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Speechi dans Les Echos : Le prix Nobel de Chimie 2013, la révolution numérique et l’école. 23 octobre 2013

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Merci aux Echos d’avoir publié aujourd’hui ma tribune sur ce sujet.


Le prix Nobel de Chimie 2013 est un enfant de la révolution numérique. Pour la toute première fois, ce n’est pas une découverte fondamentale qui est récompensée, mais un programme informatique, un algorithme qui permet à un ordinateur de simuler de façon réaliste et hyper rapide des réactions chimiques complexes.

Les modèles utilisés par le programme lui-même sont anciens (mécanique quantique) ou même dépassés (mécanique classique). Le génie des “développeurs” repose sur l’algorithme de simulation lui-même qui pour la première fois permet de simuler des molécules réelles de grande taille.

Les conséquences sont immenses et significatives de la place que prend l’ordinateur dans notre société.

L’univers accessible à l’expérience est infiniment augmenté : là où des équipes de chimistes  surdiplômés testaient, en laboratoire, quelques dizaines de possibilités de réaction par an, l’ordinateur permet de tester des millions de possibilités en quelques jours. Très probablement, plus de simulations seront faites cette année avec ce programme que depuis le début de l’humanité par tous les chimistes et alchimistes de la planète ! Une grande part des découvertes scientifiques est liée au hasard et dans les milliards de réactions qui seront  se trouvent à coup sûr un grand nombre de phénomènes intéressants que les laboratoires physiques n’aurait pu, par manque de temps, découvrir. Aide-toi, l’ordinateur t’aidera.

Les compétences demandées aux scientifiques changent. Le meilleur chimiste de demain, ce n’est plus forcément celui qui invente un nouveau modèle, une nouvelle théorie, celui qui a la meilleure compréhension des mécanismes moléculaires. C’est celui qui développe la meilleure implémentation de l’algorithme (qui permet de tester plus de réactions), le meilleur programme d’analyse des résultats (qui permet, parmi des milliards de molécules créées, de déterminer rapidement lesquelles sont intéressantes, peu coûteuses à fabriquer, ayant certaines propriétés, etc…).

Les effets des programmes informatiques s’améliorent rapidement avec le temps. La puissance de la capacité des ordinateurs évolue de façon exponentielle avec le temps, selon la loi de Moore. Dans 10 à 20 ans, alors que la révolution numérique aura à peine commencé, le programme développé par Karplus, Levitt et Warshel  permettra de réaliser 1 000 à 10 000 fois plus de simulations qu’aujourd’hui. La  progression de la science est donc inscrite dans l’évolution de la performance des ordinateurs, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer aucune découverte nouvelle.

Médecine, biologie, physique – et même mathématiques : les exemples de ce type se multiplient. Ainsi, la science informatique pénètre de façon très profonde toutes les sciences y compris, grâce aux nouvelles techniques statistiques de type « big data », les sciences humaines.  Elle est devenue un outil universel  d’exploration du monde peut être plus important encore que les mathématiques (dont elle constitue par ailleurs l’une des branches).

Sans connaissance de la programmation, il est devenu presqu’impossible de comprendre le monde qui nous entoure. C’est une des raisons, d’ailleurs, pour lesquelles la science informatique devrait être enseignée à l’école, et ce dès le plus jeune âge – en tout état de cause dès la 6ème.

Au moyen-âge on apprenait le latin qui était la langue de la religion, du droit et de la médecine. A l’âge de la Révolution industrielle, les mathématiques sont devenues l’outil généraliste par excellence pour le développement de nouvelles technologies et de nouvelles machines. A l’âge de la révolution numérique, il ne s’agit pas de créer une génération d’informaticiens, pas plus qu’il ne  s’agissait alors de créer une génération de latinistes ou de mathématiciens. Il s’agit simplement de créer des citoyens cultivés dans ce domaine, capables de comprendre et de créer les outils de demain.

Du consommateur au citoyen

Sans connaissance approfondie de l’informatique, nous ne sommes que des consommateurs  de programmes structurés par d’autres programmeurs. Un élève qui fait une recherche dans Google est avant tout une ressource publicitaire pour Google, un enfant qui joue – gratuitement bien entendu – sur Facebook, n’est qu’une machine humaine à transmettre de multiples données (d’identité, de comportement, de position…) sur lui-même et ses « amis »  permettant ensuite aux diverses publicités d’être toujours mieux ciblées.

L’école actuelle tente, avec plus ou moins de succès et pour un coût considérable, d’enseigner les usages de l’informatique aux enfants. Ce faisant, elle fait complètement fausse route. Si on veut donner à nos enfants des moyens d’action, il faut leur enseigner la programmation, pas le maniement de Word. Distribuer des ordinateurs ou des IPAD aux élèves est coûteux et voué à l’échec, de même qu’on ne crée pas un ingénieur mécanicien en formant au permis de conduire.

