Coronavirus: on tient nos champions 24 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique.Lu 1 025 fois | ajouter un commentaire
Le Haut conseil de santé recommande de ne pas utiliser la chloroquine sauf cas graves, c’est-à-dire quand, potentiellement, son usage est le plus risqué. Et sous respirateur, c’est trop tard car on ne réparera pas le poumon abîmé par la pneumonie qu’induit le virus. L’utiliser comme extrême-onction réduira donc l’efficacité statistique du remède tout en augmentant les incidents médicaux. Guéguerre des services médicaux.
Alors qu’il faudrait généraliser son usage en première intention, sur les sujets positifs asymptomatiques ou présentant les premiers symptômes, pour diminuer la contagion par 3 (de 20 à 6j), limiter ses effets secondaires et surtout éviter le basculement vers les cas les plus critiques.
Ou peut-être, tout simplement, ces annonces sont faites pour ne pas dire qu’on manque de chloroquine aussi, comme on a manqué de masques, comme on a manqué de tests.
On tient nos champions.
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Coronavirus : comment en sommes nous arrivés là ? 22 mars 2020
Par Thierry Klein dans : Covid-19,Politique,Technologies.Lu 1 083 fois | ajouter un commentaire
A 4 jours d’intervalle, le chef de l’Etat s’est adressé aux français en délivrant des messages nébuleux et contradictoires. Ces deux interventions ont été faites à situation sanitaire essentiellement inchangée – non pas que le nombre de cas par jour soit resté constant, mais les invariants de l’épidémie, à savoir la gravité du virus et la loi mathématique déterminant le nombre de cas (essentiellement une exponentielle), étaient déjà connues depuis plusieurs semaines.
Macron avait donc tout loisir, dès sa première intervention et même bien avant, de déterminer une stratégie et de la communiquer de façon claire aux français. Ce qui l’empêche de le faire, c’est qu’il est lui-même soumis à la pression des réseaux, soit directement, puisqu’il y est présent, soit indirectement, puisque tous ses collaborateurs y sont présents.
En tant que spectateur du réseau, Macron est soumis comme vous, comme moi, à « l’opinion du réseau » (1) qui varie de jour en jour. Dans ses conditions, il lui est impossible de conserver une position de dirigeant rationnel et éclairé, il ne peut plus que singer cette position. D’un côté, il se pose en leader fort avec un discours martial et pathogène, multipliant les références déplacées à la guerre. De l’autre ce discours est en décalage total avec ses atermoiements (des positions différentes à 4 jours d’intervalle, mesures très indécises et floues, impossibilité à prononcer même le terme « confinement »).
Ce discours incohérent, dont l’invariant est le côté avant tout pathogène, c’est la traduction de la « pression collective » du réseau sur Macron.
« A mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à croire la masse augmente, et c’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde…Dans les temps d’égalité, les hommes n’ont plus foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude, mais cette même similitude leur donne une confiance presqu’illimitée dans le jugement du public, car il ne leur paraît pas vraisemblable qu’ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre… ce qui entraîne une immense pression de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun.»
Tocqueville, De la démocratie en Amérique.
Cette “immense pression collective” dont parle Tocqueville, c’est une forme de panique. La panique est le phénomène où les individus se guident, en masse, sur des traits émergents – par exemple la direction générale de la fuite ou dans le cas présent le jugement du public tel qu’il apparaît dans le réseau. C’est aussi ce qui se passe lors d’un krach boursier, où tout le monde vend parce que tout le monde vend, sans autre raison valable.
De Gaulle pouvait à bon droit afficher une certaine distance vis-à-vis du peuple, cette distance étant une des conditions d’un bon gouvernement. Mais l’opinion du réseau variant de jour en jour, pour l’homme d’Etat soumis à la pression du social numérique, ce n’est plus « Moi, ou le chaos », c’est « Moi, traduisant le chaos ». Macron n’est pas spécialement à blâmer dans cette affaire ; nous sommes tous logés à la même enseigne et nous sommes tous des victimes du réseau, en ceci qu’il nous transforme tous en moutons, chacun de nous étant à la fois acteur et victime de cette transformation.
L’opinion du réseau paraît toujours éclairée. On y trouve toute l’information, y compris la vraie et les algorithmes y sont organisés de façon à ce qu’on y trouve essentiellement des confirmations de notre opinion, celle-ci étant déjà, de façon récursive, la composée de l’opinion du réseau et de notre opinion antérieure. Chacun croit raisonner mais y trouve en fait la confirmation a posteriori de ses passions. Cette impression de fausse rationalité qui s’impose à son corps défendant à la foule est en fait très similaire aux pires phénomènes de contagion mimétique, du lynchage à Nuremberg. Il y a beaucoup de similitude entre ce que décrivent Sophocle dans Oedipe Roi, Ionesco dans Rhinocéros et ce qui se passe aujourd’hui.
Se soumettre à l’injonction du réseau, c’est au sens propre se soumettre à l’injonction de la populace au pire sens du terme, en ceci que la populace s’oppose au peuple, à l’intérêt général bien compris et est à même d’empêcher tout gouvernement. Tout ceci peut facilement dégénérer en massacre.
L’invariant de l’opinion du réseau n’est donc pas la pertinence mais bien la peur. Le réseau est avant tout pathogène et j’observe qu’à l’heure actuelle son opinion varie grosso modo quotidiennement. De là le ton et le contenu changeant des interventions de Macron, réussissant, à son corps défendant, une sorte de synthèse parfaite lors de ses interventions. Mais sous cette influence, il est impossible de gouverner tout court ; les bonnes décisions nécessitent une certaine distance et surtout, si on change de direction tous les jours, on ne va nulle part, que les décisions soient bonnes ou mauvaises. Mieux vaut une décision moyenne, à laquelle on se tient, que des changements permanents de direction, qui rendent toute progression impossible.
Je veux bien admettre que la France n’est plus ce qu’elle était. Mais l’absence de gel, de masques, de tests provient certainement plus de la dispersion frénétique des efforts du gouvernement, de cette incapacité pathologique à fixer la moindre direction que d’un honteux manque de moyens ou d’une stratégie cynique.
