La vérité sur l’affaire Free – Google. 4 janvier 2013
Par Thierry Klein dans : Aliénation,Google,Politique.Lu 5 752 fois | trackback
1) Quel enjeu économique ? Free estime que Google prend trop de la valeur de l’internaute et met la publicité en « opt-in » (c’est son droit de vouloir rééquilibrer le business model en faveur du « tuyau », on peut juste s’étonner que personne ne l’ait fait avant). Free prend grosso modo 30€ / internaute / mois et Google a peu près la même chose (indirectement, sous forme de revenu publicitaire généré par l’Internet). Cela a donc un grand sens économique pour Free d’aller attaquer le revenu pour l’instant capté par Google. Il peut y multiplier par deux son chiffre d’affaires.
2) Que reprochent les internautes à Free ? Alors que toutes les « bonnes » pratiques publicitaires sont en opt-in, tous les internautes hurlent, par Twitter interposé, contre Free qui ne fait au fond que mettre en œuvre une politique opt-in réclamée à corps et à cri par ces mêmes internautes pour les mails… C’est surprenant sur le fond et sans doute un symptôme a) d’aliénation collective et 2) de très forte efficacité de la pub Google qui semble vue comme inséparable, voire plus importante, que le contenu. Voir aussi Comment Google contribue au rétrécissement du savoir.
3) Imagine-t-on un système similaire pour la télé, qui couperait la pub ? Oui, car il y a eu des tentatives (et même des boîtiers anti-pub qui sont sortis), la plupart du temps avortées car illégales ou fonctionnant mal. Mais la réaction du public est inverse pour la télé (cf les débats lors de la privatisation de TF1 sur les films coupés … et aussi la valeur sentimentale de mesures telles que l’absence de pub sur les chaines publiques). A la télé, les gens veulent moins de pub mais sur Google ils en veulent plus !
4) Fleur Pellerin se déclare plutôt en faveur de Google (politique opt-out), ce qui est idéologiquement contradictoire avec le fait d’être à gauche, au sens où ce qui définit la gauche, c’est – ce devrait être – la lutte contre l’aliénation. Mais aussi contradictoire avec sa position sur la presse. Car si on admet que Google « prend » trop de valeur au détriment des journaux, pourquoi ne pas être ouvert a priori à toutes les tentatives de déplacement de cette valeur ? Free vient au fond de mettre en place un mécanisme qui force Google – et potentiellement toutes les régies de pub – à discuter ! [Vous pouvez être certains que la vision « presse » n’est pas absente dans la stratégie de Free, Xavier Niel est aussi patron du Monde].
Derbière contradiction pour finir, Pellerin privilégie aussi Google, qui ne crée pas d’emploi en France, sur Free, qui en crée (au moins potentiellement). Bonjour le redressement productif.
5) Nicolas Colin, co-auteur du meilleur livre sur l’économie numérique de l’année dernière se retrouve à la tête d’une mission dont le but est de définir un nouvel impôt sur la multitude, c’est à dire sur les données. L’idée de base est que Google utilise la richesse des français pour son business et donc les données que possèdent Google, utilisées pour servir statistiquement le bandeau publicitaire le plus pertinent possible, peuvent, à ce titre, être taxées. Cela permettrait aussi de taxer Google dès aujourd’hui sans avoir à unifier les politiques de TVA européennes (doit-on taxer là où est le serveur de Google ? là où est l’internaute ?) , ce qui peut prendre 10 ans. Mais il y a pour moi un vice de fond: que se passe-t-il si une entreprise possède les données (taxables) sans pouvoir en tirer de revenu (car c’est le « tuyau » qui en profite le plus). Le modèle « Colin » taxe donc potentiellement des entreprises sans revenu. Il serait intéressant de l’entendre à ce sujet.
6) Google est réellement, fondamentalement menacé par ce genre de modèle. Il a systématiquement lutté contre toutes les tentatives de « dérive » de revenu publicitaire, même très mineures et même quand une vision à court terme aurait pu être à son avantage économique immédiat (fraude au clic, voir le cas de la fraude au clic et des moteurs de recherche solidaires ). Free a coupé aussi l’info qui permet à Google d’avoir un retour sur les clics, donc toute possibilité de chiffrage et de facturation de leur pub ! La France doit vraiment commencer à les emmerder. On est vraiment une grande puissance.
7) Quand j’étais petit, deux choses ne rentraient pas à l’école: les croix et la pub. L’église a fait tomber l’interdiction des croix depuis longtemps et Google a fait tomber l’autre barrière puisque les écoles paient des ordinateurs pour que les élèves y reçoivent de la pub. Ce que Free tente de faire pour des raisons économiques, l’état français aurait dû l’imposer à Google depuis longtemps pour des raisons politiques.
8 ) La réponse de Google est à mon avis déjà prête. C’est trop important pour eux pour ne pas réagir. Au-delà de la réponse médiatique (ça semble déjà parti) et / ou légale, je parierais qu’ils ont des possibilités déjà prêtes pour faire varier le code servant les pubs, de façon à contourner un filtrage. On peut envisager des algorithmes générant des millions de façons différentes de présenter les pubs, ceci variant à chaque seconde. A la fin, c’est le plus avancé techniquement, c’est à dire à mon avis Google, qui gagne. Et comme d’habitude sur le Net, « code will be law« .
[Cet article, écrit à la va-vite, sera revu et corrigé. En attendant, régalez-vous.]
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