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Le directeur de l’éducation de l’OCDE confond éducation et élevage 2 mars 2019

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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C’est le prototype même de la mauvaise question. Le directeur de l’OCDE estime que c’est une perte de temps d’apprendre aux enfants à coder car dans le futur, cette compétence ne leur sera pas utile au travail.

Derrière cette affirmation, quelle qu’en soit la pertinence, il y a le présupposé suivant : l’école est uniquement là pour former professionnellement les enfants. Tout ce qui n’est pas professionnel n’est pas du domaine de l’école.

C’est une grave erreur. Une erreur que répète de façon constante l’OCDE dans toutes ses analyses d’ailleurs.

La plus-value économique, professionnelle, n’est pas l’objectif premier de l’école, qui depuis Jules Ferry a d’abord eu pour but de former des citoyens libres, au sens du premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La liberté réelle du citoyen dérive directement de sa capacité à comprendre le monde. C’est bien pour cela qu’on enseigne aux enfants un tas de choses « inutiles » (du moins au travail). La philosophie, le latin et même les mathématiques, comme le prétendait cet imbécile de Ferry, ancien ministre de l’Education Nationale, (Luc, pas Jules), sont, en premier ressort, des matières totalement « inutiles ».

L’informatique est devenue une science de base. Une connaissance de la programmation est nécessaire pour l’étude de presque toutes les autres sciences (chimie, biologie, physique, médecine…). C’est à ce titre, parce que le l’informatique est devenue une science fondamentale, que le codage, clé d’accès à cette science, doit être enseigné à l’école –  dès la 6ème, comme je le martèle depuis 10 ans dans ce blog. Ne pas l’enseigner à l’école, c’est donner un retard aux enfants pour l’apprentissage de presque toutes les sciences.

L’école, au sens républicain du terme, est conçue pour les enfants, dans leur intérêt. C’est le don que la génération actuelle fait à la génération future. L’école doit traiter les enfants comme des êtres humains au plein sens du terme, non pas comme un simple matériau qui sera économiquement nécessaire, plus tard, au monde du travail. A partir du moment où l’école cherche à apprendre aux enfants des choses pour la seule raison qu’elles sont « utiles professionnellement », le don désintéressé, raison d’être de l’école républicaine, devient un investissement méprisable.  L’école est une entreprise d’émancipation humaine, pas un l’élevage de poulets humains en batterie.

Voilà pour ce qui est de la fonction première de l’école. Il y a un autre argument qu’on oublie trop souvent, et que l’OCDE oublie toujours, c’est que dans un monde en transformation technique rapide comme le nôtre, les savoirs dits « inutiles » sont les seuls qui durent, en raison de leur caractère intemporel. Le triangle rectangle restera, de tout temps, inscrit dans son demi-cercle. Le latin permettra toujours de mieux comprendre notre langue, notre histoire, notre culture. Stimulant notre cerveau, il nous rend aussi plus intelligent pour toujours. La philosophie et le français continueront, demain comme aujourd’hui, à nous aider à comprendre le monde qui nous entoure.

Un enfant à qui on apprend une « compétence » (j’emploie le terme de l’OCDE) telle que « se servir du logiciel Word » ou « savoir taper à la machine » a toutes les chances d’aller à l’école pour rien, puisque dans 10 ans, cette compétence sera devenue inutile. Un enfant à qui apprend quelques grands principes fondamentaux mais valables de tout temps a une capacité d’adaptation professionnelle beaucoup plus grande.

Finalement, plus la technique prend de l’importance dans le monde, plus le scientifique, le fondamental, les savoirs généraux sont indispensables à l’école. L’efficacité économique, quoi qu’on veuille nous faire croire, est profondément corrélée à l’intérêt long terme de l’enfant. La vision la plus généreuse de que nous pouvons avoir de l’école est aussi la plus productive.

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Que signifie la création d’un CAPES informatique ? 10 janvier 2019

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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J’aurais pu signer des 2 mains les déclarations du Ministre à propos de la création, annoncée hier, du CAPES informatique.

A partir du moment où l’on crée un CAPES, on crée quelque chose qui va structurer le futur. Ce qui est très important c’est qu’avec cette ouverture, nous consacrons le numérique dans un sens non superficiel.

Aujourd’hui, on parle trop du numérique en restant à la surface des choses alors même que nous avons besoin d’élèves qui développent leur sens logique grâce à la programmation, d’élèves qui relient les savoirs numériques aux autres savoirs grâce à leurs approfondissements numériques et l’approfondissement de leur culture générale dans d’autres domaines

Quels étaient donc les problèmes à résoudre ?

  1. Enseigner la programmation, pas les usages de l’informatique

Depuis 15 ans, l’Education Nationale a fait fausse route. Les investissements visant à faire utiliser les technologies numériques par les élèves (ou par les professeurs), se sont multipliés. Mais les enseignements qui leur permettraient de comprendre, avant le baccalauréat, comment les technologies numériques fonctionnent, sont développées, mises au point sont presqu’absents. Je parle ici des cours de programmation, d’algorithmie et d’architecture des ordinateurs (de tout ce que les anglophones rassemblent sous le terme « Computer Science ».

L’informatique, au sens de la programmation, n’est apparue au Collège que depuis 2 ans. Et les professeurs d’informatique n’existaient pas, puisque le CAPES d’informatique n’existait pas. La programmation informatique, qui est à la fois une technologie et une science, est aujourd’hui principalement enseignée par les professeurs de mathématiques et de technologie, dont la formation ne recouvre, au mieux, qu’une moitié du domaine. Sans parler des réticences qu’ont beaucoup d’entre eux à enseigner en dehors de leur propre domaine (et dans la mesure où enseigner reste un métier de vocation, ces réticences me paraissent largement justifiées).

  1. L’informatique est devenue une matière fondamentale

Or, dire qu’il y a révolution numérique, c’est dire que l’informatique, prise au sens duel de « Computer Science », est à mettre au cœur de l’enseignement. De fait, l’informatique est devenue une science fondamentale, peut-être la science de base la plus indispensable à l’étude des autres sciences. La chimie, la biologie, la physique et même les mathématiques font appel, dans une très large mesure, à l’informatique.

L’importance de l’informatique dans l’enseignement est destinée à s’étendre dans les 10 prochaines années. Non pas dans le but de créer une génération d’informaticiens (pas plus qu’il ne s’agissait, avec les mathématiques, de créer une génération de mathématiciens). Mais parce que l’école a pour objectif de créer des citoyens capables de comprendre le monde et que la compréhension du monde, révolution numérique en cours oblige, passe par la connaissance profonde du fonctionnement des différentes réalisations numériques.

Ce que l’Education Nationale a enfin compris, c’est donc qu’on n’améliore pas la compréhension du monde en distribuant aux enfants des IPAD – pas plus qu’on ne crée des cuisiniers en leur faisant simplement goûter des plats ou qu’on ne crée des ingénieurs en leur achetant des voitures. On améliore la compréhension du monde en expliquant aux enfants comment les objets numériques sont faits et en leur apprenant à les faire.

  1. Une mesure encore non financée, des moyens presque risibles

Il transparaît des déclarations du Ministre que les mesures actuelles sont non financées et les moyens mis en place paraissent ridicules, presque risibles. Seuls 10 postes ont été ouverts et « ont vocation à s’étendre dans le futur » (ce qui signifie que rien n’est encore prévu). « Une agrégation en informatique devrait suivre » (toujours rien de prévu !). Les besoins actuels sont chiffrés, par le Ministre, à 1500 postes mais j’arrive pour ma part à environ 10 000 postes, si on considère que l’informatique, matière fondamentale complémentaire et alternative aux mathématiques, a vocation à rentrer profondément dans les programmes et à capter d’ici 10 ans une partie des heures de maths et de sciences.

Et après ?

1. Enseigner l’informatique à Sciences-Po, à l’ENA, à HEC…

Dans les universités américaines, l’informatique fait déjà partie du cursus des étudiants littéraires. A Stanford, 90% des étudiants, toutes spécialités confondues, suivent le cours « de base » en informatique, dont le niveau est supérieur à celui de presque toutes nos grandes écoles d’ingénieurs. En France, un tel cours d’informatique devrait rentrer au programme d’écoles comme Sciences-Po, l’ENA, l’Ecole Nationale de la Magistrature, HEC… Encore une fois, à quoi sert une école préparant aux métiers politiques, économiques ou à la magistrature si les élèves qui en sortent ne peuvent décoder le monde ?

2. En médecine et dans les écoles d’ingénieurs

L’informatique devrait évidemment être mieux enseignée en fac de médecine (le progrès médical des 50 prochaines années en sortira) mais aussi utilisée de façon intensive dans le concours d’entrée. Dans les grandes écoles d’ingénieurs, il est à souhaiter, pour deux raisons, que les filières d’entrée « Maths » et « Physique » soient complétées par une filière « Informatique ». La première raison: il faut une plus grande partie de nos élites scientifiques formée à l’informatique. Deuxième raison: nous sommes en France et une matière n’est réellement prise au sérieux que lorsqu’elle devient importante pour faire les grandes écoles.  On voit pourquoi les besoins de professeurs agrégés sont beaucoup plus importants que ceux anticipés par le Ministère.

3. Créer un grand corps du numérique

Il est consternant aussi que le plus grand corps technique français, celui des Mines, fasse référence à une industrie qui n’existe plus. De même, les grandes écoles françaises, Ponts et Chaussées, Mines de Paris ( !), Ecole Centrale des Arts et Manufactures se coltinent des noms ridicules et numériquement désuets. Les mots ont un sens et ce décalage historique, qui traduit une absence de vision, a des conséquences immenses sur la compétitivité du pays.

Là encore, nous sommes en France et tout commence et finit par l’Etat. Un grand corps du numérique, comprenant 20 à 50 ingénieurs par an, devrait être créé. L’entrée y serait conditionnée non seulement à la sortie de l’X, comme c’est le cas pour les grands corps d’ingénieurs, mais aussi à l’obtention d’une spécialisation avancée en informatique ou en génie électrique. Ce corps, qui devrait aussi être ouvert à quelques magistrats, médecins, diplômés d’écoles de commerce… aurait pour mission de mener à bien la stratégie de l’Etat et de l’Industrie. Sans une élite de fonctionnaires parfaitement formée, la France ne peut pas développer des technologies numériques d’intérêt général ni lutter à armes égales contre les GAFA, par exemple.

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Les conséquences sociales des évaluations sur les enseignants et sur la liberté pédagogique 14 octobre 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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La méthode de production des évaluations

Selon Marx, l’organisation de la société repose sur la spécialisation, qui entraîne l’asservissement de ceux qui exécutent à ceux qui contrôlent et coordonnent.

Les évaluations récemment développées par l’Education Nationale sont conçues par des neuroscientifiques et les enseignants jouent un simple rôle d’exécutant dans leur mise en place. Ils ignorent les principes régissant les exercices – et cette ignorance est nécessaire pour des raisons expérimentales liées au « double aveugle ». Un logiciel centralisé recueille les données qui seront analysées non pas par les enseignants eux-mêmes mais par des experts (en analyse de données, en neurosciences), travaillant au service d’une organisation bureaucratique :  l’Education Nationale.

Or ces données, je l’ai montré dans mon article précédent, contiennent évidemment des éléments de pouvoir. Elles peuvent, et sans doute doivent, être utilisées pour évaluer recteurs, établissements, professeurs, élèves. Elles peuvent, et sans doute doivent, être utilisées pour évaluer différentes méthodes pédagogiques et sélectionner les meilleures, de la maternelle au baccalauréat.

Dans la mesure où l’organisation et la technique des évaluations, telle qu’elles sont actuellement proposées, échappent totalement aux enseignants, il apparaît donc justifié que ceux-ci les redoutent. De toutes les critiques que j’ai pu lire contre le système des évaluations que l’EN tente d’instaurer, celle-ci me paraît la seule qui soit réellement justifiée.

