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Sur la façon dont le gouvernement communique à propos de la réforme du collège 12 mai 2015

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Ce premier billet sur la réforme du Collège  traitera exclusivement de la forme (c’est-à-dire du style de communication employé par le Ministère). Les arguments de fond seront développés dans d’autres billets à venir.

Un des arguments principaux de la Ministre de l’Education Nationale sur cette réforme est que les « pseudo-intellectuels » l’ont mal lue ou même (honte à eux !) pas lue du tout, alors que toutes les informations étant disponibles sur le site de l’Education Nationale,  » il est possible à chacun de les consulter et de se faire sa propre idée en connaissance de cause ».

Une réforme en réalité peu accessible (pour ne pas dire inaccessible).

La réalité est un peu différente. Sur  le site de l’Education Nationale, vous tombez immédiatement sur une suite d’articles de vulgarisation (pour ne pas dire simplistes) et d’infographies (pour ne pas dire bandes dessinées) justifiant la réforme des programmes. Ces articles sont, au sens propre du terme, des articles de propagande puisqu’ils servent à vous vendre la réforme en une page ou deux sans renvoyer, ne serait-ce que sous forme de lien, vers le contenu  précis de la réforme.

Certains liens du site du Ministère renvoient même directement vers le site personnel dédié à la promotion de la Ministre, bref la confusion entre information et propagande est totale.

 

Refore College

Pour accéder au texte intégral de la réforme, j’ai dû, il y a trois semaines, passer quinze bonnes minutes à naviguer sur le site de l’Education Nationale.  Ce qui veut dire que sans un intérêt aigu, de nature presque professionnelle pour le sujet, j’aurais renoncé à chercher le programme et me serais contenté des messages de propagande. J’estime que plus des 95% des visiteurs du site ont fait de même[1] et donc n’ont pas eu accès au texte intégral de la réforme.

Je ne sais pas si cette dissimulation de fait est le résultat d’une volonté politique, d’une simple incompétence ou du besoin inconscient de masquer les textes originaux tellement, nous le verrons dans les prochains billets consacrés au fond de cette réforme, ceux-ci contredisent en tous points les déclarations de la Ministre et les articles d’explication du site de l’Education Nationale.

[Ajout 11 mai :  La grande honnêteté qui me caractérise, probablement couplée au fait que je suis tout sauf un pseudo-intellectuel, m’oblige cependant  à préciser que depuis ce matin, la réforme est accessible en 3 clics à partir du blog des actualités du site.]

Une réforme peu lisible (pour ne pas dire illisible).

Peut-être beaucoup de pseudo-intellectuels n’ont-ils donc pas lu la réforme. Il leur sera cependant beaucoup pardonné car le texte intégral en est, en grande partie, illisible – c’est à se demander si lui aussi n’aurait pas été rédigé par des pseudo-intellectuels !  Je reprends quelques exemples pour la plupart déjà largement publiés dans la presse, car c’est toujours bon de rire un peu.

« traverser l’eau en équilibre horizontal » (en français ancien, signifie « nager »)

«vaincre un adversaire en lui imposant une domination corporelle symbolique et codifée» (en franco-anglais ancien, « match »)

« produire des messages à l’oral et à l’écrit » (en français ancien, signifie écrire et parler)

« aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs » (intraduisible. La langue française n’est visiblement pas assez riche pour traduire la profondeur insondable de la pensée des rédacteurs du programme).

« l’éducation aux media, organisée de façon spiralaire » (les mots me manquent là aussi pour bien vous faire sentir toute la profondeur du concept. Mais je ne suis probablement qu’un pseudo-intellectuel).

On est bien sûr  ravi de noter que « «l’inflation terminologique doit être évitée» (programme de français). Et on se demande ce qu’il en aurait été dans le cas contraire.

Un texte de réforme sans véritable contenu spécifique.

Personne à ma connaissance n’a encore remarqué ce point : la réforme, telle qu’elle se présente, manque tellement de précision qu’elle ne peut être valablement contredite. 

Dans certaines matières, les textes sont tellement vagues qu’ils ne définissent en fait pas grand-chose. Par exemple, dans le projet de programme pour le cycle 4 du 9 avril et qui ne compte pas moins d’une soixantaine de pages, je vous invite à aller consulter le programme de français (pages 10 à 16) pour constater qu’au final, ce programme n’impose rien au professeur (c’est la liberté pédagogique poussée à son summum). Six pages touffues et jargonnantes sans imposer aucune œuvre spécifique à lire (puisqu’on doit simplement « puiser dans toutes les époques » !).

