Parmi les problèmes que posent Twitter, il y a çe tweet antisémite, mensonger, immonde, tombant manifestement sous le coup de la loi française.
Ce tweet n’est pas automatiquement modéré / suspendu par Twitter (qui pourtant dispose d’une IA performante) donc pour agir, il faut aller en justice. Or il y a des milliers de tweets de ce genre. Certains sont même générés par des bots, automatiquement. Autrement dit, sans la participation amont et automatique de Twitter, qui devrait spontanément fournir les infos disponibles sur les auteurs à la justice, il est impossible de résoudre le problème.
Accumulés, rassemblés, de tels tweets contribuent à créer un antisémitisme d’atmosphère. Les antisémites se rassemblent sur Twitter et forment une tendance, une sorte de bulle qui leur donne l’impression d’être plus nombreux et plus puissants qu’ils ne sont. Ils se tirent la bourre entre eux allant chaque jour un peu plus loin. Et un excité passera à l’acte…
Twitter héberge ces tweets et est responsable de leur diffusion. Ma proposition serait que les réseaux sociaux soient obligés de communiquer, instantanément, automatiquement et proactivement, tous les tweets manifestement illicites. La notion d’illicéité manifeste est très bien définie juridiquement et ne s’oppose pas à la liberté d’expression – les hébergeurs de site Internet sont déjà soumis à de telles contraintes. Elle couvre par exemple le racisme manifeste, la pédophilie, certaines formes de contrefaçon, etc.
Ce serait alors à l’auteur du tweet d’agir, auprès de l’hébergeur puis en justice, s’il trouve que son tweet a été censuré à tort. Ce qui compte tenu de la qualité des IA actuelles arriverait dans moins d’un cas sur 10 000. On résoudrait un problème sans encombrer les tribunaux.
Pour comprendre la différence entre la vision française et la vision américaine de la liberté d’expression, le mieux est de se ramener au discours fantastique de Marc-Antoine dans Shakespeare, immédiatement après l’assassinat de César. Antoine est un démagogue qui appelle la foule à la violence mais il ne le fait jamais explicitement. Toute la technique de son discours consiste à louer César – en prétendant ne pas le louer car il est lui est interdit de le faire par la clique en place, à rappeler le jugement négatif sur César de Brutus sans jamais attaquer directement Brutus puisque, dit-il sans fin, “Brutus est un homme honorable”, enfin à utiliser l’émotion que crée son discours sur la foule pour prendre le pouvoir. Extraits:
Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux: s’il l’était, ce fut une faute grave, et César en a été gravement puni.—Ici par la permission de Brutus et des autres car Brutus est un homme honorable.
…
Il était mon ami, il fut fidèle et juste envers moi; mais Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable.
…
Lorsque les pauvres ont gémi, César a pleuré: l’ambition devrait être formée d’une matière plus dure.—Cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable.
…
O citoyens, si j’avais envie d’exciter vos coeurs et vos esprits à la révolte et à la fureur, je pourrais faire tort à Brutus, faire tort à Cassius, qui, vous le savez tous, sont des hommes honorables.
…
Je ne veux pas leur faire tort: j’aime mieux faire tort au mort, à moi-même, et à vous aussi, que de faire tort à des hommes si honorables.—Mais voici un parchemin scellé du sceau de César; je l’ai trouvé dans son cabinet. »
(Pour ceux qui comprennent l’anglais parlé, la magnifique interprétation de Marlon Brando dans le Jules César de Mankiewicz, un film extraordinaire que je conseille à tous)
Aux Etats-Unis, le discours d’Antoine ne pourrait être condamné car son incitation à la violence reste implicite et indirecte. Lorsque Donald Trump a incité ses partisans à “aller au Capitole” et “à se battre comme des diables” (formulation pourtant nettement moins ambigüe que celle de Marc-Antoine !), aucun tribunal ne l’a condamné car son discours était effectivement suffisamment ambigu pour faire jouer la protection du 1er Amendement de la constitution américaine, garantissant la liberté d’expression.
Les américains n’ont jamais connu la dictature, même s’ils en ont été parfois assez proches et ont un comportement d’autant plus optimiste vis-à-vis de la liberté d’expression que les pères fondateurs fuyaient la censure: sur le plan juridique, la liberté d’expression est restée presque totale, protégée par leur Constitution. Cela a posé de tels problèmes que la société a tenté d’imposer une censure de fait pour limiter l’expression d’un racisme omniprésent que la loi ne contraignait pas assez. Cette censure a été portée par le wokisme dont il ne faut pas oublier qu’il fut aussi, sous cet aspect, une solution absurde et excessive pour tenter de résoudre un problème bien réel.