La Chine a vaincu le virus en confinant sa population, décision de qualité très moyenne. Ce confinement a une efficacité relativement faible et il est très coûteux économiquement. Mais sa maîtrise totale des réseaux sociaux a permis de fixer un cap, même imparfait, et d’obtenir un résultat.
Je crains beaucoup plus la peste du réseau que le coronavirus lui-même. A la fin, la plupart des morts en France seront des victimes de Facebook. On nous parle beaucoup en ce moment de la prise de conscience censée être créé tous azimuts par le coronavirus. On nous prédit la fin de la mondialisation, du capitalisme-roi – toutes sortes de choses. Je suis très dubitatif mais ce serait déjà pas mal si on pouvait s’intéresser au rôle des réseaux.
« La vraie question est bien : comment ce pays est-il arrivé dans un tel état que l’on préfère écouter les gens qui ne savent pas que plutôt ceux qui savent ? »
(Professeur Raoult, dans La Provence du jour).
(1) Le réseau en tant que tel n’a évidemment pas une opinion. J’appelle opinion du réseau ses « traits émergents » – voir plus loin.
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De Gary Hart à Benjamin Griveaux : vie et mort de la démocratie 15 février 2020
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 175 fois | ajouter un commentaire
En 1987, Gary Hart, candidat démocrate favori des sondages pour la présidence, dût se retirer après la révélation par la presse de son affaire avec Donna Rice, ex Miss Carolina. Ses déclarations lors de son retrait sont en tout point similaires à celles de Benjamin Griveaux, à tel point qu’on pourrait presque accuser Benjamin Griveaux de plagiat :
Gary Hart : « Je refuse de continuer à exposer ma famille, mes amis et moi-même à d’autres rumeurs et ragots. La situation est tout simplement intolérable ».
Benjamin Griveaux : « Je ne souhaite pas nous exposer davantage, ma famille et moi, quand tous les coups sont désormais permis »
L’argument oublié de Van Morgan
A cette époque, je vivais aux Etats-Unis et pour un français, ce retrait pour une histoire de sexe était tout simplement incompréhensible. J’ai pu en discuter avec mon ami Van Morgan qui voyait cependant ce retrait comme nécessaire. Pour lui, ce n’est pas le mode de vie ou le comportement sexuel en soi de Gary Hart qui était en cause mais le fait qu’il se soit affiché préalablement comme un mari modèle et qu’il ait menti à la presse et à sa famille. « S’il ment à sa famille, disait Van, il est tout à fait capable de mentir au pays. Etant donnés l’importance du poste, le pouvoir énorme du Président, il n’est pas anormal que sa vie privée soit exposée dans la mesure où les citoyens ont besoin de connaître tous les aspects du Président pour faire un choix éclairé ».
Van n’était pas un censeur, il écartait Gary Hart non pas pour sa « faute » elle-même, non pas par puritanisme, mais parce qu’il pensait que son mensonge révélait son incapacité éthique à remplir la fonction. Le mensonge joue un rôle très important dans l’inconscient et la législation américains. Bill Clinton n’a pas été inquiété pour sa relation avec Monica Lewinski elle-même, mais parce qu’il avait menti au procureur sur la nature de cette relation.
Et donc s’opposaient le point de vue français « On a besoin du meilleur Président possible, le plus habile, le plus intelligent. L’art politique est pratiquement consubstantiel au mensonge. Le mensonge est quasiment un signe de capacité politique. Si on évince un candidat pour une affaire sexuelle, on n’est plus vraiment en démocratie car personne n’étant parfait, on pourra, avec des moyens financiers, faire tomber presque n’importe quel candidat » et le point de vue de Van, qui est aussi celui d’un grand nombre d’américains. Ronald Reagan était alors Président des USA, c’était un homme simple, avec une politique claire, qui n’a jamais prétendu être d’une grande intelligence – il était souvent raillé en France pour cette raison – mais il a ainsi contribué à la chute du pire régime de la planète et du rideau de fer.
On voit mieux aujourd’hui qu’à l’époque à quoi nous a mené le manque de sincérité chronique de nos hommes politiques, pourtant brillants, de Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac: la perte de crédibilité dans nos institutions, 50% d’abstention aux élections, le syndrôme du « tous pourris », la montée des extrêmes, les gilets jaunes, etc.
Et aujourd’hui, alors qu’il y a en France une quasi-unanimité pour condamner les motifs du retrait de Benjamin Griveaux, la mise en ligne des vidéos le concernant – certains parlent même de fin de la démocratie – j’avoue que je repense souvent avec sympathie à l’argument de mon ami Van Morgan. Et je me dis qu’on est peut-être au début de la démocratie.
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Rien sur Matzneff 30 décembre 2019
Par Thierry Klein dans : Littérature.Lu 1 841 fois | ajouter un commentaire
Maintenant on bouge !?! #Matzneffpic.twitter.com/YuGiYaphSx
— Philippe Poustis (@philippepoustis) December 28, 2019
Sur Apostrophes
Pivot devait-il inviter Matzneff ? Bien sûr. Matzneff n’est sans doute pas un grand écrivain mais des dizaines d’écrivains plus médiocres ont participé à Apostrophes. Matzneff a donc sa place chez Pivot – et sans doute aussi en prison, c’est évident si ce qu’il a écrit est basé sur le réel, mais Pivot n’est pas flic.
Apostrophes a été une émission immense – parfois, comme lorsqu’on a vu une bonne pièce ou lu un bon livre, on pouvait se sentir meilleur, comme grandi, à la fin de l’émission. Immense mais fragile, fruit d’une époque où on pouvait encore discuter et du hasard (Pivot). Il est possible, pas certain, qu’on retrouve un jour un autre Pivot, qui sait ?, mais je crains que notre époque ne permette plus ce genre d’émission. C’est une grande perte – plutôt que de taper dessus comme on le fait, on devrait tout faire pour tenter de recréer ses conditions d’existence.