Il est comique que cette critique soit faite par ceux-là mêmes qui ont cherché, dans les dernières années à  transformer les enseignants en bureaucrates en instaurant, par exemple, les kafkaïennes grilles de compétences dont tu trouveras, cher lecteur, une version simplifiée en cliquant ci-dessous.

Ces grilles de compétences, incompréhensibles pour presque tous les enseignants comme pour l’ensemble des parents, ont été imposées dans le but de se débarrasser de ces sales notes trop synthétiques qui avaient évidemment pour objectif de développer un esprit de compétition trop malsain chez les enfants. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Avec ce système, les enseignants sont devenus des gratte-papiers dans le pire sens du terme et ni les élèves ni les parents ne savent où ils en sont. C’est peut-être d’ailleurs le but recherché.

Ceux qui s’inquiètent de la contrainte bureaucratique qu’exercent les évaluations sur les professeurs ont donc, si l’on peut dire, fait leurs preuves ! Mais tu connais bien, cher lecteur, ma rigueur intellectuelle et mon goût pour la dialectique. Peut-on simplement réfuter une critique au simple prétexte que celui qui l’émet est un âne bâté, un incapable et qui plus est, de mauvaise foi ? Evidemment non ! L’objectif de cet article n’est pas de de traiter cet argument par le mépris mais d’essayer de définir un cadre dans lequel ces évaluations pourraient être organisées en plein accord avec la richesse et la noblesse du métier d’enseignant.

Si on pose le problème en termes marxistes, il s’agit donc d’abord de définir une « méthode de production » de ces évaluations permettant d’assurer aux professeurs qu’ils peuvent les utiliser sans subir une contrainte sociale arbitraire de la part de leur administration.

L’architecture du logiciel structure la forme des relations sociales

Comme la méthode de production et d’analyse des évaluations est une méthode logicielle, c’est la nature de l’architecture informatique du programme et des données utilisés par les enseignants qu’il s’agit de définir. L’architecture informatique détermine la forme des structures sociales engendrées par l’utilisation du programme et leurs relations, comme vous pouvez le constater tous les jours quand vous utilisez Facebook ou Google. Les anglo-saxons, faisant du marxisme sans le savoir, expriment ceci sous la forme de la maxime « Code is law ». (Le code, c’est la loi). Et je renvoie ceux qui veulent en savoir plus sur le sujet à l’article fondateur de Doris Lessig (traduction française). Si à défaut de finir mon billet, tu vas lire cet article, tu n’auras pas entièrement perdu ton temps, cher lecteur !

Mon objectif en esquissant les principes de cette architecture n’est pas de rentrer dans les détails techniques. Je précise cependant que toutes les technologies que je vais évoquer sont relativement nouvelles, mais simples à mettre en œuvre. Bien plus simples en tous cas que le logiciel SIRHEN dont j’ai récemment évoqué les déboires.

Une architecture décentralisée pour les évaluations

De façon à ce que les experts n’aient pas le monopole de la conception des évaluations, l’architecture cible doit permettre la création des évaluations par tout enseignant. Ainsi, un enseignant peut faire passer les évaluations « institutionnelles », crées par les experts du MEN, mais il peut aussi concevoir d’autres évaluations, soit dérivées de celles créées par le MEN, soit indépendantes. Les professeurs étant infiniment plus nombreux que les équipes d’experts, la plupart des sujets à évaluer seraient alors définis par la communauté des enseignants. Or, le thème d’étude est à l’évaluation ce que l’ordre du jour est à l’Assemblée.

La question qui se pose immédiatement est la suivante : quelle est la légitimité des enseignants pour concevoir des évaluations ? Les évaluations actuelles sont réalisées par des scientifiques mondialement reconnus en neurosciences et évidemment les enseignants n’ont pas cette compétence. Quelle est donc leur compétence pour concevoir une évaluation et analyser les données obtenues ? A cette question, il y a deux niveaux de réponse.

Evaluer, c’est d’abord comparer.

Le premier niveau découle de l’architecture informatique du programme.

L’évaluation faite par un enseignant n’a pas forcément pour objectif de situer ses élèves au niveau national. Un enseignant peut vouloir, plus modestement, tester une « méthode pédagogique » nouvelle. Par exemple, l’année dernière, il a utilisé une méthode de lecture globale et cette année une méthode syllabique. Quelle méthode donne les meilleurs résultats pour sa classe ? Autrement dit, peut-il définir une évaluation lui permettant de comparer les progressions « globale » et « syllabique » de ses élèves ? Il lui suffit d’élaborer par exemple un ou plusieurs questionnaires évaluant les capacités de lecture de ses élèves en début et en fin d’année de CP.

Cet enseignant est peut-être un pédagogiste adepte, par exemple, de la méthode globale et il se refuse à enseigner la méthode syllabique, décidément trop réac. Une architecture d’évaluation bien conçue va lui permettre alors de comparer simplement les résultats de « sa » méthode avec les résultats obtenus par un autre enseignant.

Pour comprendre ce que serait une telle architecture, on doit simplement imaginer un logiciel en ligne muni des 3 fonctions suivantes :

  • Tout enseignant peut saisir son questionnaire d’évaluation (par exemple sous forme de quiz)
  • Puis le rendre accessible à d’autres enseignants, de façon à ce que ces enseignants puissent faire passer à leurs élèves les questionnaires d’évaluation.
  • Enfin, un logiciel d’analyse statistique, éventuellement guidé par l’enseignant, permet de tirer des indicateurs significatifs (moyenne initiale des élèves de chaque enseignant, progression moyenne avec les deux méthodes, niveau atteint, etc…)

Une telle architecture ne se limitera pas à la collaboration de deux enseignants seulement. Elle permet donc aussi à de multiples enseignants de faire passer les questionnaires à leurs élèves. Ainsi, on peut comparer facilement la performance des méthodes pédagogiques sur un échantillon significatif d’élèves et d’enseignants et la technologie actuelle permet d’obtenir des résultats presqu’instantanés. C’est ce qui a été fait ici dans le cas des méthodes de lecture.

L’introduction de la méthode expérimentale à l’école, la liberté pédagogique

De cette façon, l’enseignant n’est plus un simple exécutant faisant passer les évaluations à l’aveugle.

Or qu’est-ce que la liberté pédagogique ? C’est la liberté pour chaque enseignant de choisir librement sa façon d’enseigner et de la faire évoluer, seul ou en collaboration avec d’autres enseignants.

La liberté pédagogique est au service des élèves. Elle  n’a de sens  que si elle permet à l’enseignant de déterminer la meilleure méthode possible pour faire progresser ses élèves. La seule limite à la liberté pédagogique, limite qui est aussi sa finalité, c’est donc l’intérêt des élèves.

Avec une architecture décentralisée d’évaluation, chaque enseignant peut imaginer une innovation pédagogique, la tester, seul ou avec d’autres enseignants, et des conclusions rapides peuvent être atteintes. Ces conclusions sont accessibles à tous et reproductibles par toute la communauté enseignante..

Selon la méthode expérimentale préconisée par Descartes, on apprend à tous les coups. Si l’innovation est bonne, on la garde. Si elle n’est pas fructueuse, on la rejette.

L’utilisation éclairée de cette méthode constitue donc aujourd’hui, à mon sens le plus haut niveau d’expression possible de ce qu’on nomme habituellement la liberté pédagogique de l’enseignant.

Une telle architecture permet de multiplier les évaluations, individuelles ou de groupe, à la discrétion des enseignants. Elle est à l’éducation ce que le tube à essai est à la chimie. Elle constitue une révolution : celle qui marque le passage de la pédagogie dans l’univers des sciences expérimentales.

On a cru depuis 20 ans que les usages de l’informatique à l’école allaient améliorer l’école. Or, à de rares exceptions près, on constate aujourd’hui que l’introduction des nouvelles technologies dans la salle de classe n’améliore pas le niveau des élèves. En revanche, la technologie permet de multiplier le nombre des évaluations et de simplifier l’analyse des données. Le progrès va venir non pas des usages en classe des nouvelles technologies mais de l’introduction de technologies d’évaluation légères, performantes et rapides.

La perspective ouverte par l’analyse de données à grande échelle

Au second niveau, il faut se placer dans une perspective historique plus vaste, celle de la révolution numérique en cours qui change radicalement la façon dont les données peuvent être recueillies et traitées. Les entreprises qui vous connaissent le mieux, Google et Facebook, sont celles qui ont rassemblé sur vous le plus de données. Ces données ont été obtenues de façon relativement empirique et peu structurée, au fil de vos interactions avec les différents sites Web que vous consultez. Pourtant, la capacité prédictive et psychologique de ces plate-formes est remarquable.

Récemment, un jeune homosexuel a été contraint à faire son coming out par Facebook car ses proches constataient, en consultant son profil, que des objets s’adressant à des homosexuels leur étaient proposés par le moteur de publicité de la plate-forme. Pour réaliser cet exploit, Facebook effectue simplement des corrélations statistiques entre les différents profils utilisateurs et associe des bandeaux publicitaires proches pour des profils corrélés. Il est à noter que cette technique s’applique aussi bien pour la partie consciente que pour la partie inconsciente de la personnalité de l’utilisateur et que donc, il n’y a aucun doute que Facebook sera capable à court terme, s’il ne l’est déjà, de révéler leur homosexualité inconsciente à certains de ses utilisateurs.

Technologie fantastique. Mais ces analyses de type « big data » ne servent pratiquement que des intérêts publicitaires. Facebook et Google ne les utilisent que pour vous servir le meilleur bandeau de publicité possible. Cette utilisation n’est pas forcément honteuse, mais elle n’a aucun intérêt pour ce qui est du progrès humain.

Si les enseignants se saisissent massivement des immenses possibilités offertes par de nouvelles architectures d’évaluation, une immense quantité de données pertinentes sera générée et les enseignements à en tirer seront sans doute sans fin. Ainsi, dans l’exemple cité ci-dessus, on arrive à prédire à 90% la performance de lecture d’un élève à partir de 5 paramètres très simples suite à une évaluation ayant rassemblé quelques dizaines de classes seulement. A titre de comparaison, l’EN a fait de ce débat depuis plus de 40 ans une querelle politique, avec des conséquences  catastrophiques pour les élèves. En ce sens, la technologie peut aider à trancher des débats politiques stériles, de nature quasi-religieuse.*

Des neurosciences aux données

Non seulement donc les professeurs, pris dans leur multitude et rassemblés par la bonne architecture technologique, ont toute leur légitimité par-rapport aux experts en neurosciences et statisticiens actuels, mais on peut affirmer que toute l’expertise “neuroscientifique” mise en place ne constitue qu’une toute première étape, le tout début de ce qu’un système d’évaluation bien conçu peut apporter. Les neurosciences ne sont en quelque sorte qu’un exemple d’application possible des enseignements qu’on peut tirer des “big data”. Les neurosciences ne sont pas la fin, au double sens du terme, mais le début des applications possibles données.

Cependant, le potentiel de progrès induit par une architecture numérique bien pensée, décentralisée, non oppressive, permettant de rassembler les expériences faites par la multitude des enseignants n’a pas, à ma connaissance, été envisagé par l’équipe de scientifiques actuellement mise en place par l’EN.

Un modèle alternatif aux GAFA

Beaucoup d’enseignants sont à juste titre méfiants vis-à-vis de l’entrisme des GAFA dans l’enseignement. Méfiants aussi, à juste titre, vis-à-vis de la tolérance que semble accorder l’EN aux GAFA, surtout quand les hauts fonctionnaires en charge des politiques numériques finissent par y pantoufler. Si la situation perdure, les données des élèves échoueront toutes chez les GAFA, dont la priorité n’est certainement pas l’émancipation citoyenne des élèves français ni la liberté pédagogique des enseignants.

