Préjugés sociologiques universitaires : le poids de l’Islam 17 janvier 2021
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 618 fois | ajouter un commentaire
(Une critique de l’article Stéréotypes sexistes dans le monde : le poids de la religiosité, paru dans « The Conversation »)
J’ai rédigé une critique de ce papier intéressant, non pas par ses conclusions mais parce que ce genre d’article est très révélateur des biais de la sociologie universitaire.
De quoi parle-t-on ?
Denise Bombardier fait le lien, nous le verrons à juste titre, entre Islam et préjugés sexistes en s’appuyant sur une publication de l’ONU (http://hdr.undp.org/sites/default/files/hd_perspectives_gsni.pdf, table A1 page 20).
Pour les auteurs, ce lien correspond visiblement à une stigmatisation inacceptable de l’Islam. L’article vise donc à amoindrir la responsabilité de l’Islam et prétend donner à cette défense un argument scientifique – on n’est pas sociologue pour rien. L’article paraît dans « The Conversation », magazine qui est une sorte de niveau à bulles de la sociologie politiquement correcte, de gauche.
Quel est le raisonnement ?
Les auteurs constatent bien (comment faire autrement ?) le lien entre Islam et sexisme : les 23 pays musulmans affichent un niveau de préjugés sexistes « plus élevé » que les 52 autres pays analysés. A noter que le terme « plus élevé » est un euphémisme: selon la mesure utilisée, le sexisme en pays musulman est jusqu’à deux fois supérieure à celle des pays non musulmans (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02903144v2/document, figure 4)
Les auteurs introduisent alors 2 autres variables :
- La religiosité du pays (selon les réponses à un questionnaire demandant aux habitants quelle est l’importance de la religion dans leur vie. L’index varie de 1 « sans importance » à 4 « très importante »)
- Le « niveau de développement humain » du pays
Faisant alors appel à un « modèle » mathématique, ils concluent alors que l’Islam a peu ou pas d’impact sur le sexisme. En réalité, la religiosité du pays et le niveau de développement humain sont les facteurs les plus importants. Toutes les religions sont donc aussi coupables que l’Islam… Prétendre le contraire tient sans doute de l’islamophobie. Circulez, y’a rien à voir !
(Cette technique qui consiste, non pas à nier les excès de l’Islam mais à les relativiser en les étendant à d’autres religions, et en particulier au christianisme est par ailleurs un symptôme d’islamo-gauchisme. On va par exemple comparer le voile des musulmanes à celui des bonnes soeurs, le burkini à la soutane, etc. L’islamo-gauchisme n’est pas mon sujet ici, mais je le mentionne car j’ai l’intention d’en caractériser les principales caractéristiques dans de prochains billets)
Quelles sont les erreurs des auteurs ?
Les erreurs commettent en réalité une erreur indigne d’un élève de Terminale, ce qui fait qu’il est difficile de penser que cette erreur n’est pas due à leur idéologie, difficile aussi de penser que l’erreur n’est pas volontaire.
Pour effectuer leur analyse, les auteurs ont supposé que leurs trois variables (Islam, religiosité, niveau de développement humain) étaient indépendantes. Or elles ne le sont évidemment pas. Par exemple, aucun pays musulman n’a un indice de religiosité inférieur à 3 (indice très élevé). Les pays ayant des indices inférieurs à 2,5 sont des pays chrétiens, ou asiatiques (notion de religion différente), ou des pays où la liberté religieuse n’existe pas. Cela est tout à fait compréhensible car on peut sortir sans problème de la religion chrétienne (qui est donc compatible avec une faible religiosité) et non de la religion musulmane (ce qui entraîne évidemment un biveau de religiosité supérieur). Par conséquent, on voit bien que les variables « pays musulman » et « religiosité » sont intimement liées. En réalité, ce que les auteurs ont introduit sous le nom de religiosité, c’est, très largement, l’Islam sous un autre nom.
Le lien entre indice de développement humain (HDI) et islam est aussi évident. Le HDI prend en compte le niveau de vie et d’éducation. Les pays musulmans, non démocratiques sauf exception, ont un niveau de vie plus faible (on peut imaginer que l’Islam joue un rôle) et un niveau d’éducation faible (il est certain que l’Islam joue un rôle). Là aussi, ce que les auteurs observent, à travers cette deuxième variable, c’est très largement l’Islam.
Qu’auraient dû faire les auteurs ?
La technique de base à utiliser pour ce genre d’analyse est non pas l’impact des variables sur la variance, comme l’ont fait les auteurs mais une analyse en composantes principales (ACP). Une telle analyse, couplée à des techniques de regroupement des variables redondantes (grâce par exemple à une « matrice des corrélations » ou à un « cercle des corrélations »), d’élimination des critères non pertinents et éventuellement de clusterisation permettrait d’obtenir une idée réellement objective de l’impact de l’Islam sur le sexisme et de la quantifier.
Elle conclurait évidemment que l’impact de l’Islam est extrêmement fort, une simple lecture attentive des données, telle que celle que j’ai faite plus haut, suffit à s’en convaincre. Il faut sans doute être sociologue universitaire pour ne pas faire le lien.
Pourquoi donc Denise Bombardier arrive-t-elle, sans utilisation d’aucun modèle, à de meilleures conclusions que les savants auteurs de The Conversation ?
Parce que
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(Thomas Hobbes, Leviathan, chapitre 5 « De la raison et de la science »).
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Vaccin ARN: ne recommençons pas le coup du Thomson T07 3 janvier 2021
Par Thierry Klein dans : Non classé.Lu 1 922 fois | ajouter un commentaire
Au début des années 80, l’Education nationale a décidé d’équiper les écoles en ordinateurs dans le cadre du plan « Informatique pour tous ». Il y avait 2 choix possibles: l’Apple II, un ordinateur personnel révolutionnaire et le Thomson T07, matériel dépassé, inutile, dont l’unique avantage était d’être français. Et bien entendu, « soucieux des intérêts industriels nationaux », le Ministre a décidé d’équiper les écoles en Thomson T07.