Dans l’émission incriminée d’Apostrophes, Denise Bombardier ne vient pas « rompre un badinage mondain » comme j’ai pu le lire mais donne courageusement son point de vue, point de vue très pertinent d’ailleurs. Pivot la laisse parler, il ne la décrédibilise en rien. Il n’y a pas eu unanimité sur le plateau et la liberté de penser a donc été respectée.
Pivot en tant qu’animateur était bonhomme jusqu’à l’outrance, bienveillant envers ses invités et aussi très distancié (ce mélange réussi, couplé à une préparation minutieuse qu’il arrivait à faire oublier, constituant sa marque de fabrique). Il n’a expulsé Bukowski que contraint et forcé, quand celui-ci est devenu physiquement violent; il n’est pratiquement pas intervenu non plus quand Gainsbourg insultait Béart, etc.
Mon objectif n’est pas de défendre Matzneff; sa place est sans doute en prison (ce qui pourrait lui être profitable sur le plan littéraire, après tout, Sade s’est révélé à la Bastille). Simplement, cette émission devait-elle avoir lieu ? Et a-t-elle été bien menée ? Je réponds oui aux deux questions.
A quoi sert la littérature ?
L’objectif de la littérature est d’explorer le réel, pas de nier le réel. En voulant la transformer en une entreprise d’édification morale, on la tue à coup sûr et on ne fait strictement rien pour la morale, pas plus qu’on n’améliore la situation d’un bâtiment pourri en en repeignant les murs. Au contraire, c’est en examinant la situation réelle, la cause des pourritures (sans oublier tout ce qui fait que le bâtiment tient) que vous pouvez espérer, peut-être un jour, améliorer la situation du bâtiment. J’écris « peut-être » parce que le bâtiment est peut-être irréparable, mais en tout état de cause, votre seule chance, c’est de l’examiner en profondeur. Et de même, vous ne pourrez pas améliorer l’être humain, si tant est qu’il soit améliorable, avec des fausses morales édifiantes basées sur la négation du réel.
(Comme le dit Denise Bombardier à Matzneff, « la littérature ne doit effectivement pas servir d’alibi ». En revanche, elle se trompe quand elle dit qu’il y a des limites à la littérature).
Ce n’est donc pas la pédophilie que Pivot a défendu mais la littérature, et une certaine forme de liberté d’expression qui lui est nécessaire. La littérature en tant qu’exploration du champ des possibles humains. Le sadisme, la pédophilie ne peuvent en être a priori exclus. Lolita, c’est dégueulasse aussi, pourtant c’est un grand livre. Tout n’est pas simple. Comprendre ceci, c’est en fait savoir lire.
Et pour finir, il y a cette curée obligée, tous ces idiots qui semblent n’avoir jamais réfléchi ni lu. Socrate couchait avec ses esclaves, entre Montaigne et La Boétie ce n’était pas rose, passez moi l’expression, tous les jours, Rousseau maltraitait ses enfants, Voltaire investissait chez les négriers, Aragon et Picasso étaient des monstres conjugaux, etc. Où s’arrêtera-t-on ? Cette situation ne profite qu’aux démagogues conscients ou inconscients (voir le Ministre de la Culture qui flatte son gros animal, je fais référence à Socrate, en déclarant qu’il va reconsidérer la bourse de Matzneff et que les victimes doivent composer le 119 !).
L’aura littéraire n’est pas une garantie d’impunité. J’apporte mon entier soutien à toutes les victimes qui ont le courage de briser le silence. Je les invite, ainsi que tout témoin de violences commises sur des enfants, à contacter le 119. 2/2
— Franck Riester (@franckriester) December 28, 2019
L’illusion du social
Mais pour les accusateurs en herbe, ce combat dépasse Matzneff ! C’est tout son monde qui est coupable (voir ici dans Mediapart ou ci-dessous, Françoise Laborde, qui évidemment laissera une trace immense dans l’histoire de la télé et, ex-membre du CSA, n’appartient à aucune caste…).
Et on te remerciera jamais assez mon amie #DeniseBombardier, qui a sauvé l’honneur, avec cette parole forte sur les victimes dont Vanessa Springora dit aujourd’hui que ces mots l’ont soutenu. Honte à cette caste, qui encore aujourd’hui défend l’écrivain #pédophile #Matzneff https://t.co/gbFkmExo0i
— Francoise Laborde (@frlaborde) December 26, 2019
L’impunité de Matzneff devient le symbole de « la lutte des pauvres contre les puissants », d’une « connivence entre gens du même monde », d’une « appartenance à une pseudo élite intellectuelle ». Les mêmes qui ont toléré Matzneff au nom du social (pensant, dans les années 80, que la prévention contre la pédophilie était d’origine socio-culturelle) le condamnent aujourd’hui au nom du social (en tant que représentant fantasmé de sa classe élitiste et forcément corrompue, whatever that means).
Pensant corriger leur erreur, ils la répètent. Ainsi, nous ne pourrons, au final, plus être gouvernés que par les Tartuffes qui sauront le mieux surfer sur les indignations successives. Nous l’aurons cherché. Nous prenons un chemin très sûr vers la bêtise et vers la tyrannie (toujours en référence à Socrate qui disait aussi, confronté à ce genre de situations, que non décidément le peuple n’était pas philosophe).
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Quand Brabant inspire Tesla 26 novembre 2019
Par Thierry Klein dans : Economie,Non classé.Lu 1 680 fois | ajouter un commentaire
Si l’Union Soviétique avait osé sortir ça, le régime serait tombé bien avant. Le capitalisme n’a au fond aucune supériorité sur le communisme, si ce n’est que la publicité est plus efficace que la propagande pour créer le désir. #Tesla
- Une explication mimétique de la crise financière (pourquoi nous sommes tous coupables)
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Comprendre la publication scientifique, quelques commentaires 10 novembre 2019
Par Thierry Klein dans : Critiques,Technologies.Lu 2 438 fois | ajouter un commentaire
Quelques réflexions qui me sont inspirées en commentaire du billet de Franck Ramus: comprendre la publication scientifique
1) Le cas des Sciences Humaines et Sociales (SHS)
Le billet contient une critique implicite et à mon sens parfaitement justifiée des SHS, en particulier dans sa note [5]. Il y a effectivement confusion, depuis l’origine de ces sciences, entre œuvre scientifique et œuvre littéraire – ainsi Freud, dont le contenu scientifique de l’œuvre reste soumis à caution, n’en est pas moins un auteur de génie. Qui plus est, les SHS s’arrêtent souvent bien en deçà de l’ouvre littéraire, pour tomber au niveau du manifeste politique – là aussi, c’est le fruit d’une longue tradition (cf Bourdieu, etc). Un large pan des SHS a été contaminé ; un grand nombre d’études SHS tiennent aujourd’hui littéralement du tract et n’ont de fait pas de contenu scientifique.