La seule réponse possible, la seule réponse à la hauteur, c’est que les données pertinentes générées par la multitude des enseignants dépassent, en quantité, en qualité, en ouverture, en possibilités d’analyse celles obtenues par les GAFA. La guerre des données n’est pas perdue, mais elle ne peut se gagner qu’en s’unissant. La lutte contre Facebook, contre Google ne doit pas être une lamentation, mais une action collective.

Voici pour les grands principes. Je voudrais finir par la réponse à trois objections qui ne manqueront pas d‘être émises.

1 et 2) “Vous semblez avoir une croyance magique dans « les données ». Or les évaluations actuelles sont analysées mais aussi conçues par des statisticiens de métier. Les enseignants n’ayant pas cette formation, ils ne sauront pas structurer leur évaluation, encore moins l’analyser correctement.”

La quantité crée la qualité

L’évolution des puissances de calcul permet de générer sur des données des millions d’analyses statistiques, là où il y a quelques années seules quelques analyses pouvaient être envisagées. Puis des algorithmes, guidés de façon simple, permettent de détecter quelles analyses ont une chance d’être pertinentes. La formation à ces outils est de l’ordre de quelques jours et peut être effectuée en ESPE ou dans le cadre d’un CAPES, par exemple.

Pour les statisticiens de métier (ou les deux profs de philo qui lisent ce blog), je ne peux pas rentrer dans le cadre de cet article dans des explications trop techniques, mais la meilleure façon de voir les choses est la suivante : les données, couplée à la puissance de calcul presqu’infinie des machines actuelles et à venir, illustrent le principe hégélien « la quantité crée la qualité ».

Dans le cas de l’intelligence artificielle, c’est ce qui se passe. On croit au départ, comme Pascal ou Edgar Poe, que les ordinateurs ne sont que de grosses machines à calculer automatiquement mais quand la puissance de la machine augmente de façon exponentielle, de la façon un peu miraculeuse décrite par la loi de Moore, on ne peut nier qu’une intelligence se crée puisque sans aide humaine, l’ordinateur finit par battre l’homme à son propre jeu, celui des échecs. Ce passage de l’ordinateur « machine » à la qualité d’ordinateur « intelligent » s’est produit en 1996 et marque le début de ce qu’on appelle la Révolution numérique.

Il en est de même pour ce qui est des données et de leur analyse. Si on en rassemble suffisamment, si on dispose d’immenses capacités de calcul, on y trouve des enseignements à l’aide de simples algorithmes informatiques même sans compétence statistique importante de la part des enseignants. Et la puissance des machines progressant de façon exponentielle, on y trouvera, avec le temps, toujours plus d’enseignements.

Cet argument répond d’ailleurs, par la même occasion, aux objections concernant les évaluations massives réalisées antérieurement, en France ou dans les pays anglo-saxons, dont les conséquences ont été souvent limitées. On parlait dans les années 90 d’une ou deux évaluations, très lourdes, réservées à des spécialistes et dont l’analyse pouvait prendre des années. On parle ici de milliers d’évaluations par an, simples, légères, que tout enseignant peut mettre en œuvre et dont l’analyse prendra de quelques minutes à quelques semaines. Bref, le terme « évaluation » reste inchangé mais on ne parle plus du tout de la même chose. Là aussi, la quantité crée la qualité.

3) « Vos évaluations, finalement, ce seront des quiz. Or l’évaluation sous forme par quiz, c’est vraiment le degré 0. Le quiz ne peut pas appréhender toute la complexité de certaines matières ni (je pense toujours aux deux profs de philo qui vont me lire !) d’une dissertation. »

Il est évident que la méthode proposée ne peut évaluer une dissertation de philo ou de français. Elle a donc, au moins au départ, ses limites. De même, un tube à essai ne permet pas de réaliser toutes les expériences possibles.

Cependant, ces limites sont moins importantes qu’il n’y paraît. Bien conçu, le quiz permet d’évaluer en profondeur non seulement le savoir de l’élève, mais aussi sa capacité de raisonnement au même titre qu’un devoir complexe. Il y a, pour l’enseignant, tout un « art » du quiz qui pourrait d’ailleurs aussi être enseigné dans le cadre de leurs formations pédagogiques. Dans les meilleures universités américaines, le quiz est utilisé en sciences pour pratiquement tous les examens jusqu’au niveau du doctorat et ayant côtoyé cette forme d’interrogation, je peux témoigner que, bien mise en œuvre, elle n’est en rien moins exigeante, en rien moins profonde que le devoir sur table de 4 h qu’impose la grande tradition française.

En dehors des matières scientifiques, le quiz peut évidemment être utilisé, au moins en partie, dans toutes les matières pour ce qui est des connaissances et de la compréhension, ce qui est déjà beaucoup. On exclut évidemment, encore une fois, tout ce qui est dissertation à ce stade.

Bref, la méthode proposée n’est certes pas complète, mais bien plus vaste que ce qu’on croit en général en France.

J’invite tous ceux qui doutent à consulter, dans leur discipline, les cours en ligne du MIT.

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Dialogue en faveur de l’évaluation 24 septembre 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Ce billet constitue une réponse à l’article récent du Monde « Mettre en place toujours plus d’évaluation à l’école n’est pas une solution ». Ecrit par un professeur de philosophie, Thomas Schauder, cet article rassemble l’ensemble des arguments de principe que j’ai pu lire contre le processus d’évaluation que tente actuellement de mettre en place Jean-Michel Blanquer.

Les arguments présentés par Thomas Schauder sont repris et discutés point par point ci-dessous, en italiques.

« L’évaluationnite est le symptôme de la culture du chiffre dans l’Education Nationale »

Il est vrai que l’administration de l’EN n’a de cesse d’encombrer les professeurs avec une multitude de demandes tatillonnes, dont les objectifs sont totalement incompris des enseignants. L’évaluation par compétences, indépendamment de tout débat sur sa supposée utilité pédagogique, a introduit un degré de complexité, de pédantisme et d’opacité inédits tellement ces compétences sont nombreuses et mal définies.

Mais il ne peut y avoir « évaluationnite » là où l’évaluation est absente. Or, depuis une dizaine d’années au moins, l’Education Nationale a renoncé à toute évaluation digne de ce nom, c’est-à-dire conduite de façon indépendante et respectant un certain cadre scientifique.

A la fin des années 2000, sans doute parce qu’elles mettaient trop clairement en évidence la baisse du niveau scolaire, les évaluations lourdes mais rigoureuses et indépendantes menées par la Direction de l’Evaluation ont cessé d’être publiées[1]. Le Haut Conseil de L’Evaluation a été supprimé. La responsabilité des évaluations est alors le plus souvent confiée à la DGESCO, qui ne dispose d’aucune compétence reconnue dans le domaine et qui, plus grave, est juge et partie : elle a pour charge d’évaluer les politiques scolaires de plus en plus contestées dont elle est à l’origine.

L’objectif des évaluations est alors devenu politique.

Dans certains cas, non seulement les résultats des évaluations ne sont pas publiés, mais le Ministère leur substitue des résultats jugés plus favorables et mettant mieux en valeur la politique du Ministère.

Un exemple : alors que l’Etat a équipé des dizaines de milliers d’écoles en tableaux interactifs, il n’existe toujours pas, par exemple, d’étude indiscutable (ou simplement sérieuse) qui évalue les réels avantages de ces technologies pour l’enseignement[2]. Les seules analyses réellement critiques sont d’origine anglo-saxonnes.

La seule évaluation crédible au niveau national ne provient pas de l’Education Nationale.  L’étude PISA, dont le principal mérite a été de mettre en évidence le faible niveau des élèves français, a été conçue par l’OCDE et organisée en France par la Direction de l’Evaluation.

« Les intentions du Ministère sont économiques et non pédagogiques »

L’évaluation ne change pas la finalité de l’enseignement. Elle essaie simplement d’en quantifier la performance. Si l’objectif du système scolaire est de nature pédagogique, elle aura pour objet d’évaluer la pédagogie. Si l’objectif est de nature économique, elle évaluera la performance économique du système. Mais elle n’est pas responsable des objectifs ou des intentions du système. C’est uniquement à partir des programmes scolaires et des pratiques d’enseignement qu’on pourrait analyser ce que Thomas Schauder appelle « la logique du système ». Ainsi les évaluations en CE1 portent sur la performance en lecture, l’objectif pédagogique des élèves de CP étant, de tout temps, d’apprendre à lire. L’argument qui consiste à prêter une intention économique à l’évaluation n’est pas recevable en l’espèce.

« Il s’agit de comparer la performance (au sens économique) du système scolaire avec d’autres, la performance de tel ou tel établissement scolaire avec d’autres, la performance de tel enseignant par rapport aux autres… »

En revanche, il est clair que l’évaluation, si elle est bien menée, devrait à terme apporter des données sérieuses permettant de comparer la performance des établissements, des professeurs, des élèves. Beaucoup d’enseignants sont donc inquiets qu’une promotion « au mérite », basée sur les résultats de l’évaluation, soit progressivement organisée, quelles que soient les dénégations du Ministre. Ce risque existe, mais il faut considérer d’abord tout ce que peut apporter une évaluation bien faite.

L’évaluation permet une meilleure répartition des moyens…

Les établissements où les élèves sont le plus en difficulté peuvent être identifiés avec précision et les moyens mis à disposition de ces établissements rigoureusement adaptés chaque année (actuellement, les statuts REP ou REP+ des établissements sont rigides, certains établissements n’ont pas ce statut alors qu’ils sont en grande difficulté et vice-versa).

… et une meilleure définition de la performance des enseignants

Ce qu’on entend en général par performance d’un établissement, c’est le niveau moyen des élèves. Polytechnique est ainsi le meilleur établissement de France parce qu’elle reçoit les meilleurs élèves, mais cela ne nous apprend rien sur le niveau des enseignants eux-mêmes. L’évaluation, si elle est faite une ou deux fois par an[3], permet de mettre en évidence non seulement le niveau, mais aussi, ce qui est beaucoup plus intéressant, la progression des élèves par-rapport à un référentiel national.

Ainsi, un enseignant pourra savoir qu’à l’entrée en CP, ses élèves étaient dans le 23ème centile et qu’à la fin de l’année, ils sont dans le 12ème centile, ce qui correspond à une progression de 11 places dans une classe de 100 élèves (11%).

Il me semble qu’un tel retour, s’il est crédible[4], est extrêmement intéressant pour l’enseignant. Je me souviens de la fierté légitime qu’éprouvaient mes professeurs lors des bons résultats de leurs élèves au bac ou aux concours. Enseigner reste, qu’on le veuille ou non, un métier de vocation et la satisfaction de voir ses élèves progresser, de progresser soi-même d’année en année, peut sans doute, à elle seule, renouveler positivement la vision qu’a l’enseignant de son métier.

L’inspection

Pour ce qui est du mécanisme de promotion, rien n’est plus déprimant que le mécanisme actuel d’inspection des enseignants. Tous les 5 ou 10 ans, un enseignant reçoit la visite d’un inspecteur, la plupart du temps éloigné du terrain depuis longtemps (si tant est qu’il ait jamais enseigné). Cet inspecteur lui demande de mieux appliquer les consignes pédagogiques du Ministère, consignes qui changent pratiquement aussi souvent que le Ministre de l’Education Nationale. Cette inspection, dont le professeur est préalablement informé, échoue totalement à jauger les qualités de l’enseignant tout en générant un grand stress et souvent de l’amertume. Les enseignants découragés, qui renoncent avec un grand sentiment d’échec en ayant le sentiment que leur administration les enfonce plutôt que de les soutenir sont légion – il suffit de parcourir les divers groupes d’enseignants sur les réseaux sociaux pour le constater.