Et je défie, par exemple, quiconque de pouvoir vérifier qu’en fin de cycle l’élève sait « Mobiliser en réception et en production de textes les connaissances linguistiques permettant de construire le sens d’un texte, le rapport au genre littéraire, à la forme de discours, au type de texte. »

Le cas du programme d’histoire.

Le programme d’histoire / géo s’étend lui sur 5 pages. Nous sommes contents d’apprendre, dans les deux premières que les heureux élèves devront « se repérer dans le temps » et « se repérer dans l’espace ». Ils sauront « comprendre et analyser un document », « raisonner » et « pratiquer différents langages en histoire / géographie » , « coopérer » et « mutualiser ».  La description de ce que signifient exactement tous ces termes prend 3 pleines pages, écrites de telles façons qu’elles pourraient s’appliquer aussi bien à des élèves de licence que de CM1 (autrement dit, ce sont des déclarations d’intention vagues et non spécifiques, qui n’engagent aucun enseignant à rien).

Le programme d’histoire lui-même (thèmes étudiés) tient sur moins d’une page (pour 3 années d’étude !). La moitié des thèmes proposés sont facultatifs.

Au final, si on enlève du programme les déclarations d’intention, les objectifs (si vagues, jargonnants et prétentieux qu’il n’en sont pas), et toutes les parties non spécifiques qui ne définissent absolument rien, la réforme des collèges tient dans cinq à dix pages –elles même très floues et imprécises.

L’Administration au pouvoir

Le fait qu’il n’y ait « rien » dans ce texte, sert un double objectif politique. Celui du Ministre, qui devra non pas enlever des parties du texte mais en rajouter pour neutraliser certaines critiques et arriver à un compromis sans avoir le moins du monde l’air de reculer. Divers points de repli ont visiblement été prévus et Najat Vallaud-Belkacem, depuis une semaine, « consulte » et communique sur le fait que les programmes demandent à être « tout simplement discutés et précisés ».

Celui de l’Administration, qui a écrit ce texte pour son propre compte, dans sa propre langue si caractéristique, et qui de fait dirigera son application. Comme le texte ne dit rien, toute latitude lui est ainsi laissée pour l’interpréter « comme il faut » et orienter la future politique éducative. Les ministres passent, l’administration de la rue de Grenelle reste.

Qui n’a pas d’objectif ne peut pas échouer.

Dans cinq ans, si la réforme s’applique, personne ne pourra jamais prouver son  succès ou son échec puisqu’elle n’aura jamais été réellement définie.

Ainsi, en rédigeant ce modeste billet, j’ai probablement  « fait preuve d’esprit critique », satisfaisant en ceci l’esprit et la lettre du programme d’histoire du cycle  (page 37) mais j’avoue que je ne sais pas si j’ai bien « mobilisé ma sensibilité pour questionner la part du subjectif et la portée intellectuelle et morale des stéréotypes de représentation » (ce qui est pourtant une compétence attendue en fin de cycle 4, p 26).

Je prédis donc sans aucun risque de me tromper que  Ministère et pseudo-intellectuels pourront sans aucun problème continuer à s’invectiver dans les prochaines années.

Non seulement il sera impossible à quiconque de juger du succès de cette réforme, mais il sera aussi impossible, avant trois années complètes, de valider les progrès des élèves. Le cycle 4 porte maintenant sur trois années (5ème, 4ème, 3ème) et donc les programmes tels qu’ils sont définis portent aussi sur 3 années. Le redoublement est devenu presqu’impossible mais ce n’est qu’en fin de 3ème qu’on pourra (peut-être, car rien n’est prévu) constater les éventuels décrochages.

Jamais autant de volonté d’égalité (affichée)  n’aura généré autant d’inégalité de niveau (sur le terrain).

 


[1] Moins de 10% des internautes consultent un résultat qui serait sur la deuxième page de Google. Sur Internet, la technique qui consiste à « noyer » un lien nuisible  sous une multitudes d’autres résultats positifs qui, apparaissant en page 1 de Google vont faire descendre le lien nuisible en page 2 ou 3,  est une stratégie d’e-reputation classique utilisée par les entreprises.
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