« Je ne suis pas Dr House, mais… » 12 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 2 723 fois | ajouter un commentaire
L’épisode 21 de la saison 3 de Dr House, “Family”, pose de façon clinique (c’est le cas de le dire) les problèmes éthiques auxquels est soumise la communauté médicale. Quelle responsabilité le médecin peut-il prendre sur la vie des patients ? Suivre le protocole est-il toujours dans l’intérêt du malade ? Il permet d’illustrer le dilemme auquel la communauté médicale est confrontée dans le cas du coronavirus, en mettant en scène le conflit éthique entre l’intérêt du malade et le respect du protocole.
Il n’est pas raisonnable de laisser la responsabilité de ces choix aux seuls médecins, d’abord parce que les problèmes posés étant de nature philosophique plus que scientifique, ils concernent chaque citoyen; ensuite et surtout parce que j’entends montrer que ces choix sont nuisibles à la santé mentale des médecins eux-mêmes.
- L’assistance à personne en danger
L’aîné est atteint de leucémie. Il doit, pour survivre, recevoir sous 5 jours une transplantation de moelle osseuse provenant du cadet, sinon il mourra. Mais le cadet tombe malade, ce qui empêche toute transplantation car l’aîné a perdu toutes ses défenses immunitaires.
House décide de rendre le cadet encore plus malade, en le soumettant à des bains glacés. En accélérant la progression de la maladie, il espère pouvoir la guérir ensuite plus rapidement pour sauver l’aîné.
Ce faisant, House effectue (implicitement) un calcul de nature utilitariste. Si une vie humaine vaut 100 (la vie de l’aîné) et qu’on met la souffrance du cadet dans le bain glacé à 10, House calcule que sa solution « vaut » 100 – 10, soit 90. L’autre solution (pas de bain glacé), vaut 0 (l’aîné meurt, le cadet ne souffre pas).
Pas de traitement | Solution House | |
Aîné | 0 | 100 |
Cadet | 100 | 100 – 10 = 90 |
Valeur totale | 100 | 190 |
Tous les médecins acceptent sans rechigner cette solution, ainsi que les parents. Elle ne semble poser de problème éthique à personne. De fait, elle n’en pose pas : le cadet va passer un mauvais moment, certes, mais sauve ainsi son frère. C’est une forme d’assistance à personne en danger. Je pense que tous ceux qui liront ce billet accepteront ce choix.
- Handicap léger contre vie
Les bains glacés mettent en évidence que l’infection est située dans le cœur du cadet. Deux solutions : 1 mois d’antibiotiques pour le cadet (et l’aîné meurt) ou une opération à cœur ouvert, risquée et qui laissera des séquelles physiques qualifiées de légères, mais permanentes.
House propose la deuxième solution, toujours à cause du même raisonnement implicite (Si la vie vaut 100 et la souffrance du cadet vaut ici 40, la solution « vaut » 60. L’autre solution vaut 0).
Pas de traitement | Solution House | |
Aîné | 0 | 100 |
Cadet | 100 | 100 – 40 = 60 |
Valeur totale | 100 | 160 |
A noter que cette fois-ci, la proposition est contestée sur le plan éthique par un médecin, au motif que la souffrance du cadet sera très importante et le handicap qui suivra sera léger, mais permanent. Les médecins s’en remettent aux parents, qui décident, après hésitation, de suivre le choix de House.
Ce choix est déjà nettement moins évident puisque les médecins sont partagés et que les parents hésitent.
Un problème éthique se pose en effet. C’est qu’il y a une forme de troc entre les patients. La solution globale proposée par House est certes globalement meilleure mais elle transfère les conséquences de la maladie de l’aîné vers le cadet. Il y a mutilation du cadet, non malade au départ, pour sauver l’aîné et celle-ci se fait sans le consentement du donneur. C’est pourquoi les parents hésitent, c’est pourquoi un des médecins n’est pas d’accord. Il n’y a accord final que parce que le handicap est censé rester léger. Ce cas est très similaire au cas d’un patient qui donnerait son rein pour sauver un malade sous dialyse.
3. Le cas du handicap lourd ou de la mort, le sacrifice,
Que se passe-t-il si on substitue à un handicap léger un handicap lourd dans le schéma précédent.
Notre société donne une valeur presqu’équivalente à la mort et à un handicap très lourd. On autorise par exemple un avortement thérapeutique hors délai lorsqu’il est prouvé que le fœtus est anormal ou a le risque d’être gravement anormal. On tend de plus en plus à mettre fin à la vie s’il est prouvé que « la vie qui reste » devient littéralement invivable (souffrance permanente ou même absence définitive de sensation, comme cela a été le cas dans l’affaire Lambert).
Si on admet que le handicap lourd a valeur de mort, le troc médical proposé précédemment par House a un nom : sacrifice. Nous sommes en présence d’un sacrifice humain déclenché par les médecins. On comprend que la mise en œuvre d’une telle solution ne coule pas de source. Je pense que la plupart des lecteurs de ce billet, médecins ou non, n’admettraient pas que le médecin « choisisse » qui doit mourir, tue un patient pour en sauver un autre. Le médecin est un sauveteur, il n’est pas Dieu.
4. Ethique et protocole
C’est pourtant exactement la solution que le protocole médical qualifie d’éthique. Ce que la communauté scientifique reproche au Pr Raoult à Marseille, c’est de ne pas mettre en œuvre ce choix sacrificiel.
Qu’y a-t-il derrière le terme « échantillon de contrôle » préconisé par le protocole et soutenu par un grand nombre de chercheurs et de médecins ? Tout simplement le fait que certains malades vont recevoir un traitement, potentiellement moins bon, dans le simple but d’augmenter la certitude que le traitement à tester fonctionne.
