Vous êtes priés de laisser cet endroit aussi propre en sortant que vous l’avez trouvé en entrant (Pour une approche spécifiquement française du droit des animaux) 20 mars 2006
Par Thierry Klein dans : Animaux.Lu 16 044 fois | trackback
S’il y a une chose que je retiens de mon voyage en Roumanie, il y a 3 ans, c’est que la mère de mon ami Mircea avait dans son salon une table « Droits de l’Homme », sur laquelle figurait la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Dans un pays communiste, cette table avait été pendant des années à la fois une source d’espoir et de résistance, aussi faible soit-elle, au régime. (Relisez la déclaration: les articles 2, 10, 11, 15 et 17, en particulier ressemblent, de façon presque miraculeuse, à une dénonciation du communisme).
La force de la déclaration, c’est qu’elle se positionne d’emblée comme universelle. « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (art 1) n’est pas une expression limitée au territoire français et annonce déjà le devoir d’ingérence (voir l’entrée Wikipedia, qui évoque quelques liens entre le concept d’ingérence et la Déclaration).
Il existe différentes tentatives de déclarations des droits de l’animal (ici ou surtout là). Je ne suis pas fondamentalement en désaccord avec elles, certaines des idées reprises me sont même chères, mais elles n’ont pas la puissance ni le caractère synthétique et universel de la Déclaration des Droits de l’Homme. Lisez les et vous verrez qu’elles sont mêmes un peu verbeuses, voire grandiloquentes.
Qui plus est, séparer les déclarations, c’est ne pas saisir la nature des liens profonds qui unissent hommes et animaux, et non pas les séparent:
– un lien vital: si les animaux disparaissent, l’homme disparaît, aussi bien pour des raisons mécaniques (la nature sera détruite), que pour des raisons économiques (à ce stade, l’homme sera une source de protéines comme une autre).
– un lien émotionnel. « Quand on tue un bébé phoque, c’est un Homme, avec un H majuscule, qu’on assassine » (Romain Gary). Il est on ne peut plus clair que les armées de chasseurs qui massacrent 300 000 bébés phoques tous les ans, au sein d’un pays soi-disant civilisé tel que le Canada, pourraient facilement être reconverties en massacreurs humains professionnels à tendance fortement génocidesque, pour peu qu’on donne à tout ça une justification économique. Je n’aimerais pas me retrouver un soir d’hiver face à eux sur la banquise avec plus de 10 € dans la poche…
C’est la notion même de civilisation qui est au fond en jeu et tous ceux qui prônent la préservation des espéces au nom de l’homme seulement font à mon avis fausse route (j’inclus là dedans la plupart des scientifiques). Il y a un côté non rationnel dans la relation entre l’homme et l’animal – tous ceux qui ont eu un chien me comprendront – et s’il reste à l’animal – et à nous-mêmes – la moindre chance de survie, c’est ce côté irrationnel qu’il nous faut maintenant aller chercher.
(Il faut toujours se méfier du côté rationnel de l’homme. Le communisme, le nazisme, le libéralisme en sont des manifestations typiques.)
Dans beaucoup de cas, l’extinction des espèces animales n’est que la conséquence de la destruction des espaces naturels et ne découle pas d’une volonté directe de l’Homme. Les orang-outans, les gibbons sont détruits par la réduction de leur habitat naturel, remplacé par des cultures d’huile de palme. C’est à peu près la même chose pour les chimpanzés, les bonobos, les tigres, les gorilles, les tortues géantes et j’en passe.
Nous détruisons de façon irréversible la planète et par conséquent tout ce qu’il y a dessus (y compris, très bientôt, nous mêmes). Ce faisant, nous lésons de façon immense et irréversible les générations futures et nous leur ôtons une possibilité humaine fondamentale.
Je propose donc en complément l’article 18 : La Terre est l’espace unique où vit l’Homme et nul n’a le droit de la détruire de façon irréversible ses ressources, qu’elles soient minérales, végétales, animales ou humaines. La nature dans son ensemble a un caractère sacré et inviolable et aucune activité humaine ne peut conduire à en priver les autres hommes ou les générations futures.
(C’est en fait l’équivalent écologique du fameux « Vous êtes priés de laisser cet endroit aussi propre en sortant que vous l’avez trouvé en entrant », phrase qui accompagne bien souvent la satisfaction d’un autre de nos besoins naturels).
Un tel article aurait l’avantage de régler immédiatement, sur le plan juridique, l’ensemble des problèmes liés au lien vital. Il permettrait de préserver habitats et espèces de façon durable, ce qui n’est pas rien.
Comme le lien émotionnel, qui est le plus fondamental, repose sur des critères irrationnels, je n’ai pas aujourd’hui de bonne solution juridique – ou disons que le temps d’une telle solution n’est pas venu: on ne peut demander à ce qu’une identité de nature entre l’homme et l’animal soit aujourd’hui reconnue. On peut juste essayer de la faire ressentir.
Qu’en pensez-vous ? Achèteriez-vous la table de la maman de Mircea, complétée par l’article 18, pour l’offrir au dernier des humains, qui attend la mort perché sur un tas de protéines en jouant sur sa vieille console Nintendo ?
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