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La préservation des animaux : urgence et éthique (2/3) 16 juin 2005

Par Thierry Klein dans : Animaux.
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Le deuxième volet d’une série de 3 articles sur la nécessité de préservation des animaux, qui parle des raisons morales


Une approche éthique

Le caractère irréversible de la destruction d’espèces aussi importantes suffirait à lui seul à justifier des programmes de préservation d’une ampleur infiniment supérieure à ceux qui sont aujourd’hui envisagés. L’homme consacre en permanence une grande partie de son activité économique pour la construction d’ouvrages d’art, de moyens de transport, de monuments qu’il s’efforce ensuite de conserver car il a conscience que ceux-ci participent de l’héritage commun de l’humanité. S’il en est ainsi d’ouvrages créés par l’homme – et qu’il pourrait donc dans la plupart des cas conserver sous forme de copie ou reconstruire éventuellement à l’identique, alors qu’en est-il des espèces animales uniques et sensibles, dont nous ne sommes pas responsables de la création et qui vont disparaître à jamais ?

Il me semble pour ma part que la destruction totale des sept merveilles du monde, des Pyramides et du Louvre serait un évènement qui ne mériterait qu’un entrefilet de quelques lignes dans les journaux (surtout si on laisse Google numériser les œuvres tranquillement) comparé à la destruction du dernier éléphant ou du dernier tigre.

Mais je crois qu’il y aussi des critères éthiques très forts qui doivent nous pousser à protéger de façon individuelle chaque animal et non pas uniquement « les animaux » en tant qu’espèces.

Depuis le début de l’humanité, l’animal est sacrifié aux besoins humains pour de simples raisons qui tiennent à sa faiblesse et à l’agressivité de l’espèce humaine. A part la « loi du plus fort », on ne trouvera pas de justification éthique à ces abus.

Comme à chaque fois qu’il s’est trouvé en position dominante, l’Homme s’exonère de toute autocritique et considère son comportement comme « naturel ». Ainsi, Aristote justifiait-il l’esclavage et les blancs leur domination sur les noirs jusqu’à il y a quelques années en Afrique du Sud, sans parler d’autres exemples historiques presque aussi proches de nous et encore plus douloureux. Mais le « naturel », ce n’est que la loi du plus fort suffisamment acceptée par l’être humain de façon à s’éviter tout sentiment de culpabilité.

Les ressemblances entre les hommes l’emportant quand même largement sur les différences, l’homme a commencé à construire depuis quelques milliers d’années des systèmes politiques et religieux qui tentent de le protéger en l’identifiant à tous les hommes (vous pouvez bien sûr lire Girard à ce sujet, mais Girard ne couvre à mon avis qu’un aspect du phénomène). En gros, tout ceci repose sur l’empathie instinctive qu’éprouve l’Homme pour tout semblable, sa capacité à comprendre que tout homme souffre et ressent la douleur comme lui, la volonté de se protéger contre la douleur qu’il peut infliger – et en particulier contre la vengeance – ce point étant un point clé pour Girard. On peut résumer ça par une formule (légèrement menaçante) : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne souhaites pas qu’il te fasse ».

Evidemment, ce mécanisme ne peut être étendu à l’animal, qui est trop faible pour être capable de se venger. De fait, l’animal joue souvent le rôle de victime de substitution. Pour Girard, l’homme détourne sa violence intrinsèque vers le bouc émissaire et on appelle ce mécanisme le sacrifice. Le sacrifice et les mécanismes religieux qui en découlent permettent le développement des sociétés humaines.

Pour que tout cela tienne, il faut une différence fondamentale entre l’homme et l’animal. Il faut que la mort de l’animal ne soit « rien », que l’homme soit l’exception « à côté » du règne animal et tellement au dessus qu’il puisse sacrifier l’animal sans aucun remords ni sentiment de culpabilité. Il est difficile d’ailleurs de dire si le sentiment de supériorité résulte de cette position ou s’il l’engendre – probablement un peu des deux.

Quand on parle d’exception humaine, je pense toujours à Copernic. Il est vrai que l’homme, de par ses réalisations, joue un rôle particulier, mais notre comportement vis-à-vis des animaux découle évidemment d’une position ethnocentrique, à caractère religieux. (Cette « fondation » religieuse a un caractère si universel qu’elle réunit à la fois athées et croyants, qui tous vont condamner ce billet).

Si l’homme est capable de reconnaître que son prochain souffre comme lui (notion religieuse qui elle aussi réunit athées et croyants), il faudra bien qu’il admette un jour que les animaux, ou du moins certains animaux, souffrent aussi de la même façon que lui. Ce n’est pas l’intelligence qui nous rassemble, c’est la proximité des réactions de souffrance qui découlent de la proximité des structures cérébrales, nerveuses et de l’évolution.

Pour répondre aux accusations d’anthropomorphisme qui vont fleurir, je dirai que Pavlov a fait beaucoup de mal en limitant le comportement de l’animal aux « circuits réflexes » et, pour tout dire, je le fais rentrer dans la grande catégorie des scientifiques religieux qui s’ignorent (avec Freud, d’ailleurs). C’est l’opposition a priori entre l’intelligence humaine et le réflexe conditionné qui a un côté religieusement arbitraire car des hommes soumis aux mêmes expériences auraient des réactions similaires aux chiens de Pavlov, au moins dans les premières parties de l’expérience (après quoi les « cobayes » humains chercheraient probablement à interpréter le « jeu » des opérateurs, ce qui évidemment déplacerait le champ de l’expérience).