En France, Vichy et son antisémitisme nous ont probablement rendus excessivement méfiants vis-à-vis des conséquences possibles d’une liberté d’expression sans limite. Ce qui fait que le wokisme, sous la forme d’une sorte de principe de précaution judiciaire, a infusé de façon excessive dans la loi même jusqu’en 2021, celle-ci n’étant pas gravée constitutionnellement dans le marbre comme aux Etats-Unis, et ce alors même que le niveau de racisme en France est infiniment moindre qu’aux Etats-Unis et que nous ne vivons pas de risque sérieux de dictature. (D’autres pressions contre la liberté d’expression sont apparues depuis la guerre, en provenance surtout de l’Islam, mais pour l’instant, notre système juridique y résiste).
On peut dire, en synthèse, que si aux USA, la société a été troublée par l’absence de loi ad hoc, en France, la loi a dépassé les besoins de la société.
Cette constatation s’applique aussi à l’Allemagne qui a connu bien pire que Marc-Antoine en l’espèce. La 2ème guerre mondiale explique pourquoi ce que je vais décrire ci-dessous sur les lois françaises et leur philosophie tient presque tel quel pour l’Allemagne pour presque toute la communauté européenne.
Chez nous, le discours de Marc-Antoine serait donc presque certainement condamné, même si Antoine ne demande jamais à la foule d’attaquer Brutus. La notion de provocation implicite à la violence tient juridiquement et le juge établirait certainement un lien de causalité entre le discours d’Antoine et l’émeute qui s’ensuit. Ainsi, l’ironie, le double sens du discours d’Antoine n’empêcheraient pas sa condamnation et j’ai tendance à penser que, sur ce point, notre droit est bien supérieur au droit américain car il paraît naturel de condamner l’intention, lorsqu’elle est évidente, plutôt que la forme. En revanche, le cas de l’incitation à la haine raciale est plus difficile à trancher.
Il est en effet possible en France de condamner une vérité si elle est jugée stigmatisante pour un groupe de personnes. Ainsi, Le Pen a été condamné en 1997 pour avoir dit que « les Français de souche ont moins tendance à commettre des délits que les immigrés » (ce qui est vrai). Zemmour a été condamné pour le même motif. Même si le fait est vrai, la loi française va chercher l’intention de l’auteur et l’interprète de façon très large. Dans le cas de Le Pen, le fait que les immigrés soient présentés de façon “systématiquement négative” est suffisant, aux yeux du juge, pour condamner Le Pen. Le juge peut aussi estimer que la citation “crée un climat de rejet ou d’hostilité” ou même “crée un lien de causalité simpliste” entre l’origine et la criminalité (3 critères donc, et il suffit d’en satisfaire un seul pour tomber sous le coup de la loi). De fait, une telle affirmation, même présentée de façon neutre sera presque certainement condamnée. Pour passer à travers les gouttes, l’auteur devra ajouter de multiples circonvolutions, le plus souvent de pure forme, uniquement destinées au juge. Voici ce qu’on entend donc typiquement sur les plateaux télés.
“« Selon l’INSEE, certaines catégories de la population ont des taux de condamnation plus élevés, mais ces chiffres doivent être analysés en tenant compte de nombreux facteurs socio-économiques. »
Avouez que le discours perd tout sens ! Et on comprend parfaitement pourquoi la droite parle de censure ou de fin de la liberté d’expression. En démocratie, il est extrêmement choquant d’être condamné pour avoir dit une vérité, même si elle pique un peu. Il y aurait un moyen très simple de libérer la parole tout en se protégeant largement contre les tentatives réelles d’incitation à la haine raciale, qui serait d’introduire une exception de vérité dans la loi et de retourner alors la charge de la preuve. Si l’on dit effectivement la vérité, le juge ne pourrait condamner l’accusé sur la base de l’un des trois critères énoncé ci-dessus et ce serait alors à l’accusation de faire la preuve de la malveillance de l’accusé. De fait, sauf appel explicite à la haine ou technique rhétorique “à la Marc-Antoine” destinée à transformer implicitement une vérité en appel à la haine, on ne pourrait plus être condamné pour avoir dit une simple vérité. Et j’ai tendance à penser qu’un tel système serait bien meilleur que le Premier amendement américain, figé depuis des siècles, qui n’accomplit plus son office et ne protège plus la société.
Quel contraste entre la déclaration oxymoresque signée hier par les pays européens pour une IA « inclusive, éthique, sûre et ouverte » et le discours du vice-président américain JD Vance, à ce jour le meilleur discours prononcé par un politique sur le sujet. JD Vance a fait preuve d’une compréhension en profondeur de ce qu’est l’intelligence artificielle là où Macron, dans son interview télévisée sur France 2, n’a exhibé qu’un vernis et a accumulé les pontifs.
