Combien de singes pour faire un homme ? 22 janvier 2007
Par Thierry Klein dans : Animaux.Lu 6 508 fois | trackback
A l’occasion de la mort de l’Abbé Pierre, Gauche comme Droite s’étendent aujourd’hui de façon dégoulinante sur le nécessaire devoir de solidarité qui relie les hommes entre eux.
Le massacre programmé des animaux et des expèces continue, lui, au nom de la différence « d’essence » entre l’homme et l’animal.
Pour presque tous, l’homme a une valeur infiniment plus élevée que l’animal. Sauver – potentiellement – une vie humaine peut justifier la mort de milliers d’animaux (cf la crise de la vache folle) mais le droit de l’animal est encore plus réduit. On tue des centaines de milliers de phoque pour des besoins économiques mineurs (l’exploitation de la fourrure). En Afrique, en Indonésie, des espèces de grand mammifères vont s’éteindre au nom de causes encore plus futiles (commerce de l’ivoire, déforestation massive pour produire des maquillages à partir d’huile de palme, etc…).
Or la notion de supériorité d’essence de l’homme sur l’animal n’est qu’une notion religieuse, sans aucune base scientifique. Au sens scientifique, l’homme n’est qu’un animal comme un autre doué d’un génie supérieur qui lui autorise de multiples transformations sur son environnement. Il y a avec l’animal une différence de degré d’évolution, pas de structure.
Le devoir de solidarité entre les hommes repose avant tout sur une identification à l’Autre, et en particulier à la souffrance de l’Autre, beaucoup plus que sur le génie ou l’intelligence de l’Autre, sinon il faudrait admettre, avec Hitler, que les faibles d’esprit et les faibles tout court peuvent être traités comme les animaux. Or, si l’homme est capable de protéger son prochain parce qu’il souffre comme lui (notion religieuse qui elle aussi réunit athées et croyants), il faudra bien qu’il admette un jour que les animaux, ou du moins certains animaux, souffrent aussi de la même façon que lui.
Ce n’est pas l’intelligence qui nous rapproche des animaux, c’est la proximité des réactions de souffrance qui découlent de la proximité des structures cérébrales, nerveuses et de l’évolution.
Dans le cas des mammifères évolués, l’observation, le bon sens, la sensibilité, bref la raison naturelle, laissent à penser que lorsque ces animaux souffrent, ils ressentent cette souffrance de façon totalement comparable à la notre (Ainsi de la mère du phoque qui voit son bébé assassiné tous les ans, ainsi du fauve en captivité que n’est plus apte à se reproduire, etc…). Seule leur intelligence est inférieure.
Comme c’est au final la complexité nerveuse d’un organisme qui détermine, preque par définition, sa capacité de souffrance « analogue à celle que nous ressentons », il serait bon de définir un critère de préservation des espèces ou des animaux liée à leur nombre de neurones où à la taille du cortex (vous saisissez l’idée, je en sera pas plus précis à ce stade car les avis diffèrent quant au facteur qui crée l’intelligence, la souffrance, la perception du temps, la sensibilité, etc…).
Ainsi, selon ce critère, un homme « égale » 10 vaches ou 3 singes. Surtout, le processus d’identification et de relativisation de la supériorité de l’homme commence à fonctionner. Un braconnier qui tue 3 gorilles est passible de la même peine qu’un assassin. (J’exclue par grandeur d’âme la peine de mort pour les crimes d’animaux).
Je ne veux pas m’envoyer des fleurs, mais cette notion est plus profonde qu’il n’y paraît. Elle s’applique assez bien à l’avortement. Si notre société permet l’avortement, c’est bien qu’elle considère que le foetus n’est pas encore un être humain. Au sens philosophique, on ne peut invoquer la faiblesse du foetus pour le tuer (sinon, le raisonnement s’appliquerait aux bébés vivants et aux enfants qu’on pourrait aussi éliminer). On ne peut invoquer que la présence ou l’absence de tout « ressenti » humain dans le foetus, ce qui revient très probabelment à prendre en compte la complexité de son système nerveux. Nos lois admettent, sagement je pense, qu’après quelques mois d’existence, le foetus atteint une complexité nerveuse supérieure aux animaux qui transforme en assassinat tout avortement.
