Comment Nespresso transforme Wikipedia en brochure publicitaire 1 décembre 2009
Par Thierry Klein dans : marketing.Lu 67 207 fois | 41 commentaires
Si vous lisiez les extraits suivants dans un document, penseriez-vous avoir affaire à un document « neutre » ou à un document publicitaire ?
Le concept [Nespresso] repose sur une complémentarité entre trois éléments :
1. la machine, fabriquée sous licence par des industriels sélectionnés par Nespresso.
2. la capsule, fabriquée et distribuée exclusivement par Nespresso.
3. le club, un service client se voulant exemplaire.C’est ce que Nespresso appelle l’expérience Nespresso.
Les capsules contiennent différents « grands crus » obtenus à partir de mélanges spécifiques […] Les grands crus (d’un prix élevé, car de la plus haute qualité : entre 66 et 74 euro/kg. Une capsule coûte entre 0,33 et 0,37 €), sont sélectionnés, torréfiés, moulus et conditionnés exclusivement par Nestlé. Une démarche très sophistiquée de relation client, le Nespresso Club, permet de donner corps à ce concept et de fidéliser une clientèle. Ce concept, protégé par 70 brevets, a permis à Nespresso de créer un modèle économique unique, souvent étudié.
Aujourd’hui, c’est l’acteur américain Georges Clooney qui est l’ambassadeur de la marque.
Variétés des grands crus (s’ensuit une liste exhaustive des différentes sortes de capsules et de leur caractéristiques, digne d’un site d’ecommerce)
[Je vous laisse parcourir la page Wikipedia sur Nespresso pour vous faire une idée, le reste est à l’avenant]
Evidemment, on est dans l’argument publicitaire. Je vous donne à titre d’exemple une version non publicitaire des phrases ci-dessus.
« Nespresso contrôle le réseau de production des cafetières et ne distribue que de façon directe les capsules de recharge (environ 20 mélanges de café disponibles).
La communication de la marque adopte les codes de l’industrie du luxe. Ce modèle, souvent contesté, permet à Nespresso de commercialiser le café à des prix de l’ordre de 70€ le kg, soit à peu près 5 fois le prix du café normal, acheté en grande surface.
George Clooney est l’homme-sandwich publicitaire de la marque. «
L’évolution de la page Wikipedia depuis 2 ans: vers un contenu plus positif, gommant toute critique
Je suis cette page depuis quelques années parce qu’elle renvoie depuis longtemps vers mon premier billet sur Nespresso (« Nespresso, le café en mode ASP »). J’ai pu constater qu’elle subit des pressions constantes en faveur d’un contenu positif orienté vers Nespresso. Je vous laisse par exemple comparer la page actuelle avec la page d’il y a 2 ans. Cette page (déjà influencée positivement) contenait des « Critiques du concept » qui ont aujourd’hui totalement disparu, sous la pression constante de contributeurs « amis » de la marque sur Wikipedia.
Cette évolution « positive » n’a pas été sans mal, car il y a eu de multiples protestations et interventions de contributeurs plus neutres. Je vous invite à aller voir les multiples protestations sur la page de discussion Wikipedia de Nespresso. On y retrouve les multiples échanges entre internautes sur les thèmes suivants concernant prix des capsules, tentatives de communication positive de Nespresso, recyclage des capsules, etc…
Globalement, on constate qu’en dépit des protestations de beaucoup d’internautes, la page Nespresso évolue TOUJOURS dans un sens favorable à la marque.
Pourquoi ? Il me paraît clair que les interventions de nature positive sont organisées, répétées, synchronisées. On les soumet jusqu’à ce que le contributeur « désintéressé » abandonne ses positions – ce qu’il fait le plus souvent au bout d’un certain temps car il contribue spontanément s’il n’y a pas trop d’embûches à le faire, alors que le contributeur « positif », très probablement est rémunéré pour sa contribution positive.
D’un côté des tentatives de rectification faites au hasard, de l’autre un travail organisé pour transformer la page en contenu favorable à la marque. Au bout de 2 ans, on constate les résultats: il n’y a pas photo et c’est la marque qui gagne.