Que signifie d’abord une IA « inclusive » ? Cela signifie en réalité une IA biaisée, de façon à ce que les minorités y soient sur-représentées par-rapport à leur présence réelle. Ainsi, comme le souligne Vance, qui s’est opposé à la déclaration européenne (« The Trump administration will ensure that AI systems are free from ideological bias« ), les IA entrainées dans un sens « woke » font apparaître des George Washington noirs dans leurs résultats. Une IA inclusive, c’est un IA peu performante, qui nous ment et produit des résultats faux. Or nous devons développer des IA performantes, qui recherchent la vérité. La déclaration européenne (approuvée d’ailleurs par la Chine qui n’en aura cure) nous fait prendre du retard dès l’objectif, comme si, au moment du développement du rail, nous avions développé les gares à la campagne.
Qu’est-ce qu’une IA éthique ? C’est une IA à qui on impose de respecter des contraintes déraisonnables au niveau de la propriété des données personnelles et de son entrainement. JD Vance parle d’étranglement et signale à juste titre que le « Digital Act » européen engendre des coûts de développement complètement dingues pour les petites entreprises, au détriment de l’innovation et a pour conséquences que petites et grandes entreprises boycotteront souvent l’Europe, non seulement comme cible mais comme lieu d’implantation de leur centre de R&D. Là aussi, retard pour les sociétés européennes.
Qu’est-ce qu’une IA « sûre » ? Pour Vance, les seules initiatives de régulation devraient concerner la lutte contre le crime (exemple, la pédophilie) et la lutte contre les dictatures (il vise évidemment la Chine) de façon à les empêcher de copier les développements faits aux Etats-Unis. La vision optimiste « a priori » des américains peut sembler naïve aux européens mais, sur un plan géostratégique, Vance poursuit finalement la guerre du Péloponnèse, démocratie athénienne contre dictature spartiate. « Focus on opportunity, not on safety » : il appelle les pays européens à plus de confiance et à « éviter toute mesure conservatoire de régulation » (ce que nous serons évidemment incapables de faire). Progresser d’abord, réguler si nécessaire ensuite pour ne pas casser l’innovation – c’est contraire à la philosophie même du Digital Act européen.
Un conflit politique est à venir sur la propriété des données. « Nous avons un problème avec le fait que des gouvernements étrangers semblent vouloir limiter le rayon d’action des entreprises américaines ayant une empreinte internationale« . Rappelons que l’administration américaine se réserve un droit de regard sur toutes les données détenues par des entreprises US, où qu’elles soient – ce qui fait que les données françaises chez Amazon sont consultables aux US. Des voix européennes souveraines se sont élevées contre ce contrôle et demandent, à juste titre, une réciprocité. Compte tenu de la guerre commerciale à venir, de la mollesse européenne et de notre incompréhension du sujet, nous ne l’obtiendrons jamais.
Vance compare la révolution IA à celle de la machine à vapeur, ce qui est la meilleure analogie qu’on puisse trouver car l’IA est effectivement à l’intelligence humaine ce que la machine à vapeur a été aux forces humaine et animale. Son seul point commun avec Macron est qu’il reste optimiste sur les conséquences de l’IA sur le monde du travail. « L’IA va aider les gens dans leur travail et créera des opportunités, nous nous refusons à y voir une simple force disruptive qui ne ferait qu’automatiser le monde du travail » (Vance), « L’IA aidera l’humain sans s’y substituer » (Macron). Je suis donc en désaccord complet avec la seule chose qui les rassemble: l’IA va être au travail intellectuel ce que la machine a été aux manufactures. Un grand nombre de professions vont disparaître – ça a commencé pour les journalistes mais à relativement court terme, avocats, médecins ainsi qu’un grand nombre de managers et d’industrie seront touchés. Même le monde artistique n’y échappera d’ailleurs pas.
L’état de droit n’est pas sacré. Tout système judiciaire doit avoir pour objectif de maximiser la quantité de justice qu’il produit et l’état de droit n’est qu’un outil au service de cet objectif. Seule la Justice est sacrée, au sens où elle est inscrite dans la conscience universelle et c’est relativement à elle qu’on mesure le degré de progrès ou de civilisation. Dire que l’état de droit est sacré, c’est confondre la fin et le moyen, c’est-à-dire se rendre coupable d’idolâtrie.
Le principe fondamental de l’état de droit est le refus de l’arbitraire et l’égalité de tous devant la loi. Les principes étant fixés et connus à l’avance, il assure que je suis jugé de façon équitable, exactement comme mon prochain. Le juge n’est chargé que de l’interprétation de ces principes – dont la réunion forme le corpus de la loi. Cette condition de relativité absolue (“juge ton prochain comme toi-même”) est bien indispensable à l’atteinte de la justice.
