La larme à l’oeil 28 octobre 2005
Par Thierry Klein dans : Critiques.Lu 39 747 fois | trackback
Avez-vous remarqué qu’au cinéma ou à la télé, il y a une loi quasi-infaillible qui veut que, plus les larmes seront filmées directement, en gros plan -avec le déluge sentimental associé, plus l’émission est mauvaise, au sens artistique du terme ?
Il y a un très beau film qui est passé hier sur Arte. Malheureusement, je ne capte pas Arte, ni la 6 d’ailleurs, alors que mes voisins, si. Je dis ça parce que si vous avez une idée d’où ça pourrait venir, ça m’intéresserait. Mais aucun rapport avec le sujet de ce billet.
Ce film, c’est « Nous nous sommes tant aimés », d’Ettore Scola. Je l’ai vu quand j’avais 15 ou 20 ans et j’ai tout de suite adoré, un peu comme si je savais déjà ce qui arriverait à 40. Il contient en particulier une scène que je trouve très belle, lorsque deux anciens amoureux, qui ne se sont pas vus depuis des années, se rencontrent par hasard dans Rome. Ils sont ravis de se revoir et la soirée débute dans une sorte de gaieté nostalgique – les meilleurs moments de leur vie, ils les ont vécus ensemble et ils le savent. A un moment, la femme rentre dans un photomaton en riant. Pour une raison dont je ne me souviens plus (peut-être s’allume-t-il juste une cigarette), son ami s’éloigne quelques secondes. Quand il revient vers le photomaton, la femme a disparu – on saura ensuite que c’est pour toujours. Il attend quelques minutes et les photos sortent. Sur première photo, elle rit aux éclats (elle vient de rentrer dans la cabine et est encore en train de plaisanter avec son ami), puis, au fur et à mesure que les photos sont prises, on voit son visage se décomposer – elle est en larmes sur la dernière photo.
On ne voit jamais la femme pleurer – on découvre juste les photos qui tombent du photomaton au même rythme que son compagnon, on ne l’entend pas pleurer non plus. La scène ne contient pas la moindre parole, mais tout est dit.
Evidemment, il y a la Chiale Academy où tout est fait pour nous faire partager, en direct, de façon la plus explicite possible tous les états d’âme des condamnés (qui en outre pleurent de plus en plus au fur et à mesure des saisons). Dans Star Academy, les micros sont mis au niveau maximum et les larmes sont filmées du plus près possible – s’ils pouvaient nous asperger en direct, ils le feraient, ça c’est sûr.
A l’inverse, prenez un dessin animé comme Bambi, dont j’ai déjà parlé. A la mort de la mère de Bambi, Disney est excessivement sobre. Une seule larme de Bambi est montrée et un fondu enchaîné nous fait directement passer de l’hiver au printemps – le résultat est beaucoup plus beau (et d’ailleurs beaucoup plus fort aussi – les enfants ne s’y trompent pas, bien que rien ne soit dit, et les adultes qui n’ont pas revu Bambi depuis leur enfance sont aussi souvent en larmes quand ils revoient cette scène).
Ajout : il y a des scènes très similaires dans la forme chez John Ford.
Prenez aussi cette scène d’Hitchcock (dans Rebecca, je crois) où l’actrice regarde par la fenêtre. Dehors, il pleut et Hitchcock filme à travers la fenêtre, ce qui fait que les reflets des larmes se confondent sur la vitre avec les gouttes de pluie (donc là aussi, comme dans Scola, les larmes ne sont pas filmées de façon directe). C’est très beau aussi, quoi qu’à mon avis, un peu froid par-rapport à Disney et Scola. (Quand je dit un peu froid, je veux dire que l’effet sur le spectateur, la catharsis, est plus faible: on est moins ému et plus admiratif. Comme souvent Hitchcock intellectualise beaucoup les choses et on est presque dans l’exercice de style).
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