Comment pourrait-on envisager l’inspection si l’Education Nationale est dotée d’un outil d’évaluation performant ? Des équipes pédagogiques visitent les 5% des professeurs les plus « performants » pour comprendre les raisons de leur succès et voir si on peut s’inspirer de leurs pratiques. Le corps des inspecteurs se concentre sur les 5% ou les 10% les plus en difficulté et leur travail ne se limite plus à une simple visite formelle, mais à plusieurs. Ils mettent en œuvre un processus long destiné à faire progresser l’enseignant. Eux-mêmes seront évalués, au moins en partie, à l’aune de cette progression. Ainsi l’évaluation, si elle est bien menée, peut remettre du sens dans tout le système éducatif.

Le tableau ci-dessus pourra faire sourire par sa naïveté. Tout me semble mieux, pourtant, que la situation actuelle qui broie les enseignants année après année, à petit feu, en tuant leur goût d’enseigner.

« Il n’y a de bonne évaluation que si elle est pensée par l’enseignant lui-même »

« Interrogez les enseignants sur le terrain : ils vous diront que ce qui marche, ce sont des évaluations adaptées au profil de la classe, à l’évolution pédagogique de l’enseignant, bref, pensées et construites par l’enseignant ou par l’équipe pédagogique. Si c’est vraiment dans l’intérêt de l’élève, pourquoi vouloir imposer des évaluations standardisées ? Et pourquoi, aussi, ne pas faire confiance dans la capacité des enseignants à diagnostiquer les problèmes des élèves ? »

Personne n’empêche évidemment chaque enseignant de faire ses propres évaluations, ses propres exercices et de les adapter au profil de chaque classe et de chaque élève. Les deux ne sont pas incompatibles et l’évaluation n’est certainement pas la solution universelle et miracle. Personne ne prétend qu’elle remplace l’enseignant. Le grand avantage des évaluations nationales proposées aujourd’hui en CP et au CE1 est qu’elles permettent de situer chaque élève dans le cadre général et de détecter des problèmes ou des risques que l’enseignant peut difficilement repérer lui-même. Cette capacité tient à l’usage de 2 sciences : la statistique et les neurosciences[5].

L’évaluation traduit « une obsession de l’objectivité », une « technicisation de l’éducation », ayant pour conséquence « le recul du politique », symptôme « d’une logique néolibérale ».

Sans être une obsession (on a vu que les évaluations étaient jusqu’à présent extrêmement rares en France), et tout en admettant que l’enseignement reste un art, on doit être dans la recherche de l’objectivité plutôt que de la subjectivité. L’objectivité a pour caractéristique qu’on peut espérer la mesurer. C’est cette logique qui, depuis Descartes, a permis le progrès scientifique et il serait paradoxal qu’en France, on rejette cette approche. Il faut voir la politique d’évaluation lancée par le Ministre comme un début de l’introduction de la méthode expérimentale à l’école[6].

Cette méthode doit effectivement avoir pour conséquence un certain recul du politique. Ce recul du politique est souhaitable car l’idéologie a, en France, pris trop d’importance par rapport à la pédagogie. Au nom de leurs visions respectives (et subjectives) sur l’école, les nombreux ministres en charge n’ont eux-mêmes cessé, depuis 30 ans, de secouer l’Education Nationale. En France, même le débat sur les méthodes de lecture est devenu, on se demande comment, un débat gauche (méthodes globales ou semi-globales « progressistes ») / droite (méthodes syllabiques « conservatrices »), alors qu’une évaluation simple, sans même qu’il soit nécessaire de la mener au niveau national, permet de trancher ce débat qui est purement technique.

Disposer d’outils d’évaluation comparative permet potentiellement de trancher un grand nombre de débats, qui apparaissent aujourd’hui comme politiques alors qu’ils sont essentiellement techniques. Citons par exemple la réforme des rythmes scolaires, le choix des méthodes de langue, de lecture, la semaine de 4 jours, etc.

On ne comprend pas bien pourquoi, en revanche, une méthode ayant pour but de faire progresser l’enseignement peut être cataloguée comme « néolibérale » au simple prétexte qu’elle a des prétentions d’objectivité. Le but de l’école reste l’émancipation du citoyen, la qualité de l’enseignement reste au service de cette cause et il s’agit simplement d’évaluer cette qualité.

La question non posée sur la prise de contrôle du pouvoir bureaucratique

L’objection la plus fondamentale contre la politique d’évaluation n’est paradoxalement pas abordée dans le billet de Thomas Schauder. Selon Marx, l’organisation de la société repose sur la spécialisation, qui entraîne l’asservissement de ceux qui exécutent à ceux qui contrôlent et coordonnent. Cette observation tient du génie, on peut en constater le bien-fondé tous les jours, par exemple dans l’économie numérique.

Dans la mesure où l’organisation et la technique des évaluations, telle qu’elles sont actuellement proposées, échappent totalement aux enseignants, il apparaît donc justifié que ceux-ci les redoutent.

Les réactions violentes contre le processus d’évaluation en tant que symptôme de l’effondrement de l’Education Nationale.

Certains syndicats, beaucoup d’enseignants s’expriment vent debout contre le principe des évaluations sur les réseaux sociaux et parlent de l’évaluation comme de la fin de leur métier. Ces craintes me paraissaient au départ totalement exagérées, voire paranoïaques compte tenu des déclarations du Ministre mais une réflexion du fameux psychanalyste Winnicott m’est revenue en mémoire. Winnicott décrit la crainte de l’effondrement comme la crainte d’une catastrophe déjà arrivée. Le patient vit la même situation que les héros de l’Enfer de Sartre : Il redoute l’enfer alors qu’il y vit.

La réaction violente de refus des enseignants pourrait bien n’avoir pas d’autre cause que celle de cacher la réalité suivante : d’une certaine façon, l’école s’est déjà effondrée, leur métier d’enseignant a déjà pris fin.

Le travail (thérapeutique !) du Ministre serait alors de faire comprendre aux enseignants que « le malheur, c’est maintenant ! » et que l’évaluation peut justement, sous certaines conditions d’organisation, ressusciter la grandeur du métier d’enseignant et y insuffler une grande énergie, tout en augmentant leur liberté pédagogique.

Je tenterai de préciser ces conditions dans un prochain billet, qui sera consacré aux techniques de l’évaluation.

[1] Rapport de la Cour des Comptes 2010 : https://www.speechi.net/fr/2010/05/17/selon-la-cour-des-comptes-leducation-nationale-navigue-a-vue/ + Des statisticiens accusent l’éducation nationale de faire de la rétention d’information ». Le Monde du 4 novembre 2011 + lire, avec les précautions qui s’imposent, ce communiqué syndical  qui met en évidence une division par deux du nombre des études publiées depuis 2 ans.

[2] https://www.speechi.net/fr/2007/07/02/les-tableaux-interactifs-sont-ils-utiles-pour-lenseignement/

[3] Les évaluations vont devenir  de plus en plus légères et fréquentes, comme je le montrerai dans mon prochain billet concernant les techniques de l’évaluation.

[4] La crédibilité des évaluations sera l’objet de mon prochain billet

[5] Il faudrait rentrer plus dans le détail, sous peine d’encourir l’accusation de scientisme. Je ferai ceci dans un autre billet consacré aux techniques de l’évaluation.

[6] La question qui vient immédiatement est évidemment « pourquoi ne pouvait-on y penser avant ? ». La réponse dépasse le cadre de ce papier et tient au développement récent des technologies numériques.

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Faut-il boycotter les évaluations au CP et en CE1 ? 18 septembre 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Je vois passer sur les réseaux sociaux des messages indignés d’enseignants qui contestent le bien fondé du processus des évaluations en CP qui vient d’être lancé par le Ministère. Certaines critiques (ici sur Twitter) se focalisent sur la forme de certains exercices.*

Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, l’élève doit barrer le nombre le plus grand et il a une minute (pas plus !) pour faire ses 60 comparaisons. Les critiques qu’on peut lire sont de 2 types:

  1. Sur le bien fondé de l’exercice.
    Selon les détracteurs des évaluations, l’exercice est trop compliqué.“Aucun élève ne peut réussir cet exercice en CP en 1 mn, il est absurde de demander un aussi grand nombre de comparaisons: si l’élève a compris de quoi il en retourne et une dizaine de comparaisons suffisent pour le vérifier”
  2. Sur l’esprit de l’exercice
    L’objectif caché de l’exercice serait donc de mettre l’élève en échec. Ou de classer les élèves selon leur performance, ceci étant “le symptôme d’un système scolaire productiviste et sélectionnant par l’échec”.

Je voudrais simplement commenter ces exercices pour ce qui est de leur intérêt en tant qu’outil d’évaluation des élèves.

Pourquoi il est important pour le succès de l’évaluation qu’aucun élève n’aille au bout de l’exercice.

Supposons que sur 100 élèves testés, 50 aillent au bout de l’exercice. Pour ces 50 élèves “ayant réussi l’exercice”, l’évaluation aura échoué en ceci qu’elle ne pourra absolument pas les différencier. Je rappelle qu’une évaluation est une sorte de tube à essai pédagogique: il s’agit d’observer au maximum les différences, la variation de couleur du tube pour pouvoir tirer des conclusions les plus fines possibles. Donc, très probablement et de façon très logique aussi, cet exercice est conçu précisément pour qu’aucun élève ne le finisse !

Très probablement d’ailleurs, ces tests eux mêmes ont déjà été “pré-testés” sur des échantillons significatifs et retouchés de façon à ce que les résultats soient différenciés au maximum, pour cette raison précise d’observabilité. Les concepteurs de l’étude connaissent déjà plus ou moins la moyenne des réponses et leur répartition.

Pourquoi il est important de tester 60 cas et non pas 5 ou 10

Les concepteurs de l’exercice ci-dessus n’ont pas simplement voulu tester l’aptitude de l’élève à comparer 2 chiffres, ils ont voulu voir si l’élève faisait ceci de façon automatique ou non. Et donc la vitesse à laquelle on accomplit l’exercice est importante.

Pour réussir cet exercice, il faut d’abord savoir “lire” les nombres, c’est-à-dire associer le symbole “6” à une quantité puis comparer les quantités entre elles. Si l’enfant a des problèmes de lecture (déchiffrage du symbole “6”), il va être ralenti dans cet exercice ou faire des erreurs. Plus tard, il peut se trouver dans l’incapacité de comparer rapidement des nombres, donc de les soustraire, donc de comprendre ce qu’est un nombre négatif. Il apparaîtra peut-être alors comme un “mauvais en maths” – tout ça parce qu’on a laissé passer des choses très simples au CP. Si l’enfant va vite mais fait des erreurs “aléatoires”, il doit aussi être possible avec ce genre de test de commencer à détecter au plus tôt des dyslexies sans qu’elles ne condamnent l’enfant à devenir plus tard un “mauvais élève”.

Tout ce que j’écris ci-dessus, ce sont des conjectures. Je ne sais pas moi-même quel est l’objectif de cet exercice mais à la lecture des évaluations proposées, une logique s’en dégage indiscutablement. J’ajoute que les hypothèses ci-dessus peuvent être testées, corrélées grâce aux outils statistiques mis en place. Ainsi, on pourra voir, dans 5 ou 6 ans, si les élèves de 5ème qui “échouent” à l’exercice ont eu des difficultés en maths ou dans d’autres matières ou si au contraire, leur déficit de lecture a été récupéré “automatiquement” ensuite. Dans le premier cas, on attirera l’attention des enseignants sur ce point. Sinon, on ne fera rien. Des dizaines d’exercices  sont proposés précisément pour que les actions de “mise à niveau” puissent être entreprises de la façon la plus fine possible.

