A la recherche de la valeur travail : le droit à la paresse (1) 9 octobre 2022
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 5 fois | trackback
C’est Sandrine Rousseau, députée EELV, qui a récemment lancé le débat sur “la valeur travail” et le droit à la paresse. Et les positions sont aujourd’hui bien tranchées. La gauche (EELV, LFI…) déclare que la “valeur travail” est de droite (une exception notable, Fabien Roussel qui prône le travail universel plutôt que le revenu universel). La droite défend évidemment la “valeur travail” mais semble incapable de réellement la définir.
Un chef d’entreprise travaille est censé travailler et est aussi censé faire travailler les autres. Je te donne donc, cher lecteur, mon point de vue de chef d’entreprise dans ce billet (et les quelques billets qui suivront). Et comme il est d’usage, par les temps moralisateurs qui courent, je précise que c’est un avis strictement personnel qui n’engage ni Speechi ni aucun de ses salariés. En cas de plainte, tu peux donc t’adresser directement à moi, via les commentaires, cher lecteur. En revanche, si par miracle tu approuves, je t’encourage vivement à créer une petite cagnotte Leetchi à mon profit.
Pourquoi travaille-t-on ?
La division du travail a augmenté de façon extraordinaire la productivité humaine mais nous cache de plus en plus ce fait fondamental : le travail est la façon dont nous arrachons à la nature ce qui nous est nécessaire pour survivre.
Le chasseur-cueilleur préhistorique, directement en lien avec la nature, n’agit que sous la pression de celle-ci et a bien conscience que son activité a pour but direct sa survie.
L’homme moderne vit sous le règne de la division du travail, des myriades de métiers existent dans notre société. La division du travail nous masque la nécessité du travail car quand l’activité de chacun est parcellaire, plus personne ou presque ne peut reconstituer l’ensemble de la chaîne industrielle qui arrache les moyens de notre survie à la nature. L’ouvrier qui produit un clou n’a pas forcément conscience du rôle de son usine dans la survie de l’espèce pourtant, comme Adam Smith l’a montré, la raison d’être de l’usine est que sa productivité est infiniment supérieure à celle de l’artisan du Moyen Age. Le fait que la production du clou nécessite si peu d’effort humain aide à la satisfaction des besoins vitaux de l’humanité (constructions, infrastructures…) dont le clou ne constitue qu’une étape intermédiaire.
Les écologistes et la valeur paresse
Ceux qui ont récemment nié la “valeur travail” et prôné un “droit à la paresse” sont donc en premier lieu ceux qui, oubliant la logique profonde, bien qu’inconsciente, de la division du travail, mettent l’accent sur les défauts, les absurdités, les gaspillages liés à cette organisation.
Ils constatent que la société crée de nouveaux besoins, non liés à la survie, et qu’on peut donc philosophiquement qualifier d’inutiles (du smartphone au besoin irrépressible que tu ressens de finir ce billet, cher lecteur); qu’elle génère de nombreux gaspillages, par exemple énergétiques; que la répartition des ressources est mal effectuée, une partie de l’humanité n’ayant pas assez pour survivre alors que quelques milliardaires accumulent les richesses.
Si on croit que la machine industrielle s’est emballée, qu’elle produit en quelque sorte “à vide”, on doit donc produire moins, travailler moins, au nom de l’écologie ou du besoin de “sobriété”. A la limite, on peut considérer tout ou partie de l’activité humaine comme contre-productive, générant simplement gaspillage, réchauffement climatique et pauvreté.
Constater ceci, ce serait créer non seulement un droit mais un devoir de paresse. Mais sommes-nous vraiment dans ce cas ?
En réalité, la division du travail actuelle a permis à l’humanité d’atteindre 7 milliards d’individus, en croissance exponentielle depuis le début de l’ère industrielle où la population n’atteignait qu’un milliard. Il a donc fallu environ 15 000 années (invention de l’agriculture) pour passer de 1 million à 1 milliard d’êtres humains, puis 150 ans seulement (ère industrielle) pour passer de 1 à 7 milliards. Cette performance est incroyable.
Faut-il retourner en arrière pour limiter le gaspillage ? Il n’est pas certain que l’agriculteur africain ou australien, brûlant des dizaines de kilomètres carrés de terre pour ses cultures, soit moins destructeur que l’homme moderne, capable de fournir l’énergie nécessaire à des villes entières à partir de quelques kilogrammes d’uranium.
Pour limiter les besoins purement sociaux dits “inutiles” ? Le gaspillage moderne lié à la surconsommation n’est peut être pas plus important, en proportion, que celui qui a mené aux (inutiles) pyramides égyptiennes.
Pour limiter les besoins en énergie ? Comme le montre le graphique ci-dessous, l’espérance de vie est fortement liée au PIB, lui-même lié à la consommation énergétique, ce qui signifie que toute baisse de productivité, ou toute crise énergétique réduisant la production, aura des conséquences directes sur la mortalité.
Les écologistes, comme tous ceux qui prônent un système économique alternatif, échouent pour l’instant à montrer qu’un modèle sobre ou décroissant pourrait être compatible avec le niveau actuel de la population humaine. Les dégâts qu’inflige l’humanité à son environnement sont évidemment bien plus liés au niveau ahurissant de la population mondiale qu’au système économique lui-même (le capitalisme).
Conséquence : on ne peut pas aujourd’hui, au nom de l’écologie, justifier un quelconque droit ou devoir à la paresse.
(To be continued… Next : “Y a-t-il une valeur paresse ? “)
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