Le juge ne faisant qu’interpréter les textes de loi, la plupart des décisions de justice sont de nature procédurale et c’est pourquoi, si le système judiciaire fonctionne, on peut considérer que les décisions ne peuvent pas être critiquées. En France, jeter le discrédit sur une décision de justice est depuis longtemps une infraction, infraction commise de plus en plus fréquemment et de moins en moins poursuivie, signe très sûr de la déliquescence de notre système judiciaire.
L’état de droit en lui-même n’est évidemment pas suffisant et la qualité de la justice dépend évidemment du contenu de la loi elle-même, en particulier de son accord à la conscience universelle. Simone Weil écrivait que c’est relativement à cet accord qu’on mesure le progrès.
Il appartient donc aux textes de loi de résoudre les problèmes éthiques qui se posent à l’homme et la société. Chez les anciens hébreux ou dans l’Islam, la loi procède de Dieu et les religieux détiennent largement le pouvoir judiciaire. En France, la loi procède du peuple français, les principes éthiques étant largement influencés par notre histoire judéo-chrétienne, à commencer évidemment par la notion même d’état de droit, dont découle la condition de relativité que j’ai évoquée ci-dessus.
Ainsi doivent normalement être soumis au Peuple Français les choix fondamentaux sur son avenir, les choix éthiques qui représentent les “cas limites” du droit, ceux que les textes existants ne pouvaient envisager. Dans la mesure où depuis une quarantaine d’années, les français ont été de moins en moins consultés sur ces cas, on peut dire que notre système est sorti de l’état de droit ou plutôt qu’il y a eu abus de l’état de droit. Ainsi en est-il de l’abolition de la peine de mort, de l’adhésion au Traité Constitutionnel Européen, de la non consultation des français sur la politique migratoire, de l’extension du rôle du Conseil Constitutionnel ou de diverses décisions prises par le Conseil d’Etat… Ces choix auraient dû remonter aux citoyens, à qui on doit demander de se positionner non pas en partisans mais en philosophes, ou au Parlement. Ainsi quoi qu’on pense des décisions elles-mêmes, elles ont été prises contre l’état de droit. A l’inverse, la loi Veil sur l’avortement, votée par l’Assemblée suite à un débat exemplaire, est totalement conforme à l’esprit de l’état de droit.
La procédure de destitution du Président Macron constitue une perversion de l’état de droit. Car la loi précise que “Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.”. Qui peut en conscience nier la pleine capacité d’Emmanuel Macron ? Ainsi, les députés qui ont validé la procédure, se conduisant en partisans et non pas en philosophes, créent la confusion entre conscience universelle et esprit partisan. Seule la première relève de l’état de droit.
L’appel entendu si fréquemment depuis le 7 Octobre au “droit international” est aussi une perversion de l’état de droit, dans la mesure où celui-ci procède de l’ONU, lui-même majoritairement soumis à des états partisans, non démocratiques, qui prendront des décisions ne reposant pas sur la conscience universelle mais sur les intérêts de pays obscurantistes, voire terroristes et de dictatures. Ces sophismes doivent être dénoncés avec force car la confiance des français en l’état de droit, confondu avec la Justice, est telle qu’elle désarme souvent toute critique.
Il n’y a pas non plus d’état de droit sans force exécutive. Un des objectifs clés du système judiciaire est la protection des citoyens et si la décision du juge n’est pas mise en œuvre, l’état tombe dans l’anarchie, la violence interminable.
Ainsi non seulement Bruno Rétailleau a philosophiquement raison lorsqu’il déclare que “l’Etat de droit n’est pas sacré” mais il est en quelque sorte en deçà de la réalité: en France, l’état de droit n’est plus, par défaut de la force exécutive. Les peines de prison sont édulcorées, raccourcies. Les zones de non droit pullulent. Les OQTF ne sont pas exécutées. Le meurtre de Philippine a précisément mis en évidence de façon criante la faillite de l’état de droit et ceux qui s’indignent des déclarations du Ministre de l’Intérieur crient d’autant plus au feu que, selon les termes du grand psychanalyste Winnicott, la catastrophe est déjà accomplie. L’effondrement tant redouté de l’état de droit a déjà eu lieu. S’ils crient si fort au scandale, c’est justement pour ne pas voir la vérité en face – très souvent, ils ont été les acteurs de l’effondrement.