Le mécanisme de « peer review », dont Franck Ramus chante les louanges n’empêche pas ce phénomène, ni au niveau français ni au niveau international (la « profondeur » de la théorie du genre, un must international des SHS, mettrait en joie Rabelais ou Molière). Dans le cas des SHS, le « Peer review » amplifie même, en l’espèce le phénomène, les pairs formant alors une sorte d’aristocratie tendant à sa propre reproduction et recherchant de façon circulaire, dans les papiers soumis, une forme d’auto-confirmation de ses propres idées.
2) Critique des « peer reviews »
Du fait de l’hyperspécialisation des sciences à laquelle on assiste depuis un peu plus d’un siècle, le nombre des pairs, pour chaque spécialité, est très réduit (souvent ces pairs se connaissent tous. Dans le cas des grandes universités anglo-saxonnes, ils vivent ensemble, se côtoient à la ville et dans les congrès, leurs femmes se côtoient, les cancans sur leur vie privée circulent entre eux, etc). Considéré spécialité par spécialité, le global village, même s’il est mondial, même à l’ère d’Internet, est donc minuscule.
Dans ce village, les opinions des profanes ne sont jamais considérées, même s’ils ont dédié 30 ans de leur vie à étudier les livres des savants. Les opinions des savants des autres disciplines ne sont non plus jamais considérées du fait de l’hyperspécialisation scientifique. Les pressions sociales qui s’y exercent sont intenses (argent, considération, amitiés, jalousies, réputation, lutte entre les générations…) comme dans toutes les activités humaines. Les savants sont des gens très doués, sélectionnés sur examen qui jugent leurs aptitudes supposées à la science, mais pas leur goût pour la vérité. Il y donc aussi des modes en sciences, d’une durée d’environ 10 à 20 ans et qui produisent ce qu’il faut bien appeler une opinion moyenne, au sens où l’entend Franck Ramus. Même si cette opinion s’appuie sur des données expérimentales, ces expériences sont réalisées dans le village, les a priori qui les sous-tendent ne sont compris que dans le village, nécessitent des appareils coûteux et ne sont interprétées que par les habitants du village. Planck : « Même dans le cas des mesures les plus directes et les plus exactes, par exemple celle du poids ou de l’intensité d’un courant, les résultats ne peuvent être utilisables qu’après avoir subi nombre de corrections dont le calcul est déduit d’une hypothèse…».
Il ne faut donc pas exagérer la valeur du mécanisme de « peer review », même si, évidemment, la situation des SHS reste une exceptionnelle sorte de « cas limite » : toutes les autres spécialités justifient cette critique, sans atteindre cette limite.
3) La forme des publications
Le mode de fonctionnement scientifique actuel semble bien adapté à des évolutions techniques incrémentales. Les savants sont payés pour aller toujours de l’avant, produire de nouveaux papiers sans quoi on n’obtient ni avancement ni prix Nobel. Pourtant Aristote, Galilée, Newton… ont écrit de grands livres et dans le cas d’Aristote et de Galilée au moins, contenant une grande part d’opinion. (C’est une évidence aujourd’hui pour Aristote et dans le cas de Galilée, le Dialogue sur les systèmes du monde, un livre extraordinaire dans sa forme et son impact, est bourré d’approximations et d’erreurs scientifiques, en particulier sur la théorie des marées). La méthode actuelle à base de publications courtes est une sorte de caricature (perversion) de la méthode expérimentale de Descartes : chaque papier apportant une pierre supplémentaire à l’édifice mais sans jamais un retour sur les fondements. Ainsi, autant que j’en puisse très modestement juger en tant que non habitant du village, en dépit d’avancées techniques absolument uniques depuis un siècle, la physique fondamentales s’est arrêtée depuis la découverte de la relativité et de la physique quantique, chacune résolvant d’un coup un grand nombre de contradictions classiques mais introduisant naturellement de nouvelles contradictions (Platon : « tout ce que l’intelligence humaine peut se représenter enferme des contradictions qui sont le levier par lequel elle s’élève » – Je ne sais pas si la mécanique quantique, dont la forme scientifique actuelle est essentiellement non représentable à l’intelligence humaine, est concernée).
Pour en revenir à l’analyse initiale de FR, ce qui se joue ici est plus important que la science même, c’est la notion de vérité, remplacée un peu partout par la notion d’utilité, que ce soit au sein du village ou des autres modes de publication « grand public ». Tout nous ramène à l’utilité, personne ne songe à la définir. En fait, l’opinion publique règne aussi dans le village des savants. Nous sommes revenus à la Grèce telle que Platon la décrit dans la République, au point qu’il semble décrire notre époque. L’art de persuader, la publicité, la propagande, le cinéma, le journal, la radio, la télé, Google, tiennent lieu de pensée et ont simplement remplacé Protagoras et les sophistes. Malheureusement, il semble que Socrate, Platon, la tradition pythagoricienne nous fassent défaut.
- Comment se crée l’opinion scientifique ?
- Doit-on s’opposer au redoublement pour des raisons scientifiques ?
