jump to navigation

L’esprit perdu de l’article 28 de la loi de 1905 30 septembre 2018

Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.
Lu 16 345 fois | trackback

Article 28

« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

L’article 28 de la loi de 1905 vise évidemment la religion catholique. Le rédacteur de la loi a cependant voulu lui donner une portée plus générale, à savoir que toute religion visible dans l’espace public est susceptible de peser socialement sur les individus, de nuire à leur liberté de conscience ainsi qu’à la séparation du religieux et du politique.

Supprimer les crucifix dans la rue tient, pour les adultes, de la même logique que supprimer les crucifix dans la salle de classe des enfants. Vous ne pouvez pas, en toute rigueur, prouver que le crucifix dans la rue vous influence, cependant, à partir d’un certain degré de présence, la présence du crucifix donne un pouvoir politique à l’Eglise, le vecteur de transmission de cette influence sur les esprits étant à la fois conscient et inconscient. Si les croix sont partout, le curé a du pouvoir.

On aurait pu imaginer que le rédacteur de la loi se montre plus tolérant. Après tout, jusqu’à un certain point, la présence limitée de signes religieux ne pèse pas sur les consciences. Mais dans l’article 28, il n’y pas de notion de seuil de tolérance, de degré. L’Eglise catholique était puissante, partout présente, invasive. Le législateur a, de façon très juste, jugé que l’introduction d’un seuil de tolérance pouvait enlever à cette loi tout sens pratique, face aux bigots qui ne manqueraient pas de tirer parti de toutes les exceptions que la loi leur accorderait. Il a voulu protéger le citoyen totalement, pour toujours.

Pour éviter toute contagion hypothétique, il bannit le signe religieux partout, comme le médecin désinfecte totalement la salle d’opération pour éliminer toutes les bactéries.

L’article 28 est, au sens propre, une mesure de prophylaxie radicale.

L’oubli de la loi de 1905

Il semble tout à fait incroyable, quand on considère la multiplication des affaires actuelles concernant le voile et le burkini, signes religieux présents dans l’espace public, que cette loi ne les ait pas interdits « par avance ». Le voile et le burkini présentent tous les attributs du signe religieux oppresseur :

  • Ils sont extrêmement visibles
  • Ils donnent un pouvoir politique à une religion, l’Islam. La multiplication des voiles permettant aux musulmans intégristes de se compter. En ceci, voiles et, surtout, burkinis ont une fonction très comparable aux uniformes des milices fascistes.
  • Ils se propagent effectivement de façon contagieuse, mimétique, selon la dynamique décrite par Ionesco, dans son « Rhinocéros » ou par Camus, dans « La Peste ». La Mairie de Rennes, négligeant cette dynamique, a stupidement justifié cette semaine l’autorisation du burkini dans ses piscines au prétexte qu’il ne concernerait que 5 nageuses…
  • La pression sociale engendrée par ces accoutrements est évidemment intense. Beaucoup de femmes portent le voile contre leur gré, par contrainte familiale ou culturelle. Beaucoup d’autres le portent sans ordre explicite, comme un « accommodement raisonnable » permettant de passer inaperçue dans un environnement de plus en plus islamisé. Beaucoup d’autres encore le portent par superstition religieuse.

Tout ceci constitue la forme de pression la plus grave que la société peut faire peser sur un individu. C’est ce que le législateur de 1905 avait voulu à tous prix casser.

Et tous les hommes politiques partisans du soi-disant « juste milieu », qui se disent en même temps « certes préoccupés par le problème que pose le voile », mais ajoutent qu’il faut simplement « s’assurer qu’aucune femme ne le porte contre son gré », sont des hypocrites qui renient l’esprit de l’article 28. Dans des quartiers où le trafic de drogue est devenu une activité commerciale comme une autre, qui va s’assurer que telle ou telle femme est voilée ou pas de son plein gré ? Qui relèvera les insultes et les pressions envers les femmes non voilées ?

L’article 28 avait tranché dans le vif, de la seule façon possible, en instaurant l’interdiction absolue du signe religieux public.

