Grandeur et failles de l’étude Lancet 25 mai 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 2 134 fois | trackback
L’étude américaine publiée dans le Lancet d’hier sur l’hydroxychloroquine (HCQ), couplée ou non à de l’azithromycine (AZI) est de très loin, semble-t-il, la meilleure étude publiée sur le sujet à ce jour, que ce soit au niveau du nombre de données traitées (96 032 patients, dont 6221 traités avec HCQ+AZI, c’est-à-dire le traitement de Marseille), de la méthodologie (processus expérimental présenté de façon parfaitement claire et compréhensible, en particulier au niveau des critères d’exclusion) et du raisonnement lui-même (logique de l’analyse, clarté et qualité du traitement statistique).
Elle est extrêmement défavorable au traitement Raoult. D’abord au niveau du bénéfice du traitement (23,8% de décès contre 9,3% pour ceux qui n’ont pas reçu le traitement), ensuite au niveau du risque (multiplication par 27 (!) du risque d’arythmie cardiaque lié au traitement ).
Comme le combat est devenu politique, cette étude est abondamment commentée sur les réseaux sociaux. Grosso modo, des progressistes célèbres qui n’ont pas lu l’étude et n’y comprennent rien (Hillary Clinton, Laurent Alexandre, Raphaël Enthoven…) prennent cette étude comme une sorte de confirmation divine, la victoire de la Lumière sur l’Ombre et sont injuriés par des populistes qui n’ont pas lu l’étude, n’y comprennent rien et crient au complotisme – ce qui me paraît tout à fait absurde en l’espèce car cette étude est de grande qualité.
Peut-on faire une critique rationnelle de cette étude ? Voici ce qui me vient à l’esprit à première lecture, je raffinerai l’analyse au fur et à mesure.
1) Une étude qui contredit toutes les autres études et observations
Les résultats en défaveur du traitement sont tellement négatifs qu’ils auraient dû être observés avant. Il ressort de l’étude que suivre la bithérapie Raoult serait un risque du même ordre de grandeur que le diabète ou l’hypertension. Or, ces facteurs de risque sont apparus rapidement, sur des séries bien plus petites, de l’ordre de quelques dizaines de patients. Ils sont donc observés, confirmés, tous les jours par les médecins et les hôpitaux sous la forme d’observations empiriques. A ce niveau d’évidence, les milliers de médecins et d’hôpitaux qui ont donné le traitement auraient du presqu’immédiatement constater qu’il tuait. Ils ne l’ont pas fait et c’est un peu comme si un astronome scrutant les étoiles oubliait de voir la lune. C’est difficilement envisageable, pour ne pas dire impossible à envisage.
Bref, le désavantage associé au traitement est tel qu’il contredit de fait toutes les autres observations et études sorties à ce jour. Problème n°1.
2) Le bourrinage qui tue dans les hôpitaux
J’ai déjà écrit sur ce point, il semble qu’un grand nombre d’hôpitaux ont « bourriné », c’est-à-dire qu’ils ont donné des doses très fortes d’HCQ sans précaution et sans suivi. Et ainsi, on tue presqu’à coup sûr. Trois études au moins mettent, involontairement, ce bourrinage en évidence (aux USA, en France, et aussi au Brésil). Ceci s’est aussi passé en Chine où des doses extrêmement fortes d’HCQ (> 1g) ont parfois été données. Ici, les américains, qui ont l’air d’avoir énormément bourriné, pèsent pour 70% des patients. 80% si on ajoute la Chine (table S1 de l’étude).
3) Le risque lié au traitement a masqué l’avantage lié au traitement
On arrive ici à l’estimation du risque lié au traitement. Ce qui plaide quand même en faveur d’un « bourrinage » criminel, c’est que désavantage lié au traitement (Fig 2) et risque lié au traitement (Fig 3) sont presque parfaitement corrélés d’après l’étude. Il semble bien qu’ici le risque pris (ce que j’appelle bourrinage) a été tel qu’il masque tout avantage potentiel lié au traitement lui-même. Il y a dans l’étude environ 50% de patients présentant un risque cardiaque potentiel (en incluant les hypertensions). Ces patients vont représenter la grande majorité, peut-être 90% des décès. Si vous leur donnez, sans suivi, un traitement aggravant leur condition cardiaque, vous pouvez expliquer des effets tels que ceux constatés dans l’étude, c’est-à-dire une augmentation de la mortalité d’un facteur 2 à 3 totalement lié à l’augmentation du risque (je reviendrai là-dessus plus tard, avec des arguments plus quantitatifs).
La surestimation du risque est une vraie faiblesse de cette étude, pour 2 raisons.