Dans l’Orestie, Eschyle décrit de façon très profonde la création du premier système judiciaire. Clytemnestre assassine Agamemnon, Oreste tue Clytemnestre et l’aréopage – le jury – est créé précisément par Athéna, la sagesse, pour mettre fin au cycle de violence interminable. Un processus formel de vote est mis en place mais au dernier moment Athéna en modifie les règles en décrétant qu’en cas d’égalité de voix, Oreste sera acquitté. En sortant de l’état de droit, elle rend possible l’état de droit. Une part d’humain, une part de divin – appelons le “conscience universelle”, la conscience qu’il n’y a pas de justice purement procédurale, Eschyle en savait déjà plus que nous sur l’état de droit.
Deux scènes de la cérémonie d’ouverture des JO ont concentré l’essentiel de la polémique.
La première, c’est le détournement de la Cène, de Léonard.
Dans la Cène de la Cérémonie d’ouverture, Jésus est remplacé par un femme obèse, dûment entourée d’une auréole-diadème pour lever toute ambiguïté. Le metteur en scène a respecté la composition initiale (4 groupes de 3) du tableau mais tout est en quelque sorte nié et inversé. Les apôtres sont remplacés par une brochette de personnages noirs, trans, queer, femme à barbe. L’apôtre Thadée lève le bras gauche au lieu du droit, etc.
Dans certains pays, le blasphème est toléré, mais le tolérer, c’est déjà le reconnaître, peser le droit des religieux à ne pas se sentir offensés, à défendre leur vision de Dieu contre celle des athées – le rapport de force étant par nature instable et pouvant toujours évoluer en défaveur des athées. En France, nous avons eu beaucoup d’avance : “la République ne reconnaît aucun culte” (loi de 1905, article 5) et c’est une très bonne chose. Ce n’est pas que le blasphème est toléré, c’est qu’il n’est au sens propre, pas reconnu. Dieu n’est pas une entité juridiquement opposable (ou alors, il n’a pas d’ayant droit reconnu). Circulez, y’a rien à voir.
Ceux qui s’offusquent devant l’image détournée de la Cène sont donc coincés. Ces droitards sont souvent les mêmes qui ont défilé en faveur des caricatures de Charlie-Hebdo et si leur indignation est sélective, c’est évidemment parce qu’ils ne défendent la laïcité que lorsqu’elle s’en prend à l’Islam. Les voilà donc catalogués racistes (islamophobes) et conservateurs (défense de la religion catholique), voire incultes (le tableau initial de Léonard est lui-même volontairement et agressivement anachronique, les apôtres étant situés au sein d’un décor Renaissance, il n’y a donc aucun péché, juste un clin d’oeil, à le détourner lui-même à nouveau).
Un droitard – ou même un gauchiste tendance Jaurès, c’est aujourd’hui souvent la même chose – pourra toujours rétorquer que l’attitude du metteur en scène n’est pas particulièrement courageuse. S’en prendre au catholicisme n’est pas risqué, c’est même tendance en France, depuis au moins Molière. Un tel détournement appliqué à l’Islam aurait engendré des troubles planétaires et aurait donc été bien plus subversif, mais après tout, on est dans le domaine de liberté de l’artiste: à lui de choisir sa cible. Et la Religion est une cible.
Mais ce faisant, on méconnaît profondément la cible de Jolly qui n’est pas la religion, mais bien le catholicisme. Ce n’est pas la Religion, opium du peuple, qui est attaquée au nom d’une entreprise d’émancipation universaliste d’inspiration Voltairienne ou marxiste, mais le catholicisme. Ce n’est pas par hypocrisie ou par crainte mais bien par conviction que seul le catholicisme est attaqué. Le catholicisme représente tout à la fois la Bourgeoisie, la blanchité, le capitalisme, les cisgenres, la France périphérique, le colonialisme, la réaction et en tant que tel, il est opposé à toutes les aspirations du bloc islamo-gauchiste: prolétariat diversité, inclusivité (qui exclut), théorie du genre, France des villes et discours intersectionnel décolonial. Dans cette lutte, l’Islam est préservé, il est même un allié, en tant que religion des prolétaires et des colonisés. Il n’y a plus aucune aspiration universaliste dans cette représentation de gauche. Elle est simplement cathophobe. La laïcité sert d’alibi à l’intolérance religieuse crasse, tribale.
Ceux qui ont aimé comme ceux qui ont détesté ont parfaitement senti tout cela. Nulle hypocrisie. On s’en est pris volontairement aux cathos, pas aux religions dans leur ensemble. Intégristes et athées, il faut les lire de façon littérale, au premier degré.
Le deuxième tableau est celui de Marie-Antoinette décapitée, scène crue et macabre où on voyait le coup coupé de Marie-Antoinette tenant dans sa propre main sa tête qui parlait. Tableau rouge sang mais dans un style peu réaliste – et Marie-Antoinette sourit – pour en atténuer l’horreur.