Glande pinéale et mélatonine

L’autre exemple qui a circulé est celui-ci. L’enfant doit lire ce texte et répondre aux questions suivantes.

Des enseignants et le syndicat Snuipp-FSU jugent cet exercice “très inquiétant car “renfermant des pièges” et “nécessitant des compétences expertes“. Principal argument : un élève de CP ne peut pas savoir ce qu’est une glande pinéale ou la mélatonine ! Ca semble imparable, mais qu’en est-il ?

Pourquoi ce test est-il adapté ?

D’abord, je rappelle que ce test est calibré pour être le plus différenciant possible. S’ils ne permet pas, pour chaque question, de répartir les élèves en 3 groupes à peu près équilibrés – et ceci doit avoir été pré-testé sur des échantillons d’élèves, il perd son intérêt statistique pour les enquêteurs. En ce sens, il est adapté aux élèves. Beaucoup ont dû bien répondre, sinon les questions n’auraient même pas été posées.

Si on rentre dans le pourquoi de ce test lui-même, il est évident que les concepteurs ont justement voulu tester la compréhension d’un texte dont les enfants n’avaient jamais eu l’occasion de lire ni d’entendre certains mots et n’avaient donc aucune chance d’en comprendre le sens. On ne demande pas, évidemment aux enfants, cela n’aurait absolument aucun sens, la signification des mots “glande pinéale” ou “mélatonine”. On leur pose des questions simples sur le texte. Or qu’est-ce que savoir lire ? C’est savoir associer un sens à un texte, même si certains mots restent inconnus, ce qui pour un texte suffisamment complexe est souvent le cas même pour nous, adultes. Si l’enfant ne sait pas “donner du sens” à un texte contenant des mots qu’il n’a jamais lus ni entendus, il ne sait pas bien lire. Bref, il s’agit d’un test assez avancé de lecture. C’est un non sens de l’interpréter comme un simple test de vocabulaire.

Une évaluation n’est pas un examen

Sur le côté “très inquiétant” de l’exercice qualifié par ce syndicat de “traumatisant pour les élèves” et de “détruire l’école de la confiance“, il montre simplement une incompréhension totale de ce qu’est une évaluation. Une évaluation n’est pas un concours ni un examen, c’est une observation expérimentale permettant de créer une carte du niveau scolaire (progresse-t-on ? recule-t-on au niveau national ?) et si possible des enseignements pour l’apprentissage futur des élèves. C’est une sorte de “tube à essai pédagogique” permettant en outre, si possible, d’identifier de façon simple les lacunes à combler car elles pourraient être préjudiciables plus tard à l’élève (voir l’exercice sur la comparaison des nombres ci-dessus). La notion de succès ou d’échec n’a absolument aucun sens. Les enseignants devraient bien expliquer ceci à leurs élèves et aux parents plutôt que de dénigrer par principe cette approche (ce qui a sans doute, paradoxalement, un effet traumatisant auto-réalisateur sur les élèves).

No pasaran

On est en France et il y a toujours un bon prétexte pour faire la révolution.

Certains enseignants, invoquant leur sacro-sainte “liberté pédagogique”, appellent à l’insoumission et préconisent de ne pas faire passer les évaluations aux élèves. Ils sont complaisamment relayés par “Le café pédagogique”  qui par vocation se devrait pourtant d’être ouvert à toutes les approches scientifiques visant à améliorer la pédagogie. On se demande surtout en quoi faire passer l’évaluation fait peser la moindre contrainte sur la pédagogie future de l’enseignant. A ma connaissance, aucune directive pédagogique n’a été émise à ce jour. L’appel au grand soir me paraît donc, à ce stade, largement anticipé.

Les vrais bénéfices de l’évaluation

Je rappelle que les bénéfices de l’évaluation sont immenses. D’abord, pour quiconque analyse de façon critique les exercices proposés, il y a très clairement une logique cohérente qui s’en dégage et je n’ai aucun doute que les enseignements devraient être nombreux. Les bénéfices iront aussi en s’améliorant avec le temps car lorsque les élèves actuellement en CP seront en 6ème, en 3ème, etc, on pourra les corréler avec leur niveau scolaire et donc, pour les nouveaux élèves qui seront alors en CP, corriger au plus tôt les lacunes qui leur sont le plus préjudiciables. On saura aussi, au fil des ans, produire des tests de plus en plus significatifs et différenciés, tester des capacités de plus en plus fines. Les professeurs informés devraient alors bénéficier de méthodes simples leur permettant de faire progresser les élèves. Ainsi, dans l’exemple de comparaison des nombres, on voit assez simplement quels exercices peuvent être proposés à l’élève en difficulté.

L’autre avantage est que dorénavant, chaque enseignant dispose d’un référentiel de comparaison national à peu près fixe. Aux enseignants et aux écoles, ils doit permettre à terme de situer les difficultés des élèves et donc d’agir en conséquence. Aux rectorats, il doit permettre de repérer les “zones à risque”, celles où des actions doivent être menées, des moyens investis pour les élèves – et de juger du succès des moyens mis en place. Au Ministre, il doit permettre d’évaluer le niveau moyen et d’en être le garant devant la nation.

Je rappelle que depuis 40 ans, les études ont été souvent biaisées, la baisse du niveau très largement masquée (1). Plutôt que d’en critiquer le principe, les enseignants devraient se saisir de l’évaluation pour en faire le meilleur outil possible.


(1) Rapport de la Cour Des Comptes 2010 :  « Plusieurs instances sont chargées en France de l’évaluation du système scolaire (inspections générales et direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère, Haut conseil de l’éducation), mais leur influence est limitée par plusieurs éléments : le Haut conseil de l’évaluation de l’école a été supprimé ; un refus a pu être parfois opposé à la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance et aux inspections générales de publier certains résultats; enfin le ministère ne tire pas suffisamment les conséquences des évaluations dont il peut disposer. ».

Voir aussi  “Des statisticiens accusent l’éducation nationale de faire de la rétention d’information“. Le Monde du 4 novembre 2011. On peut aussi lire, avec les précautions qui s’imposent,  ce communiqué syndical qui met en évidence une division par deux du nombre des études publiées depuis 2 ans.

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Au tableau (interactif) ! Sur C8, Kylian Mbappé, François Hollande et Kev Adams ont voté pour l’écran interactif CleverTouch 14 juin 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Champion du monde !

Dans l’émission “Au Tableau !” diffusée sur C8, une vingtaine d’enfants ont l’occasion de questionner un trio d’invités aux profils très différents. Mercredi 13 juin, les enfants ont eu l’honneur de recevoir trois invités de “prestige” : un Bleu (Kilian Mbappé), un ancien Président (François Hollande) et un humoriste (Kev Adams) [1].

Ce qui n’est pas précisé dans le teaser, c’est la présence d’un quatrième invité de marque : un écran interactif tactile Clevertouch.

Les écrans interactifs remplacent les tableaux interactifs ou vidéoprojecteurs interactifs à l’ancienne dans les salles de classes. Ils savent jouer à Fifa, faire défiler des photos de stades de foot et pauser des colles à un ancien Président.

Mais les écrans interactifs géants Clevertouch ont aussi d’autres vocations. Un écran tactile c’est une tablette Android géante qui dispose de la meilleure technologie tactile. Avec son PC intégré et son logiciel CleverNote pour la prise de note, l’écran interactif Clevertouch est parfait pour une salle de classe numérique. Télévisée, ou pas.

Pour revoir l’émission en replay, c’est ici.

(Et un grand merci à Ulmann pour l’installation de ce CleverTouch dans l’émission)[1] Les invités sont listés dans leur ordre décroissant d’importance (estimation Speechi)

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Pourquoi il s’est trompé : la vérité sur l’affaire Bourdieu 23 mai 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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« Le fils de Zidane est joueur de foot professionnel, comme le fils de Cruyff l’a été. Le père de Youri Djorkaeff, champion du monde 98, était international de foot. Le frère de Marcel Desailly, champion du monde 98, était aussi international. Valère Germain, joueur de l’OM qui joue ce soir la finale de la coupe d’Europe, est le fils de Bruno Germain, joueur de l’OM qui a joué la finale de la coupe d’Europe en 1991. Les 3 frères du gardien international de l’OM, Steve Mandanda, sont des gardiens professionnels… etc. Notre étude montre de façon incontestable que la probabilité pour qu’un fils ou un neveu de joueur de foot professionnel devienne international est 1700 fois supérieure à celle du reste de la population…[…]

Les enfants des professionnels disposent donc d’un capital sportif supérieur aux autres. […] Or cette différenciation est arbitraire au sens où elle ne fait que correspondre au code sportif imposé par les élites ; il s’agit simplement d’une façon de dissimuler les rapports de force pour les imposer comme légitimes : au final, les joueurs de foot professionnels constituent une élite endogène. Les centres de sélection pour jeunes ont pour fonction de masquer l’arbitraire de la sélection sportive. »

Les sociologues qui s’exprimeraient ainsi seraient l’objet de la risée générale. Il suffirait pour les contredire de les placer sur le terrain face à Marcel Desailly, Zidane, leurs enfants et le score final du match leur indiquerait de façon douloureuse que les critères de la sélection sportive, même s’ils ont pour effet indéniable de reproduire une élite sportive, n’ont absolument rien d’arbitraire.

Pourtant, ce raisonnement est très exactement celui que fait Bourdieu en matière de sélection scolaire. Bourdieu pose le principe d’une sélection arbitraire en introduction à son livre « Les héritiers ». Il ne la démontre pas, il raisonne par analogie et compare l’école au rite initiatique des indiens Omaha. Selon Margaret Mead, citée par Bourdieu : « En principe, l’entrée dans la société était validée par une vision. […] Mais les jeunes gens devaient raconter leurs visions aux anciens, cela pour se voir annoncer, s’ils n’étaient pas membres des familles de l’élite, que leur vision n’était pas authentique. [En conclusion], la vision n’était pas une expérience mystique démocratiquement accessible à quiconque mais bien une méthode soigneusement gardée pour conserver à l’intérieur de certaines familles l’héritage. ».

Dégager les contradictions internes à l’oeuvre de Bourdieu

L’objectif de ce billet est de réfuter Bourdieu en utilisant des arguments simples, compréhensibles par tous et déduits de l’œuvre de Bourdieu même, sans faire appel à aucun autre élément. A ma connaissance, ce travail n’a pas été fait jusqu’à présent. Boudon, dans « L’inégalité des chances » développe une critique brillante et fondée du travail de Bourdieu, mais il le fait au nom d’une idéologie libérale, elle-même critiquable et surtout, comme je vais l’expliquer ci-dessous, sa critique passe à côté de l’essentiel car elle s’attaque principalement à la partie statistique du travail de Bourdieu. Plus récemment, François-Xavier Bellamy, comme beaucoup d’autres, condamne la théorie scolaire de Bourdieu au nom de ses effets néfastes, depuis 30 ans, sur l’école française et de diverses considérations empiriques basées sur le bon sens. Mais, en toute rigueur, on ne peut réfuter une théorie politique, religieuse ou sociale en étudiant ses conséquences à un moment donné de l’histoire (ou alors, on va par exemple condamner le christianisme pour toujours parce qu’il y a eu l’Inquisition, le socialisme parce qu’il y eu Hollande ou le marxisme parce qu’il y a eu Staline). On le peut d’autant moins qu’on fait face à une armée de disciples militants convaincus qui ne se privent pas de répondre que Bourdieu aurait été mal compris et donc mal mis en œuvre (avec bien évidemment, un manque criant de moyens !). On ne peut pas non plus simplement invoquer “le bon sens” pour réfuter une théorie dont justement la force de conviction réside dans le fait qu’elle tente de prouver que “le bon sens” est, au fond, une illusion qui nous masque la réalité des rapports sociaux.