L’éthique du protocole, c’est donc ici une généralisation de la stratégie du sacrifice. C’est le médecin Dieu.
Avec le paradoxe suivant pour le médecin : si le Pr Raoult a la conviction que son traitement fonctionne, on lui demande de sacrifier des vies en ne leur donnant pas le traitement, ce qu’il ne peut éthiquement pas faire. S’il consentait à suivre le protocole pour satisfaire la communauté scientifique, il se montrerait simplement lâche.
Il n’y a pas besoin d’être médecin pour comprendre que cette généralisation ne va pas de soi.
Et non seulement cette généralisation ne va pas de soi, mais elle est contraire à la philosophie qu’ont la plupart des médecins de leur pratique. « On » utilise donc un certain nombre de techniques-leurres destinées à cacher au médecin, à la communauté scientifique, aux citoyens la réalité de leur acte, à dégager leur responsabilité. « On » ne signifie pas qu’il y ait complot, ni responsabilité en tant que telle. Ce besoin de ne pas creuser la situation est tout simplement inscrit dans la condition humaine.
5. Le voile d’ignorance
La prise volontaire d’une vie fait du médecin un Dieu. Elle viole aussi une loi fondamentale des sociétés humaines – qui préfèrent le cas échéant s’en remettre au hasard, une sorte « d’axiome du non choix« . La responsabilité humaine du troc médical étant impossible à assumer, la communauté scientifique s’en remet effectivement au hasard, dont le nom scientifique est « randomisation », et au bien nommé « double aveugle ».
Le hasard d’abord : les malades sacrifiés (échantillon de contrôle) seront tirés au sort, le médecin n’aura donc aucune responsabilité formelle dans leur désignation. C’est une forme sophistiquée du tirage à la courte paille, sur les bateaux. Tirer à la courte paille le marin qui sera mangé est en effet plus acceptable, humainement, que de le désigner par un vote ou que de choisir le plus faible.
Le double aveugle : le médecin ne sait pas qui est ou n’est pas dans l’échantillon de contrôle. Ne sachant pas qui il tue, il n’a pas de sentiment de culpabilité personnelle. Ainsi, dans un peloton d’exécution, on ne met des balles réelles que dans quelques fusils, de façon à ce qu’aucun soldat n’ait la certitude d’avoir personnellement exécuté le condamné. La lapidation tient aussi de ce processus : nul ne sait qui a jeté la dernière pierre, celle qui a tué.
Les techniques de dissimulation ci-dessus sont donc aussi vieilles que l’humanité. Le protocole médical n’est qu’un outil d’impersonnalisation visant à masquer la réalité du sacrifice derrière un jargon scientifique, un moyen technique, un leurre visant à masquer l’absence de solution réellement éthique.
Ces techniques de dissimulation fonctionnent mais de façon imparfaite. On refoule le raisonnement pour dissimuler la réalité du meurtre, mais la raison ne peut être totalement convaincue et le protocole devient donc dogme, croyance inattaquable. Les attaques envers le Pr Raoult de la « communauté scientifique » sont d’autant plus violentes et lapidaires qu’au fond, chacun sait, chacun sent qu’il est impossible de prouver que Raoult n’a pas tort. Mais si Raoult n’a pas tort, chacun est coupable de meurtre. Idée impensable qui génère des dénégations d’autant plus violentes de la part des médecins impliqués qu’ils n’ont cherché qu’à sauver des vies.
Contrairement à ce que pensent un grand nombre de scientifiques (Etienne Klein, Franck Ramus…), ce problème éthique ne se pose qu’en matière de médecine et pas dans les autres sciences. Si on conduit une recherche en pédagogie, on peut, on doit sans doute, mettre en place tous les tests nécessaires pour obtenir la certitude avant de généraliser la méthode. On peut mettre 15 ans avant de valider une théorie en physique, tout ceci tient de la science et uniquement de la science. La médecine a ceci de particulier qu’elle touche, de façon non réversible (car les morts ne ressuscitent pas) à la vie humaine, au cœur des sociétés humaines et les problèmes éthiques posés dépassent le simple cadre scientifique. La médecine n’est pas qu’une science.
6. Les différences d’avis entre médecins
Le chirurgien ne réalise pas l’opération car l’aspect du cœur ouvert infirme le diagnostic. On recherche alors une maladie auto-immunitaire (qui permettrait la transplantation immédiate, celle-ci n’étant pas présente dans la moelle osseuse) plutôt que de réaliser une transplantation avec un autre donneur. House décide de tenter une transplantation du cadet vers l’aîné plutôt que d’utiliser un donneur extérieur à la famille.
L’argument de House est ici explicitement utilitariste. Un donneur extérieur aurait une compatibilité de 4/6, ce qui fait baisser la probabilité de réussite de la greffe, alors que le cadet à une compatibilité de 1.
Aucun problème éthique n’est soulevé à ce moment précis car le diagnostic de maladie auto-immunitaire est suffisamment rapide à confirmer ou infirmer pour pouvoir retarder la greffe sans mettre la vie de l’aîné en danger.
Greffe avec donneur extérieur | Solution House (greffe du cadet vers l’aîné) | |
Aîné | 4/6 x 100 = 67 | 100 |
Cadet | 100 | 100 |
Valeur totale | 167 | 200 |
Mais le diagnostic auto-immunitaire est écarté et on en revient au diagnostic d’infection initial. Problème, il faudrait des semaines pour tester toutes les infections possibles – ce qui entraînerait la mort de l’aîné.
