Qu’y a-t-il de plus stupide qu’un pigeon ? 3 octobre 2012
Par Thierry Klein dans : Economie,Non classé.Lu 6 827 fois | 2 commentaires
On voit fleurir un peu partout des tribunes écrites par des « pigeons » autoproclamés.
Les pigeons sont des entrepreneurs qui pleurnichent devant le nouveau projet de loi de finances pour 2013 en tapotant de façon hystérique sur la touche « vierge éplorée » de leur clavier.
Ils sont « incompris et vilipendés », « marqués au fer rouge » alors qu’ils n’ont pas « l’argent comme moteur » et qu’ils travaillent « quand même 6 jours sur 7 » (Patrick Robin, Huffington Post). La France est évidemment un pays « anti-entrepreneurs » (Marc Simoncini, Les Echos). Certains ont l’esprit tellement ouvert et généreux qu’ils ont même voté à gauche, c’est dire ! (Pierre Chappaz, Au revoir les startups).
C’est donc uniquement pour faire œuvre de bien public qu’ils mettent à profit leur expertise économique (immense, forcément immense) pour avertir « le gouvernement de profs et de fonctionnaires ignorants qui sont au pouvoir » des multiples dangers présents dans la nouvelle loi fiscale. « Une loi de finances anti-startups« , proposée après un « débat superficiel voire démagogique ». Une loi qui va les conduire, eux qui sont pourtant si altruistes « à passer aux 35h pour toucher le chômage » (Marc Simoncini) ou – bien sûr – les contraindre à s’expatrier prochainement ce qu’ils auraient évidemment du faire depuis longtemps déjà si leur générosité légendaire ne les avait pas retenus contre toute logique tant il est vrai qu’en France, « rester, c’est déjà être un peu de gauche, non ? » (Patrick Robin, futur pigeon voyageur).
J’en passe et des meilleures, tellement le style, les termes, les expressions employés sont risibles et grandiloquents. Patrick Robin (« Moi, entrepreneur ») manie pour le pire, si c’est encore possible, le style anaphorique que notre nouveau Président a déjà bien lourdement remis à l’ordre du jour. Marc Simoncini nous parle d’enfer fiscal (comme quoi, l’enfer, c’est toujours les autres). Jean-David Chamboredon qui souhaite se la jouer plus « expert », parle de « taux marginal confiscatoire, d’expropriation larvée » !
C’est donc par manque d’imagination, plus que par retenue, que le terme « racisme anti-entrepreneurs » n’a pas encore été employé. Mais cela ne saurait tarder.
Le point commun entre tous ces entrepreneurs, à part la lourdeur de leur style ? Ils sont tous (relativement) jeunes, riches et ont fait fortune rapidement dans la nouvelle économie en revendant leurs entreprises. Tout ceci n’est pas une tare mais la « création de valeur » qu’ils mettent en avant pour montrer leur expertise est toute spéculative et virtuelle. Fragile et légère comme une bulle, elle n’a eu, jusqu’à présent, aucun impact sur l’activité économique réelle.
Comme l’écrit Henri Verdier, « Il y a des gens qui souffrent plus que nous, dans ce pays comme ailleurs et je crois qu’il fait meilleur être entrepreneur en France que salarié d’Arcelor ».
La posture adoptée (dite « du pigeon ») n’est pas sérieuse. S’ils étaient réellement généreux, soucieux du bien public, tous ces entrepreneurs seraient relativement indifférents au fait d’être plus ou moins taxés.
Aucun d’entre eux n’est habilité à parler d’intérêt général, ils sont tous à la fois juge et partie. Leur avis sur la question est à peu près aussi intéressant que celui des buralistes sur le prix du tabac, des restaurateurs sur la TVA ou de Servier sur le Mediator. Ils ne peuvent être écoutés, quoi qu’ils en disent, comme des observateurs impartiaux.
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Le chien qui m’a aimé 11 janvier 2012
Par Thierry Klein dans : Animaux,Humeur.Lu 16 738 fois | 16 commentaires
Ce n’était ni le plus fort, ni le plus vif, ni le plus gai des chiots de la portée. En fait, quand j’ai visité l’élevage, Osh se tenait un peu à l’écart de la meute, comme s’il ne se sentait pas tout à fait digne d’être choisi. Quand je suis arrivé vers lui, il s’est levé doucement, m’a regardé d’un air étonné et s’est appuyé sur ma jambe gauche si fort que j’ai senti qu’il tomberait immédiatement si j’avais le malheur de me dégager trop vite. « Si tu t’en vas, je tombe aussi ». La perte d’équilibre pour garder l’équilibre. Osh aura gardé cette habitude toute sa vie, jusqu’à son tout dernier quart d’heure, hier soir. Le vide que je ressens à l’idée que ce geste n’aura plus lieu ne sera jamais comblé.
Il est devenu un braque de Weimar magnifique, d’une noblesse et d’une douceur infinies. Sous son regard, ma vie, qui était partie en lambeaux avant que je ne l’ai rencontré, s’est progressivement réparée. Sans que je m’en rende compte, il m’observait avec une attention et une discrétion extrêmes. Regard interrogateur, intense, presque translucide, mais très doux et bienveillant – inconditionnellement bienveillant.
Un jour où je rangeais tristement des pièces en bois dans une boîte, le chien a commencé à les saisir dans sa gueule et à m’assister dans ma tâche.
Quand ma fille est née et que nous sommes rentrés de la maternité, il a délaissé son coussin habituel et a passé la nuit devant sa porte. Le lendemain matin, il a ramené dans sa gueule un châton de 2 mois, Moka, abandonné dans le jardin et que nous avons élevé. Je n’aurais pas confié ma fille à n’importe quelle nounou, mais j’ai toujours eu une confiance absolue dans le chien. Ma fille, et plus tard, mon fils, ont passé des heures avec lui, à jouer ou dormir entre ses pattes – il les aimait, les protégeait. Le concept même de jalousie vis-à-vis des personnes que j’aime lui a été étranger toute sa vie.
C’était la meilleure partie de moi, ma partie la plus dissimulée, la plus instinctive. Cet air éternellement surpris et naïf, cette joie innée face aux événements les plus simples de la vie (sortir, jouer, courir ou regarder la télé ensemble), c’est la meilleure partie de moi enfouie que la vie, l’éducation, la fréquentation de la communauté des hommes m’ont appris à dissimuler.
C’était un excellent gardien et il était suffisamment imposant – et sonore – pour que personne ne cherche à embêter quiconque se tenait près de lui mais jamais je n’ai vu ce chien montrer les dents à un être humain. Moi-même attaqué, aurait-il su mordre pour me défendre ? Je pense sincèrement que non. La loi sacrée des hommes – ne jamais faire de mal à aucun autre être humain – était ancrée plus solidement en lui que chez la plupart des hommes mêmes. Une sorte de Lord Jim inversé : pas de tralala mais toujours le comportement le plus digne – il ne savait tout bonnement pas quelles étaient les autres options. « He was one of us – c’était l’un des nôtres ».
Les évènements tristes et heureux, il les a partagés avec moi. Il m’aidait, un peu par son inconscience, mais surtout par sa dignité et son mépris pour les sentiments vulgaires des hommes, à les relativiser, ce qui est une condition essentielle pour survivre.
Hier soir, il est parti en deux heures sans un cri et sans peur. En m’aimant. Une part de moi aussi est partie pour toujours.
Avec ma fille…
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