Si l’esprit de l’article 28 est perdu, l’article 31 ne peut plus être appliqué

L’article 31, c’est celui qui sanctionne les pressions effectuées sur les individus pour des raisons religieuses. Non seulement les partisans du « juste milieu » renient l’esprit de l’article 28, mais, ce faisant, ils rendent l’article 31 de la loi de 1905 inapplicable. Comme on ne peut pas mettre un policier derrière chaque femme non voilée, il est devenu de fait impossible aujourd’hui d’appliquer l’article 31. Aujourd’hui, dans les quartiers, des femmes sont agressées tous les jours, au moins verbalement, pour non port du voile. De fait, si les articles 28 et 31 ne sont pas appliqués de concert, ils deviennent tous deux inopérants.

Liberté individuelle et article 28

L’argument de la liberté individuelle avait évidemment été posé dès 1905. Le choix fait par l’article 28 est très clair : la liberté du croyant s’arrête dès lors qu’elle fait encourir le moindre risque à la liberté d’autrui, dès lors donc qu’un risque de pression sociale s’exerce sur autrui.

Le raisonnement laïque est le suivant :

  1. La République ne reconnaît aucun culte, ce qui signifie que toute religion est vue comme une superstition tolérée
  2. Cette superstition n’est tolérée que si elle est totalement inoffensive.
  3. La présence du signe religieux dans l’espace public constitue un risque dont le citoyen doit être protégé.

Aujourd’hui, les partisans du voile invoquent de même l’argument de la liberté individuelle (le « droit ») des femmes à le porter – et il n’est pas douteux qu’au moins pour certaines, il s’agisse d’un choix positif.

Mais pour ce qui est du voile, l’article 28 a déjà tranché, au moins dans l’esprit. La liberté individuelle du croyant doit toujours s’effacer face au risque qu’elle entraîne sur la liberté du non croyant. Le « droit individuel » s’efface immédiatement face au devoir collectif qu’a la société envers l’individu : celui de le préserver des effets de l’aliénation ou de la superstition.

A partir du moment où certaines femmes sont obligées, en France, de porter le voile (ce qui est évidemment le cas), à partir du moment où une pression religieuse liée au signe religieux que constitue le voile ou le burkini, s’exerce dans l’espace public, ce signe devrait être interdit. Tel est l’esprit oublié de l’article 28.

Pourquoi l’article 28 ne parle-t-il pas du vêtement ?

En 1905, la religion catholique est dominante. Elle n’impose pas à ses fidèles d’accoutrement. Seuls les membres du clergé portent un uniforme et leur nombre est par nature limité à une infime partie de la population, population fermée par construction et en constante diminution. Les protestants n’ont aucun accoutrement et cela vaut pour leur clergé. Les juifs orthodoxes sont reconnaissables mais infiniment minoritaires et cette religion est par nature fermée aux autres. Personne n’envisage que l’Islam, religion des territoires colonisés, dominés, puisse acquérir en France la moindre puissance.

Le législateur, bien que recherchant la généralité, n’a tout simplement pas pensé à étendre la notion de signe religieux au vêtement. L’eût-il fait, il aurait forcément tranché dans le même sens que l’article 28 et pour les mêmes raisons, en vertu du même principe.

L’erreur de 2010

La loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été, à cet égard, une grave erreur et une hypocrisie. Elle atteint, pour ce qui est de la burka, le but recherché mais le prétexte invoqué est la dissimulation du regard. En vérité, toute le monde sent bien que l’Islam était en cause. Il l’était pour des raisons tout à fait justifiées qui n’avaient rien à voir avec le regard. Il aurait été bien plus cohérent, bien plus dans l’esprit de la laïcité, d’invoquer l’esprit de l’article 28 et d’étendre cet article.

L’utilisation d’un prétexte et d’un mauvais principe de droit a eu une double conséquence : beaucoup de musulmans se sont sentis stigmatisés, totalement à tort puisqu’on a vu que l’Islam passe en fait, pour des raisons historiques, « entre les gouttes » de la loi de 1905. Surtout, l’esprit politique et religieux de l’Islam intégriste consistant à tirer, avec un grand talent, toutes les conséquences des incohérences des démocraties occidentales, on voit, on verra sans cesse, apparaître de multiples tentatives pour augmenter la pression de l’Islam dans l’espace public. L’extension du port du voile, le burkini, font partie de ces tentatives d’occupation de l’espace et on ne peut évidemment ni les interdire, ni les limiter dans le cadre de la loi de 2010.

En finir avec la rhétorique de l’aliénation

Les féministes « universalistes » tentent actuellement de limiter le port du voile en invoquant l’aliénation patriarcale des femmes qui le portent.

