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Lettre du Général de Gaulle à David Ben Gourion (1967) 2 janvier 2024

Par Thierry Klein dans : Politique.
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(Un texte qui n’est pas de moi, pour relever un peu le niveau de ce blog)

30 décembre 1967, lettre du Général de Gaulle à David Ben Gourion réagissant à la conférence de presse du Général du 27 novembre :

« Monsieur le Président,

C’est avec grand intérêt que j’ai pris connaissance de votre lettre du 6 décembre. En effet, le vaste sujet de la renaissance et du destin de l’Etat d’Israël ne peut manquer, vous le savez, de m’attirer et de m’émouvoir. D’autant plus que le conflit qui s’est de nouveau ouvert au Moyen-Orient entraîne d’importantes conséquences qui touchent de près la France pour toutes les raisons politiques, économiques, morales, religieuses et historiques que vous connaissez. Enfin, vous n’ignorez pas que je porte à vous-même une haute considération et que je garde un vivant souvenir de ce que furent, depuis dix ans, nos relations personnelles.

C’est pourquoi l’éloquence de votre argumentation ne m’a aucunement étonné. Je sais ce que la restauration d’Israël en Palestine, telle que vous la décrivez après y avoir éminemment participé, a comporté de foi, d’audace et de difficulté et combien a été méritoire la mise en valeur de régions semi-désertiques par le nouvel Etat grâce à l’afflux de tant de Juifs venus de partout et à l’aide de tant de leurs communautés réparties à travers le monde. Vous rappelez, à juste titre, que mon pays et moi-même n’avons pas, à l’origine, ménagé notre sympathie à cette construction nationale et vous ne pouvez douter que, le cas échéant, nous nous serions opposés à ce qu’elle fût anéantie, comme le garantissaient nos entretiens officiels de naguère et le fait que j’y avais publiquement qualifié Israël d’« Etat ami et allié ».

Mais ce sont là, précisément, les raisons pour lesquelles j’ai toujours dit, – et, d’abord, à vous- même – que, pour justifier à mesure l’œuvre ainsi commencée et assurer son avenir, une stricte modération s’imposait à Israël dans ses rapports avec ses voisins et dans ses ambitions territoriales. Cela d’autant plus que les terres initialement reconnues à votre Etat par les puissances sont considérées par les Arabes comme leur bien, que ceux-ci, au milieu desquels s’installait Israël, sont, de leur côté, fiers et respectables, que la France éprouve à leur égard une amitié ancienne et naturelle, et qu’ils méritent, eux aussi, de se développer en dépit de tous les obstacles que leur opposent la nature, les graves et humiliants retards qu’ils ont souvent subis depuis des siècles du fait de leurs occupants successifs, enfin leur propre dispersion.

Certes, je ne conteste aucunement que le fâcheux blocus du golfe d’Akaba était unilatéralement dommageable à votre pays et je ne méconnais pas que celui-ci eût lieu de se sentir menacé étant donné la tension où était plongée la région palestinienne par suite des flots d’invectives prodiguées à l’encontre d’Israël en même temps que du sort lamentable des Arabes réfugiés en Jordanie ou relégués à Gaza. Mais je demeure convaincu qu’en passant outre aux avertissements donnés, en temps voulu, à votre gouvernement par celui de la République française, en entamant les hostilités, en prenant par la forces des armes possession de Jérusalem et de maints territoires jordaniens, égyptiens et syriens, en y pratiquant la répression et les expulsions qui sont inévitablement les conséquences d’une occupation dont tout indique qu’elle tend à l’annexion, en affirmant devant le monde que le règlement du conflit ne peut être réalisé que sur la base des conquêtes acquises et non pas à condition que celles-ci soient évacuées, Israël dépasse les bornes de la modération nécessaire.

Je le regrette d’autant plus que, moyennant le retrait de ses forces, il apparaît qu’une solution comportant la reconnaissance de votre Etat par ses voisins, des garanties de sécurité de part et d’autre des frontières qui pourraient être précisées par arbitrage international, un sort digne et équitable assuré aux réfugiés et aux minorités, la libre navigation pour tous dans le golfe d’Akaba et le canal de Suez, serait aujourd’hui possible dans le cadre des Nations unies, solution à laquelle on sait que la France est éventuellement disposée à concourir, non seulement sur le plan politique, mais encore sur le terrain.

Cette issue, qui ramènerait la paix au Moyen-Orient, faciliterait la concorde universelle et, suivant moi, servirait l’intérêt des peuples intéressés, y compris celui du vôtre, ne comblerait pas, je le sais, tous les désirs d’Israël. Si j’en avais douté, la lecture de votre lettre et ce que vous écrivez de ce que Chanaan, sur les deux rives du Jourdain, représente pour beaucoup de Juifs de tous les temps et d’aujourd’hui, m’en aurait apporté la preuve. Il en est de même de l’émotion apparemment soulevée chez tels ou tels d’entre eux par le fait que j’ai dit de leur peuple qu’il était « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », jugement que certains affectent de tenir pour péjoratif alors qu’il ne saurait y avoir rien de désobligeant à souligner le caractère grâce auquel ce peuple fort a pu survivre et rester lui-même après dix-neuf siècles passés dans des conditions inouïes. Mais quoi ? Voici qu’Israël, au lieu de promener partout dans l’univers son exil émouvant et bimillénaire, est devenu, bel et bien, un Etat parmi les autres et dont, suivant la loi commune, la vie et la durée dépendent de sa politique. Or, celle-ci – combien de peuples l’ont, tour à tour éprouvé – ne vaut qu’à la condition d’être adaptée aux réalités.

Je vous demande d’agréer, Monsieur le Président, avec mes sincères souhaits de nouvelle année, l’expression de mes sentiments les plus distingués et de mon meilleur souvenir. »

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