La grande illusion

L’analogie fondatrice utilisée par Bourdieu dans « Les héritiers »  a eu un impact durable sur les héritiers de Bourdieu. Thomas Piketty l’a encore citée tout récemment dans un article sur l’inégalité. A travers ce genre d’analogies, les sciences humaines ont pour objectif de découvrir des invariants qui traversent toutes les cultures – et qui pourraient ainsi justifier l’utilisation qu’elles font du terme « sciences ». L’analogie la plus célèbre, le prototype si j’ose de dire de toutes les analogies utilisées en sciences humaines est celle du sorcier de Freud.  Dans “L’avenir d’une illusion“, Freud montre le lien entre toutes les religions, en ceci qu’elles sont des illusions. Le sorcier qui danse pour faire pleuvoir est toujours dans l’illusion (car même s’il pleut après sa danse, le lien entre la danse et la pluie qui s’ensuit ne peut être scientifiquement établi). Notez l’importance de ce terme “illusion”, qui ne signifie pas “erreur”. Vous ne pouvez pas vous non plus montrer que le sorcier n’a pas fait pleuvoir. Mais une fois que Freud vous a parlé du sorcier dans la religion primitive, et rapproche son comportement de celui du croyant ou du prêtre dans les religions bibliques, vous constatez que tous sont indubitablement dans l’illusion (au sens défini plus haut) et la foi du croyant moderne en prend, comme on dit, un sacré coup. Sans prouver l’inexistence de Dieu, l’analogie du sorcier l’induit presque naturellement en créant ce concept d’illusion qui ramène toutes les religions au rang de superstitions.

La citation de Margaret Mead semble tellement éclairante que personne, absolument personne, ne s’est réellement demandé si l’analogie avec le système éducatif était fondée. Deux conditions sont nécessaires pour qu’elle le soit. Il faut tout d’abord que l’observation de l’anthropologue soit exacte, or rien n’est prouvé en l’espèce et les données exactes de l’observation ne sont pas disponibles. La compréhension qu’a Margaret Mead du langage Omaha peut l’empêcher d’en saisir telle ou telle subtilité (de même, un étranger pourrait ne pas sentir la musique d’un vers ou d’une poésie en Français et, partant, tenir le résultat d’un concours littéraire comme tout à fait arbitraire). Bref, il faudrait s’assurer que cette observation, presque trop belle, ne correspond pas au biais ou au complexe de supériorité de l’anthropologue elle-même, Margaret Mead ayant souvent été une observatrice pour le moins pressée.

Il faut se souvenir ensuite qu’une analogie ne prouve rien en tant que telle. Comme le dit l’adage populaire, comparaison n’est pas raison. L’analogie est un raccourci saisissant, qui aide à la compréhension et surtout qui aide à convaincre, mais ce n’est pas un instrument de preuve. Autrement dit, la démonstration que l’école constitue un moyen de sélection arbitraire, que les bons élèves ne font que répondre à des codes sociaux et non pas à une maîtrise objective de tel ou tel savoir, de telle ou telle compétence, reste totalement à la charge de Bourdieu. Mais la suite des « Héritiers » n’est nullement consacrée à cette démonstration. Bourdieu se contente, avec force tableaux et une grande lourdeur, d’observer que la sélection scolaire est de nature inégalitaire. Or, cette démonstration tient du truisme. Dans la plupart des activités humaines, comme le football, les enfants héritent, soit naturellement soit culturellement, des qualités des parents. Cela ne prouve en rien qu’il y ait stratégie, même inconsciente, de reproduction d’un ordre social ni surtout que les critères de sélection soient eux-mêmes arbitraires, comme le montrerait, encore une fois, le résultat du match opposant les enfants de sociologues aux enfants des joueurs de foot professionnels.

Ainsi quand Thomas Piketty écrit : « Bourdieu met à jour les mécanismes de légitimation de l’ordre social à l’œuvre dans le système d’enseignement supérieur. Sous les atours du « mérite » et des « dons » personnels, les privilèges sociaux se perpétuent, car les groupes défavorisés ne disposent pas des codes et des clés par lesquels se joue la reconnaissance. », il commet une lourde erreur. Bourdieu n’observe en fait que le lien entre classe sociale et réussite scolaire (la réalité de ce lien étant une évidence, un truisme) et l’interprète a priori comme une mise en évidence d’une stratégie inconsciente de reproduction en posant, sans démonstration, le fait que les savoirs ou compétences observées par l’école seraient arbitraires.

Pourquoi les grenouilles font-elles pleuvoir ?

Tous les calculs, tableaux, graphiques un peu lourdingues fournis par Bourdieu dans son livre, l’utilisation assez poussée de l’outil statistique qu’il met en œuvre, sont donc absolument non pertinents pour prouver sa thèse. Ils ne prouvent encore et toujours que la même évidence, dont personne n’a jamais douté : il y a bien un lien entre réussite scolaire et classe sociale. On peut comparer Bourdieu au biologiste qui voudrait prouver que les grenouilles font pleuvoir. Il remarque d’abord la présence des grenouilles en temps de pluie puis les observe consciencieusement au microscope : ce faisant, il ne prouve en rien sa thèse mais oui, quel que soit le grossissement du microscope, quel que soit l’angle de vue, l’éclairage, décidément, oui, cent fois oui !, notre biologiste-sociologue peut vous confirmer qu’il s’agit bien de grenouilles ! Dans le cas de Bourdieu, l’habillage scientifique impressionne et permet de masquer l’absence de réel raisonnement (en ceci aussi, Bourdieu est bien le père et le précurseur de la méthode sociologique moderne).

La vraie question reste donc : les savoirs enseignés à l’école sont-ils, comme le prétend Bourdieu, de nature arbitraire ? Sont-ils de simples codes ? On peut répondre de façon immédiate qu’il n’en est sans doute rien.

Dans les matières scientifiques, la capacité à résoudre des problèmes de nature par exemple mathématique est une capacité objective, qui a permis à la science moderne de prédire de nombreux phénomènes et de développer de nouvelles techniques. Si cette capacité était arbitraire, le scientifique serait dans l’impossibilité de déterminer par exemple la durée d’une chute libre. L’ordinateur sur lequel je tape actuellement ce modeste papier n’existerait pas. Bref, le côté non arbitraire de la maîtrise scientifique est expérimentalement prouvé.

Il en est de même pour les langues (anglais, latin…). Le niveau atteint dans une langue n’est pas arbitraire, tous ceux dont c’est la langue maternelle ou qui maîtrisent la langue peuvent en juger.

Dans les disciplines artistique et littéraires, on ne peut pas apporter de réponse aussi tranchée à cette question. Il se peut donc que le choix de Michel-Ange, Shakespeare, Molière, Proust ou Dostoïevski comme grands auteurs soit totalement arbitraire et corresponde à un simple code social, une forme de snobisme généralisé. C’est pourquoi d’ailleurs Bourdieu, dans La Noblesse d’Etat, se focalise largement sur la philosophie et le français. Pour que cette conjecture prospère, il faut supposer que tous les enseignants de français, d’histoire, de géographie… et de sociologie vivent depuis des siècles dans cette illusion. Que cette illusion s’est aussi étendue aux « scientifiques » qui, bien que sélectionnés sur des critères objectifs, auront apprécié les mêmes auteurs. Que la corrélation observée, chez les bons élèves, entre leur performance scientifique et leur performance littéraire serait liée au hasard, alors même que la performance scientifique ne peut être un code et la performance littéraire le serait. Une telle affirmation me semble totalement stupide, j’ai toujours senti une continuité très nette bien que difficile à définir entre les enseignements des humanités et les enseignements scientifiques. Ne pas pouvoir appréhender sous forme d’équation un phénomène ne signifie en rien qu’il soit arbitraire, tous les hommes sont sensibles, par exemple, à la beauté d’un paysage sans qu’on n’en connaisse les raisons exactes. (Mais peut-être suis-je moi-même le produit d’une illusion sociale généralisée). Tout ceci sans nier cependant qu’il y a forcément une part de formation du goût, du style, de l’oreille, de l’œil ; bref une part culturelle, dans les matières artistiques et littéraires.

Au final, il en est donc bien de la performance scolaire comme du niveau de football : elle est héritée des parents mais elle n’est pas arbitraire.

Le capital culturel et la reproduction

Poser l’école comme un simple instrument de reproduction des élites a profondément cassé l’école depuis une quarantaine d’années en enlevant tout sens au travail des professeurs. L’objectif, le sens, de l’école républicaine est l’émancipation par le savoir. En posant, faussement, ce savoir comme arbitraire, Bourdieu a fait de l’école républicaine une simple illusion, un mythe. L’école a été détruite de l’intérieur. Les bons élèves sont devenus des cochons d’héritiers, dotés d’un « capital culturel ».

Il est à noter d’ailleurs que le terme « capital culturel », qui a fait grande impression, est lui-même arbitraire et impropre. La notion fait évidemment référence au capital de Marx, fruit du produit de l’accumulation des ancêtres, instrument de pouvoir et de domination transmis automatiquement et sans justification éthique aux enfants qui n’ont eu besoin que de naître avec une cuillère d’argent dans la bouche. Mais, à la différence du capital financier, le capital culturel ne s’acquiert pas automatiquement, il demande de grands efforts des parents et des enfants et est le résultat d’un processus noble, indispensable au progrès humain, qui s’étend sur une vingtaine d’années, nommé éducation.

Les parents qui tentent de le transmettre aux enfants devraient être encouragés, non stigmatisés. L’héritage financier pourrit très souvent les héritiers, l’héritage intellectuel les élève de façon réelle et objective en sublimant leurs qualités individuelles. L’héritage culturel (sportif, scolaire, etc…) est une caractéristique unique, peut-être la plus haute qualité de l’espèce humaine sans laquelle nous serions tous des “premiers hommes”, au sens où l’entendait Camus.

Qui plus est, alors que le capital de Marx est fini et limité par nature, le capital culturel est de nature logicielle, il peut se dupliquer à l’infini et la méthode pour le dupliquer est simple et connue : aux enfants qui n’ont pas la chance d’avoir un environnement culturel suffisant, il faut donner une école qui fonctionne, qui enseigne les savoirs sans arrière-pensée. Or ceci est impossible si on suit les théories de Bourdieu.

Au final, on devrait simplement parler d’environnement culturel favorable, non pas de capital culturel.

De même, Bourdieu emploie pour caractériser les effets de l’école le terme de “reproduction” car la performance scolaire est liée à l’environnement culturel, et donc social. Mais ceci ne suffit absolument pas pour caractériser une “reproduction”. La révolution française, abolissant les privilèges et forçant l’héritage à être également réparti entre les enfants, aboutit à une meilleure répartition des richesses puisque le capital transmis à chaque héritier diminue à chaque génération de façon exponentielle pour peu que le nombre d’héritiers soit supérieur à deux et que l’état prélève une part significative de cet héritage, ce qui est le cas. Ceci n’empêche nullement qu’il vaut évidemment mieux, pour ce qui est de la richesse personnelle, avoir des parents aisés mais le terme “reproduction” est impropre en l’espèce. Il y a mouvement réel vers l’égalité qui se réalise en quelques générations. Ce mouvement ne peut s’observer que via des statistiques globales et les études de Bourdieu, portant sur la composition sociale des populations entrant dans le supérieur, sont non pertinentes pour observer un phénomène éventuel de reproduction quel qu’il soit. Il faudrait regarder par l’autre bout de la lorgnette. Le problème n’est pas de rechercher, comme le fait Bourdieu, si 20% des polytechniciens ont un parent polytechnicien mais si les enfants ayant un seul parent polytechnicien ont  une probabilité d’entrer à l’X de l’ordre de 25% – ce seuil caractérisant la reproduction génétique. Jamais Bourdieu ne propose ce genre d’analyses, elles l’intéressent visiblement bien moins que l’utilisation politique, polémique, impropre du terme lui-même. Il s’agit de frapper les esprits, pas d’être intellectuellement rigoureux.