House espère quand même trouver à temps l’infection et ne veut toujours pas effectuer la greffe mais l’état de l’aîné se dégrade tellement rapidement que le risque vital est engagé à tout moment si la transplantation n’a pas lieu immédiatement (mort subite possible).
Un des médecins, Foreman, se révolte alors et propose aux parents une transplantation avec un donneur partiellement compatible. Les parents suivent l’avis de Foreman.
Paradoxalement, House déclare que ça ne lui pose « pas de problème ».
Pourquoi ?
Parce qu’en termes utilitaristes, les 2 solutions sont à peu près équivalentes.
La solution de House vaut en gros : 50% (probabilité qu’il trouve l’infection à temps) x 100 (la vie de l’aîné). Celle de Foreman vaut 67% (probabilité que la greffe fonctionne avec un donneur moins compatible). Le problème n’est que dans l’estimation (subjective) des probabilités, qui a un côté forcément subjectif. House ne peut pas prouver si sa solution est en dessous ou au dessus de celle de Foreman. Il s’agit de deux choix médicaux respectables et irréfutables.
A noter que Foreman symbolise en quelque sorte la communauté médicale traumatisée par l’affaire Mediator. Ayant pris récemment une mauvaise décision médicale qui a occasionné la mort du patient, il tend à confondre éthique et respect du protocole. C’est pour respecter le protocole qu’il s’est révolté, non pas parce qu’il a pesé réellement le pour et le contre.
A noter enfin qu’aucune des 2 solutions n’a d’impact sur l’état du cadet. C’est bien une différence d’appréciation médicale qui est en jeu, pas un problème éthique.
Solution Foreman (Greffe avec donneur) | Solution House (greffe du cadet vers l’aîné) | |
Aîné | 4/6 x 100 = 67 | 100×50%=50 |
Cadet | 100 | 100 |
Valeur totale | 167 | 150 |
7. Le choix de Sophie
La greffe n’a pas pris sur l’aîné –les médecins estiment qu’il est condamné – et l’état du cadet se dégrade, il mourra si le diagnostic n’est pas effectué rapidement. Pour pouvoir effectuer le diagnostic du cadet, House à l’idée de transférer sa moelle à l’aîné – l’aîné étant privé de défenses, le diagnostic, impossible à réaliser chez le cadet, sera immédiat.
Dans ce nouveau cas de figure, l’aîné mourra à coup sûr de l’infection transmise par le cadet mais sa mort sauve le cadet. On propose donc aux parents de sauver un des enfants « au détriment » d’un autre.
« Soit vous condamnez l’aîné (en lui transférant l’infection), soit vous perdez les 2 ».
En termes utilitaristes, on a d’un côté une solution qui vaut 0 (les deux meurent) et une qui vaut 100 (l’aîné meurt).
Pas de traitement | Solution House (greffe du cadet vers l’aîné) | |
Aîné | 0 | 0 |
Cadet | 0 | 100 |
Valeur totale | 0 | 100 |
Pour House, qui raisonne en utilitariste, le choix est donc on ne peut plus évident.
Mais les parents refusent ce choix (car ils respectent le tabou du sacrifice humain, l’axiome du non-choix que j’ai évoqué plus tôt, celui que justement le protocole médical ne respecte pas), condamnant ainsi très probablement les 2 enfants.
Structurellement, le choix qui a été proposé aux parents est une variante du choix de Sophie, un célèbre exemple tiré d’un roman de William Styron.
Sophie est déportée à Auschwitz avec ses 2 enfants. Le médecin du camp lui propose d’en sauver un des deux à la condition qu’elle choisisse elle-même celui qui sera tué – sinon les deux seront assassinés. Ce qu’elle fait, sous la contrainte, et ce dont elle ne se remettra jamais psychologiquement.
Là aussi, en termes utilitaristes, le choix de Sophie paraît évident. Mais on se rend bien compte avec ce cas des limites éthiques du choix utilitariste, des tabous qu’il transgresse parfois, des désordres psychologiques qu’il peut créer.
8. Le dévouement ultime
House convainc alors l’aîné d’accepter de recevoir la moelle infectée au nom de l’amour de son frère.
Le côté volontaire de l’acte de l’aîné (qui dégage leur responsabilité), et le fait qu’il ne s’agit pas vraiment d’un suicide mais d’une sorte d’euthanasie, puisque l’aîné est de toutes les façons condamné, lève les préventions éthiques des parents liées au tabou du sacrifice. Le choix n’apparaît plus comme un meurtre mais comme un don de soi, volontaire, de l’aîné.
9. La violation nécessaire du protocole
Au moment où la moelle va être transférée, la cause de l’infection est trouvée, le cadet instantanément soigné mais on ne peut pas transférer sa moelle osseuse vers son aîné sans risque pour le cadet. Il est donc décidé de laisser l’aîné mourir. Cependant, un médecin (toujours Foreman) décide d’agir hors protocole et prélève quand même la greffe du cadet, avec le consentement de celui-ci. Quelques heures plus tard, la greffe est réalisée : les 2 frères sont sauvés. House approuve le geste de Foreman et le réintègre dans son équipe alors qu’il avait décidé de s’en séparer
A noter que si la solution Foreman échoue, le cadet meurt mais l’aîné survit. Dans tous les cas, la solution de Foreman est, sur un plan utilitariste, supérieure ou égale au protocole. Elle maximise l’intérêt des malades mais fait fi de l’axiome du non choix.