Les autres tentatives de communication positive de Nespresso sur le Web.
Les méthodes d’influence positive utilisées par Nespresso sur le Web sont réellement très évoluées.
J’admire la technique, en tant qu’homme de marketing, je condamne les moyens, en tant que citoyen.
Dès 2005, j’ai pu tracer l’origine de certains commentaires positifs laissés sur mon blog ainsi que sur d’autres, qui provenaient de chez Nespresso.
Nespresso emploie depuis 2006 au moins des agences de communication qui travaillent pour créer du contenu positif sur le Web (des commentaires « intéressés » sur les blogs, dans Wikipedia…).
En 2006, j’écrivais que :
« J’ai pu remonter à Nespresso ce coup-ci, mais au fur et à mesure que les marques “apprendront” à utiliser les blogs à “bon” escient, il deviendra de moins en moins facile de les détecter et de se protéger. «
On y est aujourd’hui et les tentatives de communication positive sont très difficiles à prouver – on pourrait cependant je pense dégager des « patterns » dans les interventions, mais il faudrait du temps.
Bref, ce que Nespresso faisait de façon naïve en 2005, il le fait de façon moins détectable en 2009. Les interventions de nature positive sur mon blog n’ont jamais cessé non plus (voir la contribution récente et évidemment désintéressée du dénommé « blanquillo », qui intervient depuis 2005 sur mon blog !), mais elles sont rédigées de façon beaucoup plus subtile – et surtout, je ne peux plus tracer l’origine par un simple traceroute !
Le référencement de Nespresso dans Google
Jusqu’à 2007, lorsqu’on tapait « Nespresso » dans Google, on tombait sur des pages parlant de Nespresso (Wikipedia, mon blog et quelques autres, quelques pages commerciales).
Aujourd’hui, hors Wikipedia, on tombe avant tout sur des pages commerciales.
Les pages qui parlent de Nespresso sont comme noyées dans les pages des sites commerciaux qui vendent des cafetières. J’y vois un exemple assez réussi de nettoyage du Net.
Le nettoyage sur le Net consiste à « noyer » la présence négative en créant des réseaux de pages positives qui apparaissent de façon prioritaire sur Google. Les articles négatifs ne sont alors pas effacés mais simplement peu visibles. Ils deviennent presqu’aussi difficiles à trouver qu’une aiguille dans un botte de foin.
En deux ans, le trafic de la page Nespresso de ce blog a été divisé par 30 – cas unique sur plus de 1000 billets.
Je bois toujours, comme en 2005, plus de 5 nespressos par jour, mais ils ont un arrière-goût de plus en plus amer.
[Ajout, 21h28: David Sadigh décrit mieux que moi cette technique de nettoyage : « Des outils nous permettent de savoir en permanence ce qui s’écrit en ligne, sur un thème ou sur une personne. […] Nous plaçons d’autres contenus, plus visibles, afin de reléguer les sites problématiques plus bas dans les résultats de la recherche. L’équivalent électronique de la couche de peinture blanche appliquée sur du papier peint abîmé. […]Autres astuces: diffuser des communiqués de presse positifs; entamer une campagne de communication en ligne ».
Au fait, savez-vous qui est David Sadigh ? C’est le directeur associé d’IC Agency, agence suisse de communication en contenu positif, dont Nespresso est client.]
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Un billet qui vieillit bien, merci: mes conseils à la Presse en 2006 30 novembre 2009
Par Thierry Klein dans : Blogs et journalisme.Lu 6 543 fois | ajouter un commentaire
Je relis mes « conseils à la presse » – un billet qui date de 2006. Il a fallu 3 ans pour que Murdoch suive cette stratégie (point 2) et envisage de faire payer à Google (ou à Bing) l’accès à son contenu.
Libé vient de décider de suivre le point 4 et reste encore isolé.
Le problème, c’est que la presse commence tout juste à comprendre ce qui se joue sur Internet – elle aura peut-être disparu avant d’avoir su en profiter.
