progrès des remèdes. Ici, il est tout simplement inapproprié. Il faut tirer de l’étude de Raoult les conclusions qui s’imposent.
Quelques extraits du serment d’Hippocrate :
« Mon premier souci sera de rétablir la santé »
« Je ne tromperai jamais la confiance des malades »
« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément »
Or on propose au personnel soignant de volontairement priver certains malades d’un traitement qui fonctionne (puisqu’il faut tester et donc constituer des groupes ne recevant aucun traitement), de donner le traitement trop tardivement – tout ceci au nom du respect du protocole.
Le personnel médical est aujourd’hui placé devant une injonction contradictoire, contraint de réaliser pour les patients un « Choix de Sophie » qui tuera des malades et aura probablement, comme pour Sophie, des effets durables sur la santé mentale des soignants.
« Jamais, dans cet univers, il n’y a égalité de dimensions entre une obligation et son objet.»
Simone Weil
Billets associés :- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Une discussion intéressante (enfin !) sur Twitter
- Grandeur et failles de l’étude Lancet
- Raoult n’est pas Galilée, mais le Conseil Scientifique est pire que l’Inquisition