Traitement selon le protocole | Solution Foreman (greffe du cadet vers l’aîné) en cas de réussite | Solution Foreman en cas d’échec | |
Aîné | 0 | 100 | 100 |
Cadet | 100 | 100 | 0 |
Valeur totale | 100 | 200 | 100 |
La série met en scène le désordre psychologique de Foreman, qui représente ici l’état actuel actuel de la communauté médicale. C’est lui qui, traumatisé par de précédentes erreurs médicales, comme la communauté médicale a été traumatisée par le cas du Mediator, applique au départ le protocole de façon contraire à l’intérêt profond du malade, confondant ainsi éthique médicale et protocole. Foreman redevient médecin aux yeux de House quand le malade repasse au premier plan, ce qui signifie ici une mise en retrait du protocole. Son exemple me paraît profond: il me semble que la communauté médicale oscille depuis plusieurs années entre respect aveugle du protocole et violation de celui-ci, tout ceci n’étant q’une façon de ne pas réellement penser le protocole.
Il est à craindre d’ailleurs qu’aujourd’hui, des désordres psychologiques analogues à ceux de Sophie n’aient été créés au sein de la communauté médicale elle-même, désordres dont la violence des réactions envers Raoult me semble être un symptôme. J’ai pu lire des articles comparant les médecins à Mengele. Au plan humain, cette comparaison est évidemment une pure aberration; au plan structurel, elle ne l’est pas forcément. Les malades doivent être protégés, la communauté médicale devrait l’être aussi. C’est d’ailleurs un des objectifs du protocole mais malheureusement il me semble que là aussi il échoue, au moins en partie.
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Le RGPD nous faisait chier et maintenant il va nous tuer 8 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 2 093 fois | ajouter un commentaire
Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), c’est ce truc que vous voyez sur tous les sites Web et qui vous empêche de surfer à votre aise en vous demandant d’abord si vous acceptez bien tous les cookies. Ça vous emmerde mais comme vous n’avez pas le temps de sélectionner les cookies, vous les acceptez sans regarder et donc, la situation est inchangée par-rapport à avant, sauf que vous avez 2 clics de plus par site visité. Un grand merci à la CNIL pour cet énorme progrès.
L’autre effet notable du RGPD a été l’ubuesque génération de spams au moment de sa mise en place. Toutes les entreprises de la planète vous ont écrit pour vous demander si elles avaient le droit de vous écrire. Chaque demande d’autorisation était elle-même illégale car non sollicitée. Bref.
Si on en croit Cédric O, notre secrétaire d’Etat au numérique, le RGPD symbolise « nos valeurs », ce qui nous différencie des Etats-Unis ou de la Chine. Il y a une certaine forme de protectionnisme compréhensible derrière tout ça puisqu’il s’agit de créer des lois favorisant le développement d’un écosystème spécifiquement européen. Mais surtout, c’est un aveu inconscient d’impuissance: comme nous sommes incapables de peser réellement dans la révolution numérique, nous nous réfugions derrière des prétextes bidons mais qui nous rassurent. Nous jouons aux purs pour ne pas admettre que nous sommes faibles.
Le RGPD est totalement inefficace vis-à-vis des applications des pays tiers car il est impossible de vérifier qu’elle est appliquée. Les PME américaines ou chinoises passeront (passent déjà) outre sans risque, les GAFA passeront outre au risque d’amendes légères devant les enjeux et qui, arrivant trop tard, ne changeront pas la donne. Les entreprises françaises, forcées elles de s’y soumettre, sont retardées dans leurs projets. Ainsi, nous avons encore enfanté un monstre juridique, nous nous sommes encore tiré une balle dans le pied avec cette loi.
Beaucoup de français sont sincèrement très attachés au RGPD. Il y a d’abord une sorte de méfiance paranoïaque envers toute constitution de fichier, considérée a priori comme un flicage liberticide, qui est une sorte de retour d’une culpabilité refoulée remontant à notre passé collaborationniste et vichyiste – c’est pourquoi tous les pays européens, Allemagne comprise, sont pour une fois d’accord. Ensuite, ne se rendant pas compte que leurs données sont déjà ailleurs, les français ont l’illusion que cette loi les protège réellement.
Le pompon de la bêtise, celle qui tue, est en passe d’être atteint avec le traitement du coronavirus. Au moment où nous déconfinerons, il devrait être possible de mettre une application traceuse sur chaque smartphone. (« Devrait » car il ne faut pas préjuger des capacités techniques d’un pays qui n’a su procurer ni gel, ni masque à ses citoyens). Cette application, si vous êtes testé positif, va être capable de voir quels amis vous avez croisés et ils pourront être eux-mêmes testés. Ainsi utilisée, une telle application réduit significativement la contagion, sauve des vies (par exemple en Corée), mais réduirait selon certains nos libertés et, drame national !, enfreindrait le RGPD.
Une telle interprétation est un détournement de la notion de citoyenneté, au bénéfice d’une liberté individuelle mal comprise – de fait la liberté de tuer. Pour bien le comprendre, il faut faire le parallèle avec la quarantaine. Quand une maladie contagieuse se déclare sur un bateau, on le met en quarantaine. Aucun passager n’a le droit de débarquer jusqu’à la visite des services sanitaires. En cas de maladie très contagieuse, cette visite ne peut même pas avoir lieu : le bateau est mis à l’isolement total.
L’immense majorité des passagers ne présente aucun signe de maladie, la plupart des passagers ne développeront pas la maladie. On leur empêche donc en quelque sorte injustement le libre accès au port. Mais peut-on considérer que les passagers du bateau sont injustement privés de liberté ? Evidemment non et aucun passager n’oserait utiliser le terme liberticide car la mise en quarantaine, c’est la participation citoyenne de chaque passager à la sécurité sanitaire générale. Le passager qui ne s’y soumet pas est moralement complice de la maladie. Cette évidence apparaît au passager même.