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- GoogleNews n’est rien sans contenu, mais aucun journal ne peut peser face à Google. Donc unissez-vous entre journaux pour peser: vos intérêts sont communs. Ne laissez pas Google définir ses propres conditions et régir votre exposition sur le Web. Ne laissez pas Google troquer votre contenu contre du trafic qui n’a pas grande valeur stratégique ou financière, mais exigez une part des recettes publicitaires de Google.
- Ne donnez pas votre contenu, sauf situation exceptionnelle (gréve NMPP, opération publicitaire équivalente dans l’esprit du ticket TGV à 5 €…)
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Le Capital altruiste et Speechi 5 novembre 2009
Par Thierry Klein dans : Entreprise altruiste.Lu 5 072 fois | ajouter un commentaire
Merci à Sébastien de m’avoir donné l’opportunité de préfacer son superbe et émouvant livre « Résistants pour la Terre ».
La préface complète : Qu’est-ce que le Capital Altruiste ?
Feuilleter le livre en grand format
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Enorme 23 octobre 2009
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 3 199 fois | ajouter un commentaire
Le fils Sarkozy a été énoooorme, ce soir sur la 2.
Sans avoir jamais l’air ridicule, il a réussi à faire passer l’idée que n’être « que » candidat au conseil d’administration de l’EPAD était un acte de tolérance, d’humilité, de compréhension, d’écoute, d’engagement, etc (J’en passe, je ne sais pas être aussi lyrique !).
Il a convaincu même la gauche, qui parle de « retrait », « bon sens », « victoire », « retour sur terre » – qui oublie qu’au fond, c’est aussi incroyable, à 23 ans, d’être membre du conseil d’administration que Président !
Ils sont très peu en France, moins de cinq peut-être, à pouvoir faire ce genre de numéro. Tapie, Sarkozy Père, Kahn, Cohn-Bendit…
Il a peut être renoncé (temporairement) à l’EPAD, mais il a gagné beaucoup plus. En 15 jours, il est devenu un homme politique d’envergure nationale au yeux de ses adversaires mêmes, qui lui ont dressé son piédestal.
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De France Télécom à Al Quaïda ? 19 octobre 2009
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 4 091 fois | 6 commentaires
Y a-t-il jamais une raison unique donnée à un suicide ? Probablement pas. Un suicide a toujours un ensemble de causes « latentes » : historiques, personnelles, familiales et peut-être professionnelles.
Même si les raisons qui poussent au suicide sont diverses, la personne qui se suicide a souvent l’illusion qu’elle se suicide « pour » l’une d’entre elles qui lui tient lieu de raison manifeste (chagrin d’amour, perte d’un proche, accident…) ou bien « au nom » de l’une d’entre elles (attentat suicide au nom d’un idéal politique ou religieux).
Quand on se suicide « pour une raison », on parle de grand chagrin ou de folie. Quand on se suicide « au nom d’une cause », on parle de fanatisme.
Aujourd’hui, au milieu, il y a les employés de France Télécom. La raison manifeste invoquée du suicide : le cadre de travail ; la cause au nom de laquelle on se suicide : la lutte syndicale. Car les lettres laissés par les employés sont de purs tracts, il est clair qu’ils ont aussi fait de leur suicide un moyen de lutte.
Folie d’un côté (car qui peut sérieusement croire qu’un acte aussi grave puisse être expliqué uniquement, ou même principalement, par les conditions de travail chez France Télécom, aussi exécrables soient elles ? En recherchant dans la vie personnelle des victimes, on trouverait tellement d’autres choses…) et fanatisme de l’autre (car quand on en est arrivé au point de « tract-suicide », le plus « dur » est fait, à savoir l’anéantissement de l’instinct de conservation personnelle et il n’y a plus beaucoup de marches à franchir pour en arriver à « l’attentat suicide » à savoir l’anéantissement de l’instinct de conservation des autres, celui-ci étant évidemment beaucoup moins fort que celui-là).
Folie aussi au niveau de l’interprétation, partisane jusqu’au délire, qui est faite de ces actes.
Qui croît encore aujourd’hui que les causes manifestes d’un suicide (celles dont parle la victime) sont les causes réelles ? Qui n’est pas au courant du fanatisme derrière la plupart des actes de suicide pour des raisons politiques ? Pourtant, tout ça est mis de côté par tous ceux qui parlent de cette « vague » de suicides.