Une chance inestimable s’était envolée. On aurait pu donner à une génération d’élèves français le goût de l’informatique et certains, apprenant à programmer sur un matériel « état de l’art » auraient dans doute participé à la création d’une industrie nouvelle dont personne n’envisageait alors l’ampleur qu’elle allait prendre. Au-lieu de ça, on a dégoûté les élèves, les professeurs et on a vite rangé les ordis Thomson dans les placards. Ils n’en sont jamais ressortis. On n’a même pas sauvé, évidemment, l’industrie française des ordinateurs, qui a disparu corps et âmes quelques années plus tard.
Mon père s’était intéressé à l’informatique. J’avais eu la chance rare en France, bien avant le bac d’avoir un Apple II à la maison. J’avais appris à programmer dessus et je me souviens encore de ce livre extraordinaire, « La programmation du 6502« , écrit par un Centralien émigré aux USA, Rodnay Zaks, avec qui j’ai eu la chance d’échanger des dizaines d’années plus tard. J’avais vu qu’il avait fait un Master en Informatique à Berkeley et dès la classe de première, j’avais envie de partir étudier l’informatique aux Etats-Unis. J’ai obtenu mon Master en Computer Science américain en 1990 (non pas à Berkeley mais à Stanford).
A Stanford, plus de la moitié des étudiants en Master d’informatique (nous devions être une centaine en Master, dont seulement 2 français) avaient eu accès à un Apple II dans leurs études secondaires. Cette proportion extraordinaire montre bien la dynamique qu’a pu avoir cet ordinateur, les vocations qui ont été créées et l’opportunité que l’Education Nationale a ratée. En croyant, à court terme, privilégier les intérêts français, elle a de fait contribué à la nullité française en informatique et nous a empêché de créer notre industrie.

Aujourd’hui, je vois la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche faire la même erreur, avec le vaccin ARN, que celle que nous avons faite en 1980 avec l’Apple II. Il s’agit d’attendre « le bon vaccin » (entendez le vaccin français, celui de Sanofi).
Mais Sanofi connaît probablement sa faiblesse en la matière depuis le début. Comment expliquer, sinon, qu’un industriel choisisse deux stratégies de développement différentes, montrant ainsi qu’il n’a confiance en aucune ? On n’enfonce pas une porte avec deux béliers de petite taille mais avec un gros bélier, dans lequel on a mis tous ses moyens.
Non seulement donc ce choix industriel ne rendra pas Sanofi compétitif mais des vies seront en outre perdues, ce qui est évidemment une conséquence encore plus grave qu’un simple retard industriel. Pour paraphraser Churchill: « Vous avez voulu sauver votre industrie au détriment de vies ? Vous perdrez et votre industrie et les vies. »
En outre, nous ne nous donnons pas les moyens de regagner notre retard technologique, au contraire nous allons le creuser. Pourquoi ?
La mise au point de nouveau vaccin ARN, même si elle ne s’est pas faite en France, constitue une avancée aussi importante que la découverte du vaccin contre la variole ou de la pénicilline. Aujourd’hui, il s’agit d’une prouesse technique mais la technologie de conception étant de nature logicielle, il sera de plus en plus facile – et rapide – de développer de tels vaccins.
Ceux qui maîtrisent ce logiciel ont réussi à développer le vaccin avec une rapidité jamais vue jusqu’à présent, mais dans quelques années, ce travail ne sera plus une question de mois ou d’années, mais d’heures ou de jours. C’est simplement une nouvelle manifestation de la pénétration de la révolution numérique et du pouvoir universel du software dans des sciences fondamentales telles que la biologie (l’autre exemple important étant Crispr, lui aussi de nature logicielle).
Ce vaccin est en fait le premier vaccin numérique.
Plutôt que de retarder son utilisation, le Ministre de l’Education Nationale, la Ministre de l’Enseignement supérieur, devraient veiller à ce que les principes fondamentaux de ce vaccin, qui ne sont pas si complexes, comme je l’ai développé ici dans un billet « Nature is code », soient expliqués dès l’année prochaine à tous les élèves de Terminale. Il faudrait pour ceci remettre la biologie dans le tronc commun des élèves, qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Et si l’on n’a pas le temps de bien aborder la génétique, qu’on débarrasse la biologie de tout le prêchi-prêcha écologiste qu’on impose à nos élèves dès le primaire. Crispr, le vaccin ARN, valent bien quelques pensums sur la biodiversité et sur les éoliennes.
Qu’on permette aussi aux étudiants qui ont choisi informatique de faire le lien. On peut introduire des TP basés sur Crispr ou sur le vaccin ARN dès la spécialité informatique de Terminale, au pire en licence ou en classes préparatoires.
Nous avons raté cette découverte. Au lieu de faire un calcul d’épicier, on ferait mieux de donner à la génération qui vient l’envie et le savoir pour en faire de nouvelles.
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Non, Mr McAuley, vous n’avez pas compris l’idéal français. 11 décembre 2020
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 196 fois | 2 commentaires
(En réponse à la tribune sur la laïcité de James McAuley, journaliste au Washington Post, publiée dans le Monde du 5 décembre dernier).
Pour comprendre la différence fondamentale de perspective entre la France et l’Amérique vis-à-vis des religions, il faut se souvenir que les Etats-Unis ont été fondés par des bigots persécutés, qui ont avant tout cherché à ce que cette situation ne se reproduise jamais sur le sol américain.
Aux Etats-Unis, la religion est au centre, sur les billets de banque mêmes, et toutes les religions sont également favorisées. Votre pays est religieux par défaut.
Au contraire, les français ont cherché avant tout à se protéger contre les excès d’une religion dominante et omniprésente, le catholicisme. Cette lutte contre l’emprise politique du catholicisme, achevée par la république en 1905 avec la laïcité, avait été initiée sous la royauté, au moins depuis Philippe le Bel. La position française est une position de méfiance envers les excès des religions et bien qu’une communication politique malheureuse et récente, que vous reprenez James McAuley, l’affadisse en la réduisant à « la liberté de croire et de ne pas croire », l’article réellement révolutionnaire du texte, dont tout l’esprit de la laïcité découle, est bien l’article 2 qui précise que « la République ne reconnaît aucun culte ».