Cet argument me paraît non pas nécessairement faux mais pas assez convaincant. Beaucoup de musulmanes portent le voile de façon tout à fait volontaire et, invoquant leur droit individuel à le porter, renvoient à ces féministes une autre aliénation qui est, grosso modo, la soumission aux normes occidentales, elles-mêmes considérées comme culturellement arbitraires. Dans ce combat, je suis évidemment infiniment plus proche des féministes universalistes, qui se placent dans le sillage de la gauche émancipatrice, de Voltaire à Jaurès, que des féministes dites indigénistes ou racialistes, qui alimentent un courant d’inspiration totalitaire, sectaire et raciste. Mais l’argument de l’aliénation a toujours un côté totalitaire et dangereux. Il présuppose la supériorité de la personne qui l’énonce, il ne peut être réfuté et il peut être retourné à l’infini puisque la personne censée subir l’aliénation la subit de façon inconsciente. L’argument de l’aliénation est, par nature, un procès stalinien affaibli. On ne devrait l’utiliser qu’avec une extrême précaution et en tout dernier recours.

Pour obtenir gain de cause, il me paraît beaucoup plus simple, beaucoup plus élégant, beaucoup plus convaincant d’invoquer l’esprit oublié de l’article 28. Ce n’est pas au nom du féminisme qu’il faut interdire voile et burkini, mais au nom de la laïcité universelle, elle-même ayant pour but de nous protéger du « gros animal » de Platon.

Un tel argument a en outre l’avantage de pouvoir unir politiquement tous les opposants à la prise de puissance politique de l’Islam, ou de quelque religion que ce soit, sur des bases saines.

De quelle façon pourrait-on donc étendre cet article ?

On pourrait évidemment interdire, de façon prophylactique, la présence de tout signe religieux dans l’espace public. Même si beaucoup de catholiques en seraient ulcérés, la situation à laquelle on arriverait serait alors infiniment meilleure que la situation actuelle.

De façon sans doute plus raisonnable, mais aussi efficace, trois critères devraient être pris en compte concernant le signe religieux dans l’espace public sous forme de vêtement :

  • Son caractère ostentatoire (une croix cachée sous un pull a moins d’impact qu’une burka)
  • La fréquence de sa présence (la robe Krishna a moins d’impact que le voile, car très peu de gens la portent)
  • La contrainte potentiellement imposée sur les personnes (dans le cas de la robe de la religieuse catholique, il n’y a évidemment aucune contrainte. Pour ce qui est du voile, le voilement même des petites filles, qui ne peuvent évidemment rien refuser aux parents, constitue une contrainte manifeste, sans parler des insultes qu’encourent actuellement en banlieue les femmes non voilées).

Des vêtements masculins ostentatoires pourraient évidemment être interdits dans le cadre de cette loi. Face à l’oppression religieuse, les hommes sont des femmes comme les autres. Le combat contre le voile est universel.

Ces critères peuvent évidemment varier dans le temps et un texte pourrait fixer le principe général de l’interdiction, en laissant au juge une certaine liberté d’appréciation.


24/02/2019 : Les débats de 1905 et le costume religieux (ajout pour les lecteurs très motivés uniquement)

Suite aux différents retours que j’ai reçus sur ce texte, il convient de le corriger après lecture des séances, tout à fait extraordinaires, du 26/27 juin 1905 de l’Assemblée Nationale.

Il y a deux erreurs de fait dans mon texte. La première, c’est que le point du costume ecclésiastique est effectivement abordé à l’Assemblée. Mais presqu’uniquement sous l’angle de l’autorité que confère ce costume, qui est comparé au costume des militaires. La question débattue est donc de savoir si ce costume confère une quelconque autorité aux prêtres. Non, répond justement Briand car « En régime de séparation, la question du costume ecclésiastique ne pouvait pas se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel ».

Ce n’est donc pas la question du costume en tant qu’emblème religieux qui a été discutée à l’Assemblée. Cette question, posée par le député Chabert, n’occupe qu’une dizaine de lignes dans la séance (sur plus de 80 pages) et, fait remarquable, Briand, rapporteur de la commission, l’élude totalement. Les arguments de Chabert sont pourtant remarquables.

