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Dr House, ou le retour du Religieux 5 décembre 2008

Par Thierry Klein dans : Dr House.
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L’épisode 21 de la saison 3 de Dr House, « Family », est une mise en scène sophistiquée des rapports entre l’utilitarisme et le religieux.

L’aîné doit, pour survivre, recevoir sous 5 jours une transplantation de moelle provenant du cadet, sinon il mourra. Mais le cadet tombe malade, ce qui empêche toute transplantation car l’aîné a perdu toutes ses défenses immunitaires.

House décide de rendre le cadet encore plus malade, en le soumettant à des bains glacés. En accélérant la progression de la maladie, il espère pouvoir la guérir ensuite plus rapidement pour sauver l’aîné.

Ce faisant, il effectue (implicitement) un calcul de nature utilitariste. Si une vie humaine vaut 100 (la vie de l’aîné) et qu’on met la souffrance du cadet dans le bain glacé à 10, House calcule que sa solution « vaut » 100 – 10, soit 90. L’autre solution (pas de bain glacé), vaut 0 (l’aîné meurt, le cadet ne souffre pas).

Tous les médecins acceptent sans rechigner cette solution, ainsi que les parents. Elle ne semble poser de problème éthique à personne. Nous tous, dans la vie de tous les jours, effectuons des compromis de cet ordre (je vous avais un jour parlé, dans un tout autre domaine, du goût du RISC).

Les bains glacés mettent en évidence que l’infection est située dans le cœur du cadet. Deux solutions : 1 mois d’antibiotiques pour le cadet (et l'aîné meurt) ou une opération à cœur ouvert, risquée et qui laissera des séquelles physiques permanentes.

House propose la deuxième solution, toujours à cause du même raisonnement implicite (Si la vie vaut 100 et la souffrance du cadet vaut ici 40, la solution « vaut » 60. L’autre solution vaut 0).

A noter que cette fois-ci, la proposition est contestée sur le plan éthique par un médecin, au motif que la souffrance du cadet sera très importante et le handicap qui suivra sera léger, mais permanent. Les médecins s’en remettent aux parents, qui décident, avec difficulté, de suivre le choix de House.

Les raisonnements utilitaristes posent 2 problèmes éthiques autour desquels s’articule notre société moderne.

1) « La vie avant tout ».

Dans notre société, il est admis qu’un handicap permanent a une valeur qui a le même ordre de grandeur qu’une vie. (A ce titre, on autorise par exemple des avortements thérapeutiques hors délai lorsqu’il est prouvé que le foetus est anormal).

Si la vie vaut 100 et le handicap du cadet juste un peu moins (80), la décision thérapeutique peut être remise en question, compte tenu des risques de l’opération, etc…

La religion s’oppose à ce point de vue en mettant la vie nettement au dessus de tout handicap et en rendant le point de vue utilitariste impossible. La vie vaut 100 000, le handicap vaut 10 et on tombera alors toujours d’accord avec la solution proposée par House.

Sur ce plan, et bien qu’il s’en défende, House est donc un être profondément religieux, et ce de façon constante tout au long de la série : Dr House choisit toujours, envers et contre tout, quels que soient les problèmes moraux qui se posent, les solutions qui vont lui permettre de sauver les malades.

C’est son principe permanent d’action et la clé de ses comportements paradoxaux. Il met tellement la vie « au-dessus », il lui donne un coefficient tellement fort dans ses formules de choix utilitaristes, il est tellement religieux, que tout le reste (la morale, le mensonge, la manipulation, le handicap, le bonheur, la souffrance, les convenances, etc…) n’a – littéralement et mathématiquement – aucun poids.

2) Le suicide et le sacrifice

Le côté volontaire du transfert de la maladie de l’aîné vers le cadet est tabou car il y a mutilation du cadet pour sauver l’aîné.

Si on admet que le handicap a presque valeur de mort, on est en présence d’une sorte de sacrifice humain (si le transfert se fait sans la volonté du sacrifié) ou de suicide (si le cadet est consentant).

Dans les 2 cas, la prise volontaire d’une vie pour en sauver une autre viole une loi des sociétés modernes – qui préfèrent s’en remettre au hasard.

Nous sommes plus choqués par les attentats suicides, par les kamikazes – car l’agresseur est sûr de mourir – que par la guerre, qui pourtant peut tuer beaucoup plus de monde au final, mais d’une façon plus aléatoire; chaque combattant peut alors espérer revenir.

L’idée de tirer le marin qui sera mangé à la courte paille nous paraît beaucoup plus acceptable que de le désigner par un vote.

Les religions judéo-chrétiennes s’opposent explicitement au suicide comme au sacrifice humain, mais le tabou touche la plupart des individus, qu’ils soient croyants ou non. Nous sommes tous plus religieux que nous ne le pensons mais, sur ce point, House ne l’est pas. Pour lui, ce tabou se ramène à de la pure superstition.

Dans l’épisode qui nous intéresse, on échange un handicap « léger » contre le gain d’une vie, il n’y a donc pas violation forte du tabou ou du principe religieux n°2, mais juste l’apparition d’un léger malaise chez le spectateur – et chez un médecin de la série.

La solution proposée par House est donc singulière, on pourrait dire « politiquement incorrecte », mais ne viole pas les règles humaines.

Le chirurgien ne réalise pas l’opération car l’aspect du cœur ouvert infirme le diagnostic. On recherche alors une maladie auto-immunitaire (qui permettrait la transplantation immédiate) plutôt que de réaliser une transplantation avec un autre donneur.

