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Les points communs et les différences entre le Capital Altruiste et l’entreprenariat social de Mohammed Yunus 30 avril 2008

Par Thierry Klein dans : Entreprise altruiste.
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Je reçois pas mal de courrier où on m’informe de telle ou telle initiative solidaire qui a pris la forme d’une entreprise. L’entreprenariat social (en anglais « social business »), c’est ainsi qu’on le nomme le plus souvent, se développe et prendra de plus en plus d’importance. C’est une tendance lourde et mondiale.

Entreprenariat social et Capital altruiste, si l’on n’y prend garde, ont l’air de signifier à peu près la même chose. Mes amis me disent donc que je suis plagié de façon intolérable (par un prix Nobel de la Paix !), des lecteurs moins tolérants pensent simplement que le concept Capital Altruiste est d’une banalité folle (c’est une erreur) et que ma façon de présenter les choses tourne à la mégalomanie (c’est parfois vrai).

Mais au-delà du fait qu’entreprenariat social et capital altruiste sont tous deux des tentatives d’inspiration humanitaire pour améliorer le monde, ce qui est déjà beaucoup, il n’y a pas grand-chose de commun entre eux. Ils diffèrent totalement quant à leur façon d’agir sur le monde et souvent dans leur analyse de la situation présente.


Qu’est-ce qu’une entreprise sociale ?

Une entreprise sociale a, au départ, une mission solidaire. Il s’agit de fournir des moyens financiers à une population pauvre (micro-crédit), d’apporter de l’électricité dans des régions reculées, de réduire la malnutrition (je prends l’exemple de trois entreprises sociales créées par le plus extraordinaire entrepreneur social de notre temps, Mohammed Yunus).

Dans une entreprise sociale, le côté économique de l’entreprise elle-même est presque secondaire et s’efface devant la mission altruiste. Par exemple, le micro-crédit est au départ une initiative humanitaire et il a fallu des années avant de comprendre qu’il pouvait être une entreprise économiquement profitable (de fait, il l’est et c’est ce qui rend l’idée vraiment géniale, mais il l’est presque « par hasard »).

Comme le dit Mohammed Yunus (Le Monde du 25/05/2008), « Les entreprises sociales ressemblent à des sociétés capitalistes classiques », mais elles ne le sont pas vraiment, au fonds car « Elles se destinent à créer un bénéfice social pour une catégorie de population. » et « travailler dans une entreprise à vocation sociale ne vous rapporte aucun dividende. »

J’ai écrit plusieurs billets sur les avantages et les faiblesses de ce mode d’action. L’avantage numéro 1, c’est quetout les partenaires de l’entreprise adhèrent à la mission solidaire. Une telle entreprise (dont la forme typique est une coopérative) est à même de rassembler un grand nombre de volontés, d’énergies. Elle a aussi, à travers ses actions, un impact direct sur la société.

Mais le plus souvent, le fait même que l’économique passe au second plan, fait que qu’une entreprise sociale a du mal à peser économiquement. Plus grave, elle n’a pas une valorisation financière indexée sur la valeur du Capital et c’est une des causes profondes de la fracture démocratique que crée la mondialisation.

D’un côté le monde du solidaire, 30% de l’activité humaine mais 0% de la capitalisation mondiale. De l’autre, le monde économique, qui finit toujours, forcément, par l’emporter – Bob Reich, ancien Ministre du Travail de Bill Clinton, pense que cela finira par détruire la démocratie (c’est un américain optimiste), je pense que cela peut finir par détruire l’espèce humaine et presque tout ce qui compte sur terre (je suis un réaliste pessimiste).

Les différences avec le Capital Altruiste.

Avec le Capital Altruiste, la mission de l’entreprise est de nature purement économique.

Ce qui définit une entreprise altruiste, c’est simplement qu’une partie de son capital a été donnée à une association humanitaire. C’est à travers la structure de son capital qu’elle a une action solidaire.

Rien ne s’oppose à ce qu’une entreprise altruiste se donne en outre une mission sociale – de fait, beaucoup le font ou le feront puisque beaucoup d’entreprises initialement sociales sont appelées à devenir en plus altruistes (pour mieux se développer, trouver des moyens financiers, etc… Voir le cas de Goodaction).

Mais ce qui compte avant tout, c’est l’effet de levier et d’indirection créé par la participation au Capital. On n’exige plus rien de moral de l’entreprise elle-même. Il s’agit d’utiliser le retour financier du capitalisme pour lutter contre ses pires effets, puisque comme le dit si bien Yunus, « Le système est aveugle à toute autre considération autre que le profit » (version Bob Reich : « il est vain d’attendre des entreprises un comportement citoyen« ). C’est à travers l’augmentation de sa valeur que l’ONG actionnaire va être à même de mener son action et de peser sur le monde.

Un levier économique pour changer le monde.

J’ai déjà écrit pourquoi les effets du Capital Altruiste me semblent pouvoir être bien supérieurs à ceux de l’entreprenariat solidaire.

Le fond du problème actuel est économique et le levier apporté par le capital peut être immense. Toute entreprise, une startup, une banque, Total, L’Oréal peuvent un jour adopter cette structure (que ce soit sous la pression communautaire ou par idéalisme, que ce soit pour un montant très faible ou important de leur capital, peu importe).

