Alain Juppé n’est pas Pierre Mendès France 6 novembre 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 827 fois | ajouter un commentaire
« Celui qui est devant vous, et dont le sentiment sur le problème de l’Indochine n’a pas varié, fait appel, pour le soutenir, à une majorité constituée par des hommes qui n’ont jamais directement ou indirectement épousé la cause de ceux qui nous combattent, d’hommes qui, en conséquence, peuvent revendiquer la confiance de nos soldats et négocier en toute indépendance avec l’adversaire. »
Pierre Mendès-France, discours d’investiture, 1954
En 1954, quand Pierre Mendès France fut investi Président du Conseil pour mettre fin à la guerre d’Indochine, il refusa de comptabiliser les voix communistes. Tout soutien est une dépendance politique. Il considéra que, les communistes étant depuis des années devenus des alliés objectifs de l’ennemi, accepter leur soutien aurait été une forme de trahison de la nation qui lui lierait les mains dans la négociation qui allait s’ouvrir.
Le problème qui se pose aujourd’hui dans les élections primaires de la Droite est rigoureusement identique et les sarkozystes ont tout à fait raison de le signaler (à ceci près, qu’évidemment, la leçon de gouvernement classique donnée par PMF est remplacée par une sorte de tragi-comédie ridicule : passer de PMF à Sarkozy, c’est comme passer de Corneille à Marivaux).
François Bayrou a depuis longtemps trahi les intérêts de la Droite et a appelé à voter Hollande contre Sarkozy en 2012. Il appelle aujourd’hui à soutenir Juppé mais précise que si Juppé n’est pas choisi, il ne respectera pas le résultat de l’élection et jouera alors son propre jeu contre celui de la Droite.
Le risque qu’encourt Juppé est double. Outre le problème moral évident, le soutien qu’il accepte de Bayrou est une mise sous dépendance, qui le privera de moyens futurs d’agir.
La position de PMF peut sembler au départ irrationnelle, puisqu’elle peut conduire à échouer dans la conquête du pouvoir. En réalité, c’est la seule position rationnelle possible, celle qui permet de faire quelque chose quand on est au pouvoir. L’échec du quinquennat actuel de François Hollande est inscrit dans la multiplicité des soutiens ambigus et irréconciliables (Verts, Front de Gauche, Frondeurs, Gauche libérale, Modem, etc…) qui ont empêché le Président de gouverner dès le premier jour.
Si Juppé ne veut pas tomber dans ce double piège, il devrait refuser publiquement le soutien de Bayrou, demander aux électeurs du Modem de ne pas se déplacer. Ceci jusqu’à ce que Bayrou s’engage lui-même publiquement à soutenir le vainqueur de l’élection primaire, quel qu’en soit le résultat.
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Céline Alvarez, Maria Montessori, Mlle Grenier, la Belle et Lumineuse Nature et moi 8 octobre 2016
Par Thierry Klein dans : Speechi.Lu 2 fois | ajouter un commentaire
En 1967, mon institutrice de maternelle, Mlle Grenier, a testé la méthode de lecture Montessori. Aux vacances de pâques, j’ai lu mon premier livre de bibliothèque rose à la grande joie de mes parents (même si, rétrospectivement, ma virilité a un peu de mal à assumer qu’il s’agissait de « Blanche-Neige »).
J’avais appris à lire sans avoir à fournir le moindre effort, du moins est-ce l’impression qui, aujourd’hui, m’en reste. Dès le mois d’avril 68, je lisais parfaitement, très rapidement, naturellement à la différence des autres enfants que j’ai pu côtoyer ensuite qui, le plus souvent, déchiffraient laborieusement les textes ; pour certains jusqu’en classe de 3ème.
A la fin de l’année, cinq autres élèves étaient dans mon cas et lisaient parfaitement. Tous les autres enfants de ma classe de maternelle étaient capables de déchiffrer, mais de façon plus lente.