Ainsi, les religions ont en France le simple statut de superstitions tolérées. Comme la notion de culte n’est pas reconnue, la notion de blasphème ne peut l’être. Blesser un croyant en critiquant son culte n’a pas non plus de sens légal.
En France, la religion est à la périphérie et toutes les religions sont également déconsidérées. Mon pays est agnostique par défaut, voire athée. Je chéris ce principe d’un pays débarrassé de l’omniprésence religieuse. Je n’échangerais pour rien au monde cette position avec la position américaine. Avec l’arrogance française qui me caractérise, je pense que notre perspective, découlant directement de l’esprit des Lumières, est philosophiquement supérieure.
En temps normal, les différences concrètes entre ces deux positions sont minimes, presque folkloriques. Chaque français apprend ainsi avec étonnement, grâce à Jules Ferry ou grâce à Hollywood, que les témoins d’un procès sont tenus au Etats-Unis de jurer sur la Bible. Mais le plus important, de part et d’autre de l’Atlantique, reste l’égalité de traitement des religions et la liberté de croyance, qui garantit le bonheur de tous les citoyens des deux côtés de l’Atlantique : ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas.
Le discours français sur l’universalisme, contrairement à ce que vous pensez, Mr Mc Auley, a toujours été dur et même parfois très violent. C’est la loi de 1905 qui de fait met fin à la persécution des religieux catholiques en France. Auparavant, Napoléon avait intégré les juifs en tant que citoyens français en leur imposant de façon très ferme la primauté des lois françaises. En particulier, les juifs devaient admettre le principe du mariage mixte, de la monogamie, et regarder leur France comme leur patrie. Trois points qui, l’actualité récente l’a montré, posent encore problème aujourd’hui à beaucoup de musulmans.
Des débats parlementaires en 1905, il se dégage que les députés, enfants de Marx, avaient compris remarquablement tôt que l’emprise politique de la religion repose entre autres sur l’omniprésence, en quelque sorte publicitaire, du signe religieux. Ils ont cherché par tous les moyens à limiter ces signes. Toute religion visible dans l’espace public est susceptible de peser socialement sur les individus, de nuire à leur liberté de conscience ainsi qu’à la séparation du religieux et du politique. L’article 28, visant évidemment la religion catholique, est une mesure de prophylaxie radicale à cet égard. Il interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit […] ». Ainsi, les français n’ont pas été aussi loin que les talibans, ils n’ont pas détruit leurs monuments religieux, mais ils se sont arrêtés juste avant le fanatisme en empêchant l’édification de nouveaux signes religieux. L’article 28 permet de bien sentir en quoi la position française de bornage strict du domaine religieux est radicalement différente de la position américaine, qui est une position de bienveillance envers la religion.
Dans cet esprit, il paraît tout à fait naturel que lorsqu’une nouvelle religion apparaît sur le sol français, les « laïcards », dans l’esprit de la loi de 1905, cherchent à limiter cette visibilité et à contraindre cette religion à se soumettre à l’esprit de la loi. Or l’Islam est une religion devenue aujourd’hui hyper visible dans l’espace public – ne serait-ce que par le port du voile. Pour les laïcards, il ne s’agit donc pas de pointer du doigt l’Islam mais simplement de lui imposer un traitement comparable à celui qu’ont connu les autres grandes religions. Car même si le législateur de 1905 a cherché à être universel dans son principe, il ne pouvait prévoir la force que prendrait l’Islam en 2020 sur le sol français.
Le plus étonnant, en fait, c’est que les laïcards aient pu se diviser sur cette question. Comment des hommes de gauche, et souvent d’extrême gauche, ont-ils pu oublier que la religion était « l’opium du peuple » – au point de laisser un temps à la droite le monopole de la défense de la laïcité ? J’ai longuement réfléchi à cette question et je propose ici une explication, qui éclairera aussi à mon sens le terme « islamo-gauchisme » que James McAuley juge flou et « aux connotations historiques sinistres » (cherchant ainsi, de façon rhétorique à diaboliser l’expression en faisant référence au terme raciste « judéo-bolchevisme », largement utilisé par les nazis).
La loi de 1905 est effectivement une loi de tolérance mais beaucoup à gauche n’y ont vu qu’une façon de lutter contre l’influence de l’Eglise catholique, église honnie en tant que symbole bourgeois, colonial, réactionnaire, etc. On les croyait laïcards universels mais ils n’étaient que des bouffeurs de curés intolérants et la laïcité servait d’alibi à leur intolérance. Ils n’ont eu aucun problème pour laisser tomber les principes laïcs car ils n’en avaient pas. L’Islam a été vue comme la religion des défavorisés, des victimes du colonialisme et comme une force d’opposition à l’église catholique.
Les représentants de l’Islam politique ont utilisé cette sensibilité avec habileté pour entrer dans le sein des partis de gauche – là est l’origine et la signification profonde du terme « islamo-gauchisme » qui ne fait nullement référence aux musulmans dans leur ensemble mais évidemment uniquement à l’Islam politique, à l’Islamisme. Il faut évidemment le distinguer du terme « judéo-bolchevisme », qui faisait référence aux juifs en tant que personnes. Et la confusion entre Islam et Islamisme, c’est donc vous, James McAuley qui la faites en introduisant cette comparaison. Vous qui la faites en utilisant par exemple le terme « islamophobie » dans de nombreux articles, alors que ce terme entretient la confusion entre ceux qui luttent contre l’influence politique de l’Islam, forme d’anti-cléricalisme parfaitement dans la tradition laïque française et ceux qui veulent s’en prendre aux musulmans, discrimination raciste totalement contraire à l’idéal universel de la France. Vous qui la faites encore en qualifiant d’organisations « musulmanes » le CCIF et Baraka City, alors que ce sont des organisations islamistes, jouant elles aussi abondamment sur l’ambigüité du terme « islamophobie » pour essentialiser tous les musulmans.