Elles s’opposent aux idées de l’Eglise qui placent dans le foetus un caractère humain inaliénable dès la conception – et même avant.
Il semblera à la plupart des lecteurs naturel d’être « pour » l’avortement et « contre » l’introduction d’une loi qui identifierait, en quelque sorte, homme et animal, qui semble par trop extrémiste. Mais si vous êtes pour la loi sur l’avortement, il vous sera difficile d’être contre le critère « de complexité nerveuse » que je propose sans mettre à mal votre logique. A l’inverse, si vous êtes contre la loi sur l’avortement, il est en quelque sorte logique que le critère d’identification que je propose vous semble blasphématoire – autre façon de montrer que la prétendue supériorité infinie de l’homme sur l’animal – et les droits qui en découlent – est de nature religieuse.
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Commentaires»
L’abbé Pierre se posait toutes les questions fondamentales sur la vie, la société. Il était l’homme qui regardait l’incompréhensible monde fait de misères et d’injustices.
Alors Dieu dans tout cela? Son interrogation : Mon Dieu… Pourquoi ?
Ma réponse est simple, parce qu’il n’y en a pas.
Merci à lui, pour son dévouement aux autres, ce qui l’a animé dans son unique vie terrestre.
Bonjour Thierry,
J’ai survolé quelques uns de tes billets, et celui-ci m’a interpellée!
Tout d’abord, je ne pense pas que l’éthique doit reposer sur la complexité du système nerveux des animaux, et encore moins sur ce que l’on sait de leur intelligence!
En effet, l’Homme ne sait rien, ou alors si peux de la vie, et de toute la complexité qui l’anime. Et je peux en témoigner du fait que je travail à l’étude du comportement animal (et de ce que l’on appelle cognition: en gros le raison de tout sujet animal face à toute sorte de problème).
Sincèrement, je ne crois pas que « l’intelligence » décrite par l’Homme repose sur le système nerveux. Pour preuve, les recherches sur les comportements de communication (très complexe) et les capacités cognitives des poulpes, calamars n’co! On a démontré chez ces animaux, bien qu’ils n’aient pas de systèmes nerveux complexe, la présence de signaux de communication visuelle que l’on peine encore à interpréter, et la capacité à faire des calculs de quasi géométrie spatiale sur la taille de leur corps qui leur permettrai de savoir à l’avance s’il pouvaient s’extirper de différents problèmes posés! Je ne parle même pas du fait que pour certaines expériences, les chercheurs sont obligés de porter des lunettes de soleil, puisqu’il s’avérerait que ces animaux sont capables de suivre le regard de l’Homme!!! (capacité démontrée seulement (à ma connaissance) chez les grands-singes et les corneilles!).
Et la aussi, j’ai envie de dire que les corneilles, bien qu’elles ne fassent pas parties des mammifères, présentent des capacités de réflexion se rapprochant bien plus de celle de l’Homme que d’une poule!
Et c’est bien là le problème, l’Homme veut toujours discriminer, classer tout ce qui l’entoure! Et ce serait juste une vision anthropocentriste que de classer les animaux ou leur sensibilité (potentielle!!!) en fonction de leur complexité nerveuse, tout ça parce que son cerveau est censé être le plus complexe (selon des critères posés par des humains!).
Qui te dit qu’un cafard ne ressent pas la douleur! Et pire, la souffrance est peut être une adaptation pour fuir le danger, dans l’optique de la survie de l’espèce, mais a-tu déjà rencontrer une espèce qui ne fuit pas le danger?
Enfin, en ce qui concerne l’avortement, je ne rentrerai pas dans le débat, que je trouve sans réel rapport avec le sujet… (ou bien plus complexe que pour reposer seulement sur l’argument du développement du foetus…).