J’ai toujours pensé que cette faculté de lire « automatiquement » avait été une grande chance pour mes études. Conjecture : comme je lisais parfaitement, une toute petite partie de mon cerveau était mobilisée pour la compréhension des mots, le reste était libre pour tout ce qui était plus compliqué, la compréhension du sens réel, l’élaboration, la création, la critique… Toutes ces capacités, j’ai pu les développer très tôt grâce à Mlle Grenier, même si ce n’était plus dans sa classe. L’avance prise à quatre ans augmente mécaniquement avec le temps, c’est injuste mais c’est comme ça. Et c’est pourquoi l’école primaire est si importante.
Je me souviens qu’à la fin de l’année scolaire, Mlle Grenier a été inspectée. C’est la seule fois où nous avons entendu monter le ton dans la classe – mon institutrice était une femme décidée, mais douce et discrète. L’inspecteur lui a fait la remarque que sa méthode n’était pas autorisée et lui a demandé de ne plus l’utiliser. Mlle Grenier a objecté que six enfants lisaient déjà couramment, que les autres déchiffraient. Ce n’était pas si mal pour une classe de maternelle où le temps consacré à la lecture n’avait pas été très important – nous jouions avec les fameuses cartes de 15 mn à 1h par jour. Mlle Grenier a dû arrêter, en fin d’année, cet enseignement.
Quarante ans plus tard exactement, en 2007, quand ma fille a eu quatre ans, j’ai acheté le kit Montessori. Constitué d’une grosse boîte à chaussures et de quelques cartes cartonnées, cela ne nécessite aucun moyen contrairement à ce que je lis dans cet article consacré à Céline Alvarez, qui aurait bénéficié de 10 000 € de matériel pédagogique et d’une assistante d’éducation « rompue à la méthode Montessori ». Sans parler du fait que Céline Alvarez serait « capable de travailler 100 h par semaine ». Quand on m’annonce de de telles performances, j’ai immédiatement, dans un coin de ma tête, une cloche qui résonne (raisonne) en tintant « Propagande, propagande ! ».
J’ai dû passer 10 mn par jour avec ma fille, qui alors, en maternelle, ne suivait aucun apprentissage de la lecture. J’ai reproduit strictement la méthode qu’avait, dans mon souvenir, appliquée Mlle Grenier et vous savez quoi ? A la fin de l’année, ma fille lisait correctement ! Je précise que je n’ai aucune expérience pédagogique. La grande modestie qui me caractérise m’oblige de plus à admettre que, de l’avis général, y compris malheureusement de celui de mes enfants et de ma femme, je suis un piètre pédagogue. Bien entendu, je suis intimement convaincu que ma fille a une « belle et généreuse nature » (comme son père) mais je suis donc loin d’être persuadé, comme Céline Alvarez, que mes techniques pédagogiques aient contribué à révéler cette dite nature !
Deux ans plus tard, mon fils a repris la « boîte à chaussure » et a commencé avec Montessori. J’avais moins de temps pour lui, à cette époque. Je rentrais assez tard le soir, lorsqu’il était déjà couché. J’ai eu la chance de trouver cette petite application qui mettait en œuvre la méthode Montessori sur une tablette iPad, avec les deux grands avantages suivants (dont j’ai pris conscience au fil du temps):
- la méthode Montessori nécessite habituellement la supervision d’un adulte qui « vérifie » les mots et valide le passage des niveaux. Sur tablette, l’application propose les mots et permet à l’enfant de franchir les niveaux presque sans assistance.
- Le temps de l’adulte limite habituellement le nombre de mots proposés à l’enfant, or plus l’enfant écrit de mots, plus vite il apprend à lire. La tablette peut proposer un nombre quasi-infini de mots à l’enfant, qu’elle rend « accro » et cette dépendance permet de progresser. Si je voulais donner un semblant de caractère psy à mon discours, je dirais que la dépendance à la machine remplace de façon avantageuse le transfert au professeur.
C’est le seul exemple que je connaisse où l’usage d’une tablette, et l’addiction dans laquelle elle enferme l’enfant, a un effet positif sur l’apprentissage (1).
En avril, mon fils savait lire correctement. Et il avait appris presque tout seul, avec un iPad.