Chabert déclare a) « qu’il y a, dans la loi soumise à nos délibérations, deux articles, les articles 25 et 26 qui interdisent l’un de porter, de promener en public, l’autre de placer dans les emplacements ou sur les monuments publics aucun signe ou emblème religieux. » et que par conséquent, b) « « Le costume religieux n’est-il pas essentiellement un emblème ? Son port n’est-il pas au premier chef une manifestation confessionnelle ? … la soutane en public, ce sont les choses de la conscience dans la rue ! »

J’en viens à ma deuxième erreur, faite aussi par Chabert et je pense beaucoup d’entre nous, qui interprète la loi comme une interdiction totale du signe religieux dans l’espace public. Briand, rapporteur de la commission précise alors qu’il ne s’agit que d’une interdiction du signe sur les bâtiments publics ou dans les espaces publics. Un signe religieux sur une façade privée, dans un jardin privé, reste toléré. Au moment où parle Chabert, l’état de la loi interdit de promener en public tout signe religieux (interdiction des processions, qui sera invalidée le lendemain par amendement).

Bref, personne n’a répondu aux arguments de Chabert, qui pourtant donne toutes les raisons, bonnes et mauvaises, présentes et passées d’interdire le vêtement religieux du prêtre. De façon tout à fait remarquable, l’argument de l’aliénation, que j’évoque dans mon article, est aussi mentionné pour le costume du prêtre (comme aujourd’hui on parle de l’aliénation des femmes voilées).

La question est de savoir si ces deux erreurs invalident le raisonnement que je fais sur l’esprit de la laïcité. Je ne le pense pas du tout. En un sens, ces erreurs confirment même le raisonnement.

Car la raison pour laquelle personne ne répond à Chabert, c’est que tous ces débats ne concernent finalement que l’église catholique et uniquement l’église catholique. A l’exception de Chabert, qui fait preuve d’une lucidité peu commune, les parlementaires jaugent toutes les mesures à l’aune de leur impact sur l’église et de l’impact de l’église sur la société.

Le lendemain, le vote du 27 juin autorisera les processions pour de mauvaises raisons. Elles y seront vues comme « des manifestations » et non pas comme ce qu’elles sont: des prières de rue. On sent dans les débats le compromis ou le troc politique qui s’effectue entre députés de gauche (droit à manifester des ouvriers) et de droite (en faveur des prières de rue). En 1905, l’église a déjà perdu. Les processions sont déjà des manifestations minoritaires, un peu pagnolesques et donc, comme le costume des prêtres, elles sont peu dangereuses pour la gauche.

Bref, ce qu’il faut retenir de tout ça, c’est que :

  1. Un seul député a vu juste et son point de vue n’a pas été discuté
  1. Quelle que soit la forme finale que prend la loi, qui semble d’inspiration universelle, la discussion porte sur l’église catholique uniquement et jamais sur l’Islam, comme je le mentionne dans mon article.

Les premiers arguments multiculturalistes contre l’esprit de la laïcité: signe religieux dans l’espace public contre « tolérance universelle »

Lors des débats du 26/27 juin 1905, le député Grousseau (droite catholique) introduit des arguments de nature finalement multiculturaliste. « Tant à cause de cette tradition que de cette signification profonde, on comprend que les cérémonies extérieures du culte soient considérées par l’Eglise comme essentielles ; elles sont un des éléments de sa catholicité.  » (et par conséquent) « La liberté de conscience ne doit pas être conçue d’une façon négative, comme imposant aux différentes confessions religieuses l’obligation de se dissimuler, elle doit être conçue d’une façon positive, comme leur imposant l’obligation de se tolérer réciproquement, ce qui entraîne pour chacune d’elles la faculté de se développer et de se manifester. »

Cet argument invoque très clairement le droit du croyant comme « essentiel » et le fait passer devant la protection du non-croyant face au signe religieux au nom d’un soi-disant liberté de manifester.

Ainsi, la liberté des processions , qui sont des prières de rue, et du costume religieux arboré en public, sont, dès le départ, des manifestations d’un multiculturalisme qui ne dit pas encore son nom.

Billets associés :

Commentaires»

1. anto desouza - 16 octobre 2018

Hey ,

Je vois le site http://www.thierry.fr et son impressionnant. Je me demande si le contenu ou les bannières des options de publicité disponibles sur votre site?

Quel sera le prix si nous souhaitons mettre un article sur votre site?

Note: L’article ne doit pas être un texte comme sponsorisé ou faire de la publicité ou comme ça

À votre santé
anto desouza