L’idolâtrie du protocole 24 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 3 863 fois | trackback
Adorer une idole, c’est confondre la statue avec Dieu. Plus généralement, l’idolâtrie, c’est confondre l’objet et le principe. Harpagon idolâtre l’argent, c’est-à-dire qu’il le confond avec la raison de vivre. Le Colonel Henry idolâtre l’armée et pense qu’il est plus important de protéger l’institution que la justice – ce faisant il oublie la finalité de l’armée. Il y a idolâtrie chaque fois qu’on confond la fin et le moyen, le moyen acquérant une telle importance qu’il finit par s’opposer à la fin, aussi élevée soit elle.
A quoi sert le protocole médical ? C’est un outil censé fixer les meilleures règles possibles pour permettre à chaque médecin de sauver des vies. Le soin envers les malades, sauver des vies, c’est la vraie fin de la médecine. Les principes éthiques régissant la pratique du médecin, immortels, éternels, les seuls qui tiennent, sont inscrits dans le serment d’Hippocrate. Pas dans le protocole.
Au nom du « protocole », le traitement proposé par Raoult est qualifié par ses opposants de « non éthique ». Et ce terme même constitue un élément de langage médical qui traduit l’idolâtrie, puisque ce qui n’est pas éthique, c’est de nuire au malade, non pas de sortir du protocole.
- Les tests proposés par Raoult ont fonctionné pour 6 patients sur 6, ce qui suggère un taux de succès supérieur à 95% du traitement. Même si Raoult a abordé ce point dans son papier, peu comprennent que la taille de l’échantillon est très significative, compte tenu de ce taux (plus le traitement marche, plus l’échantillon peut être réduit).
- Un grand nombre de critiques portant sur l’étude sont faites, je les ai attentivement lues et pour la plupart, elles sont de pure forme compte tenu du contexte (effet placebo non déterminé, manque de suivi de l’échantillon non testé…). Tout semble montrer que Raoult, quand il a a vu que le traitement fonctionnait, a publié en l’état, au plus vite, pour sauver des vies. Sa connaissance profonde de la chloroquine, dont il est un des experts mondiaux, l’a probablement conduit à faire des raccourcis. On peut l’interroger certes sur différents points (mais que font les journalistes scientifiques, on préférerait qu’ils interrogent Raoult plutôt que de partager leur « opinion » ?), mais on ne peut pas en faire un prétexte pour différer le traitement.
- Le traitement proposé a l’immense avantage d’être composé de deux médicaments parfaitement connus, l’hydroxychloroquine et un antibiotique. Comme pour tous les médicaments, des contre-indications existent et un suivi médical est certes nécessaire – mais il n’y aucune raison particulière de tester outre mesure cet assemblage. Ni surtout de faire de l’hydroxychloroquine, médicament couramment utilisé depuis des dizaines d’années, un épouvantail.
Car en même temps, chaque jour, les malades meurent par centaines. Tout retard lié à la prolongation des tests tue – mais respecte le protocole de façon impeccable.
Le Conseil Scientifique propose de traiter les malades les plus gravement atteints, mais c’est là où le traitement est le plus risqué et aussi là où le traitement sera le moins efficace. Il y aura donc des accidents et il y aura donc des échecs – on a presque l’impression que ceux-ci sont recherchés, provoqués.
Il y a une part totalement méprisable dans cette décision, qui résulte des conflits d’ego et d’intérêts et probablement aussi de l’absence de stock des médicaments nécessaires. Peut-être y a-t-il même, de la part des membres du Conseil, le besoin de sauver leur putain de cul, tant l’ère est à la judiciarisation de toute décision – et il est évidemment plus confortable, juridiquement, de rester dans le cadre parfait du protocole. Le Conseil n’ose même pas annoncer la décision effective (retarder la généralisation du traitement). Il annonce simplement « effectuer des tests qui permettront de sécuriser le traitement ».
Je vois aussi des médecins, des journalistes scientifiques, beaucoup de gens respectables soutenir, de bonne foi, la décision du Conseil. Il y a là-dedans une part d’incompétence, celle qui les empêche d’analyser correctement l’étude de Raoult et aussi, surtout, une forme d’adoration du protocole. Ils ont perdu de vue que la médecine est faite pour sauver des vies, pas pour appliquer les protocoles. Le protocole n’est qu’un outil qui, dans l’immense majorité des cas, contribue au progrès des remèdes. Ici, il est tout simplement inapproprié. Il faut tirer de l’étude de Raoult les conclusions qui s’imposent.
Quelques extraits du serment d’Hippocrate :
« Mon premier souci sera de rétablir la santé »
« Je ne tromperai jamais la confiance des malades »
« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément »
Or on propose au personnel soignant de volontairement priver certains malades d’un traitement qui fonctionne (puisqu’il faut tester et donc constituer des groupes ne recevant aucun traitement), de donner le traitement trop tardivement – tout ceci au nom du respect du protocole.
Le personnel médical est aujourd’hui placé devant une injonction contradictoire, contraint de réaliser pour les patients un « Choix de Sophie » qui tuera des malades et aura probablement, comme pour Sophie, des effets durables sur la santé mentale des soignants.
« Jamais, dans cet univers, il n’y a égalité de dimensions entre une obligation et son objet.»
Simone Weil
Billets associés :
Commentaires»
[…] pour dissimuler la réalité du meurtre, mais la raison ne peut être totalement convaincue et le protocole devient donc dogme, croyance inattaquable. Les attaques envers le Pr Raoult de la « communauté scientifique » sont […]