C’est dire si je ne suis que peu surpris des résultats que Céline Alvarez a obtenus avec sa classe. Je n’ai en fait jamais compris pourquoi cette méthode n’avait pas été plus développée, ou au moins testée, par l’Education Nationale. Il n’y a pas besoin d’invoquer une expérience quasi-mystique, comme le fait Céline Alvarez, qui visiblement a roulé fin-fin-fin les fameuses cartes en papier, fourré pas mal de moquette à l’intérieur et fumé le tout en hommage à la « Belle et Lumineuse Nature ». Il n’y a pas besoin non plus d’adhérer aux autres préceptes ou théories de Maria Montessori – la méthode de lecture elle-même peut-être isolée de tout cadre pédagogique plus ou moins grandiose et mérite d’être testée en tant que telle.
Je précise que la méthode Montessori est une méthode syllabique, non globale, qui consiste en fait à apprendre à écrire les mots. La capacité à les lire vient automatiquement ensuite, « gratuitement » pour l’enfant, comme une sorte de bénéfice secondaire. Jamais l’enfant n’apprend à lire mais à un moment, il « sait ».
L’Education Nationale manque toujours, paraît-il, de « données scientifiques concernant les résultats obtenus » – cela fait au moins quarante ans (en fait 100 ans pour Montessori) que ça dure, il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Cela a pour conséquence de transformer des débats qui devraient être purement techniques en des affaires politiques, voire mystiques.
Ajout : un cas d’école pour l’évaluation aléatoire
C’est précisément pour faire bouger les lignes qu’en 2012, j’ai lancé, chez Speechi, le développement de notre logiciel d’évaluation sur tablettes « Je Lève La Main ». Le but est de pouvoir facilement et rapidement tester et comparer les résultats de différentes classes utilisant des méthodes pédagogiques différentes et de se servir des résultats obtenus pour influencer les politiques pédagogiques. D’éviter la mise en place à marche forcée de réformes potentiellement destructrices (réforme du collège, réforme des rythmes scolaires) sans expérimentation – alors que cette expérimentation pourrait être menée de façon non destructrice, peu coûteuse et légère en quelques semaines. De petit à petit transformer la pédagogie, qui est aujourd’hui un art, en une science expérimentale.
J’avais clairement en tête, dès le départ, l’application de cette méthode expérimentale à la méthode Montessori qui présente un double intérêt : elle est facilement évaluable et c’est, dans sa version numérique, une application utile (la seule ?) des tablettes à l’école.
Dans l’état actuel de notre logiciel, si quelques dizaines d’enseignants de maternelle et leurs élèves disposent de tablettes pour leur enseignement, il serait ainsi facile de répondre de façon rigoureuse, en quelques semaines à quelques mois, aux questions suivantes :
- La méthode Montessori permet-elle d’apprendre à lire plus ou moins rapidement que les méthodes syllabiques traditionnelles ?
- L’application Montessori sur tablette permet-elle d’accélérer l’apprentissage ?
- L’apprentissage par Montessori a-t-il un impact sur l’orthographe des élèves (je conjecture que oui, car les élèves apprennent à écrire avant de lire. Cela peut aussi, grâce au logiciel que nous avons créé, être évalué).
- L’apprentissage par Montessori développe-t-il le goût pour la lecture ? (Je conjecture aussi que oui, mais cela peut et doit être évalué).
Si des enseignants dont la classe est équipée en tablettes lisent cet article, je le leur lance d’ores et déjà un appel, qu’ils utilisent une méthode traditionnelle, Montessori ou globale.
(1) Pour en savoir plus sur l’introduction des usages de l’informatique à l’école, voir ce document, page 2 (“Une promesse coûteuse et non tenue”)
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Je n’écris pas ton nom 20 septembre 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 503 fois | ajouter un commentaire
Les gaulois ne sont pas nos ancêtres.
La terre n’est pas non plus bleue comme une orange.
Léopoldine n’attendait pas vraiment Victor.
Et si ça se trouve, Adam n’est même pas rouge.
Plus rien, évidemment, à écrire sur les cahiers d’écolier, les images dorées, sur les armes des guerriers, sur la couronne des rois.
Les métaphores seront interdites, seules les anaphores seront permises.
François Hollande est en campagne et Najat Vallaud-Belkacem est son prophète porte-parole.