De même, pour la non installation de l’application sur un portable. Ceux qui refusent de le faire devraient être strictement confinés entre eux, ils seraient ravis d’être réunis tous ces cons, et, si cet isolement les empêche de se rendre au travail, leur salaire devrait être suspendu sans compensation sociale.
Jusqu’à présent, le RGPD nous faisait simplement chier; Maintenant, il risque de nous tuer.
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Une étude criminelle sur le coronavirus à l’APHP Paris 7 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 593 fois | ajouter un commentaire
Dans cette étude menée la semaine dernière à l’APHP Paris sur 11 patients positifs au coronavirus, le protocole testé est celui de Marseille (hydroxychloroquine et azithromycine).
Oui, mais :
– 8 patients sur 11 présentaient une maladie grave qui aurait dû constituer un critère d’exclusion, médical ou éthique, au traitement à l’hydroxychloroquine (obésité, cancer, HIV…)
– 10 patients sur 11 étaient déjà à un stade de maladie très avancé (devant être mis sous ventilateur). Or on sait que ce traitement agit en priorité aux stades peu avancés de la maladie ; il empêche le basculement vers les cas les plus graves.
Et donc, par conséquent, les mêmes causes ayant les mêmes effets :
– Un patient est mort, sans qu’on sache bien si c’est le traitement qui l’a tué ou le corona
– Un patient a dû stopper le traitement (arythmie cardiaque très probablement liée au traitement)
– 8 patients sur 10 encore positifs après 6 jours de traitement.
L’étude conclut (évidemment…) à l’échec de l’expérience.
Je ne suis pas médecin, mais ayant simplement lu les études Raoult, je pouvais le prédire, je n’avais nul besoin d’avoir une telle confirmation avec un coût humain aussi élevé. A quoi joue-t-on ? De telles études sont criminelles. Je n’ose croire à la malveillance, à la volonté de simplement discréditer le traitement marseillais; il s’agit de médecins dont le comportement éthique est bien évidemment soumis aux plus hauts standards. Mais alors, ces médecins sont des ânes.
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De Maître Pancrace au Docteur Raoult : la peste et les maladies infectieuses à Marseille 4 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Critiques,Politique.Lu 1 595 fois | 1 commentaire
Pagnol raconte dans une nouvelle, Les pestiférés, l’histoire de Maître Pancrace, ancien médecin du Roy, qui durant la grande peste de 1720 sauva tout le quartier de la colline Devilliers à Marseille.
Ce médecin atypique s’était renseigné avant tout le monde sur les modes de contagion de la peste– il avait observé en particulier que les moines cloîtrés ne l’attrapaient pas. Il avait lu tous les livres et en particulier l’histoire des 19 épidémies documentées – la première source remontant à Thucydide.
Quand l’épidémie se déclara, il fut le premier à la reconnaître et isola immédiatement tout son quartier, une centaine de personnes, se murant derrière des murs et se protégeant avec de l’eau fortement vinaigrée – seule barrière ayant semblé faire ses preuves contre la maladie. Les habitants de la colline avaient constitué plusieurs mois de réserve, mais ils se cachaient des autorités et durent quand même évacuer au bout de quelques semaines.
Pagnol raconte leur fuite de Marseille et les libertés que le médecin dut prendre avec le protocole – déjà – pour les sauver. Quand ils atteignirent le village d’Allauch, on ne décomptait pas le moindre mort dans leurs rangs. La moitié de la population de Marseille, 40 000 personnes, était morte.
(Histoire probablement totalement imaginaire, faut pas rêver non plus, c’est du Pagnol)
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Ne rejouons pas « Oedipe-Roi » 2 avril 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 198 fois | ajouter un commentaire
« La mort est sur la ville… et en fait un désert » (1)…
On abandonne sans les pleurer, sans les plaindre, les corps gisant sur le sol où ils propagent la mort.
Un chef jeune, talentueux et impulsif…
La situation de Thèbes est très proche de la nôtre. Thèbes est dirigée par un chef jeune et dynamique, Œdipe, marié à une femme bien plus âgée que lui mais dont il a eu 4 enfants. Cinq ans plus tôt, personne ne le connaissait. Il est arrivé là très vite, certains diront que c’est par hasard car il a profité d’une vacance presque miraculeuse du pouvoir en place mais en fait non : il s’est imposé grâce à sa compétence supérieure en répondant à l’énigme de la Sphinx. Il est très conscient de sa valeur, un peu donneur de leçons, impulsif et en permanence,
« il impose à tous le visage de sa supériorité »
La peste l’a pris de cours, il n’a aucune solution concrète à apporter, il est inquiet des conséquencespour le peuple et craint sans doute aussi un peu pour son trône. Le microbe est assimilé à la guerre :
« Pour nous assaillir aujourd’hui
Ares n’a ni épée ni cuirasse »
Œdipe déclare la guerre au microbe et suivra l’avis de son Conseil Scientifique
Alors Œdipe réagit en chef. Quand Créon lui apprend que la Peste est due au meurtre du roi, quelques années plus tôt, Œdipe saute sur l’occasion et s’engage publiquement à débusquer le meurtrier, à le vaincre, mais comment ? Cela semble impossible. Quand Tiresias « La Science », celui qui sait tout et ne se trompe jamais se présente, il déclare, très imprudemment qu’il s’en tiendra à son avis, celui du Scientifique :
Sois le sauveur de l’Etat, mon sauveur…
Nous sommes entre tes mains
La solution est sous les yeux de tous, personne n’en veut
Jusqu’ici, vous ne faîtes je pense que suivre mon regard. Mais ce qui est étonnant dans Œdipe Roi, c’est que Tiresias a vraiment la solution du problème et qu’Œdipe ne l’écoute pas. Quand il apprend la vérité (qui comme prévu, le met en cause), il ne veut rien entendre venant de
« ce charlatan retors qui n’y voit que pour ses profits mais dans son art radicalement aveugle » !