Du côté de la direction de France Télécom et du gouvernement, ce n’est probablement que bêtise, aveuglement et culpabilisation plus ou moins sincère.
La façon la plus efficace de lutter contre cette « vague » n’est pas la fausse compassion affichée par tous, mais la dénonciation du caractère ridicule et illusoire de la cause invoquée et surtout du fanatisme qui se cache derrière le « tract-suicide ». Si vous arrivez à faire comprendre à un homme qu’il va se suicider pour de très mauvaises raisons, des raisons ridicules, des raisons fanatiques; il hésitera beaucoup plus à franchir le pas. Car il n’y trouvera ni justification, ni grandeur.
Presque partout et presque toujours, le suicide, c’est le problème du malade. Il faut l’aider à prendre conscience de son état et non pas lui faire croire qu’il agit de façon rationnelle. Il s’agit de consulter à temps.
Que dire donc des syndicats et partis divers, qui, mettant de l’huile sur le feu, jouent dans cette affaire le même rôle qu’Iago vis-à-vis d’Othello. Ils sont sans doute les premiers impliqués dans la « croyance » qu’ont les suicidés que leur mort est justifiée par les horribles « conditions de travail » et « servira d’exemple politique ». Les premiers aussi à en tirer parti. Leur comportement est éthiquement injustifiable.
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Sur RFI, ce soir à 19h15 8 octobre 2009
Par Thierry Klein dans : Formation à distance,Technologies.Lu 3 469 fois | ajouter un commentaire
Pour parler de Google et du rétrécissement du savoir…
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Let the sleeping death seep through 6 octobre 2009
Par Thierry Klein dans : Humeur.Lu 7 298 fois | 12 commentaires
Alan Turing est surtout connu du grand public parce que c’est lui qui a permis de casser le cryptage de la machine Enigma, durant la seconde guerre mondiale. Au début de la guerre, Churchill monte, à Blechtley Park, une équipe « top secret » de mathématiciens, de linguistes, de traducteurs pour tenter de décrypter les messages envoyés à la flotte allemande.
Cette équipe utilisera les travaux de Turing (qui est l’inventeur du concept de programme informatique) et finira par casser les codes d’Enigma grâce à un des tous premiers ordinateurs, mis au point pour l’occasion (quelques centaines de mètres carrés au sol et bien moins puissant que la plus petite de nos calculettes !).
L’histoire de ce premier « piratage » est assez extraordinaire. Churchill en parle un peu dans ses mémoires mais je vous conseille d’aller lire au moins « L’histoire des codes secrets » ou, pour ceux qui ont un peu plus de temps devant eux, The Enigma.
Malgré l’énormité des moyens déployés, malgré tous les trésors d’astuce et de science dont a fait preuve l’équipe de Blechtley Park, malgré les espions qui fournissaient en permanence des informations nouvelles sur Enigma, le décryptage n’aurait pu avoir lieu sans ces les 2 constations suivantes :
- Quand les allemands « changeaient » les codes de la machine (opération quasi-quotidienne), ils ne réutilisaient jamais le code de la veille
- Les allemands évitaient les codes qui leur apparaissaient trop faciles à décrypter (l’équivalent d’un code 7777 pour une carte bleue). Conséquence, la génération des codes n’était pas aléatoire et l’espace de recherche pouvait être considérablement réduit.
Ce dernier point fut décisif. C’est en voulant compliquer la tâche du « décodeur » que les allemands ont fourni les clés.
Quand j’étais à Stanford, les théories de Turing et de Shannon étaient un point de passage obligé pour tout étudiant en informatique (de nos jours, on étudie beaucoup plus Shannon). Mais ce qui me fait penser à Turing aujourd’hui, c’est qu’il synthétise deux affaires très actuelles.
D’abord, il est une des premières victimes connues de la castration chimique, dont, paraît-il, François Fillon veut briser le tabou….