Contrairement à ce que vous affirmez, la projection des caricatures sur les murs ne viole en rien la neutralité de l’Etat. Les cultes n’étant pas reconnus, les caricatures ne sont pas projetées en référence à une religion, mais en tant que symboles de la liberté d’expression. Projeter ces caricatures ne signifie même pas qu’on soit en accord avec leur contenu – pour ma part, je trouve qu’elles sont médiocres. Cela signifie simplement, selon le mot de Voltaire, que même si nous ne sommes pas d’accord avec le contenu des caricatures, nous nous battrons jusqu’à la mort pour qu’elles puissent exister.
Comme vous l’écrivez, il existe une composante universaliste admirable au sein des trois grandes religions du Livre. Cet idéal universaliste n’est en rien mis en danger par la laïcité. C’est uniquement la composante sectaire, obscurantiste, superstitieuse que nous, les « laïcards », combattons lorsque, devenant visible, publique, omniprésente, elle fait peser, comme l’écrit Tocqueville, français qui avait compris l’Amérique mieux que vous n’avez compris la France, « une immense pression de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun ».
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Une discussion intéressante (enfin !) sur Twitter 24 septembre 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 3 139 fois | ajouter un commentaire
Au début du confinement, j’ai ouvert un compte perso « pour voir » sur Twitter. Les discussions Twitter sont, en règle générale, incroyablement peu intéressantes (90% des gens en ont conscience et donc se masquent derrière un pseudo) et incroyablement addictives (sans doute à cause du format court des tweets, qui entraine des échanges sans fin).
J’ai eu ma première conversation intéressante le week-end dernier, et elle a tourné autour d’une étude réalisée à l’IHU Marseille sur le traitement hydroxychloroquine (HCQ) / Azithromycine (AZI), traitement dont j’ai beaucoup parlé dans ce blog. La discussion touche à des problèmes de fond sur la méthodologie des études, la façon dont on doit analyser cette méthodologie et la façon dont se crée l’opinion. Raisons pour lesquelles j’en parle ici.
Dans cette étude (lien), 3737 patients ont été traités selon le schéma ci-dessous. Le point discuté sur Twitter concerne les 218 patients qui ont reçu HCQ moins de 3 jours.

Pourquoi les auteurs font-ils un groupe séparé avec ces 218 patients ? Parce que HCQ est un médicament réputé pour ne pas pouvoir agir en moins de 3 jours. Les patients ayant reçu HCQ pendant moins de 3 jours n’ont donc pas pu, selon les auteurs, bénéficier du moindre effet positif lié à ce soin. Par ailleurs, ces patients pèsent beaucoup (négativement) sur les statistiques de guérison. En effet, si le traitement HCQ a été interrompu, c’est soit que les patients sont morts, soit que leur état s’est aggravé et que le médecin a estimé que HCQ devenait contre-productif (HCQ semble effectivement devenir contre-indiqué lorsque le COVID franchit un certain stade), soit qu’une comorbité quelconque est apparue. De fait, le % d’hospitalisation de ces patients est 3 fois plus élevé que dans le groupe ayant reçu le traitement de base.
Dans leur traitement statistique, les auteurs ont alors comparé le groupe de test (3119 patients traités avec HCQ + AZI) aux autres groupes (parmi lesquels les 218 patients traités moins de 3 jours). Ceci a généré une levée de boucliers dont Twitter est friand. Les principales accusations envers les auteurs (autrement dit Raoult) sont la fraude, l’incompétence.


Pour ma part, j’avais rapidement lu cette étude lors de sa sortie et cela ne m’avait pas choqué. J’avais effectivement pensé que la méthode était certes optimiste, mais qu’on ne pouvait cependant pas imputer au débit d’un traitement qui n’agit qu’après 3 jours les conséquences cliniques négatives constatées sur des gens qui ne l’ont reçu que moins de 3 jours. Pour pouvoir raisonner ainsi, il faut évidemment supposer que le traitement est aussi sans danger – ce que les auteurs supposaient à l’époque et ce qui a largement été confirmé depuis lors.

Mais lors des discussions, ce qui était reproché à Raoult n’était pas seulement d’avoir « séparé » ce groupe critique du groupe de traitement dans les calculs, mais de l’avoir, « en plus » reversé dans le groupe « other treatments » sans avoir « fait de même » dans le groupe « others treatments »

(A noter que je ne sais pas très bien ce que signifie « faire de même » dans le groupe « others ». Je pense que Pierre Prot, l’auteur du tweet veut dire qu’il enlèverait du groupe « others » tous les événements négatifs (hospitalisation et décès) observés durant les 3 premiers jours. Mais un tel retraitement ne serait pas « faire de même ». En effet, les patients ôtés du groupe HCQ/AZI > 3 jours n’ont pas tous été hospitalisés (seuls 40% l’ont été) et encore moins hospitalisés dans les 3 premiers jours. Pierre Prot cherche donc à rétablir une sorte d’équilibre, de « justice », mais échoue à le faire.)
Et là, Pierre Prot m’envoie cet exemple, que je trouve très intéressant, pour montrer que la méthode utilisée est « pourrie » (et frauduleuse selon lui). Dans le traitement ci-dessous, HCQ et Placebo ont exactement les mêmes résultats, pourtant avec la méthode appliquée par les auteurs de l’IHU, on conclut à la supériorité de HCQ > 3 j

Thibaut m’indique, à juste titre, qu’avec cette méthode, on peut prouver l’importe quoi.

Pierre en rajoute et m’envoie un dernier argument qui ne manque pas de sens:

Ca montre bien sûr, en plus, ma nullité et même mon aveuglement volontaire. Tous ceux qui pensent (1) que HCQ fonctionne ont un jour ou l’autre ont été traités de croyants désespérés, recherchant à tout prix le réconfort dans un espoir illusoire, sur Twitter. C’est un argument qui rassure celui qui le tient sur son objectivité sans faille, sa grande capacité à affronter lucidement le malheur.

Et finalement, Lebon confirme cette position.

Et Lebon, pour moi, est vraiment un bon. Au début, quand il donnait des infos ou communiquait des analyses, je les vérifiais, mais après avoir vérifié une dizaine de fois, j’ai arrêté. Lebon est beaucoup plus compétent que moi et va beaucoup plus loin dans l’analyse statistique des études, donc je lui fais confiance.