Les raisons de la thèse complotiste d’Oedipe sont doubles : d’abord, il est légèrement paranoïaque à cause de son complexe éponyme donc il soupçonne immédiatement Tirésias la Science de l’accuser avec des objectifs politiques. Ensuite, il raisonne en politique et la manifestation de la vérité toute nue est toujours inquiétante pour le pouvoir. A la grande satisfaction de Freud, Oedipe n’est sans doute pas conscient de ses propres raisons. Le traiter de complotiste, c’est donc s’exposer à l’accusation de populisme – accusation qu’Oedipe fait à Créon, son beau-frère.
Le peuple, alors que Tiresias a fait ses preuves maintes fois, suit Œdipe et retarde aussi la mise en œuvre du remède. Le Chœur décide donc, contre toute évidence (mais en toute bonne foi) qu’il faut rechercher d’autres preuves :
« Eh bien non moi, avant preuve directe,
Jamais je ne saurai admettre
Qu’on incrimine Œdipe ! »
Jocaste comprend beaucoup plus vite mais elle aussi cherche à retarder la découverte de la vérité, par intérêt personnel, parce qu’elle a compris de quoi il en retourne et aussi parce qu’elle cherche l’union sacrée et sent que Thèbes va tout droit vers la guerre civile.
« Ne rougissez vous pas, quand le pays souffre, de remuer des rancoeurs personnelles !
N‘allez pas grossir en tragédie un grief sans consistance »
Dans ce grand drame, ce qui frappe d’abord, c’est l’extrême, l’invraisemblable proximité politique et psychologique entre ce qui se passe chez nous et à Thèbes. Nous aussi, nous sommes dans cette situation totalement absurde où nous avons le remède depuis des semaines et ne l’utilisons pas. Et je n’ai même pas parlé du point plus évident tellement il nous, passez-moi l’expression, crève les yeux. Toute la pièce n’est une mise en scène de l’accusation envers le chef, la peste génère une violence qui se retourne contre le pouvoir. Cette haine délirante qu’on lit tous les jours sur les réseaux sociaux.
Difficulté de croire ceux qui disent que « rien ne sera plus comme avant » alors que tout est déjà comme avant, comme il y a 2 500 ans très exactement.
Supériorité immense des grecs qui ont été capables d’analyser leurs crises alors que nous ne le sommes plus. Rien ne sera comme avant parce que ce sera pire qu’avant.
Et espoir quand même, espoir parce que la vérité s’impose finalement. Elle arrive tard, d’une façon différente de celle qui était attendue, mais finit par s’imposer, comme par défaut.
(1) Toutes les citations sont tirées de la pièce de Sophocle, Oedipe Roi
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Raoult n’est pas Galilée, mais le Conseil Scientifique est pire que l’Inquisition 29 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 648 fois | ajouter un commentaire
Sur le plan scientifique, il n’y a aucune commune mesure entre Galilée, un des plus grands découvreurs de l’humanité et Raoult, qui est juste un très bon chercheur.
L’excellence scientifique ne protège en rien contre l’erreur. Ni contre les publications faites trop rapidement. Il faut se souvenir que Galilée publiait très rapidement (parfois moins de 15 jours après ses observations) et s’est souvent complètement planté. Ses “Dialogues sur les deux systèmes du monde” fourmillent de graves erreurs, en particulier sur l’explication des marées (ce qui n’empêche pas que le livre soit magnifique). Surtout, si l’Eglise a condamné Galilée, ce n’est pas parce qu’elle pensait que sa thèse était fausse mais « simplement » parce que Galilée n’apportait pas les preuves de ses dires.
Le paradoxe a été le suivant : Galilée a été condamné par un tribunal de savants, majoritairement d’accord avec lui, mais qui a appliqué le droit de l’époque, droit qui disait que les Ecritures ne pouvaient être remises en cause sans preuve. La phrase qu’on prête à Galilée (« Et pourtant, elle tourne ! ») est probablement apocryphe, mais elle aurait sans doute pu être prononcée par la plupart des membres du tribunal le condamnant !
Donc, au moment de la condamnation de Galilée, qui est déjà postérieure aux travaux de Kepler, tout le monde savait, même si la preuve n’était pas disponible. La preuve n’arrivera que plus tard, progressivement, quelque part entre Newton et Foucault.
En ceci, la connaissance du tribunal condamnant Galilée est bien supérieure à celle des médecins et des politiques qui condamnent aujourd’hui Raoult, car ils sont dans l’illusion qu’ils sont « dans la science » et que Raoult est « en dehors de la science », qu’ils ont raison de suivre le protocole et que lui a tort.
Là où le tribunal ecclésiastique était savant, presqu’éclairé, le Conseil Scientifique est ignorant, alors qu’il pense être le produit des Lumières.
L’erreur du tribunal moderne est triple :
- Idolâtrie du protocole. il fait la confusion entre médecine et protocole, alors que le protocole est un moyen, non une fin. Ce que j’ai expliqué dans un précédent billet.
- Confusion entre savoir scientifique et opinion scientifique. Il estime naïvement qu’il y a une frontière stricte entre opinion et savoir scientifique. Or cette frontière est floue. Le savoir scientifique n’est qu’une évolution, sur des années de l’opinion scientifique. Ce que j’ai aussi expliqué dans un précédent billet.