Le Capital Altruiste est généralisable à l’ensemble de la communauté économique et permet au monde associatif de disposer de moyens (de faire du lobbying, d’entreprendre, etc…) adaptés et en rapport avec les moyens dont dispose le monde financier. Au contraire, il est très difficile, notez le, de trouver des idées économiquement viables d’entreprise solidaire, même si Mohammed Yunus affirme qu’ « en regardant autour de vous, vous trouverez partout de quoi monter un social-business. ». Son génie créatif déforme la réalité.

Dans notre monde libéral et mondialisé, les chances de survie des entreprises sociales sont bien minces. Même si on a été capable de créer un concept viable, une entreprise sociale devient souvent moins performante, au sens économique, qu’une entreprise normale (elle s’impose des normes éthiques, elle reverse une partie de son revenu…). Sa structure financière l’empêche le plus souvent de lever beaucoup de capitaux.

Le droit d’ingérence économique

Par opposition, une entreprise altruiste est, par construction, efficace au sens économique du terme. Son efficacité se traduit par des dividendes, des plus-values, qui sont reversées aux ONG actionnaires. A court terme, les actionnaires altruistes peuvent réellement modifier l’équilibre du monde, modifier la façon d’agir de la « main invisible » qui régit le marché. Le Capital Altruiste injecte une dose d’altruisme au coeur même du libéralisme.

Beaucoup de formes d’entreprenariat solidaire sont une tartufferie (aujourd’hui, vous ne trouverez pratiquement plus une entreprise qui n’en fasse pas). Les opérations soi-disant solidaires des entreprises servent de plus en plus leurs intérêts économiques purs (et les budgets sont pris ou confondus avec les budgets de pub : voir le cas Volvic, par exemple, mais il y en a plein d’autres). Au contraire, le Capital Altruiste fournit un indicatif quantitatif incontestable d’engagement, à savoir le pourcentage de capital solidaire de l’entreprise.

Le Capital Altruiste n’est pas non plus une entreprise métaphysique…

Au fond, toutes les formes d’entreprises solidaires ont une origine commune, à savoir la communauté chrétienne solidaire des origines ou le kibboutz israélien des années 50. On m’a aussi indiqué des exemples d’entreprises solidaires de nature purement charismatique (voir l’économie de communion) mais pour moi, cet idéal de solidarité, malheureusement, ne fonctionne que sur une durée limitée au sein de communautés restreintes.

Pour cette raison, de telles entreprises sont souvent au final l’oeuvre de saints ou de tartuffes. Le Capital Altruiste s’adresse aux hommes tels qu’ils sont, pour modifier le monde tel qu’il est.

Son royaume n’est pas de l’autre monde.

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Commentaires»

1. Vincent M. - 11 juin 2008

Merci pour ce billet, qui a éclairé ma lanterne. Juste un rectificatif – léger : l’économie de communion est une initiative des Focolari, qui ne s’inscrivent pas dans le mouvement « charismatique ».

Ils sont nés d’une intuition reçue à Trente par la fondatrice du mouvement, Chiara Lubich, et ses compagnes, en Italie, pendant la guerre, en 1944. Les ravages, les bombardements, donnent un relief saisissant à l’Evangile et à une parole du Christ, en particulier : « Que tous soient un ».

http://www.focolare.org/page.php?codcat2=1274&codcat1=170&lingua=FR&titolo=Spiritualit�%20de%20l'unit�&tipo=les%20débuts

Depuis, les membres des Focolari oeuvrent pour l’unité, dans l’Eglise et en-dehors – pour l’unité, même, de la famille humaine.

Le nom officiel du mouvement est : « Oeuvre de Marie ».

Ils s’adressent aussi aux hommes tels qu’ils sont et le Royaume de Dieu fait partie de ce monde dès lors que nous permettons à Dieu de régner sur nos coeurs.

Le Capital Altruiste ne concerne pas que des chrétiens, certes, mais pour un chrétien, c’est aussi une initiative « charismatique » – au sens de « inspirée par l’Esprit Saint ».

Considérant que « Dieu est Amour », on peut raisonnablement l’espérer en tout cas !

Amicalement,

V.M.

2. Vincent M. - 17 juin 2008

Bon. Désolé Thierry pour cet accès de prosélytisme. 🙂

Je ne connais les Focolari que par le feuillet « Parole de Vie » que je lis avec intérêt lorsque je le trouve à l’entrée des églises, par quelques livres de leur fondatrice seulement feuilletés qui m’ont paru de saine doctrine – mais comment en juger sérieusement ainsi ? – et par Internet – qui n’est pas qu’élogieux envers eux.

Ma tasse de thé personnelle serait plutôt Sant’Egidio, pour sa dimension immédiatement caritative, mais en France au moins cette communauté – connue pour la réussite de ses initiatives en faveur de la paix – s’exporte mal :

http://www.santegidio.org/index.php?&idLng=1063&res=1.28

Je ne veux pas christianiser indûment l’idée de Capital Altruiste.

Dans une perspective chrétienne, cependant, Dieu n’est certainement pas étranger à sa naissance – et Il soutiendra son développement…

Bon courage,

V.M.

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