Et donc j’étais quasi-convaincu à ce moment que le traitement était illégitime. Je l’aurais probablement admis, dans un grand moment de solitude, si j’avais été sur un plateau télé, mais là, c’était Twitter, il était tard et je suis parti me coucher, suivant pour une fois le sage (mais intéressé) conseil que me donnait Pierre Prot.

J’y ai repensé le lendemain, et encore ce soir, et je pense que finalement j’ai raison dans cette discussion. Je voudrais m’en servir pour expliquer l’angle qu’il faut avoir quand, non spécialiste d’un domaine, on essaie de comprendre l’approche qu’a pu avoir un spécialiste. Il y a 3 principes à mon avis fondamentaux à respecter :
- essayer de comprendre la logique du spécialiste, se mettre à sa place
- réfléchir avec bienveillance, ne pas supposer le spécialiste fraudeur
- réfléchir avec confiance, ne pas supposer le spécialiste mauvais
Ces principes sont à l’exact opposé de ce que le mouvement « pro-science » (je mets ce terme entre guillemets car je suis moi-même profondément pro-science, mais totalement opposé à ce mouvement, qui se nomme aussi #noFakeMed sur Twitter) applique. Pour les #noFakeMeds:
- Raoult ne respecte pas la sacro-sainte méthodologie et c’est inadmissible (alors que la bonne attitude est d’essayer de comprendre pourquoi il ne la respecte pas, cette dernière question est nettement plus fructueuse, voir ci-dessous)
- Raoult est un fraudeur a priori
- Il est mauvais et donc on ne lui reconnaît aucune autorité
La logique de cette étude
La priorité de Raoult est médicale. Raoult a mis en place un protocole de soin et décrit principalement la gestion clinique des patients, le but ayant été d’en sauver le plus possible. La priorité n’était pas de rapporter des données, mais de sauver des patients. Les données issues de l’étude viennent en plus, « par surcroît ». Cette logique est totalement différente d’une étude randomisée avec placebo, par exemple, où le but est d’obtenir une preuve fiable, même si cela occasionne des événements négatifs, pouvant aller jusqu’à la mort, pour certains patients.
Il faut imaginer les médecins de l’IHU prescrivant a priori à tous les malades possibles leur traitement « de référence » (HCQ / AZI) et n’excluant que les malades pour lesquels ce traitement était contre-indiqué. En parallèle sont récoltées les données, qui ne sont pas le but principal de l’opération. Le but principal est le soin. Puis on regardera les données.
Imaginons alors qu’un médecin regarde les données obtenues après coup et imaginons de plus que ce médecin n’appartienne pas à l’IHU et dispose d’un testeur miracle, lui permettant de voir si le malade a reçu de l’HCQ pendant plus de 3 jours ou pas (je rappelle qu’on suppose que HCQ pendant une durée < 3 j n’a absolument aucun effet thérapeutique). Ce médecin est tout à fait fondé à séparer des autres tous les malades ayant reçu le traitement plus de 3 jours, du fait qu’il aura un point de vue rétrospectif. Peu lui importe pourquoi tel ou tel malade n’a pas reçu le traitement, le fait est qu’il ne l’a pas reçu. Et justement, on nous indique dès le départ que cette étude est une étude rétrospective, les termes n’ont pas été choisis au hasard.

S’il s’agissait d’un essai clinique (par exemple double aveugle randomisé), il serait bien sûr absolument injustifiable de définir de tels groupes et de les changer « en cours de route ». Mais ici, le but des auteurs est simplement de décrire leur protocole de soin de façon rétrospective. Les conclusions de l’étude ne font d’ailleurs qu’une place très réduite à l’HCQ, et aucune statistique n’est donnée; c’est avant tout le protocole de soin complet qu’on a cherché à valider.

La perversité médicale d’un retraitement différent
Le but de ce traitement statistique n’est donc pas de fournir une donnée dont on pourrait se servir pour quantifier le taux de mortalité un d’hospitalisation d’un échantillon de personnes traitées à l’HCQ / AZI. A aucun moment les auteurs ne prétendent calculer ceci. S’ils avaient procédé autrement, en cherchant à optimiser la performance statistique du traitement sans ce retraitement, les effets auraient été potentiellement pervers pour les malades. En effet, les médecins auraient pu avoir tendance à exclure certains patients « par précaution ». Ainsi, peut-être y a-t-il eu 500 patients « tangents » (auxquels on hésitait à donner le traitement ), dont 218 finalement exclus. Mais les 282 qui restent ont eu accès au traitement. Alors que si on avait dit aux médecins que cela aurait un impact négatif sur les statistiques de l’étude, ils auraient peut être exclu 500 patients. Et eu plus de morts sur la série totale.
La fraude des auteurs
Et donc, non seulement je ne suppose pas la fraude, mais le traitement statistique proposé ne me paraît pas illégitime. Au contraire, il y a un grand bon sens à avoir procédé ainsi mais il s’agit d’un bon sens médical, qui sauve des vies, qui n’a rien à voir avec le « bon sens » un peu fou des partisans de l’essai randomisé en double aveugle qui tue des patients, avec l’espoir très incertain d’en sauver ensuite. La discussion à laquelle j’ai participé sur Twitter n’est qu’un symptôme de plus du délire méthodologique et de l’importance prise par les essais randomisés: même quand on est en dehors de ce cadre, on tend à appliquer aux études le traitement « standard ».
Raoult est-il un mauvais ?
Pour que cette analyse ait le moindre sens il faut quand même admettre au moins 2 choses:
- HCQ / AZI ne présente aucun danger dans le cadre médical où il a été prescrit
- HCQ a besoin d’être donné au moins 3 jours pour avoir le moindre effet
Le point 1 a fait l’objet d’une désinformation énorme depuis mars puisque tous les #noFakeMeds ont cru – et fait croire – que HCQ était un médicament dangereux. Ce faisant, ils ont gravement nui toutes les études ayant confirmé l’innocuité du traitement Raoult avec le suivi qu’il a préconisé. Critique qui, sauf à être meilleur que lui en la matière, manquait totalement de bon sens, compte tenu de l’expérience de Raoult avec l’HCQ. Il faut reconnaître l’autorité quand elle existe, c’est un gain de temps.