Accusé d’homosexualité en 1952, il doit se soumettre à une castration chimique destinée à « réorienter sa sexualité ». Il se suicide en 1954 en croquant dans une pomme empoisonnée au cyanure – la pomme de Blanche-Neige, qui a été reprise dans le logo Apple, en hommage, justement à Turing.
Ensuite, comme Polanski (encore plus que Polanski !), Turing s’est littéralement jeté dans la gueule du loup. C’est lui qui, victime d’un vol, se rend au commissariat et à cette occasion, avoue son homosexualité.
Comme Polanski, il plaide coupable alors qu’il déclarera plus tard « ne se sentir coupable de rien ».
Comme Polanski, la « faute » dont il est accusé est éminemment fonction de la société dans laquelle il vit (dans le cas de Polanski, la seule charge qui reste à ce jour consiste en une relation sexuelle avec une jeune femme de 14 ans, relation admise aujourd’hui dans d’autres pays et à d’autres moments de notre propre histoire).
Ce que nous enseigne l’histoire, c’est qu’en septembre 2009, le gouvernement britannique a présenté des regrets pour le traitement infligé à Alan Turing.
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Discours d’anniversaire : à ma maman 23 septembre 2009
Par Thierry Klein dans : Humeur.Lu 33 336 fois | 3 commentaires
Puisqu’on me le réclame partout (en fait, je suis fier comme un pou de ce discours), voici une copie du discours que j’ai ânonné rédigé pour les 70 ans de ma maman chérie samedi dernier (anniversaire surprise et bravo à papa pour l’organisation, d’ailleurs).
Vous noterez avec satisfaction qu’une étape vers le raffinement et le classieux a été franchie par-rapport à ce que je produis habituellement en matière de discours de mariage.
Le contenu est un peu « private » par-rapport aux autres billets de ce blog. Certains vont sûrement trouver ça impudique. Je les renvoie vers Secret Story qui me bat tous les jours à plate-couture en la matière et je ne saurais mieux faire.
Evidemment, Maman, pour moi, ça commence à ma naissance et même un peu après, parce que je n’ai pas beaucoup de souvenir de ma naissance, bien qu’on m’ait toujours affirmé que j’étais aux premières loges. Donc, je n’ai pas grand chose à dire sur la période marseillaise: mes souvenirs d’enfance, c’est avant tout la période nantaise.
Ce dont je me souviens, c’est qu’il y avait très souvent, presqu’en permanence, du monde à la maison. Quand j’en parle à mes frères et soeurs, on a en mémoire avant tout les goûters du dimanche soir avec les Raulin et les Thélot – c’était super, sauf que quand les Thélot étaient là on ne pouvait pas regarder la télé.
Les Gras, les Chirons, Patrick, Pascal et Pierre passaient très souvent – avec une pointe de fréquentation marquée pendant la crise d’adolescence qu’ils ont tous eu, comment dire, assez forte.
Quelques années après, une dénommée Mère Thérésa a eu un prix Nobel – à notre grand étonnement parce que je peux vous assurer qu’elle n’a pas fait le quart à Calcutta de ce que maman a fait rue du Dr Rappin – et en plus maman est bien meilleure cuisinière que Thérésa.
Celui qui profitait le plus de tout ça, en fait, c’était le cocker, Itou, parce qu’il gagnait sur tous les tableaux: comme la maison était toujours ouverte, ça lui permettait de passer le plus clair de son temps dehors. Il rentrait juste à l’heure des repas pour voler le gigot ou le poulet – il arrivait toujours à voler quelque chose et je ne compte plus les dîners où 15 mn avant de passer à table, on se rendait compte que le chien avait tout mangé – impossible de lui reprendre quoi que ce soit, il devenait dangereux dès que ça touchait à la bouffe et en plus il était rancunier: la fois où on est arrivé à lui ôter le pain de la bouche, il s’est vengé en lacérant les sièges de la DS.
On vivait dans un univers marqué par la biologie.
A 5 ans, en cadeau d’anniversaire, on nous a donné notre première grenouille à disséquer – je me souviens toujours très bien de la position du nerf sciatique de la grenouille.
