Commerce de la longue queue ou hyper-grande distribution ? 9 août 2005
Par Thierry Klein dans : Technologies.Lu 6 497 fois | trackback
J’ai été surpris par le terme « la longue traîne » employé par Loïc Le Meur sur son blog. « La longue traîne », je ne voyais absolument pas ce que ça voulait dire. En fait, Loïc fait référence à un article paru dans Wired l’année dernière intitulé « The Long Tail ». L’idée de base de l’article, c’est que, pour des magasins virtuels présentant une offre quasi-infinie comme Amazon, il peut y avoir finalement plus de business à faire sur les « low sellers » (les livres qui se vendent en peu d’exemplaires) que sur les « best sellers ».
Sur l’image ci-dessous (Prop. Wired), cela se traduit par le fait que la surface en jaune (nombre de « low sellers » vendus au total) est plus grande que la surface orangée (cliquer pour agrandir).
Ce qui est surprenant, c’est que la traduction littérale de « The Long Tail », c’est « La Longue Queue ». Evidemment, parler d’économie de « la longue queue », ça peut faire sourire. Je me souviens d’un vieux bêtisier où un témoin parle pendant 10 mn des longues queues devant les magasins dans les pays de l’Est, à la grande joie du journaliste qui l’interviewe (si ce bêtisier, se trouve en ligne, merci de me l’indiquer pour illustrer ce billet !).
C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Loïc (ou la première personne qui a traduit ce terme) a choisi « longue traîne ». Seulement voilà, « longue traîne », c’est incompréhensible et ça perd tout le sens de l’expression anglo-saxonne originale.
La queue d’une courbe, (the tail), c’est un terme mathématique qui définit, en anglais comme en français cette fameuse partie jaune dans des courbes classiques telles que par exemple les distributions de Pareto. Traduire queue par traîne, c’est perdre le sens original du mot (on ne parle pas de la traîne d’une courbe ou d’une distribution).
Mais « longue queue » ne serait pas top non plus car dans l’anglais « Tail », il y a un rappel à « retail » (commerce de détail) qu’on ne retrouve ni dans traîne, ni dans queue.
En anglais, « the long tail » est donc une expression surdimensionnée, qui caractérise à la fois l’endroit où on veut se positionner sur la courbe et le commerce qui s’y fait.
Alors quoi ? Comment traduire ce terme en français ?
Il existe un mot français qui caractérise le commerce de détail aussi bien qu’une courbe. C’est le mot « distribution« . « Grande distribution » est une expression déjà utilisée par des amis de Loïc, donc je proposerai bien le terme « hyper grande distribution » pour les raisons suivantes:
– ça reprend bien les deux sens initiaux de l’anglo-saxon (évidemment, ça accentue un peu l’aspect « commerce » par-rapport à l’aspect « queue de la courbe ». Mais les deux sens sont bien présents. Donc, l’expression signifie bien la même chose, c’est très important, à mon avis.
– le mot hyper donne une dimension supplémentaire et nouvelle qui transforme l’expression grande distribution (de même que l’expression « hyper espace » transforme le mot espace, là aussi en lui donnant une dimension supplémentaire). Ce mot hyper a aaussi une connotation mathématique qui renforce aussi le double sens qu’on veut donner à distribution. J’ajoute que c’est eexactement ce qu’on veut dire: une nouvelle forme de commerce qui transforme les anciennes.
– inclure l’expression traditionnelle « grande distribution », c’est en plus relier cette forme de commerce à toutes les anciennes formes de commerce. Amazon s’est bâti en grande partie sur le savoir faire de WalMart. J’habite à Lille et je suis assez sensible au fait que les Auchan, La Redoute, Leroy-Merlin sont les descendants directs des négociants flamands du moyen-âge. (Je suis d’ailleurs persuadé qu’ils tireront assez bien parti de ces nouvelles formes de commerce et sauront s’adapter s’il le faut, comme cela s’est passé depuis des siècles). En résumé, « hyper grande distribution » a aussi l’avantage de mettre les choses en perspective.
Je reconnais que l’expression « hyper grande distribution » a un désavantage par rapport à « longue queue », c’est qu’elle n’est pas aussi croustillante. Mais je pense que c’est important de bien traduire ce genre de termes (au risque de me faire tomber dessus par tous ceux pour qui il s’agit d’un combat d’arrière-garde).
J’espère donc que l’exercice auquel je me suis livré aura un impact qui lui permettra de dépasser le stade d’une simple masturbation intellectuelle (je n’ai pas pu m’en empêcher, désolé).
Quoi qu’il en soit, longue traîne ou Hyper-grande distribution ? Qu’en pensez-vous ?
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Commentaires»
en effet pas top et c’est bien moi je pense qui ai traduit en premier avec la longue traine plutôt que queue, j’avoue ne pas aimer des masses non plus hyper-grande distribution.
En tous cas, longue queue irait mieux, alors. Il faut voir aussi que, même en anglais, "longue queue", c’est loin d’être top et qu’on n’a peut être même pas besoin de traduire. On pourrait parler d’une "grande profondeur de choix", par exemple.
J’arrive très très après la bataille pour vous faire remarquer à tous que les "low sellers" de la longue queue sont bien connus des libraires sous le terme technique : les ouvrages à rotation lente (rotation = nombre de vente dans l’année) (best sellers = meilleures ventes) Le concept de longue traine est également bien connu : c’est le travail de vente et promotion du fonds (toujours avec un S) et de la commande client que fait le libraire indépendant, qui lui coute cher, et qui n’est pas rémunéré par les éditeurs sauf quelques rares exceptions. L’article de Wired aurait peut-être été plus compréhensible si des gens connaissant un peu le livre et sa distribution l’avaient traduit.