- La bonne décision n’est pas une moyenne, un consensus entre les avis scientifiques, mais le meilleur avis scientifique. Et celui à même de le donner est clairement Raoult, meilleur chercheur français, si ce n’est mondial sur le sujet. Ainsi, la plupart des critiques faites à Raoult (la soi-disant dangerosité de son traitement, l’absence de recherche de l’effet placebo, l’absence d’échantillon de contrôle, différents problèmes de méthodologie) sont évidemment parfaitement connues de Raoult dès le départ. Ces critiques ne prennent pas en compte le fait que, meilleur spécialiste du moment, son avis doit être réputé supérieur aux autres.
En particulier, on ne semble pas voir que les études Raoult ont des conséquences profondes non seulement sur le soin immédiat apporté aux malades, mais sur la stratégie de test et de confinement. Elles sont pourtant écrites en ce sens: si la durée de contagion diminue de 20 j à 6 j, les conséquences positives sur la santé et l’économie sont énormes. Or les résultats sur la durée de contagion semblent mieux établis, dès la première étude, que ceux sur la santé des malades.
Tout ceci justifie très certainement qu’on lui demande de s’expliquer face à ses pairs, rapidement, dans l’heure même qui suit sa proposition de traitement (car il y a urgence, car il y a un certain risque de fraude) mais certainement pas qu’on le mette hors la loi. Or le décret gouvernemental n° 2020-293 du 29 mars 2020 rend de fait Raoult juridiquement coupable de prescrire son traitement à Marseille.
Rappelons que l’Eglise n’avait jamais été jusque là. Elle n’avait jamais prétendu empêcher Galilée de mener ses travaux, elle voulait simplement qu’ils ne soient pas publiés en l’absence de preuve.
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Du CSA au CS
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 933 fois | ajouter un commentaire
Tous ses membres étant nommé par l’exécutif, le Conseil Scientifique, soi-disant indépendant, ne peut qu’être à la science ce que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est à l’indépendance des media et à la liberté d’expression:
(au choix et successivement)
– un parapluie pour l’exécutif
– un dévoiement de la science
– un organisme partisan
– rien du tout
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L’économie, c’est la santé 27 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 025 fois | ajouter un commentaire
il n’y a pas à opposer économie et santé. Le PIB / tête est clairement corrélé à la durée de vie, à la mortalité infantile. Une grave récession tuerait peut-être plus (pour ne pas dire bien plus) que le virus lui-même. Elle pourrait aussi tuer de façon indirecte sous forme de guerre civile ou de guerre.
L’économie n’est que notre forme d’organisation actuelle pour nous permettre de survivre face à la pression que nous met la nature. Nous ne sommes pas dans une logique si différente de celle du chasseur cueilleur préhistorique, mais nous ne nous en rendons plus compte car notre rapport à la nature est devenu indirect, via de multiples intermédiaires.
Que fait le chasseur cueilleur si on le confine 1 mois ? Il meurt. Attention, je suis très inquiet pour la suite, et ce n’est pas par fascination pour l’économie, le travail, l’argent ou le grand capital.
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Comment se crée l’opinion scientifique ? 26 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 2 126 fois | ajouter un commentaire
On oppose depuis Platon l’opinion, qui est un jugement porté sans connaissance véritable, à la science, qui tient du savoir.
Le principe de base qui régit la sélection scientifique, la revue par les pairs (« peer review ») est censé protéger l’état de la science, sélectionner justement ce qui tient du savoir, considéré comme un absolu, de ce qui tient de la simple opinion.
Le mécanisme de sélection par les pairs
Cependant, du fait de l’hyperspécialisation des sciences à laquelle on assiste depuis un peu plus d’un siècle, le nombre des pairs, pour chaque spécialité, est très réduit. Souvent ces pairs se connaissent tous. Dans le cas des grandes universités anglo-saxonnes, ils vivent ensemble, se côtoient à la ville et dans les congrès, leurs femmes se côtoient, les cancans sur leur vie privée circulent entre eux, etc. Considéré spécialité par spécialité, le global village, même s’il est mondial, même à l’ère d’Internet, est donc minuscule.
Dans ce village, les opinions des profanes ne sont jamais considérées, même s’ils ont dédié 30 ans de leur vie à étudier les livres des savants. Les opinions des savants des autres disciplines ne sont non plus jamais considérées du fait de l’hyperspécialisation scientifique. Les pressions sociales qui s’y exercent sont intenses (argent, considération, amitiés, jalousies, réputation, lutte entre les générations…) comme dans toutes les activités humaines. Les savants sont des gens très doués, sélectionnés sur examen qui jugent leurs aptitudes supposées à la science, mais pas leur goût pour la vérité. Il y donc aussi des modes en sciences, qui produisent ce qu’il faut bien appeler une opinion moyenne, au sens où l’entend Platon. Même si cette opinion s’appuie sur des données expérimentales, ces expériences sont réalisées dans le village, les a priori qui les sous-tendent ne sont compris que dans le village, nécessitent des appareils coûteux et ne sont interprétées que par les habitants du village. Planck : « Même dans le cas des mesures les plus directes et les plus exactes, par exemple celle du poids ou de l’intensité d’un courant, les résultats ne peuvent être utilisables qu’après avoir subi nombre de corrections dont le calcul est déduit d’une hypothèse».
Le « peer review » échoue donc souvent à différencier « opinion » et « savoir ». Qui plus est, la façon de fonctionner de l’Université actuelle nuit d’une certaine manière au progrès scientifique lui-même.