Et donc pour les mêmes raisons, je fais confiance sur le point 2. Non pas aveuglément, mais jusqu’à avoir la preuve du contraire, je ne vais pas chercher à critiquer Raoult sur ce point. Pour le faire, je dois être spécialiste or je ne le suis pas.
Pour conclure ce papier assez long, je tiens à signaler que tout ce travail a sans doute été fait presqu’instinctivement, très rapidement par les auteurs, qui ont l’habitude de publier de telles études. C’est simplement le fait de « redécouvrir les principes » qui demande un peu de réflexion. Je comprends que les auteurs en aient marre de devoir expliquer leurs positions à des non spécialistes, qui ne font aucun effort pour les comprendre, les prennent pour des fraudeurs et des mauvais – alors que leur niveau est nettement inférieur aux leurs. En fait, les auteurs doivent être stupéfaits des réactions que leurs papiers engendrent.
Quand aux #noFakeMeds, ils mettront tout ce billet sur le compte de mon endoctrinement et de mon refus d’ouvrir les yeux.
(ajout) Une petite expérience sophiste
Pour finir une petite expérience.
Sur un cercle de 10 m de périmètre, 200 conducteurs malades au départ (parce qu’ils sont un temps de réaction de 2 seconde, alors qu’un conducteur sain à un temps de réaction de 1 s) roulent à 1 m/s. 100 ont été traités avec du placebo (P), 100 avec un traitement ayant une efficacité de 100% (S). La distance de freinage nécessaire pour qu’une voiture s’arrête ) partir du moment où le conducteur freine est de 0,5 m, la vitesse de la voiture étant constante jusqu’au dernier moment.
A un moment, un mur jaillit et leur coupe la route. Tous ceux qui touchent le mur meurent. On compte les morts.
T = 1 s P = 10 S=10
T=2 s P=10 S=5
T=3 s P=5 S=0
Si je décide d’enlever la ligne 1, le traitement semble deux fois plus efficace que le Placebo. En réalité, par hypothèse, le traitement est efficace à 100%.
Or d’après

Donc la méthode de Pierre Prot est viciée.
(1) Aujourd’hui, on peut dire « tout ceux qui savent ». Les études confirmant l’efficacité des traitements HCQ, complétés par AZI et/ou Zn, donnés au plus tôt, à un stade modéré de la maladie tombent presque chaque jour.
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Progressisme et obscurantisme 15 juin 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 1 680 fois | ajouter un commentaire
Quand on croit que l’instruction se résume à la transmission de « codes » servant inconsciemment la reproduction sociale (Bourdieu), il est alors facile de croire que la science ne repose que sur des règles formelles, partagées par les « experts » (ceux qui ont les fameux codes) et dont le consensus forme la vérité. On est alors à 2 doigts déjà de croire que la science n’est qu’une « méthode ». De confondre le respect des règles et du protocole avec la vérité. On a une vision formelle, presque militaire de la science.
En vérité, une telle opinion est un abaissement de la notion même de science et de vérité. L’obscurantisme est inscrit dans le progressisme moderne (j’appelle ainsi la déconstruction), alors qu’il se pense scientifique.
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Les essais randomisés ne sont pas la panacée pendant les épidémies
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 1 720 fois | ajouter un commentaire
Un petit papier de l’IHU Marseille avec un exemple historique intéressant :
5 patients ont prouvé au départ l’efficacité de la pénicilline.
« Quand même des données scientifiques imparfaites montrent un effet positif trivialement évident (« obvious »), il n’est pas éthique de réaliser un essai randomisé parce qu’il met les malades devant l’alternative de ne pas être soignés (groupe de contrôle) ou d’être soignés avec une molécule efficace.
Il a fallu 5 patients à Sir Edward Abraham pour démontrer définitivement que la pénicilline sauvait 100% des patients atteints de staphylocoque ou de streptocoque.
Aujourd’hui,il ne viendrait évidemment à l’idée de personne de tester l’efficacité de la pénicilline sur les pneumonies à pneumocoque contre un placebo. »
Le choix de cet exemple n’est pas anodin. Pour rappel, Raoult s’est décidé sur 6 patients pour sa bithérapie, patients pour lesquels il a observé une annulation de la Charge Virale en 5 jours, événement au départ improbable puisque cette CV est censée mettre 10 à 15 j pour s’annuler sans traitement.
Je rappelle que si on prend un dé, tomber sur le 6 est un événement improbable qui a 17% de chances de se réaliser. Si vous lancez 6 fois un dé, il y a 1 chance / 47 000 qu’il tombe 6 fois de suite sur le 6.
Si cela se passe et que vous êtes un scientifique digne de ce nom, vous DEVEZ conjecturer que le dé est pipé. Dans le cas de Raoult, même chose. Il DEVAIT conjecturer un lien entre sa bithérapie et la baisse observée de la CV, tenter de soigner sur cette base tout en confirmant expérimentalement son observation initiale « au fil de l’eau ». Je ne peux même pas comprendre comment, en raison, ceci peut lui être reproché.
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Méthode et génie chez Diderot
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 1 741 fois | ajouter un commentaire
« Vous ne soupçonnez pas combien je fais peu de cas de la méthode et des préceptes. Celui qui a besoin d’un protocole n’ira jamais loin. Les génies pratiquent beaucoup et se font d’eux-mêmes »
Le Neveu de Rameau, Diderot – encore un populiste.
