Céline Alvarez, Maria Montessori, Mlle Grenier, la Belle et Lumineuse Nature et moi 8 octobre 2016
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 9 fois | trackback
En 1967, mon institutrice de maternelle, Mlle Grenier, a testé la méthode de lecture Montessori. Aux vacances de pâques, j’ai lu mon premier livre de bibliothèque rose à la grande joie de mes parents (même si, rétrospectivement, ma virilité a un peu de mal à assumer qu’il s’agissait de « Blanche-Neige »).
J’avais appris à lire sans avoir à fournir le moindre effort, du moins est-ce l’impression qui, aujourd’hui, m’en reste. Dès le mois d’avril 68, je lisais parfaitement, très rapidement, naturellement à la différence des autres enfants que j’ai pu côtoyer ensuite qui, le plus souvent, déchiffraient laborieusement les textes ; pour certains jusqu’en classe de 3ème.
A la fin de l’année, cinq autres élèves étaient dans mon cas et lisaient parfaitement. Tous les autres enfants de ma classe de maternelle étaient capables de déchiffrer, mais de façon plus lente.
J’ai toujours pensé que cette faculté de lire « automatiquement » avait été une grande chance pour mes études. Conjecture : comme je lisais parfaitement, une toute petite partie de mon cerveau était mobilisée pour la compréhension des mots, le reste était libre pour tout ce qui était plus compliqué, la compréhension du sens réel, l’élaboration, la création, la critique… Toutes ces capacités, j’ai pu les développer très tôt grâce à Mlle Grenier, même si ce n’était plus dans sa classe. L’avance prise à quatre ans augmente mécaniquement avec le temps, c’est injuste mais c’est comme ça. Et c’est pourquoi l’école primaire est si importante.
Je me souviens qu’à la fin de l’année scolaire, Mlle Grenier a été inspectée. C’est la seule fois où nous avons entendu monter le ton dans la classe – mon institutrice était une femme décidée, mais douce et discrète. L’inspecteur lui a fait la remarque que sa méthode n’était pas autorisée et lui a demandé de ne plus l’utiliser. Mlle Grenier a objecté que six enfants lisaient déjà couramment, que les autres déchiffraient. Ce n’était pas si mal pour une classe de maternelle où le temps consacré à la lecture n’avait pas été très important – nous jouions avec les fameuses cartes de 15 mn à 1h par jour. Mlle Grenier a dû arrêter, en fin d’année, cet enseignement.
Quarante ans plus tard exactement, en 2007, quand ma fille a eu quatre ans, j’ai acheté le kit Montessori. Constitué d’une grosse boîte à chaussures et de quelques cartes cartonnées, cela ne nécessite aucun moyen contrairement à ce que je lis dans cet article consacré à Céline Alvarez, qui aurait bénéficié de 10 000 € de matériel pédagogique et d’une assistante d’éducation « rompue à la méthode Montessori ». Sans parler du fait que Céline Alvarez serait « capable de travailler 100 h par semaine ». Quand on m’annonce de de telles performances, j’ai immédiatement, dans un coin de ma tête, une cloche qui résonne (raisonne) en tintant « Propagande, propagande ! ».
J’ai dû passer 10 mn par jour avec ma fille, qui alors, en maternelle, ne suivait aucun apprentissage de la lecture. J’ai reproduit strictement la méthode qu’avait, dans mon souvenir, appliquée Mlle Grenier et vous savez quoi ? A la fin de l’année, ma fille lisait correctement ! Je précise que je n’ai aucune expérience pédagogique. La grande modestie qui me caractérise m’oblige de plus à admettre que, de l’avis général, y compris malheureusement de celui de mes enfants et de ma femme, je suis un piètre pédagogue. Bien entendu, je suis intimement convaincu que ma fille a une « belle et généreuse nature » (comme son père) mais je suis donc loin d’être persuadé, comme Céline Alvarez, que mes techniques pédagogiques aient contribué à révéler cette dite nature !
Deux ans plus tard, mon fils a repris la « boîte à chaussure » et a commencé avec Montessori. J’avais moins de temps pour lui, à cette époque. Je rentrais assez tard le soir, lorsqu’il était déjà couché. J’ai eu la chance de trouver cette petite application qui mettait en œuvre la méthode Montessori sur une tablette iPad, avec les deux grands avantages suivants (dont j’ai pris conscience au fil du temps):
- la méthode Montessori nécessite habituellement la supervision d’un adulte qui « vérifie » les mots et valide le passage des niveaux. Sur tablette, l’application propose les mots et permet à l’enfant de franchir les niveaux presque sans assistance.