Il reste que dans une cérémonie presque totalement dénuée d’Histoire au sens grandiose du terme, le seul personnage marquant de l’histoire de France pour le réalisateur, Thomas Jolly, assisté de l’historien officiel de la Cour de gauche, Patrick Boucheron, c’est la guillotine, la Terreur et toute la radicalité qui va avec. Robespierre (récemment réhabilité par Mélenchon et Antoine Léaument) ou Staline plutôt que de Gaulle, Napoléon ou même Jaurès. Eugénie Bastié a finement résumé la situation en parlant de “Puy du Fou woke”.
Là encore, les politiques ne s’y sont pas trompés. Aurélien Saintoul, député LFI et St-Just au petit pied lors des commissions parlementaires anti-Bolloré a adoré le tableau de Marie-Antoinette et la “liberté d’expression” dont a fait preuve Thomas Jolly. Marion Maréchal, moins. Et même Sandrine Rousseau a changé de vision sur les Jeux !
Cette magnifique cérémonie, profondément française malgré tout, allant même jusqu’à une forme de ringardisme kitsch assumé puisqu’elle tenait aussi de l’Eurovision (même si là c’est la France qui gagne), de Champs-Elysées (le premier Champs-Elysées post Drucker, mais la bande son a été intégralement respectée), de Maritie et Gilbert Carpentier (en un peu plus long et beaucoup plus cher qu’à l’époque), est la meilleure et la pire qu’un réalisateur de grand talent pouvait réaliser quand en même temps il laisse libre cours à son idéologie haineuse, intolérante, raciste – et en toute bien-pensance.
En bleu le nombre de sièges par parti si l’élection s’était jouée à la proportionnelle d’après les résultats du 1er tour.
En orange, les prédictions des sondages actuels. A la marge d’erreur des sondages près, les 2 colonnes sont identiques.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Que du fait de la stratégie de désistement « Front Républicain », l’Assemblée « tend » vers les résultats du 1er tour. Tout se passera comme si l’assemblée était issue d’un mode de scrutin proportionnel à un tour.
On a changé de République et deux l’ont parfaitement compris: Mélenchon, qui appelle ce changement de ses vœux depuis 10 ans et Glucksmann, qui ce matin, a justement comparé l’assemblée au parlement européen (issu du scrutin proportionnel à un tour) et a souhaité un nouveau mode de fonctionnement plus « collaboratif », « sur le mode du parlement européen ».
Dans la réalité, soit LFI ne votera aucun projet qui n’est pas dans son programme. La situation sera bloquée puisqu’on ne pourra dégager aucune majorité. Soit LFI obtiendra des concessions exorbitantes et imposera des lois très à gauche que personne ne souhaite (sur le mode de fonctionnement, par exemple, du gouvernement israélien).
A tous ceux qui vivent l’arrivée possible du RN au pouvoir comme un effondrement, je rappelle simplement que le grand psychanalyste Winnicott décrit la crainte de l’effondrement comme la crainte d’une catastrophe déjà arrivée.
La réaction de défense du patient – la névrose ou la psychose – n’a pas d’autre objectif que de cacher la réalité suivante : dans le passé du patient, l’effondrement tant redouté a déjà eu lieu. Le patient vit la même situation que les héros de l’Enfer de Sartre : Il redoute l’enfer alors qu’il y vit ; ce faisant, il vit un enfer sans avoir le moins du monde conscience d’y être. Et le travail thérapeutique du médecin vise grosso modo à lui faire comprendre alors que « le malheur, c’est maintenant ! » (vaste programme).
Que redoutent donc ceux qui luttent contre l’effondrement ? Si je prends l’exemple de l’antisémitisme, il est facile de le voir. La réalité, c’est que l’antisémitisme est déjà de retour. Non pas sous sa forme historique, Célinienne, Maurrassienne, mais réimporté et puissamment renouvelé en France via l’immigration qui a débuté dans les années 60. Les mêmes qui crient au scandale à propos de l’antisémitisme « historique » du RN détournent pudiquement les yeux quand il s’agit d’antisémitisme arabo-musulman. S’ils crient si fort au scandale, c’est JUSTEMENT parce qu’il ne faut pas regarder cette vérité en face. Les pauvres, on pourrait les traiter d’islamophobes. Couvrez donc cet antisémitisme que je ne saurais voir.
10 tribunes. Entre hier et aujourd’hui, je recense pas moins de 10 tribunes de « citoyens engagés appelant à voter contre le Rassemblement National ».
