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« Au Collège des Bernardins, je vous ai compris » 15 avril 2018

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Il y a eu une telle levée de boucliers « laïques » contre ce discours que j’aimerais y apporter mes commentaires – dans la mesure où je n’ai pas pu trouver ces idées ailleurs. Pour moi, qui suis un laïc « strict » (puisque malheureusement on doit aujourd’hui préciser le côté « strict »), le discours de Macron aux Bernardins non seulement n’est en rien une entorse à la laïcité mais la renforce.

Mais on ne peut le comprendre que si on comprend ce qui sous-tend sa vision : la différence de fond entre l’Eglise catholique, pouvoir temporel issu des dérives de l’Empire Romain et les chrétiens eux-mêmes. L’Eglise, en tant qu’Institution, tout en prétendant s’inspirer des Évangiles, n’y a pas compris grand chose pendant des centaines d’années. l’Inquisition, par exemple, n’est pas présente dans les Évangiles. Il faut différencier la façon dont les hommes tentent de mettre en œuvre un message et le message. De même, le Goulag russe n’est pas une démonstration contre le marxisme, etc.

Quand Macron s’adresse à l’Eglise catholique, il la garde à la place que la République lui a assignée : loin du pouvoir temporel. Quand il s’adresse aux chrétiens, il leur demande de se mettre au service de la France, non pas en tant que membres de l’Eglise, mais en tant que citoyens pris chacun individuellement.

Je précise que je ne suis ni de religion chrétienne ni croyant. Il y a grosso modo aujourd’hui trois catégories de laïcs : des laïcs « stricts » qui n’ont rien contre les personnes croyantes a priori (j’en fais partie), des laïcs dits « accommodants » qui pour moi n’ont plus rien à voir avec la laïcité (contre lesquels je lutte), des laïcs stricts, bouffeurs de curé, avec lesquels je n’ai rien en commun. Ces bouffeurs de curé arrivent souvent aux mêmes conclusions que moi, mais c’est presque par hasard et ça ne compte pas vraiment, si on considère qu’il n’y a que le raisonnement qui compte.

Le principe de laïcité réaffirmé : « Vous comme moi, nous savons que la voix de l’Eglise ne peut être injonctive »

S’il y avait une phrase, une seule, à retenir de ce discours, c’est celle-ci :

« Vous comme moi, nous savons que la voix de l’Eglise ne peut être injonctive ».

Petite explication de texte : l’utilisation du terme « injonctive » définit exactement la place de l’Eglise telle qu’elle lui a été attribuée par le principe de laïcité. « Vous comme moi, nous savons… » : « Vous » (L’Eglise) car il vous a été demandé de « rendre à César ce qui appartient à César » et que cette citation de Jésus est une des sources de la laïcité française. Et « moi » (Macron), Président de la République à qui, donc, la laïcité républicaine s’impose nécessairement. Même si cela paraît paradoxal, la laïcité est bien une idée chrétienne que nous, français, avons dû imposer à l’Eglise catholique. L’Eglise catholique, en s’opposant à la laïcité a commis une erreur historique et surtout n’a pas su interpréter ses propres textes fondateurs. (D’autres textes évangéliques esquissent par ailleurs la séparation temporel / intemporel, par exemple l’opposition permanente entre « le Père » et « les puissances du monde »). A tel point qu’on peut certainement considérer sérieusement l’idée que l’émergence « miraculeuse » de ce courant philosophique justement en occident chrétien, justement en France, n’est pas un hasard mais une conséquence de la « Révélation » chrétienne.

Le lien abîmé : « nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer »

Les « athées » de la Révolution et ceux qui ont suivi sont imbibés de christianisme jusqu’à la moelle pour la plupart. Ils haïssent l’Eglise, certes, mais l’Eglise avait commis de nombreux abus et ce qui leur fait haïr ces abus, c’est peut-être justement la part de l’influence du christianisme en eux. (« athée » entre guillemets car évidemment, aussi de nombreux croyants chez les révolutionnaires). A un certain moment, finalement, être chrétien sincère, cela signifiait forcément s’opposer – avec force – à l’Eglise et beaucoup d’athées partagent avec les chrétiens le même esprit de Justice, qui imbibe toute notre société. Comme Mr Jourdain fait de la prose, ils font du christianisme en le rejetant, et sans le savoir. Voilà pour les crimes de l’Eglise, qu’il vous convient de réparer. D’un autre côté (et en même temps !), des abus ont été commis du côté de l’Etat même (spoliations, assassinats et persécutions de prêtres). Et ces crimes, c’est à l’Etat français, à moi, de les réparer aujourd’hui. Quand il dit donc qu’un lien a été cassé entre l’Eglise et l’Etat, Macron ne parle pas nécessairement d’un lien institutionnel ou juridique. Il parle d’une situation historique, où les torts sont partagés.