- La médecine a ses raisons que la raison ne connaît pas
- Grandeur et faiblesses de l’enseignement de spécialité informatique en classe de première : une analyse critique
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
















Quand on travaille avec Geogebra, on ne fait pas des maths 27 octobre 2019
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 7 fois | ajouter un commentaire
Geogebra est un programme qui permet de réaliser simplement des figures géométriques. Il est très utilisé au collège et rencontre un énorme succès (dans tous les manuels scolaires que j’ai consultés, il y a de nombreux exercices ou illustrations où on demande aux élèves de construire des figures ou de “démontrer” des propriétés mathématiques avec Geogebra). Pourtant, à quelques exceptions près, l’utilisation de Geogebra n’a rien à faire en cours de maths (et ceci quelles que soient l’excellence et la qualité du logiciel lui-même). Non seulement l’utilisation d’un logiciel comme Geogebra est inutile, mais elle est contre-productive.

Geogebra empêche les élèves de comprendre la nature même du raisonnement géométrique
En géométrie, la précision de la figure n’a aucune importance. L’élève peut tracer une figure où les cercles sont ovales, les droites courbes, du moment que sa démonstration est exacte. Points, droites, courbes sont uniquement des abstractions, des concepts. La figure est destinée à aider l’élève à raisonner, sa précision est indifférente à la qualité de la démonstration. Erreur de fond n°1.
Il y a confusion entre la précision des figures et la démonstration
L’expression “démontrer avec Geogebra” est parfaitement impropre. Pourtant, elle est couramment utilisée dans un grand nombre de manuels scolaires. La précision de l’ordinateur étant limitée, Geogebra ne peut que montrer que certaines propriétés sont atteintes aux erreurs de l’ordinateur près. Par exemple, si deux points sont confondus sur Geogebra, cela signifie simplement que leur distance est inférieure à l’imprécision des calculs. Ce résultat est évidemment d’une qualité infiniment inférieure à la certitude de la démonstration géométrique qui prouve l’identité des points. Erreur de fond n°2, qui crée la confusion chez un grand nombre d’élèves au collège. En laissant croire que la démonstration peut être tirée de la figure, aussi précise soit-elle, Geogebra (ou du moins son utilisation) crée une barrière entre le raisonnement mathématique et l’élève.
Manipuler Geogebra prend du temps, ce temps est volé aux mathématiques
Les constructions demandées aux élèves leur prennent beaucoup de temps. Et ce temps est pris sur le raisonnement mathématique. Dans un devoir à la maison récemment demandé à mon fils, la manipulation de Geogebra prenait à peu près les deux tiers du temps passé. Or cette manipulation ne tient pas du raisonnement mathématique, mais, au mieux, consiste à apprendre à se servir du logiciel (travail qui tient du secrétariat) et à comprendre les instructions pour construire la figure (travail en soi non inutile, mais qui ne tient pas de la démonstration elle-même et qui n’est pas spécifique à la matière mathématique).
Geogebra nuit à la réflexion mathématique
Lorsque la démonstration n’apparaît pas immédiatement à l’élève, sa recherche passe souvent par la réalisation de figures ou de constructions intermédiaires qui servent de support à la réflexion. Certaines de ces constructions se doivent d’être hypothétiques ou fausses. Par exemple : “Et si ces droites ne sont pas parallèles, que se passe-t-il ?”, etc. Geogebra ne permet pas de construire des figures (visiblement) fausses; le papier et le crayon restent de loin le meilleur support (et le plus souple) pour aider l’élève à réfléchir.
L’esprit des erreurs induites par Geogebra
Un logiciel “amusant”. Pourquoi Geogebra a-t-il un tel succès ? D’abord, il y a l’idée que c’est un logiciel amusant à utiliser pour les élèves, qui leur évite de s’ennuyer, parce qu’il permet de tracer de jolies figures. C’est possible, après tout, mais moi je trouve ceci profondément ennuyeux. Et si c’est le cas, cela justifie l’utilisation de Geogebra en dessin, voire en technologie, mais certainement pas en maths. L’usage d’un tel logiciel en maths est un symptôme du renoncement à enseigner les mathématiques.
Un logiciel “utile”. Il y a ensuite, et surtout, l’idée qu’il faut apprendre des choses “utiles aux élèves”. Et effectivement, avec Geogebra, il est facile d’obtenir la surface, le périmètre “exact” de telle ou telle figure. Ce résultat est communément qualifié d’utile parce qu’il autorise toutes sortes d’applications techniques, comme déterminer précisément la longueur de la barrière nécessaire à clôturer un champ (périmètre) ou sa production (surface). Le problème, c’est qu’accorder de l’importance à cette utilité, c’est s’écarter de l’esprit même des mathématiques. Les applications techniques n’ont nul besoin de l’exactitude parfaite qu’apportent les mathématiques, elles tolèrent en revanche parfaitement l’approximation des calculs de Geogebra.
C’est une idée commune, mais probablement erronée, que de penser que la démonstration a été inventée en vue de son application technique. L’utilité technique des mathématiques n’est qu’une conséquence de l’invention de la démonstration, une conséquence qui d’ailleurs ne cesse d’étonner car points, droites et cercles sont des concepts purs, qui ne peuvent exister dans la nature et donc il est très surprenant que des applications techniques, et finalement tout le progrès scientifique, en surgissent. Tout élève devrait, sans doute au lycée, pouvoir réfléchir à ce paradoxe. L’usage de Geogebra l’en écarte. Les mathématiques ne sont pas là pour apprendre aux élèves des choses utiles, mais des choses vraies.
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Mon intervention au Summit OVH (Pourquoi un cursus Algora pour adultes ?) 15 octobre 2019
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 6 fois | ajouter un commentaire
Manifestation impressionnante d’OVH à laquelle j’étais invité jeudi dernier Porte de Versailles. Pourquoi développons-nous actuellement un cursus Algora pour les adultes ? Et pourquoi spécifiquement pour les non informaticiens ? Quelle est la société #Cloud, basée à Roubaix, qui va expérimenter en premier ce nouveau cursus et quels sont ses objectifs ? Vous le saurez en regardant cette vidéo.
(Et par ailleurs, un intéressant discours de Cédric O, notre nouveau Ministre du N, sur lequel je reviendrai dans un prochain billet.)