A 7 ans, comme on était en période post-soixante huitarde, on a eu droit à des schémas très avancés des appareils génitaux masculins et féminins, niveau fac de médecine – ceux-là, heureusement, je les ai oubliés.
Un univers marqué par la biologie, mais pas forcément par la science: on a appris juste 48h avant l’arrivée des jumeaux qu’on allait avoir 2 frères et soeurs – parce que personne n’avait été foutu de lire l’échographie correctement.
Une autre fois, en promenade, ma mère voit un gros chien avec un tampon sur les fesses. Elle demande à son maître: « qu’est-ce qu’il a votre chien ? ». « C’est une chienne madame ». « Que voulez vous que ça me foute ? »
(ce qui fait que pour moi, la biologie a toujours été une sorte de chainon manquant entre l’astrologie et la science).
Pour être tout à fait honnête, il y avait aussi souvent à la maison un niveau de stress et de cris non négligeable. On parle des amours de Liz Taylor et Richard Burton, on s’extasie qu’ils se soient remariés 7 fois, mais moi, ça ne m’a jamais impressionné, parce que mes parents ont dû divorcer en paroles un bon millier de fois.
J’ai toujours été depuis eu une grande méfiance pour toutes les stratégies de dissuasion nucléaire parce que j’ai pu observer que dans certains cas, seule la relative rareté d’une ressource naturelle nommée vaisselle peut mettre fin aux conflits (Pour tout vous dire, ça continue encore aujourd’hui, mais les derniers projets de divorce ont échoué parce que mes parents n’arrivent pas à s’entendre sur la façon de se répartir la garde des capsules Nespresso).
Je me souviens bien sûr des vacances au Sauze avec les Lazarus. Au Sauze, on vivait à 6 pendant 1 mois dans 35 m carrés donc le terme de maison ouverte n’est sans doute pas totalement approprié. Depuis avec mes frères et soeurs, je ne sais pas pourquoi, on s’est toujours passionné pour les problèmes de surpopulation carcérale.
Il y a une autre anecdote qui me revient à l’esprit.
On rentrait de Suisse par les Alpes. Nous avions acheté un horrible coucou qui valait sans doute très cher et il était caché dans le coffre, sous la roue de secours, endroit que bien évidemment aucun douanier ne penserait jamais à inspecter.
Maman était très très stressée, elle aurait souhaité le déclare, ce coucou, et pendant les 2 ou 3 h précédant le passage en douane, Nathalie (3 ans) et moi (7 ans) avons été briefés de façon intensive.
En cas d’interrogatoire, même très poussé des douaniers, même avec la lampe blanche dans les yeux, nous devions nier farouchement la présence de tout coucou dans la voiture. Nous savions aussi que si le Douanier, vicieux et manipulateur par nature, lâchait devant nous le mot « coucou » ou « réveil » ou même « horloge », nous devions rester absolument passifs et indifférents pour ne pas tomber dans son piège.
Quand j’y repense, je me dis que si les allemands étaient revenus, nous étions quasi prêts.
Nous avons roulé doucement jusqu’au poste de douane. Grand sourire de mes parents pour leur montrer qu’ils avaient bien 32 dents (nous à l’arrière, on en avait un peu moins, je ne me souviens plus exactement combien, mais je vous garantis qu’on les montrait toutes). Mon père a baissé la vitre, et dit « bonjour. » Le douanier a salué, dit « Bonjour Monsieur », regardé maman et dit « bonjour Madame ».
Eh bien, il était encore plus vicieux que ce qu’on pensait, ce douanier, parce que là, maman a répondu « coucou ! » . Et dans la confusion qui a suivi, on est resté plus de 5h en douane – je me demande encore comment on a réussi à reconstituer la voiture, qu’ils sont désossée !
Le côté « maison ouverte », ça perdure à St-Germain et souvent, ça nous inquiète.
De temps en temps, il y a un SDF stupéfait qui se retrouve invité à manger et dormir à la maison sans raison, simplement parce que maman a trouvé qu’il avait l’air malheureux sur le trottoir. En fait, personne ne sait d’ailleurs si c’est un SDF – si ça se trouve, c’est Howard Hugues – mais bon, maman a trouvé qu’il avait l’AIR malheureux.