Sur le rôle des chrétiens et des croyances dans la société

On a reproché à Macron de flatter les catholiques et de ne s’adresser qu’à eux, de ne louer qu’eux. Ce reproche est évidemment injuste. Macron s’est adressé aux juifs, aux protestants, en des termes à peu près similaires (tradition républicaine d’ailleurs). Il pourrait s’adresser aussi bien d’ailleurs à des associations non cultuelles telles que les francs-maçons. Il a appelé à l’engagement tous les jeunes. Tout ceci n’est pas forcément de la basse politique ou de la flatterie clientéliste. Le rôle du Président est de rassembler les énergies et de les mettre au service d’une « certaine idée de la France ». Qu’il s’adresse à chaque association de façon indépendante ne constitue pas un communautarisme, mais plutôt une spécialisation, une segmentation d’un discours politique universel et qui prône l’engagement.

Sur le nécessaire comportement d’un citoyen chrétien au quotidien

Macron appelle les chrétiens à s’engager en tant qu’ils sont citoyens, il n’appelle pas l’Eglise à prendre plus de pouvoir. Le principe républicain ne fait pas fi des croyances. Il est écrit simplement que « la République ne reconnaît aucun culte », c’est très différent. Ensuite, dans notre vie privée, professionnelle, tout ce que nous faisons est nécessairement influencé, infusé, par nos croyances (pas forcément religieuses, la vision qu’on a de l’homme est aussi une croyance. La laïcité n’a de sens que si on croit en l’Homme, comme Zola, et Buisson, à juste titre, parlait de « foi laïque »). Laïcs, athées, agnostiques, religieux, nos croyances dictent nécessairement notre comportement éthique. Vouloir enlever ceci aux chrétiens, dans la mesure évidemment où leurs croyances sont compatibles avec nos lois, c’est une vision liberticide et totalitaire des choses. Tout ceci est une évidence mais il faut le rappeler car beaucoup de laïcs stricts ont été choqués que Macron rappelle le rôle de la croyance dans le comportement de tout chrétien. Rappeler ceci, ce n’est pas une atteinte à la laïcité, ce n’est pas avoir avalé l’eau des burettes, c’est simplement reconnaître que l’Homme est un animal métaphysique.

Il faut réfléchir au comportement d’un croyant fonctionnaire, par exemple d’un juge chrétien, pour comprendre ce que veut dire Macron. Si les lois françaises, s’opposent à la vision qu’a le juge chrétien des lois de Dieu, il ne peut y avoir de juge chrétien stricto sensu, car tout croyant sincère, et c’est normal, et cela ne peut être autrement, doit faire passer les lois de Dieu avant celles des hommes. S’il y a donc des juges chrétiens, c’est que la vision de la Justice au sens des évangiles et au sens de la République sont absolument compatibles (1). Le juge chrétien jugera donc au nom de Dieu (par principe) et au nom du peuple français (raisonnement de droit), mais

« Ces dimensions en réalité sont tellement entrelacées qu’il est impossible de les démêler » [Macron, à propos du gendarme Beltrame]

L’Eglise catholique, les islamistes, ont-ils compris ce discours ?

On a vu des représentants officiels de l’Eglise catholique se féliciter de ce discours, ainsi que diverses associations de l’Islam communautariste et de l’islamisme. A mon avis, ils ont eu tort de se réjouir car la puissance de « la voix non injonctive » est terrible. Si les islamistes acceptent de reconnaître que la voix de l’islam est non injonctive, eh bien, c’est parfait !

La réalité, c’est qu’après un tel discours, Macron garde les mains libres. Laïcité stricte ou accommodante (qui est en réalité une sortie de la laïcité), il est toujours impossible de dire quel parti Macron va prendre. Ce discours, et les réactions qui ont suivi, pourrait bien être l’équivalent Macronien du « Je vous ai compris ». – où justement personne n’avait compris !


(1) Raphaël Enthoven, dans le fin mot de l’info cette semaine: « la laïcité, c’est la reconnaissance qu’il y a plusieurs vérités ». Je pense plutôt que le concept ne fonctionne que parce qu’il n’y a qu’une seule vérité, un seul esprit de justice. La laïcité fait passer le reste (Dieu, etc.) au second plan.

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