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La diffamation est un cri qui vient de l’Intérieur 27 juillet 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 803 fois | ajouter un commentaire
Dire qu’attaquer la compétence de Cazeneuve, en tant que Ministre de l’Intérieur, c’est attaquer l’institution elle-même (pêle-même, « le travail des policiers, des magistrats, leur honneur, etc.. »), c’est toujours, finalement, nous refaire le coup de l’Affaire Dreyfus où le comportement des personnes ne pouvait être mis en cause sans que l’honneur de l’Armée ne fût touché. La France a tranché, heureusement, depuis longtemps sur ce sujet. Attaquer la compétence d’une personne, aussi haut placée soit-elle, ne remet évidemment pas en cause le travail, ni l’honneur, de l’institution elle-même. L’honneur de l’institution est en revanche atteint quand elle essaie, au détriment de la vérité, de masquer les erreurs d’une personne.
Attaquer la compétence du Ministre n’est pas non plus une « vilénie ». C’est un acte presque banal en démocratie. Les termes employés en défense par Bernard Cazeneuve me semblent tout à fait excessifs et parfois presqu’hors propos, quelles que soient les motivations de ses adversaires politiques.
Il y a évidemment plusieurs points sur lesquels Cazeneuve doit se justifier. D’abord, la difficulté à nommer le type d’attentat auquel il avait affaire. Alors que Valls parlait de terroriste islamique dès le lendemain de l’attentat de Nice, Cazeneuve n’osait se prononcer. Puis, devant l’évidence, il a parlé de terroriste radicalisé « très rapidement », presqu’instantanément – on sait qu’il n’en était rien et que le projet terroriste remontait à plusieurs mois. Déni initial, puis déformation de la réalité. Sans même parler des défaillances éventuelles du dispositif, le Ministre devrait pouvoir se justifier, au moins lors d’interviews, sur ce point.
Cazeneuve se répand sur les plateaux en affirmant sa peine, sa motivation, assurant qu’il met toute son énergie en oeuvre pour obtenir des résultats, etc. Mais c’est bien le moins ! On ne doute nullement de sa motivation, on doute de sa compétence. Il y a eu 80 morts, jouer à l’homme blessé dans sa respectabilité a un côté indécent et quand on est Ministre de l’Intérieur, crotte !, on assume les attaques et on y répond « au fond ». Les états d’âme pleurnichards de Cazeneuve n’ont aucun intérêt public.
Depuis 30 ans, y a-t-il eu une instruction sans fuite ? Les fuites de l’instruction sont monnaie courante en France et sans doute (je prends mes précautions) organisées parfois par l’instruction elle-même. Dans ce contexte, la saisie des bandes au nom du secret a un côté presque comique. Autant les confier directement à des journalistes !
Comique aussi (enfin presque, compte tenu du contexte) l’argument employé de la saisie au nom de la préservation émotionnelle des victimes. Les victimes en ont, malheureusement, vu bien d’autres et je ne vois pas bien en quoi la simple visualisation du dispositif policier le soir de l’attentat, au cas où elle fuiterait, serait si traumatisante.
L’enquête en diffamation est confiée au Procureur de Paris et tous les amis politiques du gouvernement louent son intégrité et son indépendance. Mais le Procureur, membre du Parquet, dépend hiérarchiquement du Ministre de l’Intérieur et donc ne peut qu’instruire, par construction, en sa faveur. Seul le juge statuera de façon indépendante. La plainte est déposée par Bernard Cazeneuve en son nom personnel et par le Ministère, mais je n’ai pas connaissance de la moindre déclaration de la policière sur le Ministre en tant que personne et donc en quoi s’estime-t-il diffamé ?
Ajout 21/09/2017: comme on pouvait s’y attendre, le juge a estimé qu’il n’y avait pas diffamation. Bernard Cazeneuve, sans doute un des ministres de l’Intérieur à s’être le plus abrité derrière l’état de droit pour justifier son impuissance, semble bien avoir tenté de passer en force sur ce sujet.
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Jean-Claude Juncker, vulgaire amoureux déçu. 25 juin 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 811 fois | ajouter un commentaire
Jean-Claude Juncker réagit comme le plus vulgaire des amoureux déçus, alors qu’il faut tendre la main.