La violence symbolique

Le terme « violence symbolique » qui caractérise pour Bourdieu toute action pédagogique est lui aussi tout à fait impropre et même absurde. Bourdieu se donne très rapidement le droit d’utiliser cette expression car l’éducation serait « l’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel »[1]. Or nous avons vu que le contenu enseigné n’est en rien arbitraire. Au final, le choix des termes employés par Bourdieu tient plus du message militant que d’une volonté de clarté ou d’explication, et c’est ce qui leur a valu, en grande partie, leur succès.

L’objectif utopique de lécole

Quel est le rôle de l’école Républicaine au final ?  C’est finalement de transformer chaque enfant en « héritier culturel », au sens où le dénonce Bourdieu ! On voit bien par là en quoi sa théorie est paradoxale et aboutit à la destruction de l’idéal de l’école: la Révolution française faisait de chaque français un citoyen, l’école devrait avoir pour but de faire de chaque enfant un salop d’aristocrate !

En langage non Bourdieusien, le rôle idéal de l’école républicaine est de maximiser le niveau scolaire que l’enfant peut atteindre et de rendre la réussite scolaire de chaque enfant indépendante de son milieu et dépendante uniquement de ses capacités propres.

Or, il est évident que ce genre de proposition ne peut s’entendre que de façon utopique et ceci pour deux raisons :

  • Comme les joueurs de foot, les enfants héritent, culturellement et génétiquement, de leurs parents. Le rôle de l’école est alors de compenser au mieux l’action des « mauvais » parents (j’entends par là ceux qui sont les moins à mêmes de transmettre du capital culturel à leurs enfants) en assistant les enfants les plus défavorisés dès le plus jeune âge.
    • Cette capacité à transmettre un capital culturel n’est que partiellement reliée à la classe sociale. Un enfant de cadres supérieurs, rentrant tard le soir, n’est pas forcément, sous ces aspects, plus favorisé qu’un enfant d’ouvriers dont les parents rentreraient à 5 heures de l’après-midi.
  • De même qu’il n’y a aucune raison de penser que la transmission des qualités sportives est liée au seul entraînement sportif et indépendante de tout capital génétique, les enfants des parents scolairement doués ont sans doute des chances génétiques plus fortes que les autres de bien réussir à l’école. Dans une école parfaitement égalitaire (et donc totalitaire !), qui choisirait d’enlever tous les enfants à leur famille dès la naissance pour les placer dans des conditions d’éducation rigoureusement identiques loin de chez eux, on pourrait donc aussi assister à un certain phénomène de “reproduction”.

L’utopie ne doit pas s’entendre ici comme une théorie farfelue, mais plutôt comme une sorte d’objectif de « passage asymptotique à la limite ». Même si cet objectif est probablement inatteignable, l’école doit effectivement tenter de s’en rapprocher.

Redéfinir l’inégalité en matière scolaire

La question suivante me paraît très intéressante : pourquoi Bourdieu et tant de sociologues se focalisent-ils à ce point sur l’étude de l’inégalité scolaire (au point que ce thème d’études constitue, chez les sociologues, un véritable habitus – j’emploie ce mot au sens de Bourdieu-  leur permettant de se reconnaître entre eux).

La raison est évidente : en France, le niveau social atteint est corrélé très largement, de façon évidente, à la difficulté de la sélection scolaire. A l’époque ou écrit Bourdieu, le système scolaire trie tous les élèves selon, grosso modo, leur moyenne en maths et il n’y a chaque année qu’un seul vainqueur : le major de l’X. Tous les autres sont des déçus du système. Même l’orientation vers des métiers de vocation, tels que la médecine, est souvent vécue comme un échec (on fait la fac de médecine parce qu’on n’a pas été admis en Maths Sup). L’élève français ne fait pas de choix actif, il est progressivement «éliminé » par le système.  Depuis Bourdieu, les choses ont changé au bénéfice de l’ENA ou d’HEC[2], mais le paradoxe est que cela ne constitue en rien un mieux, ces écoles étant celles qui sélectionnent le plus sur le fameux « capital culturel », propre des matières orales ou littéraires.

Cette façon de voir est absurde. Les élèves ne peuvent être triés ainsi car il y a entre les êtres humains une différence de nature, pas de degré. Les professions de médecin, ministre, ingénieur, ouvrier, mathématicien, agriculteur doivent simplement correspondre à des vocations différentes, conséquences chaque fois que c’est possible d’un choix actif, positif. Et si le métier d’ouvrier est plus dur que celui de mathématicien, c’est le prestige social de l’ouvrier qui en sort renforcé, non pas l’inverse. C’est tout le discours scolaire sur l’excellence qui doit changer.

Les inégalités sociales liées à la profession ont progressé de façon exponentielle depuis Bourdieu, comme le montre, justement cette fois-ci, Piketty dans « Le Capital au XXIème siècle ». Un patron comme Carlos Ghosn, diplômé de Polytechnique, gagne aujourd’hui 1000 à 10 000 fois le salaire de ses ouvriers (en augmentation d’un facteur 20 à 200 depuis les années 70), ce qui crée une différence de revenus comparable à celle qui, au Moyen-âge, séparait un Comte de ses serfs, c’est-à-dire incompatible avec la notion d’égalité. Cette pression sociale pèse de façon toujours plus intense sur l’école et la corrompt. Apprendre simplement pour gagner beaucoup d’argent plus tard, pour avoir une chance de trouver un métier, c’est abaisser moralement les élèves, ce que jamais la République ne devrait faire ; c’est prendre le risque de sélectionner non pas les plus profonds, mais les plus arrivistes. Apprendre pour de l’argent, c’est mal apprendre. L’ambition, la volonté de passer le concours, ne peuvent constituer les seuls mobiles du désir d’apprendre. La nation y perd sans doute, la recherche y perd certainement.

La plus-value économique n’est pas l’objectif premier de l’école, qui depuis Jules Ferry a d’abord eu pour but de former des citoyens libres, au sens du premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et éclairés. L’objectif premier de l’école doit être de définir le niveau scolaire nécessaire pour pouvoir vivre libre et d’y mener un maximum de citoyens.

L’école n’est en rien responsable du niveau actuel des inégalités sociales ni du fait qu’on accorde, en quelque sorte, trop d’importance à son diplôme. Si on ne lutte pas contre l’inégalité résultant de l’école après l’école, dont notre société est seule coupable, on aura non seulement une école inefficace, mais on ne corrigera jamais l’inégalité scolaire d’origine sociale dont parle Bourdieu et on n’aurait même jamais un intérêt réel à la corriger. Certes, on doit compenser au mieux les inégalités scolaires d’origine sociale, mais la situation qui consisterait à introduire lorsque les élèves-citoyens ont 20 ans, sous prétexte de performance scolaire, des inégalités sociales de même ampleur que celles du XIXème siècle ne serait pas un progrès, même dans le cas hypothétique où la réussite scolaire deviendrait un jour indépendante du milieu social. L’égalité est un but premier, la sélection au mérite, même stricto sensu, ne peut servir d’alibi à l’inégalité.

[1] « La reproduction », page 2. On y trouve aussi, dès la page 1, cette brillante démonstration sur la violence symbolique. « Scolie : Refuser cet axiome reviendrait à nier la possibilité d’une science sociologique » ! Imagine-t-on Newton : « refuser la notion de gravité universelle reviendrait à nier la possibilité d’une science physique » ? L’échec fait partie intégrante de toute procédure de recherche scientifique et l’absence de résultats probants n’est en rien honteuse. Mais la prétention des termes employés, mise en rapport avec la légèreté des « démonstrations » constitue le vrai, le grand échec de Bourdieu et sans doute d’une grande partie de la sociologie et des sciences de l’éducation actuelles.

[2] Bourdieu a d’ailleurs parfaitement prédit cette évolution et en a donné les raisons.

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Bienvenue au Bett Show, le salon où le délire technologique remplace l’intention pédagogique 1 février 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Le Bett Show est le plus grand salon éducatif européen. Il rassemblait la semaine dernière un millier d’exposants et, comme tous les ans depuis 2005, j’y ai passé une journée. En une journée, on a le temps de voir à peu près la moitié des stands, la plupart d’assez loin. J’ai donc pu rater des choses intéressantes, mais voici les principales tendances – illustrées – du salon.

La réalité virtuelle

Jamais, je n’ai vu un Bett avec une telle concentration de nouvelles technologies. Au moins 200 stands consacrés à la robotique (nom de code  STEM : Science, Technology, Engineering and Mathematics). Sous ce terme fourre-tout, on peut caser un peu tout et n’importe quoi, évidemment.

Des dizaines de stands consacrés à la réalité virtuelle – mais personne, sur le salon n’a été capable de m’expliquer en quoi l’expérience « immersive » proposée, dont j’admets qu’elle est parfois en tous points remarquable, améliorerait en quoi que ce soit le niveau ou même les connaissances de l’élève. Poser cette question paraît même un peu incongru.

Personne ne semble remarquer que la première conséquence de ces lunettes 3D  est de rendre l’enfant aveugle en le coupant de son environnement réel. Une des tendances actuelles de l’école semble être d’éloigner l’enfant du réel, alors qu’elle devrait au contraire permettre à l’enfant d’appréhender le réel. Il y a trois ans, l’Education Nationale a tout fait pour que l’éclipse, un des phénomènes naturels les plus grandioses ne soit pas vue des élèves. En 2016, le pays de Pasteur a interdit la dissection en classe de sciences naturelles au nom du fumeux « respect du vivant » (terme utilisé tel quel sur le site de l’Education Nationale).  De la maternelle à l’enseignement supérieur, il y a peu de phénomènes plus faciles à observer, plus riches à commenter, plus propres à susciter des vocations que l’éclipse ou la dissection des grenouilles. Les lunettes 3D symbolisent de façon quasi- parfaite l’évolution, au niveau mondial, de l’école vers un certain obscurantisme – terme à prendre ici dans un sens on ne peut plus littéral. Cet « en avant vers le passé » avance masqué derrière une apparence de modernité (ici, les nouvelles technologies et le principe de précaution).

“J’ai tout vu au Bett – Non, tu n’as rien vu.” – Extrait de “Bett 2018, mon amour”.

L’absence d’intention pédagogique

Pour un grand nombre de technologies proposées au Bett, la fonctionnalité « intelligence artificielle » est glorieusement mise en avant. Beaucoup de sociétés proposent ainsi des cursus scolaires adaptatifs et personnalisés grâce à l’intelligence artificielle et aux « algorithmes adaptatifs » (adaptive learning). Mais s’avèrent incapables d’informer sur la nature et l’étendue des choix faits par l’ordinateur pour proposer le contenu à l’élève. Là aussi, poser la moindre question semble incongru. « L’algorithme est adaptatif, mon bon Monsieur, que voulez-vous qu’on vous dise de plus ? »

De tout ceci, on peut tirer une première règle générale :

Plus l’accent est mis sur la technologie dans une présentation, plus l’intention pédagogique est absente – dans la plupart des cas, le délire technologique ne fait que purement et simplement masquer l’absence totale d’intention pédagogique.

Que verrez-vous au Bett l’année prochaine ?

La conséquence de cette règle est la suivante :

Comme la plupart des sociétés ne cherchent qu’à recycler les technologies qui font le buzz actuellement pour les présenter dans un contexte vaguement éducatif, il est extrêmement simple de prédire de quoi seront faits les Bett 2019, 2020, 2021.

Je prédis en vrac, dans le désordre: les applications de la blockchain à l’éducation (whatever that means), le « machine learning » et les objets connectés (qu’on rencontre d’ailleurs d’ores et déjà assez fréquemment).

