Parmi les problèmes que posent Twitter, il y a çe tweet antisémite, mensonger, immonde, tombant manifestement sous le coup de la loi française.
Ce tweet n’est pas automatiquement modéré / suspendu par Twitter (qui pourtant dispose d’une IA performante) donc pour agir, il faut aller en justice. Or il y a des milliers de tweets de ce genre. Certains sont même générés par des bots, automatiquement. Autrement dit, sans la participation amont et automatique de Twitter, qui devrait spontanément fournir les infos disponibles sur les auteurs à la justice, il est impossible de résoudre le problème.
Accumulés, rassemblés, de tels tweets contribuent à créer un antisémitisme d’atmosphère. Les antisémites se rassemblent sur Twitter et forment une tendance, une sorte de bulle qui leur donne l’impression d’être plus nombreux et plus puissants qu’ils ne sont. Ils se tirent la bourre entre eux allant chaque jour un peu plus loin. Et un excité passera à l’acte…
Twitter héberge ces tweets et est responsable de leur diffusion. Ma proposition serait que les réseaux sociaux soient obligés de communiquer, instantanément, automatiquement et proactivement, tous les tweets manifestement illicites. La notion d’illicéité manifeste est très bien définie juridiquement et ne s’oppose pas à la liberté d’expression – les hébergeurs de site Internet sont déjà soumis à de telles contraintes. Elle couvre par exemple le racisme manifeste, la pédophilie, certaines formes de contrefaçon, etc.
Ce serait alors à l’auteur du tweet d’agir, auprès de l’hébergeur puis en justice, s’il trouve que son tweet a été censuré à tort. Ce qui compte tenu de la qualité des IA actuelles arriverait dans moins d’un cas sur 10 000. On résoudrait un problème sans encombrer les tribunaux.
Pour comprendre la différence entre la vision française et la vision américaine de la liberté d’expression, le mieux est de se ramener au discours fantastique de Marc-Antoine dans Shakespeare, immédiatement après l’assassinat de César. Antoine est un démagogue qui appelle la foule à la violence mais il ne le fait jamais explicitement. Toute la technique de son discours consiste à louer César – en prétendant ne pas le louer car il est lui est interdit de le faire par la clique en place, à rappeler le jugement négatif sur César de Brutus sans jamais attaquer directement Brutus puisque, dit-il sans fin, “Brutus est un homme honorable”, enfin à utiliser l’émotion que crée son discours sur la foule pour prendre le pouvoir. Extraits:
Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux: s’il l’était, ce fut une faute grave, et César en a été gravement puni.—Ici par la permission de Brutus et des autres car Brutus est un homme honorable.
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Il était mon ami, il fut fidèle et juste envers moi; mais Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable.
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Lorsque les pauvres ont gémi, César a pleuré: l’ambition devrait être formée d’une matière plus dure.—Cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable.
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O citoyens, si j’avais envie d’exciter vos coeurs et vos esprits à la révolte et à la fureur, je pourrais faire tort à Brutus, faire tort à Cassius, qui, vous le savez tous, sont des hommes honorables.
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Je ne veux pas leur faire tort: j’aime mieux faire tort au mort, à moi-même, et à vous aussi, que de faire tort à des hommes si honorables.—Mais voici un parchemin scellé du sceau de César; je l’ai trouvé dans son cabinet. »
(Pour ceux qui comprennent l’anglais parlé, la magnifique interprétation de Marlon Brando dans le Jules César de Mankiewicz, un film extraordinaire que je conseille à tous)
Aux Etats-Unis, le discours d’Antoine ne pourrait être condamné car son incitation à la violence reste implicite et indirecte. Lorsque Donald Trump a incité ses partisans à “aller au Capitole” et “à se battre comme des diables” (formulation pourtant nettement moins ambigüe que celle de Marc-Antoine !), aucun tribunal ne l’a condamné car son discours était effectivement suffisamment ambigu pour faire jouer la protection du 1er Amendement de la constitution américaine, garantissant la liberté d’expression.
Les américains n’ont jamais connu la dictature, même s’ils en ont été parfois assez proches et ont un comportement d’autant plus optimiste vis-à-vis de la liberté d’expression que les pères fondateurs fuyaient la censure: sur le plan juridique, la liberté d’expression est restée presque totale, protégée par leur Constitution. Cela a posé de tels problèmes que la société a tenté d’imposer une censure de fait pour limiter l’expression d’un racisme omniprésent que la loi ne contraignait pas assez. Cette censure a été portée par le wokisme dont il ne faut pas oublier qu’il fut aussi, sous cet aspect, une solution absurde et excessive pour tenter de résoudre un problème bien réel.