Des collectifs de personnalité (Libé), les auteurs de BD (qui emmerdent le RN), le Collège de France, la RATP (!), Le Rock (qui emmerde le RN), des universitaires, le Conseil Scientifique de l’EN et même des chefs d’entreprise pour le NFP (Libé) ! Et bien sûr des sportifs.
Tout citoyen, tout collectif de citoyens est fondé à donner son opinion en démocratie et ces tribunes n’ont rien de choquant. Ce qui est choquant, c’est qu’alors que le RN va faire demain entre 30 et 40% des voix, vous ne trouvez pas la moindre tribune EN FAVEUR du RN. Il n’y a pas 10 personnes un peu connues qui ont jugé bon de rédiger un petit communiqué en commun pour dire pourquoi elles voteront RN.
Cette unanimité apparente est le vrai problème démocratique.
Depuis des centaines d’années, la France applique le droit du sol. Les rois l’ont d’abord probablement appliqué par intérêt « démographique »: plus la France était peuplée, plus elle était puissante, plus elle était capable de faire la guerre.
La République a récupéré le droit du sol et l’a utilisé aussi dans une vision de puissance guerrière au moins jusqu’à la seconde guerre mondiale. « Est français qui se bat pour la France, quel que soit son lieu de naissance ». Mais elle en a aussi largement étendu le concept et l’a appliqué dans une vision d’émancipation révolutionnaire et universaliste.
« La fin des privilèges ». Par principe fondateur, la République s’oppose à tout droit du sang puisque ce serait, sous une certaine forme, prolonger l’aristocratie. Le droit du sol est intimement lié à la fin des privilèges révolutionnaire.
« La démocratie libère les peuples ». Napoléon a tenté d’exporter la vision française dans toute l’Europe et, après qu’il eut échoué, la liberté et la prospérité françaises ont attiré d’autres peuples européens. Les juifs sont venus en France parce qu’ils n’y étaient pas persécutés comme en Europe de l’Est. Les Italiens, Polonais, Portugais, Espagnols…, qui recherchaient à la fois la liberté et un travail, ont immigré massivement en France depuis la fin du XIXè siècle.
La puissance d’assimilation de la France était alors très grande. En une génération, les immigrations successives se sont diluées dans notre civilisation. On ne distingue plus aujourd’hui qui fut espagnol, polonais, etc.
En revanche, on distingue parfaitement, après 3 générations, l’immigration d’origine musulmane. Je ne parle pas là des traits ethniques, dont personne n’a rien à faire sauf quelques racistes très minoritaires, mais des traits civilisationnels et religieux, tels que par exemple le voile ou l’augmentation de la délinquance. Les Français, habitués à intégrer, perçoivent aujourd’hui que leur civilisation est soluble dans l’Islam, qui a une capacité de résistance supérieure à leur pouvoir d’intégration. L’école, qui était un vecteur d’intégration majeure, est presque détruite. Les professeurs ont peur d’émanciper, si l’émancipation s’oppose à la foi islamique. L’antisémitisme est de retour et il est lié à l’Islam. Tout ça leur fait peur, tout ça me fait peur.
La nationalité française donnée de façon généreuse. Les opprimés, les pauvres du monde entier venaient en France et la France allait les intégrer. Dans cette capacité d’intégration, il y avait le fait que la France était généreuse dans son accueil. On donnait (assez) facilement la nationalité et la confiance dans le pouvoir de transformer les étrangers en Français était telle qu’on donnait, de façon automatique, la nationalité française aux enfants nés en France. Et ce don tenait aussi de la prophétie auto-réalisatrice: la nationalité française donnée aux enfants par anticipation permettait aux immigrés de faire leur vie ici, de s’intégrer mieux par anticipation.
Tout ceci était très sensé et même très beau, c’était une sorte de croyance optimiste dans le progrès, corroborée par les faits: « Aide toi, le ciel t’aidera ». Qui peut, à part quelques racistes ou nationalistes étroits, être contre ceci ? Les français sont très attachés au droit du sol car il est constitutif, en quelque sorte, de l’esprit de la France. Et ils ont raison d’y tenir.
Mais qui peut aussi nier que tout ça ne fonctionne plus depuis que l’immigration est d’origine musulmane, c’est-à-dire depuis les années 50 ? Qu’au contraire, les enfants sont souvent moins intégrés que les parents, l’écart s’amplifiant à chaque génération ? Les raisons sont connues et multiples: ressentiment importé des conflits coloniaux antérieurs, difficulté de l’Islam à intégrer les valeurs émancipatrices de la société française, import d’un antisémitisme musulman religieux et culturel, puissance destructrice des réseaux sociaux et j’ajoute à tout ça le travail politique néfaste de la gauche qui cultive et renforce ces problèmes dans un but purement clientéliste.
Aujourd’hui nous vivons, sur notre sol, un conflit de civilisation.
