Quand le « respect » s’oppose à la laïcité : l’interview de Jean-Michel Blanquer à ONPC. 7 septembre 2017
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 22 870 fois | trackback
Selon moi, Jean-Michel Blanquer a effectué une excellente prestation samedi soir à ONPC. Mais je voudrais revenir sur une de ses déclarations, passée à tort à peu près inaperçue. Il a dit très exactement ceci :
« Les élèves doivent apprendre à lire, écrire, compter et respecter »
Cette formule, évidemment préparée, était destinée à mettre en valeur toute l’importance que Blanquer accorde au « respect ».
Mais, alors qu’on peut sans problème évaluer le niveau de lecture, d’orthographe, de calcul d’un élève, on ne peut jamais vraiment évaluer son niveau de « respect ». On ne peut évaluer que le respect que montre l’élève, où la façon dont il parle du respect, on ne peut pas évaluer si celui-ci respecte réellement, dans son for intérieur, son prochain.
Apprendre et surtout évaluer le « respect » enseigné à l’élève à l’école tient donc du paradoxal. L’élève doit, pour recevoir une bonne note, imaginer ce que le professeur attend de lui et le lui restituer. Autrement dit, il doit agir en parfait hypocrite, ce qui veut dire qu’il ne respecte pas le professeur et sans doute aussi qu’il ne se respecte pas lui-même. Les meilleurs acteurs sont récompensés, pas les élèves les plus sincèrement respectueux. On demande en fait aux élèves d’être Tartuffe et cette demande paradoxale est la conséquence d’un penser politiquement correct.
Ainsi, en voulant sans doute donner des gages aux conservateurs, Jean-Michel Blanquer fait la même erreur que les bien-pensants gauchistes ou pédagogistes, qui, depuis trente ans ont cherché à inculquer aux élèves des valeurs, des façons d’être, plutôt que de transmettre du savoir. Ce que produit ce genre d’attitude convenue, c’est du politiquement correct dans le meilleur des cas, de l’hypocrisie ou de la névrose dans les cas les plus avancés.
Je rappelle les mots de Ferdinand Buisson sur le sujet, parce qu’on ne saurait mieux dire :
« Sous tous les régimes, la tentation des gouvernants est la même : interdire l’enseignement des “mauvaises doctrines” [ou forcer l’enseignement des « bonnes », en l’occurrence ici du fameux « respect »].
Si nous en revenons à cette notion surannée de l’Etat faisant la police des intelligences, nous verrons, suivant le vent qui soufflera, refuser le diplôme aujourd’hui à un professeur, homme ou femme, qu’on jugera trop catholique, demain à un autre qui semblera trop socialiste, à tel comme réactionnaire, à tel autre comme révolutionnaire.
Et au bout du compte, tout ce qu’on aura réussi à tuer, sans retour, ce sera l’enseignement lui-même.
Il n’y a plus ni enseignement ni éducation là où il n’y a plus la liberté de la pensée et la sécurité de la parole.
Qui n’est pas un homme libre n’est pas un éducateur. Credo d’église ou credo d’Etat, c’est également la mort de l’esprit. »
De quoi le terme « respect » employé par Jean-Marie Blanquer est-il le nom ?
Le terme « respect », de nos jours, est employé à chaque fois qu’il faut masquer la contradiction entre principe et réalité. François Hollande a expulsé Leonarda en passant son temps à faire savoir qu’il la respectait. Les salariés de Florange « devaient » être licenciés mais ils auront été (ça leur fait une belle jambe !) « écoutés et respectés » par le Ministre. On reproche à Emmanuel Macron de traiter des ouvrières d’illettrées au nom du « respect » qui leur est dû, ce qui évite d’essayer de comprendre comment cette situation peut se produire dans une société où l’école est obligatoire. Dans la « négociation » qui vient d’avoir lieu sur la loi travail, on a jugé que les syndicats étaient « respectés » parce qu’ils avaient été invités à des réunions où on les a simplement écoutés sans tenir en rien compte de leur avis. (Et il semble que certains s’en contentent !). Le terme « respect », en l’espèce, signifie qu’il n’y a eu absolument aucune négociation.
C’est bien simple, mes amis me reconnaissent, de façon constante, un naturel affable et doux. Mais si je m’écoutais, et si ça ne me rappelait pas de trop mauvais souvenirs, à chaque fois que j’entends le mot « respect », je sortirais mon revolver.
Respect, libéralisme et laïcité
Quand Yann Moix a demandé à Jean-Michel Blanquer quelles mesures il allait prendre pour éviter les dérives islamistes dans les lycées de banlieue (suite au livre d’un principal de collège marseillais), le Ministre a benoîtement répondu que toutes les mesures étaient déjà prises, que l’état d’esprit avait changé et qu’il suffirait maintenant de traiter les dérives éventuelles via les voies hiérarchiques habituelles, au niveau local.
Peut-être Jean-Marie Blanquer veut-il montrer ainsi l’importance qu’il accorde à l’autonomie de l’établissement, qui semble être un de ses dadas. Mais ici, laisser les choses se faire « librement » ou plutôt « libéralement » est nocif. Le rapport de force pour lutter contre ces dérives est profondément défavorable au professeur et à l’établissement. L’enseignant qui a des problèmes pour enseigner la Shoah ou Darwin hésitera comme avant à signaler ceci à son administration qui, si elle n’est pas toujours complice, regarde souvent lâchement ailleurs. Elle a permis que les élèves juifs disparaissent des collèges publics dans des départements entiers et ce n’est pas le nouvel état d’esprit de Jean-Michel Blanquer qui va permettre leur « réintroduction ».
On voit bien que pour lutter contre l’islamisme dans les écoles, il faut l’intervention marquée, rapide du pouvoir central, seul capable d’inverser ce rapport de force. Au minimum, il faut créer un canal permettant de signaler les situations, par exemple un numéro vert national, peut-être même un bureau placé directement sous la responsabilité du Ministre qui permette d’assurer que l’administration locale n’évite de détourner le regard afin de soutenir, de façon forte, le professeur.
Mais comme rien de tout ceci ne va se passer, les attaques à la laïcité vont continuer à prospérer. L’administration locale invoquera justement, comme elle le fait d’habitude, le « respect » d’autrui, de sa religion, de sa culture ou d’autres notions obscurantistes complètement fumeuses (au pays de Pasteur, aujourd’hui, on ne dissèque plus les grenouilles à l’école au nom du « respect du vivant »).
Ce que masque l’emploi du mot « respect » chez Blanquer, c’est la fin de la laïcité et le triomphe d’un certain obscurantisme.
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