Pour mieux tirer parti de cette analogie, les usages de l’informatique ne vous mettent même pas dans la position du conducteur. Ils vous mettent plutôt dans la situation du passager – mais un passager qui ne peut pas parler au chauffeur et qui voyagerait toutes vitres closes, à l’arrière. A travers la façon dont sont structurées les interfaces utilisateurs, dont les programmes sont développés, les programmeurs ont tracé leurs propres chemins, imposé leurs propres pratiques, voté leurs propres lois parce qu’au final, comme l’explique l’excellent article de Lessig,  « Code is law ».

Les développeurs structurent à leur profit de façon inconsciente – pour l’utilisateur – l’ensemble du champ économique et même les Etats  sont impuissants à changer la donne : jusqu’à présent, en Europe comme aux USA, toute réforme fiscale a été vaine contre Microsoft, Apple et Google, la CNIL et la Communauté Européenne sont restées impuissantes face à Google et Facebook.

Dans quelques mois, la perception visuelle que nous aurons du monde sera elle-même transformée par des lunettes intelligentes. Nous verrons le monde à travers les Google Glass qui seront libres de modifier notre vision à loisir, sans que nous en soyons systématiquement conscients. Les avantages procurés par de tels outils seront probablement si grands que nous les utiliserons quand même abondamment, quand bien même une telle application est par nature aliénante au sens premier du terme, « et surtout si elle est gratuite », comme aurait dit Laocoon.

Dans le nouvel univers numérique, maîtres et esclaves sont tous amis sur Facebook. Il reste à nos enfants le choix de devenir programmeurs ou d’être programmés.

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Zinedine Zidane, Guy Bedos et la valeur scolaire (réflexions sur une rentrée ordinaire de CM2). 9 octobre 2013

Par Thierry Klein dans : Speechi.
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Lors de la réunion de rentrée des élèves de CM2, l’institutrice de ma fille a répondu aux parents qui demandaient plus de devoirs à la maison qu’il lui était dorénavant interdit de donner des exercices car de tels exercices sont socialement injustes: ils renforcent les différences scolaires entre les élèves “socialement favorisés” (ceux dont les parents peuvent s’occuper le soir) et les autres (que les parents ne peuvent ou ne veulent pas aider).

Cette position qu’on rencontre de plus en plus fréquemment (et que je retrouve presque telle quelle chez Bourdieu) résulte d’une grave confusion. Il est évident qu’une partie de la “valeur scolaire” d’un étudiant revient à son milieu social mais le reconnaître n’enlève rien à cette valeur. Le fils de Zidane jouera très probablement mieux au foot que le mien, le fils de Guy Bedos a de fortes chances d’être plus drôle mais mon fils baignera dans un milieu intellectuel qui le favorisera très probablement dans ces études (rien de tout ceci n’étant évidemment une certitude et je garde envers et contre tout l’espoir de voir mon fils un jour au Real ou de développer l’humour de Guy Bedos).

A quoi sert l’école ? L’école doit permettre à un maximum d’élèves de bénéficier, quelle que soit leur origine sociale, d’un milieu aussi favorable que possible au développement de leurs qualités scolaires. Au niveau du CM2, ceci peut se faire en aidant les élèves les moins favorisés à l’étude, par exemple. L’école ne doit pas empêcher les élèves de développer leurs qualités scolaires en les privant de la possibilité d’étudier. Une telle politique est de nature totalitaire comme le serait par exemple, une politique qui viserait, pour annuler toute source d’inégalité liée au milieu, à arracher les enfants à la garde de leurs parents dès le plus jeune âge pour les mettre en pension dans des conditions scolaires totalement identiques.

L’école est un outil de correction des injustices sociales liées au milieu. Cette correction est évidemment imparfaite puisque l’école reproduit toujours, en partie, les structures sociales et culturelles – c’est ce que Bourdieu entend quand il parle du “biais” de l’école. Il faut donc toujours, et sans relâche, améliorer l’école pour qu’elle puisse jouer son rôle “égalisateur” entre les enfants. Mais chercher à réaliser cette égalité en empêchant tous les enfants d’étudier, c’est la détruire.

Décréter que 80% d’une classe d’âge aura le bac n’est nullement en soi un progrès, si cela conduit à donner le bac à tous. Le vrai progrès consisterait à augmenter le nombre de bacheliers en gardant constant ou en améliorant le niveau du bac. La confusion que j’évoque conduit à la haine et à la destruction de tous les diplômes, puisqu’ils sont vus comme les symboles des injustices de classe plutôt que comme la reconnaissance des qualités individuelles des élèves (ces qualités individuelles étant évidemment, encore une fois, partiellement liées au milieu d’origine mais ce sont des qualités réelles et objectives, évaluables à l’aveugle lors des examens et concours).

C’est une des raisons pour lesquelles la qualité de l’enseignement en France baisse de façon constante depuis 30 ans (Commentaires du Nouvel Obs sur les études récentes de l’OCDE) – accessoirement une des raisons pour lesquelles la performance des enfants d’enseignants ne cesse de s’améliorer, ceux-ci étant les seuls ayant aujourd’hui la possibilité d’être aidés à la maison puisque les autres parents n’ont aucun d’exercice à donner à leurs enfants. Quand l’école “méritocrate” sera morte, que restera-t-il en France pour différencier les élèves ? Le piston.

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