Un grand merci à Octave, Steph et toute l’équipe d’OVH.

Le texte complet de l’intervention ci-dessous.
J’ai créé Speechi en 2004 avec pour objectif d’améliorer l’éducation grâce aux nouvelles technologies.
On a commencé avec un logiciel pour aboutir aujourd’hui à un écran interactif géant qui est en train de remplacer le tableau noir dans les salles des écoles et des universités.
Et puis on s’est rendu compte que toutes les entreprises avaient besoin de tablettes tactiles géantes dans leurs salles de réunion pour faire leurs présentations et travailler de façon collaborative et aujourd’hui comme il y a beaucoup plus de salles de réunion que de salles de classe ; nous vendons beaucoup aux entreprises.
Il y a 2 ans, on a ressorti des cartons un développement qu’on avait imaginé en 2014 et dont le but est d’enseigner l’informatique aux enfants avec des petits robots. Ca s’appelle Algora (les écoles Algora) et le but, c’est de se servir des robots pour apprendre aux enfants à programmer. Le robot, c’est un support ludique très utile et très motivant pour les enfants. Et on peut lui faire faire une infinité de choses.
« Donc tu leur apprends à coder, c’est ça ? »
Oui, on leur apprend à coder par opposition à juste être enfermé dans un programme ou une interface conçue par d’autres, comme Windows, Word ou Facebook. Nous, on veut ouvrir le capot des machines numériques et leur donner assez de connaissances pour apprendre non pas à utiliser des programmes, mais à réaliser leur propre programme, leur propre interface utilisateur, leur propre robot
Donc dans le cursus Algora, on a une cinquantaine de robots plus ou moins élaborés, qui aident l’enfant à comprendre le monde issu de la révolution numérique : une voiture connectée, une voiture anti-collision, des machines outils, des scanners… et on leur explique aussi la nature : comment marche une fourmi-robot (ça c’est facile), un chien robot (déjà plus compliqué, 4 pattes) et un humanoïde (déséquilibre permanent, très compliqué !).
On a démarré avec un cursus pour les 10-14 ans et maintenant, avec des algorithmes et des- engrenages très simples, on descend même jusqu’à 6 ans ! En 2 ans, on a ouvert une centaine d’écoles en France.
Mais tu veux le faire aussi pour les adultes ?
Oui, l’idée est la même pour les adultes, de 15 ans à 115 ans. Les adultes n’ont pas eu de formation au codage et ne comprennent pas la source réelle des changements que crée la révolution numérique autour d’eux. Comment fonctionne une Tesla, Google, Siri, une reconnaissance de visage, comment l’ordinateur, une simple machine à calculer, peut battre le champion du monde d’échecs…
Notre programme pour les adultes a pour but de former à la compréhension de l’informatique des gens qui ne seront jamais informaticiens, à titre de culture générale ou pour infuser dans leur travail et générer de nouvelles idées… car le paradoxe est le suivant : tout le monde ne sera pas informaticien mais sans la compréhension des principes de l’informatique, et particulièrement du deep learning, on ne peut plus espérer comprendre le monde, ni y avoir un impact.
Soit nous saurons programmer,
Soit nous serons programmés !
Depuis le début de ce Summit, tout le monde est tombé d’accord pour dire qu’il faut mettre l’éducation au centre. C’est notre seule chance. Mais que faut-il mettre au cœur de l’éducation ?
A chaque âge sa matière. Au Moyen-âge, On apprend le latin qui permet d’accéder à l’étude de la religion, du droit, de la médecine. A l’âge de la Révolution Industrielle, c’est à dire quand la force des machines remplace celle des hommes et des animaux, ce sont les mathématiques et les ingénieurs, qui, permettant de concevoir et développer les machines industrielles, passent au centre. A l’époque de la Révolution Numérique, c’est-à-dire quand le cerveau des machines programmées remplace les cerveaux humains, c’est l’informatique (au sens anglo-saxon de Computer Science) qui devient centrale. Le but n’est pas de créer une génération d’informaticiens, pas plus qu’il ne s’agissait de créer une génération de latinistes ou de mathématiciens. Le but est de pouvoir comprendre et décrypter le monde.
Dire qu’il y a révolution numérique, c’est très exactement dire ceci : sans connaissance du codage, il devient impossible de comprendre et d’organiser le monde qui nous entoure. Pour paraphraser Platon:
C’est pour cette raison, parce que l’informatique est devenue centrale, que nous avons appelé nos écoles Algora. Algo, c’est évidemment l’algorithme et Agora, c’est une référence au cœur de la cité athénienne, à la culture, au savoir classique, dont nous essayons de perpétuer la transmission.
Comme l’Agora est au cœur de la Cité, il faut mettre l’informatique au cœur de l’éducation.
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Grandeur et faiblesses de l’enseignement de spécialité informatique en classe de première : une analyse critique 2 juillet 2019
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 27 fois | ajouter un commentaire
Enseignement de l’informatique : plus rien ne sera jamais comme avant
Pour la première fois, et c’est une grande chose, la science informatique, au sens de programmation, rentre au Lycée en tant qu’enseignement de spécialité dans les nouveaux programmes de première.
Elle n’en sortira plus jamais et dans les 50 prochaines années, sa place ne cessera d’augmenter. J’ai expliqué en long et en large les 2 raisons qui font de l’informatique, depuis 2010, une matière fondamentale, raisons qui ont été à la source de notre investissement dans les écoles de robotique Algora et qu’on peut résumer en quelques mots. 1) Une révolution numérique est en cours, dont les effets seront comparables à la révolution industrielle du XIXème siècle. La liberté des citoyens nécessite la maîtrise des nouveaux moyens de production, celle-ci passant par l’apprentissage de la programmation. 2) Cette révolution traverse toutes les sciences, ce qui fait de la science informatique une matière fondamentale au sens où elle devient nécessaire pour la compréhension des autres domaines scientifiques (biologie, médecine, chimie, physique…). En savoir plus.