En France, Vichy et son antisémitisme nous ont probablement rendus excessivement méfiants vis-à-vis des conséquences possibles d’une liberté d’expression sans limite. Ce qui fait que le wokisme, sous la forme d’une sorte de principe de précaution judiciaire, a infusé de façon excessive dans la loi même jusqu’en 2021, celle-ci n’étant pas gravée constitutionnellement dans le marbre comme aux Etats-Unis, et ce alors même que le niveau de racisme en France est infiniment moindre qu’aux Etats-Unis et que nous ne vivons pas de risque sérieux de dictature. (D’autres pressions contre la liberté d’expression sont apparues depuis la guerre, en provenance surtout de l’Islam, mais pour l’instant, notre système juridique y résiste).
On peut dire, en synthèse, que si aux USA, la société a été troublée par l’absence de loi ad hoc, en France, la loi a dépassé les besoins de la société.
Cette constatation s’applique aussi à l’Allemagne qui a connu bien pire que Marc-Antoine en l’espèce. La 2ème guerre mondiale explique pourquoi ce que je vais décrire ci-dessous sur les lois françaises et leur philosophie tient presque tel quel pour l’Allemagne pour presque toute la communauté européenne.
Chez nous, le discours de Marc-Antoine serait donc presque certainement condamné, même si Antoine ne demande jamais à la foule d’attaquer Brutus. La notion de provocation implicite à la violence tient juridiquement et le juge établirait certainement un lien de causalité entre le discours d’Antoine et l’émeute qui s’ensuit. Ainsi, l’ironie, le double sens du discours d’Antoine n’empêcheraient pas sa condamnation et j’ai tendance à penser que, sur ce point, notre droit est bien supérieur au droit américain car il paraît naturel de condamner l’intention, lorsqu’elle est évidente, plutôt que la forme. En revanche, le cas de l’incitation à la haine raciale est plus difficile à trancher.
Il est en effet possible en France de condamner une vérité si elle est jugée stigmatisante pour un groupe de personnes. Ainsi, Le Pen a été condamné en 1997 pour avoir dit que « les Français de souche ont moins tendance à commettre des délits que les immigrés » (ce qui est vrai). Zemmour a été condamné pour le même motif. Même si le fait est vrai, la loi française va chercher l’intention de l’auteur et l’interprète de façon très large. Dans le cas de Le Pen, le fait que les immigrés soient présentés de façon “systématiquement négative” est suffisant, aux yeux du juge, pour condamner Le Pen. Le juge peut aussi estimer que la citation “crée un climat de rejet ou d’hostilité” ou même “crée un lien de causalité simpliste” entre l’origine et la criminalité (3 critères donc, et il suffit d’en satisfaire un seul pour tomber sous le coup de la loi). De fait, une telle affirmation, même présentée de façon neutre sera presque certainement condamnée. Pour passer à travers les gouttes, l’auteur devra ajouter de multiples circonvolutions, le plus souvent de pure forme, uniquement destinées au juge. Voici ce qu’on entend donc typiquement sur les plateaux télés.
“« Selon l’INSEE, certaines catégories de la population ont des taux de condamnation plus élevés, mais ces chiffres doivent être analysés en tenant compte de nombreux facteurs socio-économiques. »
Avouez que le discours perd tout sens ! Et on comprend parfaitement pourquoi la droite parle de censure ou de fin de la liberté d’expression. En démocratie, il est extrêmement choquant d’être condamné pour avoir dit une vérité, même si elle pique un peu. Il y aurait un moyen très simple de libérer la parole tout en se protégeant largement contre les tentatives réelles d’incitation à la haine raciale, qui serait d’introduire une exception de vérité dans la loi et de retourner alors la charge de la preuve. Si l’on dit effectivement la vérité, le juge ne pourrait condamner l’accusé sur la base de l’un des trois critères énoncé ci-dessus et ce serait alors à l’accusation de faire la preuve de la malveillance de l’accusé. De fait, sauf appel explicite à la haine ou technique rhétorique “à la Marc-Antoine” destinée à transformer implicitement une vérité en appel à la haine, on ne pourrait plus être condamné pour avoir dit une simple vérité. Et j’ai tendance à penser qu’un tel système serait bien meilleur que le Premier amendement américain, figé depuis des siècles, qui n’accomplit plus son office et ne protège plus la société.