- Le temps de l’adulte limite habituellement le nombre de mots proposés à l’enfant, or plus l’enfant écrit de mots, plus vite il apprend à lire. La tablette peut proposer un nombre quasi-infini de mots à l’enfant, qu’elle rend « accro » et cette dépendance permet de progresser. Si je voulais donner un semblant de caractère psy à mon discours, je dirais que la dépendance à la machine remplace de façon avantageuse le transfert au professeur.
C’est le seul exemple que je connaisse où l’usage d’une tablette, et l’addiction dans laquelle elle enferme l’enfant, a un effet positif sur l’apprentissage (1).
En avril, mon fils savait lire correctement. Et il avait appris presque tout seul, avec un iPad.
C’est dire si je ne suis que peu surpris des résultats que Céline Alvarez a obtenus avec sa classe. Je n’ai en fait jamais compris pourquoi cette méthode n’avait pas été plus développée, ou au moins testée, par l’Education Nationale. Il n’y a pas besoin d’invoquer une expérience quasi-mystique, comme le fait Céline Alvarez, qui visiblement a roulé fin-fin-fin les fameuses cartes en papier, fourré pas mal de moquette à l’intérieur et fumé le tout en hommage à la « Belle et Lumineuse Nature ». Il n’y a pas besoin non plus d’adhérer aux autres préceptes ou théories de Maria Montessori – la méthode de lecture elle-même peut-être isolée de tout cadre pédagogique plus ou moins grandiose et mérite d’être testée en tant que telle.
Je précise que la méthode Montessori est une méthode syllabique, non globale, qui consiste en fait à apprendre à écrire les mots. La capacité à les lire vient automatiquement ensuite, « gratuitement » pour l’enfant, comme une sorte de bénéfice secondaire. Jamais l’enfant n’apprend à lire mais à un moment, il « sait ».
L’Education Nationale manque toujours, paraît-il, de « données scientifiques concernant les résultats obtenus » – cela fait au moins quarante ans (en fait 100 ans pour Montessori) que ça dure, il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Cela a pour conséquence de transformer des débats qui devraient être purement techniques en des affaires politiques, voire mystiques.
Ajout : un cas d’école pour l’évaluation aléatoire
C’est précisément pour faire bouger les lignes qu’en 2012, j’ai lancé, chez Speechi, le développement de notre logiciel d’évaluation sur tablettes « Je Lève La Main ». Le but est de pouvoir facilement et rapidement tester et comparer les résultats de différentes classes utilisant des méthodes pédagogiques différentes et de se servir des résultats obtenus pour influencer les politiques pédagogiques. D’éviter la mise en place à marche forcée de réformes potentiellement destructrices (réforme du collège, réforme des rythmes scolaires) sans expérimentation – alors que cette expérimentation pourrait être menée de façon non destructrice, peu coûteuse et légère en quelques semaines. De petit à petit transformer la pédagogie, qui est aujourd’hui un art, en une science expérimentale.
J’avais clairement en tête, dès le départ, l’application de cette méthode expérimentale à la méthode Montessori qui présente un double intérêt : elle est facilement évaluable et c’est, dans sa version numérique, une application utile (la seule ?) des tablettes à l’école.
Dans l’état actuel de notre logiciel, si quelques dizaines d’enseignants de maternelle et leurs élèves disposent de tablettes pour leur enseignement, il serait ainsi facile de répondre de façon rigoureuse, en quelques semaines à quelques mois, aux questions suivantes :
- La méthode Montessori permet-elle d’apprendre à lire plus ou moins rapidement que les méthodes syllabiques traditionnelles ?
- L’application Montessori sur tablette permet-elle d’accélérer l’apprentissage ?
- L’apprentissage par Montessori a-t-il un impact sur l’orthographe des élèves (je conjecture que oui, car les élèves apprennent à écrire avant de lire. Cela peut aussi, grâce au logiciel que nous avons créé, être évalué).
- L’apprentissage par Montessori développe-t-il le goût pour la lecture ? (Je conjecture aussi que oui, mais cela peut et doit être évalué).
Si des enseignants dont la classe est équipée en tablettes lisent cet article, je le leur lance d’ores et déjà un appel, qu’ils utilisent une méthode traditionnelle, Montessori ou globale.
(1) Pour en savoir plus sur l’introduction des usages de l’informatique à l’école, voir ce document, page 2 (“Une promesse coûteuse et non tenue”)
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