Par ailleurs, il existe même des cas où l’homme n’a pas besoin d’un conditionnement en tant que tel pour qu’un stimulus de nature quelconque génère une activité physique déplacée : c’est ce que Freud appelle l’hystérie et c’est un comportement qui n’arrive à ma connaissance que chez l’être humain. A l’homme donc l’hystérie (c’est-à-dire en fait le réflexe « auto-conditionné »), interprété de façon symbolique ( donc spécifiquement humaine et nécessitant une intelligence symbolique tirant sa source du cerveau) et à l’animal le réflexe conditionné par l’extérieur dont le mécanisme s’explique sans faire appel à l’intelligence… De mémoire, il me semble d’ailleurs que Pavlov, en grand scientifique, ne « déduit » pas la limitation animale de l’expérience, mais que cette position « philosophique » sous-tend plutôt l’ensemble de son analyse et est donc « implicitement » confirmée par l’expérience (peut-être aussi y a-t-il eu des erreurs de traduction). De toutes façons, là encore, on imagine mal l’expérience de Pavlov se dérouler sans cet « a-priori » bien pratique pour empêcher toute culpabilisation (voir ci-dessus).

Depuis Pavlov, la communauté scientifique accuse depuis un siècle d’anthropomorphisme primaire tous ceux qui s’élèvent contre les expériences mettant en jeu des animaux mais ce jugement n’est nullement autorisé, si j’ose dire, même par Pavlov. Il s’agit juste d’un lavage de mains collectif bien pratique, qui ne repose sur aucune base scientifique réelle ni aucune base éthique.

Au contraire, dans le cas des mammifères évolués, l’observation, le bon sens, la sensibilité, bref la raison naturelle, laissent à penser que lorsque ces animaux souffrent, ils ressentent cette souffrance de façon totalement comparable à la notre. Seule leur intelligence est évidemment inférieure. (Prenez le passage si connu et si convainquant du Marchand de Venise et appliquez le aux animaux : tout fonctionne…la vengeance en moins).

Il y a la souffrance physique, liée aux expériences médicales, mais il y a aussi la souffrance psychologique, liée aux massacres intensifs que l’homme inflige à certaines espèces. Sous quel prétexte peut-on infliger à la femelle du phoque de voir son bébé assassiné tous les ans, au même endroit ? Comment peut-on s’imaginer que la souffrance psychologique est absente ? L’instinct maternel entraîne des comportements similaires chez pratiquement toutes les espèces de mammifères, homme compris et l’attachement affectif de la mère pour son petit en fait partie. D’ailleurs, les observations impartiales des phoques – j’entends non financées par les chasseurs – vont dans le sens d’une confirmation de la réalité de cette souffrance.

Tout ce que je dis sur les phoques est évidemment encore plus vrai chez les éléphants, qui élèvent leurs petits pendant plusieurs années et qui sont des animaux d’une intelligence et d’une sensibilité extrême.

Prenez le comportement des animaux dans les zoos. Il est excessivement difficile de faire reproduire certains d’entre eux en captivité (tigres, lions, ours…) et comme ces animaux sont physiquement sains, la raison ne peut être que de nature psychologique. Mettez des hommes et des femmes en captivité et ils se reproduiront, (et sans doute même comme des lapins car la captivité risque d’augmenter grandement le taux de copulation !). Quel doit donc être le niveau de détresse d’un animal pour que celui-ci refuse de se reproduire en captivité ? Cherchez et vous ne trouverez que la dépression aiguë pour caractériser cet état (et encore une fois merde aux Trissotins qui m’accuseront d’anthropomorphisme).

Avec les grands singes, qui seront les premiers à disparaître du fait de la réduction de leur habitat, la ressemblance entre leur comportement et le notre est encore plus frappante et il est inenvisageable que leur souffrance ne soit pas analogue à la notre. Il suffit d’observer leur comportement social pour le réaliser, voire simplement de regarder quelques photos.

Je rappelle encore une fois que lorsque nous protégeons d’autres humains, parce qu’ils sont opprimés, misérables, soumis à la maladie ou au handicap, nous n’appliquons pas – et heureusement – une sélection par l’intelligence. C’est l’universalité de leur douleur qui nous conduit à les protéger. Nous devrions évidemment appliquer ce critère vis-à-vis de tous les animaux doués d’une complexité nerveuse raisonnable qui nous permet de penser que leur douleur est analogue à la notre.

Pour des raisons économiques, l’application de ce critère a été évidemment impossible pendant la plus grande partie de l’humanité, même si je considère avec de plus en plus de sympathie l’attitude soit disant arriérée qu’ont adoptée certaines civilisations vis-à-vis de l’animal. D’ailleurs, jusqu’au début du siècle dernier, l’attitude de l’homme vis-à-vis de la plupart des espèces était en fait équilibrée. L’homme était un prédateur comme un autre, certes le plus dangereux mais il s’insérait normalement dans le jeu naturel et n’était pas encore rentré dans une ère de prolifération meurtrière.

Suite : les mesures à prendre (article 3/3)

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Commentaires»

1. neuron - 23 novembre 2005

10000%% d’accord, je pensais pas qu’on puisse aussi magnifiquement exprimer mes sentiments

2. GM - 30 mai 2006

Excellent !

Cordialement.

3. celia - 13 octobre 2008

franchement tu as trooop raison!!!!!

4. Comme l’homme traite les animaux, il traitera les humains - 13 septembre 2010

[…] n’y a en réalité aucune justification éthique à la vivisection, ce qui veut dire qu’au minimum, seules les recherches au nom de […]