Et Speechi dans tout ça ?

Je voudrais en profiter pour répondre à des remarques qu’on me fait souvent à propos des articles critiques publiés dans ce blog. Il y aurait une contradiction entre mes critiques et la mission de Speechi, qui est d’utiliser justement ces nouvelles technologies pour améliorer la transmission du savoir. Certains me reprochent de « cracher dans la soupe », d’autres me félicitent de montrer tant d’objectivité qu’ils supposent contraire aux intérêts de Speechi (autrement dit, ils pensent eux aussi que je crache dans la soupe, mais ils m’en félicitent !).

Il n’y a en réalité aucune contradiction.

L’éducation sera profondément impactée par les nouvelles technologies et j’ai grand espoir qu’elle le sera pour le mieux, d’une façon réellement utile aux élèves. C’est le métier de Speechi de participer, même très modestement, à cette grande aventure.  Mais ce grand espoir n’est pas une croyance, pas une foi intrinsèque de nature « religieuse »  : la technologie a des bons et mauvais côtés; elle est parfois inutile voire contre-productive ; elle est toujours coûteuse; elle est aussi, tous ceux qui lisent ce blog le savent, soumise à divers lobbies dont l’intention pédagogique est nulle.

Je m’oppose donc régulièrement à ceux qui ont une foi, à mon sens irraisonnée, en la technologie, qui croient que toute introduction de nature technologique dans la salle de classe est bonne.

Cette croyance « a priori », irraisonnée et aveugle dans les bienfaits de la technologie, je l’appelle pédago-scientisme.

Il m’arrive aussi, me direz-vous, de critiquer nos propres produits. Oui car nous ne faisons pas toujours bien les choses. Parfois (trop souvent !) nous pouvons laisser de côté cette fameuse « intention pédagogique » et le fait est que nous n’en souffrons pas toujours immédiatement en tant qu’entreprise : il est assez frustrant pour moi en fait de constater que le succès commercial des solutions que nous proposons n’est pas forcément lié à leur intérêt pédagogique réel.

La critique de ce que nous faisons reste nécessaire pour au moins deux raisons : d’abord, il faut progresser, toujours et si nous n’arrêtions pas de nous féliciter, si nous manquions trop d’esprit critique, nous n’arriverions jamais à avancer. Publier ce que je pense réellement constitue souvent une sorte d’électrochoc salutaire pour réellement progresser.

Ensuite, il y a quand même pour nous un besoin de crédibilité et d’expertise. Je sais bien que le marketing peut faire beaucoup, mais si nous avions simplement sauté sur notre chaise depuis 10 ans comme des cabris en criant « tableau interactif, tableau interactif ! », je pense que nous serions tout simplement moins crédibles aujourd’hui.

Et donc, dans la mesure où ma “franchise” n’est pas contraire aux intérêts de l’entreprise, où je trouve même qu’elle est utile à l’entreprise, je n’ai aucun mérite personnel à être franc. Nous sommes simplement dans un cas où intérêt et morale se rejoignent.

Notre objectif reste toujours d’introduire des produits ayant une intention pédagogique réelle, de les évaluer, de les critiquer de façon à avancer. Nous nous trompons parfois mais l’erreur n’est pas honteuse en elle-même. Ce qui serait honteux serait de la masquer volontairement. Ce qui serait stupide serait de la nier par manque d’objectivité. Il est de toutes les façons beaucoup plus facile d’accepter les critiques qu’on se fait à soi-même que celles des autres. Les critiques, comme dit Cyrano :

Nous nous les servons nous-mêmes avec assez de verve,
Mais ne permettons pas qu’un autre nous les serve.

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On apprend bien mieux dans un livre que sur un écran 25 janvier 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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LireALEnvers

De multiples études récentes – et à mon sens déterminantes – ont montré depuis 5 ans qu’on apprend mieux dans les pages d’un livre qu’en visionnant un écran (1). Pour en résumer l’essentiel:

  • la compréhension d’un même texte est meilleure quand il est lu sur du papier que sur un écran. Plus le texte a un contenu abstrait, plus l’écart de compréhension grandit.
  • la mémorisation à court, moyen et long terme est meilleure quand un texte est lu sur du papier
  • la supériorité du livre est probablement due à son côté physique, qui faciliterait la compréhension (2)

Qu’en pensent les élèves ?

Les élèves sont pourtant d’un avis tout à fait contraire ! Si on les interroge, la plupart ont l’impression de mieux comprendre le texte sur l’écran que dans un livre ! D’une façon générale:

  • Les élèves préfèrent lire sur tablette
  • Ils lisent plus vite en ligne que sur papier
  • Ils pensent mieux comprendre ce qu’ils lisent sur un écran, mais cette impression est démentie par toutes les études
  • Pour répondre aux questions très générales telles que “quel est le sujet principal de ce texte ?”, le papier et l’écran sont équivalents
  • Pour les questions plus spécifiques, pour les textes plus complexes, la compréhension est meilleure après lecture du livre que sur l’écran.

Conclusion: il faut cesser de s’intéresser au “ressenti” des élèves

Malheureusement, la plupart des études que j’ai pu voir circuler, depuis des années, sur l’évaluation de nouvelles méthodes pédagogiques ne s’intéressent en rien au niveau acquis par les élèves, mais à leur ressenti, à leur satisfaction. On confond allègrement savoir et satisfaction sans oublier bien sûr “le vécu des parents” ou la fameuse “satisfaction du corps enseignant” – tout ceci mélangé jusqu’à la nausée dans une sorte de purée démagogique. Une phrase du fameux rapport Fourgous sur les TICE en 2012, (rapport depuis longtemps oublié, je dois être le seul survivant à en connaître encore quelques passages par cœur), me revient en mémoire : “Il FAUT utiliser les technologies de l’information à l’école parce qu’elles satisfont “les élèves, les parents, les professeurs” !

La satisfaction de l’élève n’est pas l’objectif de l’école, surtout si elle s’oppose à la progression de l’élève. Les objectifs prioritaires de l’école : la transmission du savoir et la transformation de l’élève en citoyen. C’est selon ces deux critères qu’on doit évaluer l’intérêt des nouvelles technologies à l’école, et surtout leur rapport qualité/prix. Dépenser des milliards pour “satisfaire” le monde éducatif, c’est du gaspillage pur et simple. (Il est évidemment nécessaire d’intéresser l’élève pour qu’il apprenne mieux, il est nécessaire de rassurer les parents, il est nécessaire de valoriser les professeurs. Mais ces éléments sont des moyens, non des fins.)

(1) Baron, N. (2016). Why digital reading is no substitute for print. New Republic.  https://newrepublic.com/article/135326/digital-reading-no-substitute-print

Connell, C., Bayliss, L., & Farmer, W. (2012). Effects of eBook readers and tablet computers on reading comprehension. International Journal of Instructional Media. 39(2), 131–140.

Cull, B. W. (2011). Reading revolutions: Online digital text and implications for reading in academe. First Monday, 16(6).  http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/3340

Jabr, F. (2013). The Reading Brain in the Digital Age: The Science of Paper versus Screens. Scientific American. Retrieved from https://www.scientificamerican.com/article/reading-paper-screens/

Kaufman, G., & Flanagan, M. (2016, May). High-low split: Divergent cognitive construal levels triggered by digital and non-digital platforms. Proceedings of the 2016 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 2773-2777. http://www.tiltfactor.org/wp-content/uploads/2017/02/2016-tiltfactor-chi-digital-nondigital.pdf

Mangen, A., Walgermo, B. R., & Brønnick, K. (2013). Reading linear texts on paper versus computer screen: Effects on reading comprehension. International Journal of Educational Research, 58, 61-68.  http://www.ore.org.pt/filesobservatorio/pdf/ReadingonPaperVsScreencomputerScreen.pdf

Santana, A. D., Livingstone, R. M., & Cho, Y. Y. (2013). Print readers recall more than do online readers. Newspaper Research Journal, 34(2), 78-92. Retrieved from https://www.academia.edu/6572113/Print_Readers_Recall_More_Than_Do_Online_Readers?auto=download

Singer, L, M., & Alexander, P. A. (2017; Online first). Reading on paper and digitally: What the past decades of empirical research reveal. Review of Educational Research, 1–35. doi:10.3102/0034654317722961

Alexander, P. A., & Singer, L. M. (2017). A new study shows that students learn way more effectively from print textbooks than screens. Business Insider.  http://www.businessinsider.com/students-learning-education-print-textbooks-screens-study-2017-10?international=true&r=US&IR=T

(2) Pourquoi lit-on mieux dans un livre ?

Probablement, le côté physique du livre facilite la compréhension. On voit quand le livre commence, quand il finit. On sait intuitivement, par l’évolution de la répartition de son poids “gauche/droite” où on en est dans le livre. Une carte mentale se crée inconsciemment qui permet de positionner chaque passage de façon topographique. Esprit et corps sont en relation. (Voir les travaux de Mangren, de Jabr ou de Baron, ci-dessous). Et si on avait un peu de temps pour ça, on investirait certainement, chez Speechi, dans cette recherche qui paraît assez simple: comment “augmenter” l’interface de lecture d’une tablette de façon à restituer au lecteur l’expérience physique que procure un livre ? Et de quelle façon l’interface de lecture joue-t-elle sur la compréhension d’un texte ? On le fera peut-être un jour, d’ailleurs.

(3) Source principale d’inspiration ici : https://3starlearningexperiences.wordpress.com/2017/11/21/paper-or-screen-for-comprehension-and-learning/

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Pourquoi il faudrait interdire les portables dans les amphis. 22 janvier 2018

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Prendre ses notes à la main permet une meilleure mémorisation

Plein d’études récentes suggèrent qu’on apprend bien mieux en prenant des notes avec un papier et un crayon qu’en les tapant sur son ordinateur portable – pourtant, si vous vous baladez aujourd’hui dans un amphi, vous verrez que presque tous les élèves prennent leur notes sur un ordinateur portable.

Papillonnage actif et passif

Et sans même parler de mémorisation, les études suggèrent que jusqu’à 40% de l’attention de ces étudiants est perdue à cause du côté “multi-tâches” induit par l’ordinateur (l’élève fait son shopping, chatte, voit des vidéos, va sur Facebook, etc.).

Ci-dessous les effets du papillonnage sur la performance des étudiants (1).

Après tout, on pourrait les laisser faire et se nuire à eux-mêmes, au nom de leur liberté d’action, comme, dans les années 70, on laissait les fumeurs libres de fumer n’importe où. Mais le problème est que, comme pour le tabac, il y a un effet de “papillonnage passif” induit sur les autres élèves dans la classe. Le graphique ci-dessous compare la performance des élèves ayant une vue directe sur ceux qui papillonnent avec les autres et le verdict est sans appel: la vue sur un élève qui papillonne a un impact sur la performance aussi négatif que le papillonnage actif lui-même.

Effets du papillonnage passif sur la performance des étudiants (1):

Et donc, comme on a fort justement, aujourd’hui, interdit le tabac partout à cause du tabagisme passif, on devrait interdire de prendre des notes sur son portable à l’université, au nom du papillonnage passif.

Réservé aux “non-papillonneurs”

A Harvard, certains amphis sont coupés en deux. Papillonneurs et non-papillonneurs sont séparés au début du cours de façon à ce que les étudiants prenant leurs notes à la main ne soient plus impactés par les portables. Sans doute une bonne solution car, contrairement à la fumée du tabac, le papillonnage ne se répand pas dans toute la pièce et peut-être ainsi limité.

Quoi qu’il en soit, le règlement intérieur des écoles et des universités devrait préserver les droits des non papillonneurs avant tout et poser des règles strictes limitant l’usage des portables en cours.

(1) Sana, Weston, Cepeda, page 24.

(2) Source

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