La forme des publications
Le mode de fonctionnement scientifique actuel semble bien adapté à des évolutions techniques incrémentales. Les savants sont payés pour aller toujours de l’avant, produire de nouveaux papiers sans quoi on n’obtient ni avancement ni prix Nobel. Pourtant Aristote, Galilée, Newton… ont écrit de grands livres et dans le cas d’Aristote et de Galilée au moins, contenant une grande part d’opinion. (C’est une évidence aujourd’hui pour Aristote et dans le cas de Galilée, le Dialogue sur les systèmes du monde, un livre extraordinaire dans sa forme et son impact, est bourré d’approximations et d’erreurs scientifiques, en particulier sur la théorie des marées).
La méthode actuelle à base de publications courtes est une sorte de caricature (perversion) de la méthode expérimentale de Descartes : chaque papier apportant une pierre supplémentaire à l’édifice mais sans jamais un retour sur les fondements. Ainsi, autant que j’en puisse très modestement juger en tant que non habitant du village, en dépit d’avancées techniques absolument uniques depuis un siècle, la physique fondamentales s’est arrêtée depuis la découverte de la relativité et de la physique quantique, chacune résolvant d’un coup un grand nombre de contradictions classiques mais introduisant naturellement de nouvelles contradictions (Platon : « tout ce que l’intelligence humaine peut se représenter enferme des contradictions qui sont le levier par lequel elle s’élève »).
Ce qui se joue ici est plus important que la science même, c’est la notion de vérité, remplacée un peu partout par la notion d’utilité, que ce soit au sein du village ou des autres modes de publication « grand public ». Tout nous ramène à l’utilité, personne ne songe à la définir. Et en fait, l’opinion publique règne aussi dans le village des savants. Nous sommes revenus à la Grèce telle que Platon la décrit dans la République, au point qu’il semble décrire notre époque. L’art de persuader, la publicité, la propagande, le cinéma, le journal, la radio, la télé, Google, Facebook, Twitter tiennent lieu de pensée et ont simplement remplacé Protagoras et les sophistes. Malheureusement, il semble que Socrate, Platon, la tradition pythagoricienne nous fassent défaut.
Comme les savants n’ont souvent qu’une opinion, la politique de Macron, qui consiste à faire reposer toutes les décisions politiques sur les propositions des savants, comme si les savants détenaient le savoir, me paraît d’une très grande naïveté, j’emploie ce mot par modération naturelle mais il faudrait plutôt parler d’aberration ou de grosse connerie. Pourtant cette position politique passe dans l’opinion comme une lettre à la poste en temps de non confinement, elle est très populaire.
L’état de la science, ce n’est certes pas rien. Mais il est toujours un mélange de savoir et d’opinion, la proportion de chaque élément étant inconnue de la plupart des savants eux-mêmes. Les échanges sur les réseaux sociaux montrent que beaucoup sont prêts à suivre presqu’aveuglément l’avis des savants, même lorsque cet avis n’est qu’une opinion Il s’agit ni plus ni moins que d’une forme d’aliénation à l’avis des savants, de servitude. Cette aliénation est très dure à combattre. Ceux qui en sont victimes sont souvent des gens dits bien éduqués qui se vivent comme des héritiers des Lumières. Ceux qui refusent de s’y soumettre sont à leurs yeux d’obscurantistes ennemis de la science (à moins que ce ne soient des désespérés refusant de regarder la réalité en face, presque des pré-religieux, injure suprême !, la religion étant à leurs yeux souvent incompatible avec la science).
« Devons-nous nous soumettre aveuglément à ces savants qui voient pour nous, comme si nous nous soumettions aveuglément à des prêtres eux-mêmes aveugles, si le manque de talent ou le loisir nous empêche d’entrer dans leurs rangs ? Rien n’est plus difficile, et en même temps rien n’est plus important à savoir pour tout homme. Car il s’agit de savoir si je dois soumettre la conduite de ma vie à l’autorité des savants ou aux seules lumières de ma propre raison ».
Simone Weil (1).
(1) Simone Weil inspire un grand nombre de ces réflexions, avec Arthur Koestler. En ces temps confinés, je ne peux que recommander d’ailleurs à tous ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’au bout la lecture des Somnambules, qui, parcourant l’époque menant de Copernic à Newton, reste pour moi le meilleur livre sur le sujet de la création du savoir scientifique.
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Confiné, délivré : un algorithme pour lutter contre le virus tout en préservant l’économie 25 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 3 184 fois | ajouter un commentaire
La stratégie idéale serait de tester massivement la population et d’isoler les personnes positives. Mais les pays du tiers-monde, et la France, n’ont pas les moyens de cette stratégie. Ils confinent alors toute la population, pour un coût de plusieurs centaines de milliards. L’économie est arrêtée net, les désordres qui suivront (au mieux pauvreté, au pire guerre) tueront probablement plus que le virus lui-même.
Pourtant, il existe un moyen de ne pas tuer l’économie.
Comme seuls les vieux et quelques profils à risque peuvent mourir de ce virus (1), il suffit de les confiner eux, et eux seuls, en laissant le reste de la population libre d’aller travailler (pour les parents), d’aller à l’école (pour les enfants).
On peut mettre tous les moins de 60 ans au boulot dès demain, sauf s’ils habitent avec des vieux ou des personnes à risque. Dans ce cas, il faut les sortir de chez eux et les mettre pour quelques semaines dans des hôtels réquisitionnés, près de leur lieu de travail – ou en télétravail.
Le virus circulant librement parmi les personnes non confinées, on atteint rapidement le seuil dit « du troupeau » : à ce stade, le virus ne peut plus circuler du fait d’un trop grand nombre de personnes immunisées. Et les vieux peuvent mettre le nez dehors.
L’immense avantage de cette stratégie de confinement : elle empêche le virus de tuer et préserve l’économie.
(1) A ceux qui vont contester cette affirmation, je précise que je parle au sens statistique du terme. Et je leur demande de se concentrer sur la vision d’ensemble.
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