Dans la pensée 30 de l’Interprétation de la nature, Diderot est encore plus explicite:
» La grande habitude de faire des expériences donne aux manoeuvriers d’opérations les plus grossiers un pressentiment qui a le caractère de l’inspiration. Il ne tiendrait qu’à eux de s’y tromper comme Socrate, et de l’appeler un démon familier. Socrate avait une si prodigieuse habitude de considérer les hommes et de peser les circonstances, que dans les occasions les plus délicates, il s’exécutait secrètement en lui une combinaison prompte et juste, suivie d’un pronostic dont l’événement ne s’écartait guère. Il jugeait des hommes comme les gens de goût jugent des ouvrages d’esprit, par sentiment. Il en est de même en physique expérimentale de l’instinct de
nos grands manoeuvriers. Ils ont vu si souvent et de si près la nature dans ses opérations, qu’ils devinent avec assez de précision le cours qu’elle pourra suivre dans les cas où il leur prend envie de la provoquer par les essais les plus bizarres.Ainsi le service le plus important qu’ils aient à rendre à ceux qu’ils initient à la philosophie expérimentale, c’est bien moins de les instruire du procédé et du résultat, que de faire passer en eux cet esprit de divination par lequel on subodore, pour ainsi dire, des procédés inconnus, des expériences nouvelles, des résultats ignorés. «
Et aussi, toujours Diderot (Lettre à Sophie du 20 octobre 1760)
Billets associés :« Il s’agissait entre Grimm et M. Le Roy du génie qui crée et de la méthode qui ordonne. Grimm déteste la méthode ; c’est, selon lui, la pédanterie des lettres. Ceux qui ne savent qu’arranger feraient aussi bien de rester en repos ; ceux qui ne peuvent être instruits que par des choses arrangées feraient tout aussi bien de rester ignorants. « Mais c’est la méthode qui fait valoir. — Et qui gâte. — Sans elle, on ne profiterait de rien. — Qu’en se fatiguant, et cela n’en serait que mieux. Où est la nécessité que tant de gens sachent autre chose que leur métier ? «
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Les erreurs méthodologiques des opposants au traitement Raoult: une synthèse. 3 juin 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 2 699 fois | ajouter un commentaire
Dans l’immense majorité des maladies, aujourd’hui, on compare un nouveau traitement à un traitement existant. Et les gains des nouveaux traitements sont assez faibles (quelques % gagnés sur un cancer, c’est déjà énorme, cela peut sauver des millions de vies). On est alors dans une recherche de gain « asymptotique », qui n’est observable empiriquement par aucun médecin puisqu’il faut des échantillons énormes pour le confirmer statistiquement (pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de patients, sur plusieurs années). Dans un tel contexte, pour obtenir une telle précision, une étude randomisée, avec bras de contrôle et placebo, est non seulement la meilleure façon mais parfois la seule façon de montrer l’efficacité d’un traitement. (Ceci ne résout en rien le problème éthique, à mon avis extrêmement sérieux, mais je le mets de côté dans le cadre de cette discussion).
La médecine étant malade des affaires, et moralement traumatisée par l’afflux des moyens financiers introduits par les labos et la pression qu’ils font peser sur les esprits, les études « randomisées », ayant pour objet de minimiser le « biais d’intérêt » des chercheurs sont rassurantes pour tous, chercheurs compris, puisqu’elles les absolvent, au moins en apparence, du fameux biais « d’intérêt ». (Elles sont loin d’annuler ce biais mais là aussi, je mets ce point de côté dans le cadre de cette discussion). Reconnaître ce biais d’intérêt n’est pas complotiste en soi. La balance de la raison est une machine très délicate, que l’intérêt personnel dérègle facilement. Le biais introduit par l’argent dans le cerveau des chercheurs peut être conscient aussi bien qu’inconscient.
Dans le cas d’un nouvelle maladie infectieuse, le contexte expérimental est radicalement différent:
– on compare un traitement non pas à un autre traitement existant, mais à une absence de traitement. Les gains attendus sont donc le plus souvent d’un ordre de grandeur supérieurs au cas classique. Si je prends l’événement observé dans l’étude 1 Raoult, « baisse de la charge virale (CV) en 5 j » (alors que 10 à 20 j sont normalement attendus selon la littérature disponible), l’observation de cet événement 6 fois sur 6 suggère une probabilité de succès supérieure à 95%, c’est énorme.
– Du fait de ces taux de succès « tout ou rien », l’effet du traitement est observable sur des petites séries, accessible à l’observation empirique. Le cas extrême est Pasteur avec la rage: échantillon de 1 suffisant pour la « preuve ». Les effets placebo, biais d’observation, etc… existent mais on peut quand même supposer qu’ils ne touchent pas 100% des malades, ce sont des biais qu’il faut toujours considérer relativement au gain du traitement. Ils sont d’autant plus négligeables que le gain du traitement est fort. Imagine-t-on sérieusement, ici, que 95% à 100% des malades ont annulé leur CV en 5 jours grâce à l’effet placebo ? Dans ce cas, parler à propos de Raoult de « gourou marseillais » serait en effet tout à fait approprié !
– Hypothèse: dans le comportement rassurant et outrageusement affirmatif de Raoult, dans ses déclarations, il me semble évidemment y avoir la volonté de créer de l’effet placebo. Je m’étonne que personne ne mentionne ceci. Raoult s’exprimant dans la presse est un médecin qui communique et donc, par définition, un placebo en action autant ou même plus qu’un scientifique.
– la maladie infectieuse aura un cycle de quelques mois seulement, durée probablement inférieure ou égale à celle nécessaire pour réaliser l’étude randomisée avec placebo. Une telle étude est en effet longue et complexe à réaliser – de fait, à ce jour, personne ne l’a réalisée en dépit de multiples et coûteuses tentatives européennes (mais étaient-elles vraiment des tentatives ?). Donc si on pense avoir trouvé un traitement, on a intérêt à l’appliquer au plus tôt parce que le gain lié à la preuve formelle sera nul. Quand on aura obtenu cette preuve formelle, la maladie aura disparu (alors que dans le cas d’un cancer, la preuve permet de sauver des millions de gens, elle n’en sauvera aucun dans le cas du covid, en tous cas cette année). On est alors dans un cas où la recherche de la preuve scientifique formelle s’oppose à l’intérêt du malade. Dans ce cas, le médecin doit, me semble-t-il, rechercher l’intérêt du malade.
