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Ne rejouons pas « Oedipe-Roi » 2 avril 2020

Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.
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« La mort est sur la ville… et en fait un désert » (1)…
On abandonne sans les pleurer, sans les plaindre, les corps gisant sur le sol où ils propagent la mort.

Un chef jeune, talentueux et impulsif…

La situation de Thèbes est très proche de la nôtre. Thèbes est dirigée par un chef jeune et dynamique, Œdipe, marié à une femme bien plus âgée que lui mais dont il a eu 4 enfants. Cinq ans plus tôt, personne ne le connaissait. Il est arrivé là très vite, certains diront que c’est par hasard car il a profité d’une vacance presque miraculeuse du pouvoir en place mais en fait non : il s’est imposé grâce à sa compétence supérieure en répondant à l’énigme de la Sphinx. Il est très conscient de sa valeur, un peu donneur de leçons, impulsif et en permanence,

« il impose à tous le visage de sa supériorité »

La peste l’a pris de cours, il n’a aucune solution concrète à apporter, il est inquiet des conséquencespour le peuple et craint sans doute aussi un peu pour son trône. Le microbe est assimilé à la guerre :

« Pour nous assaillir aujourd’hui
Ares n’a ni épée ni cuirasse »

Œdipe déclare la guerre au microbe et suivra l’avis de son Conseil Scientifique

Alors Œdipe réagit en chef. Quand Créon lui apprend que la Peste est due au meurtre du roi, quelques années plus tôt, Œdipe saute sur l’occasion et s’engage publiquement à débusquer le meurtrier, à le vaincre, mais comment ? Cela semble impossible. Quand Tiresias « La Science », celui qui sait tout et ne se trompe jamais se présente, il déclare, très imprudemment qu’il s’en tiendra à son avis, celui du Scientifique :

Sois le sauveur de l’Etat, mon sauveur…
Nous sommes entre tes mains

La solution est sous les yeux de tous, personne n’en veut

Jusqu’ici, vous ne faîtes je pense que suivre mon regard. Mais ce qui est étonnant dans Œdipe Roi, c’est que Tiresias a vraiment la solution du problème et qu’Œdipe ne l’écoute pas. Quand il apprend la vérité (qui comme prévu, le met en cause), il ne veut rien entendre venant de

« ce charlatan retors qui n’y voit que pour ses profits mais dans son art radicalement aveugle » !

Les raisons de la thèse complotiste d’Oedipe sont doubles : d’abord, il est légèrement paranoïaque à cause de son complexe éponyme donc il soupçonne immédiatement Tirésias la Science de l’accuser avec des objectifs politiques. Ensuite, il raisonne en politique et la manifestation de la vérité toute nue est toujours inquiétante pour le pouvoir. A la grande satisfaction de Freud, Oedipe n’est sans doute pas conscient de ses propres raisons. Le traiter de complotiste, c’est donc s’exposer à l’accusation de populisme – accusation qu’Oedipe fait à Créon, son beau-frère.

Le peuple, alors que Tiresias a fait ses preuves maintes fois, suit Œdipe et retarde aussi la mise en œuvre du remède. Le Chœur décide donc, contre toute évidence (mais en toute bonne foi) qu’il faut rechercher d’autres preuves :

« Eh bien non moi, avant preuve directe,
Jamais je ne saurai admettre
Qu’on incrimine Œdipe ! »

Jocaste comprend beaucoup plus vite mais elle aussi cherche à retarder la découverte de la vérité, par intérêt personnel, parce qu’elle a compris de quoi il en retourne et aussi parce qu’elle cherche l’union sacrée et sent que Thèbes va tout droit vers la guerre civile.

« Ne rougissez vous pas, quand le pays souffre, de remuer des rancoeurs personnelles !
N‘allez pas grossir en tragédie un grief sans consistance »

Dans ce grand drame, ce qui frappe d’abord, c’est l’extrême, l’invraisemblable proximité politique et psychologique entre ce qui se passe chez nous et à Thèbes. Nous aussi, nous sommes dans cette situation totalement absurde où nous avons le remède depuis des semaines et ne l’utilisons pas. Et je n’ai même pas parlé du point plus évident tellement il nous, passez-moi l’expression, crève les yeux. Toute la pièce n’est une mise en scène de l’accusation envers le chef, la peste génère une violence qui se retourne contre le pouvoir. Cette haine délirante qu’on lit tous les jours sur les réseaux sociaux.

Difficulté de croire ceux qui disent que « rien ne sera plus comme avant » alors que tout est déjà comme avant, comme il y a 2 500 ans très exactement.

Supériorité immense des grecs qui ont été capables d’analyser leurs crises alors que nous ne le sommes plus. Rien ne sera comme avant parce que ce sera pire qu’avant.

Et espoir quand même, espoir parce que la vérité s’impose finalement. Elle arrive tard, d’une façon différente de celle qui était attendue, mais finit par s’imposer, comme par défaut.


(1) Toutes les citations sont tirées de la pièce de Sophocle, Oedipe Roi

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