Un objectif non professionnalisant
D’abord, le meilleur. « L’objectif de cet enseignement est non professionnalisant ». Dans les raisons que j’ai données ci-dessus, il y a en effet une raison citoyenne émancipatrice (la maîtrise des moyens de production) et une raison scientifique, mais un choix de première généraliste ne peut pas, ne doit pas être une orientation professionnelle. Il ne s’agit pas de former, dès la classe de première, de futurs informaticiens mais, de façon ambitieuse, de donner aux élèves les fondements de l’informatique pour « les préparer les élèves à une poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ».
De façon là aussi très heureuse, le préambule du programme laisse donc toutes les orientations ouvertes. Car faire de l’informatique va profiter à tous les élèves, qu’ils s’orientent vers Sciences Po, une école d’ingénieurs, de médecine ou vers des études plus courtes. J’ai expliqué, dans ce blog, pourquoi le cours d’informatique fondamentale est progressivement devenu le cours le plus suivi dans les universités américaines, toutes filières littéraires et scientifiques confondues.
Un contenu peu réaliste
Le programme d’informatique est très dense, très ambitieux. Ma principale critique sera que je le juge peu réaliste, trop théorique et qu’il faudra en changer la philosophie. Rentrons dans le contenu.
Le langage : Python for ever
“Le langage choisi est Python”. C’est le meilleur choix possible, celui que nous avons fait pour tous nos apprentissages à partir de 14 ans (12 ans pour les enfants suivant un enseignement spécifique en informatique). J’ai expliqué dans cet article récent (“In Python we trust”) les raisons de ce choix.
Le programme : entre Master et doctorat ?
La richesse du programme proposé a un côté ahurissant, gargantuesque. Huit grands thèmes sont définis[1].
Disons-le tout net, ce programme, la plupart des ingénieurs ayant suivi une information Bac + 5 en informatique ne le maîtrisent pas (même si, je sais, ils devraient !). Les élèves sortant des grandes écoles ne le maîtrisent pas non plus. C’est un programme impossible à assimiler en 4h de cours par semaine (sauf si, parallèlement à ces cours, les élèves menaient de leur côté 10 à 20 h de travail personnel, ce qui n’est évidemment pas prévu). Seul un quart du total de temps de classe est consacré à des projets, ce qui est en fait très peu. On pourrait en fait parfaitement proposer ce programme, presque tel quel, dans le cadre d’un master informatique… Premier défaut, donc.
Un programme trop abstrait
Le deuxième problème est que ce programme est extrêmement théorique et abstrait.
J’ai beaucoup critiqué dans ce blog l’évolution de l’enseignement des maths depuis 30 ans. Pour soi-disant préserver les élèves de l’ennui, on a tenté, de façon très artificielle si ce n’est ridicule, de faire résoudre des problèmes « pratiques » ou « concrets » aux élèves, avec pour résultat qu’on n’intéresse plus personne et qu’on ne fait plus vraiment des maths[2].
A l’inverse, l’informatique est une matière concrète où la réalisation pratique (le fonctionnement du programme créé) est toujours très importante. Qui plus est, cette réalisation, nous le voyons tous les jours dans nos écoles Algora, intéresse les élèves de façon tout à fait prodigieuse. En se focalisant largement sur les aspects abstraits et théoriques de la matière, on perd de vue son essence et on prend le risque de dégoûter largement les élèves.
Un programme trop ancien pour “renverser la table”
On a l’impression en fait que les rédacteurs du programme, qui ont évidemment une grande connaissance personnelle de l’informatique, ont hésité à « renverser la table » en tentant d’instaurer un programme réellement innovant. Tous les thèmes du programme abordés pouvaient être enseignés tels quels dès les années 80, à l’exception du Web qui date des années 90 et donc, ce programme informatique rate en quelque sorte l’essentiel de la révolution numérique, qui correspond à des technologies postérieures aux années 2000[3]. Or c’est avant tout cette révolution numérique qui justifie l’enseignement de l’informatique en première[4] – en n’enseignant pas les technologies qui la sous-tendent, on fait en quelque sorte fausse route.
Ainsi l’intelligence artificielle (sous l’angle deep learning), les algorithmes de recommandation ou de classement (du moteur Google à la recommandation commerciale effectuée par des sites comme Amazon ou Adwords), des exemples tirés de la nature (comportements émergents, CRISPR), des exemples d’interaction avec d’autres matières fondamentales (expériences CRISPR, expériences physiques élémentaires) ou même la blockchain ne sont pas abordés[5]. Or il est possible dans tous ces cas, si on renonce au côté purement théorique des choses, de faire réaliser aux élèves des programmes extrêmement intéressants, ayant un intérêt pratique extraordinaire[6] et permettant souvent de faire communiquer différentes matières entre elles[7][8]. De telles réalisations ont en outre l’intérêt de faire manipuler aux élèves des bibliothèques développées par d’autres programmeurs, cette technique de génie logiciel étant une des clés de l’informatique actuelle et de la révolution numérique.
Les professeurs de lycée ne peuvent pas enseigner ce programme.
Rappelons qu’il n’existe à ce jour pour ainsi dire pas de professeurs d’informatique dans les établissements. Le CAPES d’informatique vient tout juste d’être créé (10 postes !) et il faudrait des milliers de postes pour combler ce manque. Or les professeurs de mathématiques, qui seront le plus souvent en charge de l’enseignement de spécialité, ne comprennent pas de quoi il en retourne, puisque les notions enseignées relèvent typiquement du niveau maîtrise en informatique. Rares, très rares, seront aussi les professeurs de technologie capables d’enseigner ce programme.
Compte tenu de la rareté des ressources humaines, il aurait sans doute fallu pour une fois être très directif et aller même jusqu’à imposer certains TP « types » ou certaines façons de traiter les sujets pour les premières années de mise en route de l’enseignement informatique. Au lieu de ceci, le programme préconise « de laisser le choix du thème du projet aux élèves eux-mêmes », belle idée, certes mais irréaliste dans ce contexte de lancement et qui risque de mener à de grandes déceptions, quel que soit l’immense attrait de la matière
Et après ? La place de l’informatique dans Parcours Sup et les admissions aux filières sélectives
Les élèves voulant s’orienter vers des filières sélectives choisiront presqu’automatiquement aujourd’hui l’enseignement de spécialité en mathématiques (qui remplace donc de fait l’option S). Ceci concerne non seulement les classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs mais aussi des concours tels que médecine, par exemple, ou les classes préparatoires commerciales. Ou même, comme nous l’avons vu plus haut des “concours” tels que Sciences Po.