« Ce n’est pas un divorce à l’amiable mais après tout ce n’était pas non plus une grande relation amoureuse »
L’ignorance totale de la notion de grandeur empêche souvent les dirigeants de prendre les bonnes décisions politiques. On attend maintenant la réaction de Hollande.
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Ca va vraiment mal pour Yahou 4 mars 2016
Par Thierry Klein dans : Non classé.Lu 2 079 fois | ajouter un commentaire Billets associés :
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Copé, la victime émissaire et le misanthrope 3 mars 2016
Par Thierry Klein dans : Critiques,Politique,René Girard.Lu 2 592 fois | ajouter un commentaire
Copé s’est abondamment présenté, sur tous les plateaux télé, comme une « victime innocente, un bouc émissaire » en précisant bien lourdement qu’il entendait ces termes au sens de René Girard. Pour Girard, les hommes, soumis au désir mimétique, ont tendance à expulser la violence à certains moments de leur histoire en désignant arbitrairement une victime émissaire, en la tuant, puis en la divinisant car, le meurtre de la victime ayant miraculeusement ramené le calme dans les rangs, des pouvoirs surnaturels lui sont ensuite attribués.
Dans les peuplades primitives, la victime émissaire était probablement dépecée et mangée, et le sort de Copé, exclu de l’UMP certes, mais toujours à même de pérorer sur un plateau, reste donc éminemment enviable.
Mais surtout Copé, qui n’a sans doute pas bien lu Girard, s’il l’a vraiment lu, oublie que la victime émissaire n’est, chez Girard, nullement innocente. Elle est désignée, certes, de façon arbitraire mais elle fait partie de la horde dévorante et aurait avec joie participé à la fête générale si une autre victime avait été choisie. La victime est littéralement partie prenante au massacre, parfois même comme Oedipe, convaincue de sa propre culpabilité. Elle n’a pas un statut supérieur aux autres, elle ne détient aucune vérité : elle a juste manqué de bol.
La seule victime innocente, pour Girard, c’est le Christ. Pour les autres, le simple fait de se croire, comme Jean-François Copé, différent des autres, séparé, innocent, incapable de faire le mal, de trahir est un très fort indice d’appartenance à la meute. C’est Pierre, qui a déclaré qu’il ne renierait jamais Jésus – et pour Girard, parce qu’il l’a déclaré, qui justement le renie avant que le coq ne chante trois fois.
Pour Girard, ce meurtre originel est fondateur de toute culture. Nous noterons simplement qu’il ne semble pas avoir augmenté la culture de Jean-François Copé.
Copé a aussi cité, pour preuve de sa grande sincérité, ces vers du misanthrope:
« Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent.
Morbleu : Sorte de jurement en usage
même parmi les gens de bon ton.
Morbleu ! C’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme »
Mais Copé n’a visiblement pas bien lu Molière non plus, s’il l’a vraiment lu. Car ce que la pièce met en évidence, c’est que le misanthrope n’est qu’un accablant donneur de leçons, qui se leurre lui-même sur sa soi-disant sincérité. Célimène, le personnage de loin le plus brillant de la pièce, montre qu’il n’est qu’un snob qui se cache et que sa prétendue misanthropie n’est qu’une posture.
« Il penserait paraître un homme du commun,
Si l’on voyait qu’il fût de l’avis de quelqu’un.
L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui. »
Son snobisme est de nature profondément mimétique, au sens Girardien du terme (VRAIMENT Girardien, cette fois-ci). Au lieu de copier le désir d’autrui, le misanthrope l’inverse, ce qui est exactement la même chose et il se cache à lui-même cette dépendance aux autres. Ce n’est pas un hasard si Girard a découvert sa théorie sur le désir mimétique dans quelques grandes œuvres de la littérature.
Le misanthrope, sous le coup du désespoir il est vrai, pousse même la bassesse d’âme jusqu’à tenter de corrompre Célimène et lui demande de lui mentir, ce qu’elle refuse:
« Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
Et je m’efforcerai, moi, de vous croire telle. »
Bref, si on s’en tient aux déclarations de Jean-François Copé, il est difficile de savoir s’il a changé ou pas. Il est facile, cependant, de prouver qu’il n’a pas compris les oeuvres qu’il cite.
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