De Gary Hart à Benjamin Griveaux : vie et mort de la démocratie 15 février 2020
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 175 fois | ajouter un commentaire
En 1987, Gary Hart, candidat démocrate favori des sondages pour la présidence, dût se retirer après la révélation par la presse de son affaire avec Donna Rice, ex Miss Carolina. Ses déclarations lors de son retrait sont en tout point similaires à celles de Benjamin Griveaux, à tel point qu’on pourrait presque accuser Benjamin Griveaux de plagiat :
Gary Hart : « Je refuse de continuer à exposer ma famille, mes amis et moi-même à d’autres rumeurs et ragots. La situation est tout simplement intolérable ».
Benjamin Griveaux : « Je ne souhaite pas nous exposer davantage, ma famille et moi, quand tous les coups sont désormais permis »
L’argument oublié de Van Morgan
A cette époque, je vivais aux Etats-Unis et pour un français, ce retrait pour une histoire de sexe était tout simplement incompréhensible. J’ai pu en discuter avec mon ami Van Morgan qui voyait cependant ce retrait comme nécessaire. Pour lui, ce n’est pas le mode de vie ou le comportement sexuel en soi de Gary Hart qui était en cause mais le fait qu’il se soit affiché préalablement comme un mari modèle et qu’il ait menti à la presse et à sa famille. « S’il ment à sa famille, disait Van, il est tout à fait capable de mentir au pays. Etant donnés l’importance du poste, le pouvoir énorme du Président, il n’est pas anormal que sa vie privée soit exposée dans la mesure où les citoyens ont besoin de connaître tous les aspects du Président pour faire un choix éclairé ».
Van n’était pas un censeur, il écartait Gary Hart non pas pour sa « faute » elle-même, non pas par puritanisme, mais parce qu’il pensait que son mensonge révélait son incapacité éthique à remplir la fonction. Le mensonge joue un rôle très important dans l’inconscient et la législation américains. Bill Clinton n’a pas été inquiété pour sa relation avec Monica Lewinski elle-même, mais parce qu’il avait menti au procureur sur la nature de cette relation.
Et donc s’opposaient le point de vue français « On a besoin du meilleur Président possible, le plus habile, le plus intelligent. L’art politique est pratiquement consubstantiel au mensonge. Le mensonge est quasiment un signe de capacité politique. Si on évince un candidat pour une affaire sexuelle, on n’est plus vraiment en démocratie car personne n’étant parfait, on pourra, avec des moyens financiers, faire tomber presque n’importe quel candidat » et le point de vue de Van, qui est aussi celui d’un grand nombre d’américains. Ronald Reagan était alors Président des USA, c’était un homme simple, avec une politique claire, qui n’a jamais prétendu être d’une grande intelligence – il était souvent raillé en France pour cette raison – mais il a ainsi contribué à la chute du pire régime de la planète et du rideau de fer.
On voit mieux aujourd’hui qu’à l’époque à quoi nous a mené le manque de sincérité chronique de nos hommes politiques, pourtant brillants, de Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac: la perte de crédibilité dans nos institutions, 50% d’abstention aux élections, le syndrôme du « tous pourris », la montée des extrêmes, les gilets jaunes, etc.
Et aujourd’hui, alors qu’il y a en France une quasi-unanimité pour condamner les motifs du retrait de Benjamin Griveaux, la mise en ligne des vidéos le concernant – certains parlent même de fin de la démocratie – j’avoue que je repense souvent avec sympathie à l’argument de mon ami Van Morgan. Et je me dis qu’on est peut-être au début de la démocratie.
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