Pour toutes ces raisons, non seulement la suspension du droit du sol ne me fait pas peur mais je pense qu’elle s’impose. Nous devons reconnaître que nous ne savons plus intégrer, repenser nos stratégies d’intégration et en attendant, tout faire pour ne pas amplifier les problèmes.
Le tweet (raciste) publié aujourd’hui par Rima Hassan ignore que toute l’action de Martin Luther King a été bâtie sur le sentiment profond que le Sud était le produit commun des blancs et des noirs.
Le parcours de de King est complexe et ses hésitations, en particulier dans sa jeunesse, avant le mouvement des droits civiques sont nombreuses. Le jeune Luther King fut profondément influencé par la philosophie de Niebuhr et Luther King ne rejeta jamais sa vision sur « les illusions d’un optimisme superficiel à propos de la nature humaine et les dangers d’un faux idéalisme ». Pour Luther King,
« Trop [de pacifistes] témoignaient d’un optimisme injustifié au sujet de l’homme et souffraient inconsciemment d’un penchant pour l’autosatisfaction […] Ce fut ma révolte contre ces attitudes, sous l’influence de Nierbuhr, qui fit qu’en dépit de ma grande inclinaison pour le pacifisme, je ne rejoignis jamais un mouvement pacifiste. Après avoir lu Nierbuhr, je tentais de parvenir à un pacifisme réaliste [qui s’avèrera être la nom violence] ».
En d’autres termes, à cause de sa vision pessimiste sur la nature humaine, Luther King a vu le pacifisme comme un « pharisianismed’autosatisfaction« . L’ordre chrétien d’aimer son ennemi n’impliquait pas pour lui la croyance que l’ennemi était bon, mais simplement que l’ennemi était aimable en tant qu’objet de l’amour de Dieu. La fraternité humaine découlait d’une faiblesse et d’une fragilité communes. Cette vision d’espérance dont est absent tout optimisme est typiquement évangéliste.
Ainsi, jusqu’à la fin de ses études à la Boston University, le jeune Luther King oscille et évolue entre la révolte contre la ségrégation, qui l’incite « à haïr chaque blanc, ce ressentiment persista à se développer« , écrit-il, même si ses parents lui affirmaient qu’il « ne devait pas haïr l’homme blanc, mais que son devoir était de l’aimer« . Il passa par des périodes profondes de doute, manquant de perdre la foi, se demandant si l’enseignement de l’église était intellectuellement raisonnable face aux sciences sociales qu’il étudiait.
Le compromis intellectuel qu’il élabora, la « discipline intellectuelle contre le ressentiment » (chaque mot compte et il faut entendre le terme ressentiment au sens Nietzschéen) fut à la base du mouvement des droits civiques lancé par les noirs du Sud dans les années 50. Toute cette action fut bâtie sur un sentiment commun de fraternité entre blancs et noirs.
« Nous, hommes du Sud, noirs OU blancs, ne devons pas permettre que notre héritage se voit déshonoré aux yeux du monde entier »
ou encore (citation de la maturité qui contredit totalement le tweet de Rima Hassan)
« il existe d’importantes ressources de bonne volonté chez l’homme blanc du Sud dont nous devons tirer parti ».
Les blancs du Sud, du moins ceux qui étaient en faveur de King, avaient parfaitement bien compris que King parlait de l’esprit du Sud dans sa totalité. Son appel moral ne réussit que parce qu’il s’adressait directement aux blancs du Sud (et indirectement, via les média, du Nord).
Son fameux « I have a dream » est adressé aux blancs comme aux noirs. Et bien sûr, il ne put rassembler que parce qu’il prônait la non violence (qui n’est pas le pacifisme), ce qui lui a permis d’unifier la population blanche et noire autour du meilleur du rêve américain.
« I have a dream that one day on the red hills of Georgia the sons of former slaves and the sons of former slave owners will be able to sit down together at the table of brotherhood. »
« I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the American dream. »
Le parcours de Mandela, chrétien lui aussi et adepte de cette philosophie du pardon, par opposition à celle du ressentiment, est très comparable à celui de Luther. Et son succès est évidemment dû, là aussi, au fait qu’il a su donner à toute la nation sud-africaine, blancs et noirs, la vision d’un avenir commun. Ainsi, Luther King et Mandela ont réussi parce qu’ils ont su s’adresser aux blancs et à cause d’une inspiration chrétienne menant, dans leur interprétation, à la non violence.
Non violence dont on a peine à croire qu’elle puisse un jour être adoptée par Rima Hassan et ses amis du Hamas. Idéologie chrétienne du pardon plutôt que de la vengeance interminable qui leur est aussi totalement étrangère.