L’autre jour, dans le métro, un couple se dispute et l’homme commence à frapper sa femme. Comme toujours, les parisiens baissent le nez et passent. Qui s’interpose ? Maman ! Elle commence à engueuler l’homme, une brute épaisse de 1,90m, 90 kg, qui la menace, puis s’enfuit !
Quand vous l’interrogez, elle dit qu’elle ne risque rien, qu’elle a toujours eu beaucoup d’intuition. Vous avez tous pu constater vous même il y a 1 h la grande intuition dont elle a fait preuve pour deviner le contenu de la soirée… Bref, pour nous, les enfants, l’angoisse est permanente.
Mais le plus embêtant, vraiment, c’est que maintenant, pour réserver une place dans les maisons de campagne, à Soulac ou au Sauze, on passe après la femme de ménage et même après les peintres qui ont refait la maison il y a 2 ans !
Bref, ce qui recoupe tout ça, ce qu’on a vécu à la maison, ce que certains d’entre vous ont vécu et aussi son métier, professeur, qui a été très important pour elle, c’est le goût des autres et le dévouement pour les autres.
Je vais m’arrêter là par pudeur parce que c’est un d’anniversaire, pas un enterrement.
Pour tout vous dire, c’est la deuxième fois que je fais un discours en l’honneur de ma mère. La première fois, c’était pour la fête des mères et j’avais 9 ans. Le discours a eu un très gros succès mais j’ai toujours eu une sorte de remords et je dois l’avouer maintenant, il était intégralement pompé.
Maman, je suis désolé de te dire que la feuille manuscrite qui jaunit précieusement depuis 37 ans dans l’album photos, celle qui a révélé une grande sensibilité très précoce chez ton fils, c’est du Victor Hugo !
Il faut aussi que vous sachiez que la date de cette réception est mal tombée, parce que maman venait d’entamer un régime, le 2721ème depuis la naissance des jumeaux, mais c’est sûr, ce coup-ci, c’était du sérieux, elle allait y arriver. A cause de vous, tout ça est remis à lundi !
Je vous donne rendez-vous à tous maintenant dans 2 ans, pour les 100 ans de Granny.
Bon anniversaire.
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Comment Internet contribue au rétrécissement du savoir 9 septembre 2009
Par Thierry Klein dans : Economie,Google,Technologies.Lu 14 508 fois | 26 commentaires
Soi disant, Internet représenterait une chance pour le savoir humain. Google référence aujourd’hui plusieurs trillions de pages. Son objectif est de numériser tous les livres au prétexte pompeux que « le plan de numérisation permettra de rendre à nouveau accessibles des ouvrages épuisés et introuvables ».
Savoir potentiel n’est pas savoir réel
Mais comme personne n’a la possibilité physique de lire toutes ces pages – tout ceci ne constitue que le savoir disponible potentiel. La quantité réelle de savoir disponible ne peut être quantifiée que de façon statistique. Le Web est intéressant si le temps moyen passé par un internaute sur des pages contenant du savoir est important. Le savoir disponible, c’est la quantité moyenne de savoir à laquelle un internaute accède réellement – et non pas potentiellement – au cours d’une session, d’une journée, d’une vie, multipliée par le nombre d’internautes.
Or cette quantité de savoir réellement disponible, qui n’a d’ailleurs jamais été très élevée sur le Web, diminue structurellement de jour en jour, Google étant l’acteur majeur, bien que probablement involontaire, de ce rétrécissement.
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Ne lisez pas ce blog et perdez 2 milliards 1 septembre 2009
Par Thierry Klein dans : Technologies.Lu 3 269 fois | ajouter un commentaire
eBay se sépare aujourd’hui des deux tiers du capital de Skype, tout ça parce qu’ils n’avaient pas lu mes articles sur le sujet à l’époque. Ca leur coûte 2 milliards tout rond. Dommage.
(Non seulement c’était un plan foireux au départ, mais en plus, tout montre que les dirigeants de Skype n’ont pas joué le jeu et qu’au final, eBay se sera fait mettre profond par Skype).
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