Quel contraste entre la déclaration oxymoresque signée hier par les pays européens pour une IA « inclusive, éthique, sûre et ouverte » et le discours du vice-président américain JD Vance, à ce jour le meilleur discours prononcé par un politique sur le sujet. JD Vance a fait preuve d’une compréhension en profondeur de ce qu’est l’intelligence artificielle là où Macron, dans son interview télévisée sur France 2, n’a exhibé qu’un vernis et a accumulé les pontifs.
Que signifie d’abord une IA « inclusive » ? Cela signifie en réalité une IA biaisée, de façon à ce que les minorités y soient sur-représentées par-rapport à leur présence réelle. Ainsi, comme le souligne Vance, qui s’est opposé à la déclaration européenne (« The Trump administration will ensure that AI systems are free from ideological bias« ), les IA entrainées dans un sens « woke » font apparaître des George Washington noirs dans leurs résultats. Une IA inclusive, c’est un IA peu performante, qui nous ment et produit des résultats faux. Or nous devons développer des IA performantes, qui recherchent la vérité. La déclaration européenne (approuvée d’ailleurs par la Chine qui n’en aura cure) nous fait prendre du retard dès l’objectif, comme si, au moment du développement du rail, nous avions développé les gares à la campagne.
Qu’est-ce qu’une IA éthique ? C’est une IA à qui on impose de respecter des contraintes déraisonnables au niveau de la propriété des données personnelles et de son entrainement. JD Vance parle d’étranglement et signale à juste titre que le « Digital Act » européen engendre des coûts de développement complètement dingues pour les petites entreprises, au détriment de l’innovation et a pour conséquences que petites et grandes entreprises boycotteront souvent l’Europe, non seulement comme cible mais comme lieu d’implantation de leur centre de R&D. Là aussi, retard pour les sociétés européennes.
Qu’est-ce qu’une IA « sûre » ? Pour Vance, les seules initiatives de régulation devraient concerner la lutte contre le crime (exemple, la pédophilie) et la lutte contre les dictatures (il vise évidemment la Chine) de façon à les empêcher de copier les développements faits aux Etats-Unis. La vision optimiste « a priori » des américains peut sembler naïve aux européens mais, sur un plan géostratégique, Vance poursuit finalement la guerre du Péloponnèse, démocratie athénienne contre dictature spartiate. « Focus on opportunity, not on safety » : il appelle les pays européens à plus de confiance et à « éviter toute mesure conservatoire de régulation » (ce que nous serons évidemment incapables de faire). Progresser d’abord, réguler si nécessaire ensuite pour ne pas casser l’innovation – c’est contraire à la philosophie même du Digital Act européen.
Un conflit politique est à venir sur la propriété des données. « Nous avons un problème avec le fait que des gouvernements étrangers semblent vouloir limiter le rayon d’action des entreprises américaines ayant une empreinte internationale« . Rappelons que l’administration américaine se réserve un droit de regard sur toutes les données détenues par des entreprises US, où qu’elles soient – ce qui fait que les données françaises chez Amazon sont consultables aux US. Des voix européennes souveraines se sont élevées contre ce contrôle et demandent, à juste titre, une réciprocité. Compte tenu de la guerre commerciale à venir, de la mollesse européenne et de notre incompréhension du sujet, nous ne l’obtiendrons jamais.
Vance compare la révolution IA à celle de la machine à vapeur, ce qui est la meilleure analogie qu’on puisse trouver car l’IA est effectivement à l’intelligence humaine ce que la machine à vapeur a été aux forces humaine et animale. Son seul point commun avec Macron est qu’il reste optimiste sur les conséquences de l’IA sur le monde du travail. « L’IA va aider les gens dans leur travail et créera des opportunités, nous nous refusons à y voir une simple force disruptive qui ne ferait qu’automatiser le monde du travail » (Vance), « L’IA aidera l’humain sans s’y substituer » (Macron). Je suis donc en désaccord complet avec la seule chose qui les rassemble: l’IA va être au travail intellectuel ce que la machine a été aux manufactures. Un grand nombre de professions vont disparaître – ça a commencé pour les journalistes mais à relativement court terme, avocats, médecins ainsi qu’un grand nombre de managers et d’industrie seront touchés. Même le monde artistique n’y échappera d’ailleurs pas.