Il faudrait dès aujourd’hui, pour tous ces concours, ajouter des filières spécifiquement informatiques (correspondant au suivi des enseignements de spécialité dans la voie générale) et augmenter de façon significative les places réservées à ces nouvelles filières. Le potentiel d’un enseignement informatique à jour et de qualité pour des étudiants en médecine ou pour des études commerciales, politiques ou juridiques est immense. [9].
- [1] Histoire de l’informatique (de l’antiquité à Internet !). [Ce qui exclut, notons le, le deep learning, à la base pourtant de la révolution numérique en cours].
- Représentation des données (calcul binaire, opérateurs logiques, représentation des entiers, réels, chaines de caractères en machine, ASCII, Unicode…)
- Types abstraits (p-uplets, tableaux, dictionnaires clés / valeurs)
- Traitement des données en tables (indexation, recherches, tris)
- Web (HTML , JavaScript, serveurs d’application, post / get)
- Architecture des ordinateurs (composants, langage machine, réseaux, modèle en couche, paquets, TCP/IP, systèmes d’exploitation, périphériques d’entrée / sortie)
- Langages et programmation (y compris test et bibliothèques)
- Algorithmique (complexité des algorithmes tels que recherche, tri, proches voisins, dichotomie, optimal local)
[2] A noter que les nouveaux programmes 2019 de spécialité de première en mathématiques corrigent la plupart des erreurs faites depuis 20 ans et « reviennent », grosso modo, aux contenus de 1995 de première S, ce qui est une excellente chose… sauf peut-être pour les élèves entrant en première en septembre 2019 qui vont avoir l’impression de sauter une ou deux classes !
[3] A noter qu’on peut faire presque le même reproche aux programmes d’informatique générale enseignés dans la première année universitaire de la plupart des universités américaines, dont les auteurs du programme semblent s’être inspirés. Par exemple le cours CS106 à Stanford.
[4] Pour faire une analogie parlante, celle de la révolution industrielle du XIXème siècle, on n’imagine pas l’enseignement de la thermodynamique en classes préparatoires avant l’invention de la machine à vapeur, qui par ses effets change radicalement les moyens de production. Ainsi, pour une matière telle que l’informatique, c’est le changement radical sur la production qui justifie sa mise au programme.
[5] Là aussi, des TP simples matérialisant une blockchain peuvent être simplement proposés et réalisés. Mais il faut alors évidemment renoncer au côté purement théorique de l’algorithme, algorithme qui sera de toutes façons abordé et compris tôt ou tard par tout élève effectuant des études supérieures scientifiques.
[6] Développer un algorithme “deep learning” qui s’améliore en jouant contre lui-même dans le cadre d’un jeu simple est élémentaire
[7] Exemple de CRISPR pour la biologie. On peut aussi logger diverses expériences de physique avec des techniques de robotique élémentaires
[8] Il est à craindre que compte tenu du programme proposé, la seule technologie radicalement nouvelle proposée aux élèves sera celle des objets connectés, qu’on peut aborder via les robots par exemple. C’est trop peu.
[9] Le programme de la spécialité informatique des prépas scientifiques date lui aussi “d’avant la révolution numérique”, fait une trop large part aux “mathématiques appliquées” et doit être renouvelé. Il en est de même – bien que le niveau en soit nettement supérieur – de l’option informatique de l’agrégation de mathématiques
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My tailor.e is rich.e 29 avril 2019
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 4 fois | ajouter un commentaire
Alors voilà, chez Hatier, elles et ils ont trouvé le moyen de rédiger leur dernier manuel d’anglais en écriture inclusive. Celles et ceux qui liront ce chef d’œuvre seront donc ravi.e.s d’apprendre que :
Les auteur.e.s tiennent à remercier tou.t.es les élèves qui ont testé le manuel en classe
– effectivement ça a dû être un très très gros effort pour elles et eux, vu le style d’écriture. Je doute qu’on ait observé la moindre progression en anglais cependant : le jargon inclusif inclut tout le monde, sauf les lecteur.rice.s et les élèves. Mais Hatier se préoccupe-t-il encore du niveau des élèves ? J’en doute.

Noblesse oblige, le manuel est rédigé dans un jargon diafoireux parfait. Ainsi, « Chaque chapitre propose des exercices basés sur des documents » devient, pour les génies insondables qui ont rédigé la préface, la sentence ci-dessous que j’invite tou.te.s celles et ceux qui la liront à méditer, après avoir respiré un grand coup :
Vous travaillerez toutes ces activités langagières à travers l’étude des documents de chaque unité. Nous incluons également des propositions de médiation à l’articulation de ces activités langagières !
Autant que je puisse en juger à la lecture du specimen en ligne, les thèmes proposés aux élèves tiennent du préchi-précha militant.
Quelques axes thématiques proposés:
- How do stereotypes impact women empowerment ? (document associé : les stéréotypes de genre dans la pub).
- How are native americans (il s’agit des indiens) represented in the USA ? (ma suggestion personnelle de réponse, pour les élèves qui hésitent: “pas bien, pourraient faire mieux”)
- Does rap rhyme with poetry ? (commentaire associé du bouquin, histoire de bien induire la réponse chez l’élève, limite réac et suicidaire, qui hésiterait: “et si le rap, expression d’une émotion à travers les mots, était une forme moderne de poésie ?”
Le reste à l’avenant.
Il y a quelque chose de pourri, de malade quand un manuel scolaire, destiné à des enfants ou à des ados, devient le vecteur d’une idéologie militante au détriment de la clarté de l’expression et de l’enseignement.
Toubib, or not toubib ?
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