- D’abord, Raoult a très tôt indiqué à Marseille, qu’il fallait réaliser un double suivi ECG au début du traitement et a même décrit exactement le protocole de suivi. Il a pris un maximum de précautions et exclu du traitement un grand nombre de patients, ce qui lui a été reproché beaucoup ayant pris ces exclusions pour une forme de « fraude » non documentée. De fait, le risque cardiaque a été inexistant à Marseille avec aucun décès constaté sur une série de 3000 patients.
- Ensuite, il existe des séries de test presqu’infiniment longues (1 million de personnes) d’estimation du risque sur la CQ et l’HCQ qui concluent à l’absence de risque si utilisées seules depuis plus de 50 ans. On pourrait concevoir un risque supplémentaire lié à la bithérapie (introduction de l’AZI) mais l’étude conclut ici à une nette augmentation du risque même quand l’HCQ est donnée seule, ce qui là encore contredit toutes les études et plaide en faveur d’un bourrinage sans nom dans les hôpitaux.
4) Le groupe de contrôle a reçu un traitement
L’étude ne compare pas le traitement Raoult à une absence de traitement, mais le traitement Raoult à d’autres traitements, puisque 40% des malades recevaient d’autres antiviraux tels que du ritonavir, souvent sous forme de multithérapie. On ne peut exclure le fait que les autres traitements aient bien fonctionné. On doit d’autant moins l’exclure qu’à Hong Kong, une multithérapie ayant des effets positifs semble avoir été trouvée. Et que la facilité avec laquelle Raoult semble avoir trouvé quelque chose qui fonctionne, presqu’au premier essai, plaide en faveur de la découverte d’autres solutions antivirales mettant une pression suffisante sur le virus pour avoir un effet. Il est probable que si on tente de façon pas trop débile, on obtiendra des résultats dans cette histoire. Bref, la bithérapie Raoult peut fonctionner sans être la meilleure qui soit.
5) Le moment où le traitement a été donné
Les patients semblent avoir été traités suffisamment tôt et dans un état pas trop sévère, où le protocole Raoult est censé pouvoir avoir des effets positifs (80% des patients ont un qSOFA < 1 et seuls 10% ont un SPO2 < 94%, délai moyen de 9 jours avant transfert en « intensive care »). Cependant, il faudrait vérifier au moins 2 choses :
- Quelle est la part des patients sévèrement atteints au départ dans les décès constatés ? Si cette part est prépondérante, alors on a encore une fois uniquement observé le risque du traitement sans avantage possible car les patients auront été traités trop tardivement. Or le SPO2 > 94% est recensé dans l’étude comme le facteur de risque de décès le plus important (Figure 2).
- L’étude n’indique pas le nombre de jours entre apparition des symptômes et début du traitement, ce qui est un point absolument clé. Il y a des incohérences apparentes à ce sujet. Les doses de HCQ ont été données 4 j en moyenne mais les patients ont mis 13 j pour mourir. Y a-t-il eu alors traitement intermittent ? Il faudrait vraiment préciser ce point, qui apparaît comme une incohérence. Rappelons aussi que la HCQ mettant sans doute 2 à 3 j pour pénétrer et agir (d’où l’exclusion pour les patients traités moins de 2 ou 3 jours dans beaucoup d’études), cette moyenne de 4 j paraît très faible.
A ce stade, il faudrait donc rentrer dans les détails. Choisir quelques hôpitaux significatifs (au sens où ils reproduisent assez bien les résultats observés dans l’étude) et analyser plus précisément les protocoles réellement donnés en tentant d’effectuer les observations suivantes :
- Y a-t-il eu ou pas un suivi ECG ? (Si pas de suivi, exclure car on n’observe que le risque lié au traitement, qui masque l’effet positif potentiel du traitement)
- Exclure le bourrinage (dosage anormalement fort, par exemple > 1g, de l’HCQ)
- Observer séparément les cas « sévères » et les cas « peu sévères » (les seuls où la bithérapie est censée marcher)
- Eclaircir les imprécisions ou incohérences sur la durée réelle du traitement. Déterminer le moment où le traitement a été donné vs l’apparition des symptômes.
- Tenter de comparer le traitement à une absence de traitement, non pas à un autre traitement.
Ajout 1 (23/05/2020). Philippe Douste-Blazy affirme sur BFM que les groupes dont biaisés et que le groupe de test serait « beaucoup plus malade » que le groupe de contrôle (https://twitter.com/BFMTV/status/1264220444913291265). Sauf erreur de ma part, c’est faux. Les groupes sont équilibrés (Table 2 de l’étude)
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