L’argument de House est ici explicitement utilitariste. Un autre donneur aurait une compatibilité de 4/6, ce qui fait baisser la probabilité de réussite de la greffe, alors que le cadet à une compatibilité de 1.

Aucun problème éthique n’est soulevé à ce moment précis car le diagnostic de maladie auto-immunitaire est suffisamment rapide à confirmer ou infirmer pour pouvoir retarder la greffe sans mettre la vie de l’aîné en danger.

Mais le diagnostic auto-immunitaire est écarté et on en revient au diagnostic d’infection initial. Problème, il faudrait des semaines pour tester toutes les infections possibles – ce qui entraînerait la mort du patient.

House espère quand même trouver à temps l’infection et ne veut toujours pas effectuer la greffe mais l’état de l’aîné se dégrade tellement rapidement que le risque vital est engagé à tout moment si la transplantation n’a pas lieu immédiatement (mort subite possible).

Un des médecins, Foreman, se révolte alors et propose aux parents une transplantation avec un donneur partiellement compatible. Les parents suivent l’avis de Foreman.

Paradoxalement, House déclare que ça ne lui pose « pas de problème ».

Pourquoi ?

Parce qu’en termes utilitaristes, les 2 solutions sont à peu près équivalentes.

La solution de House vaut en gros : 50% (probabilité qu’il trouve l’infection à temps) x 100 (la vie de l’aîné). Celle de Foreman vaut 50% (probabilité que la greffe fonctionne avec un donneur moins compatible) x 100. Le problème n’est que dans l’estimation des probabilités, qui a un côté forcément subjectif.

A noter qu’aucune des 2 solutions n’a d’impact sur l’état du cadet. C’est bien une différence d’appréciation médicale qui est en jeu, pas un problème éthique.

La greffe n’a pas pris sur l’aîné –les médecins estiment qu’il est condamné - et l’état du cadet se dégrade, il mourra si le diagnostic n’est pas effectué rapidement. Pour pouvoir effectuer le diagnostic du cadet, House à l’idée de transférer sa moelle à l’aîné – l’aîné étant privé de défenses, le diagnostic, impossible à réaliser chez le cadet, seront immédiats.

Dans ce nouveau cas de figure, l’aîné mourra à coup sûr de l’infection transmise par le cadet sa mort sauve le cadet. On propose donc aux parents de sauver un des enfants au détriment d’un autre.

« Soit vous condamnez l’aîné (en lui transférant l’infection), soit vous perdez les 2 ».

En termes utilitaristes, on a d’un côté une solution qui vaut 0 (les deux meurent) et une qui vaut 100 (l’aîné meurt).

Pour House, nous l’avons vu, le choix est donc on ne peut plus évident.

Mais les parents refusent ce choix (car ils respectent le tabou n°2, celui du sacrifice humain), condamnant ainsi très probablement les 2 enfants.

House convainc alors l’aîné d’accepter de recevoir la moelle infectée au nom de l’amour de son frère. Le côté volontaire de l’acte de l’aîné (qui dégage leur responsabilité), et le fait qu’il ne s’agit pas vraiment d’un suicide mais d’une sorte d’euthanasie, puisque l’aîné est de toutes les façons condamné, lève les préventions éthiques des parents liées au tabou n°2.

Au moment où la moelle va être transférée, la cause de l’infection est trouvée, le cadet instantanément soigné et quelques heures plus tard, la greffe est réalisée : les 2 frères sont sauvés.

Structurellement, le choix qui a été proposé aux parents est une variante du choix de Sophie, un célèbre exemple tiré d’un roman de William Styron.

Sophie est déportée à Auschwitz avec ses 2 enfants. Le médecin du camp lui propose d’en sauver un des deux à la condition qu’elle choisisse elle-même celui qui sera tué. Ce qu’elle fait, sous la contrainte, et ce dont elle ne se remettra jamais.

Là aussi, en termes utilitaristes, le choix de Sophie paraît évident. Mais on se rend bien compte avec ce cas des limites éthiques du choix utilitariste, des tabous qu’il transgresse parfois, des désordres psychologiques qu’il peut créer.

Je vous en parlerai dans un prochain billet (qui sera mon dernier sur House, au moins pour les 4 premières saisons).

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Commentaires»

1. Bernard - 5 décembre 2008

Heureusement que ce n’est qu’un feuilleton et non pas la réalité !

2. Jeanne - 6 décembre 2008

Vos billets sur Dr House sont réellement extraordinaires mais vous pourriez penser à nous et les faire un peu plus courts et simples à lire.

3. dyan - 7 février 2009

j’adore vos petits billets à la fois plein plein d’arrogance et de culture(comme si vous déteniez toute la vérité et aviez la science infuse!)
ce n’est pas une critique j’aime vraiment ce manque de modestie totalement assumé (?!!!) et votre immense estime de soi.
après tout quand on est intelligent, cultivé et brillant pourquoi faire semblant de ne rien savoir et se mettre à la hauteur du petit peuple!!
merci thierry ça vous rapproche de Dr House ce mépris de l’inculte de base et le Dr House on l’adore quand même!

dyan
ps: quelles études ou quelle éducation pour avoir une telle culture générale? quelques conseils au petit peuple pour qu’il s’éleve vers le haut?

4. Thierry Klein - 11 février 2009

et en plus , je suis beau, c’est dire !
🙂