– Raoult a donc trouvé un traitement qui marche probablement. Son hypothèse de travail est que l’annulation de la CV, à un stade peu avancé de la maladie, signifie guérison. Cette hypothèse a été très critiquée mais par des gens qui n’ont jamais le quart de la moitié de l’expérience clinique de Raoult sur ce sujet précis – or c’est typiquement le type même du raccourci scientifique qu’on ne peut faire que si on a accumulé une grosse expérience clinique (pratique). Un peu comme le pilote de F1 qui après un tour de piste indique aux mécanos qu’il y a sans doute un problème au niveau du 3ème piston (1). La preuve formelle n’est pas apportée mais ça marche. Il sait de plus que son traitement, avec le suivi nécessaire (j’insiste sur ce point tant il semble y avoir eu de bourrinage sur la HCQ dans les hôpitaux américains et parfois français), est sans risque. Il fait donc le choix de traiter et de continuer à faire très attention et à observer, évidemment. Il confirme « en continu » ses observations, au fur et à mesure. Quotidiennement, il sort des données qui lui permettent de confirmer son observation et son hypothèse initiales. Pas totalement, d’ailleurs. On voit dans son étude 3 qu’il s’est partiellement trompé, puisque certains patients guérissent sans baisse de la CV (son groupe pVir) et que d’autres meurent alors que la CV a normalement baissé (groupe pClin). Le groupe Pvir n’est pas confondu avec le groupe Pclin comme il aurait dû l’être si son raisonnement avait été parfaitement correct. Mais ce phénomène (qu’il ne prétend pas expliquer) est resté suffisamment peu fréquent pour que le traitement garde son intérêt.
Cette approche est rationnelle, quoi qu’en disent ses détracteurs. Cela n’a rien d’une confiance aveugle en ses moyens, d’une attitude mégalomaniaque ou d’une croyance. En l’absence de preuve formelle, on doit choisir la solution qui probablement maximise l’intérêt du patient. Et si on pose les gains sur le papier, il est probable qu’on aurait sauvé 50 à 75% des morts français en procédant ainsi.
En complément un point. La facilité avec laquelle Raoult semble avoir trouvé quelque chose qui fonctionne, presqu’au premier essai, plaide en faveur de la découverte d’autres solutions antivirales mettant une pression suffisante sur le virus pour avoir un effet. Il est probable que si on tente de façon pas trop débile, on obtiendra des résultats dans cette histoire. A Hong Kong, une multithérapie ayant des effets positifs semble avoir été trouvée aussi. Il semble aussi qu’aux USA, l’ajout de Zinc améliore le traitement. Bref, ceux qui ont cherché ont trouvé. Il est dommage qu’au nom de la science (à mon avis mal comprise), on retarde l’effet positif des découvertes.Si plusieurs traitements sont efficaces, et que l’épidémie revient, ce qui n’est pas certain, une étude randomisée, en double aveugle pourrait être nécessaire alors pour les hiérarchiser entre eux (puisque la différence d’efficacité entre les traitements serait alors difficilement observable « à l’œil nu ». Le risque pris par le groupe de contrôle serait bien moindre car on comparerait 2 traitements qui fonctionnent.
(1) autre exemple peut être plus parlant (problème que je viens de voir sur YouTube). En maths, si je regarde l’intégrale de 0 à l’infini de sin(x) / x dx, je « vois » en 1 seconde qu’elle converge, je peux l’affirmer sans crainte de me tromper. Mais j’ai besoin de beaucoup plus de temps, quelques minutes à une heure peut être, pour le prouver (je pense voir déjà comment je vais m’y prendre mais ai besoin d’un papier et d’un crayon pour le poser) et sans doute de plus d’une heure pour trouver sa valeur exacte (je ne vois pas comment je vais faire). Le raccourci qui me permet de voir en 1 seconde, sans avoir établi la preuve, que l’intégrale converge ne pourra être fait par un élève de première ou de terminale facilement, il devra voir la preuve pour me croire. Je suis à peu près aux élèves de première ce que Raoult est aux journalistes scientifiques ou aux critiques « méthodologistes »non experts dans son domaine, fussent-ils médecins ou chercheurs.
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La médecine a ses raisons que la raison ne connaît pas 28 mai 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 1 155 fois | ajouter un commentaire
La distinction entre « savoir » et « opinion », censée être établie par le mécanisme de « peer review » a ses limites. Le « peer review » est soumis à des phénomènes de mode (aboutissant alors à une sorte de consensus qui est « l’opinion » de la communauté scientifique) et a probablement privilégié, depuis la révolution industrielle, le développement technique plus que le développement scientifique.
Le peer review peut être perverti par une idéologie, ce qu’on constate dans certaines disciplines où l’opinion moyenne est une idéologie, et donc pire qu’une mode: une croyance. Le peer review devient alors plus une revue par les clercs que par les pairs, au sens où l’entend normalement la communauté scientifique. Le peer review peut aussi être perverti par l’argent, même sans que les chercheurs ne le sachent, car l’introduction de l’intérêt personnel dans la recherche est toujours à même de changer l’équilibre rationnel: la raison est une balance très délicate.
J’ai franchement l’impression, pour avoir parcouru un grand nombre d’études depuis 2 mois, que la médecine est tombée dans cette catégorie. La science médicale a du mal à résister à l’argent investi par les laboratoires. Toutes les publications que j’ai pu lire présentent un « biais publicitaire », à la fois une boursouflure et un manque d’esprit critique vis-à-vis de leurs résultats, qui s’oppose profondément au développement de la science. J’en ai été très surpris.
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La quantité ne fait pas la qualité
Par Thierry Klein dans : Covid-19.Lu 964 fois | ajouter un commentaire
Prenez 100 000 patients en phase sévère. Vous ne donnez rien à 50 000 d’entre eux. Aux autres 50 000, vous donnez 1,4 g d’hydroxychloroquine, sans aucun suivi si possible. Cette dose énorme va en tuer une bonne partie et ne soigner personne.
Faites une étude big data et mélangez le tout. Vous avez donné en moyenne 0.7 g (dose plus ou moins conseillée) d’hydroxychloroquine à 100 000 personnes. Les 50 000 premiers patients meurent normalement, si j’ose dire, puisqu’ils ne sont pas traités. Les 50 000 patients « traités » meurent énormément, avec de multiples incidents cardiaques, etc.
Concluez alors à l’inefficacité du traitement et au risque énorme induit par l’hydroxychloroquine. Vous obtenez l’étude Lancet. 100 000 mauvaises données ne valent pas une bonne donnée. La quantité ne fait pas toujours la qualité.
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