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René Girard : l’avenir imprévu d’une illusion 20 mars 2005

Par Thierry Klein dans : Critiques,René Girard.
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René Girard vient d’être élu à l’Académie Française. Une reconnaissance tardive et un peu faible pour un des plus grands découvreurs de notre temps.

René Girard est un découvreur, au même titre que Newton ou Freud. Ces écrits sont exceptionnellement clairs et articulés autour de quelques découvertes fondamentales, telles que le désir mimétique (dans le Roman, dans la Bible) ou les mécanismes victimaires et la violence. René Girard, c’est un des seuls grands auteurs modernes qu’on peut lire pratiquement sans référence et sans explication externe. Vous ne pouvez pas faire ça avec Freud, qui invoque à tout moment « l’expérience thérapeutique » (souvent peu vérifiable).


Il faut lire La Violence et le Sacré et Des choses cachées depuis la fondation du monde, qui exposent ses théories tout en effectuant une lecture critique et comparative de la psychanalyse, du structuralisme et des religions. Pour ceux qui s’intéressent à la littérature, René Girard a écrit deux des cinq meilleurs livres jamais écrits sur le sujet, « Mensonge Romantique et Vérité Romanesque » et « Les Feux de l’Envie« . Le premier, écrit antérieurement à ses principales découvertes anthropologiques, est une sorte d’analyse structurale comparative de quelques grands romans (de Don Quichotte à Flaubert) que vous ne lirez plus jamais de la même façon après avoir lu Girard. Le second est une recherche systématique des « indices » de la théorie mimétique dans l’oeuvre de Shakespeare et de Joyce et est aussi d’un intérêt prodigieux.

René Girard, c’est surtout celui qui « renverse la charge de la preuve » en matière de religion dans notre monde moderne. Dans « L’avenir d’une illusion« , Freud montre le lien entre toutes les religions, en ceci qu’elles sont des illusions. Le sorcier qui danse pour faire pleuvoir est toujours dans l’illusion (même s’il pleut après sa danse, le lien entre la danse et la pluie qui s’ensuit ne peut être scientifiquement établi). Notez l’importance de ce terme « illusion », qui ne signifie pas « erreur ». Vous ne pouvez pas vous non plus montrer que le sorcier n’a pas fait pleuvoir. Mais une fois que Freud vous a parlé du sorcier dans la religion primitive, et rapproche son comportement de celui du croyant ou du prêtre dans les religions bibliques, vous constatez que tous sont indubitablement dans l’llusion (au sens défini plus haut) et la crédibilité du croyant moderne en prend, comme on dit, un sacré coup. L’entreprise de Freud est une des formes les plus réussies, au final, de dénigrement de toutes les religions, non pas en montrant l’inexistence de Dieu – Freud sait que cette inexistence est du domaine de l’indémontrable – mais en rapprochant de façon extrêmement éclairante les mécanismes communs à toutes les religions, ce qui rabaisse finalement les religions du Livre au rang de pure sorcellerie, (avec forte tendance névrotique en sus).

Durant toute la durée du XXème siècle, la révélation freudienne a constitué la théorie la plus convaincante en matière d’interprétation du mécanisme religieux. Sans postuler l’inexistence de Dieu, elle l’induit presque naturellement en créant ce concept d’illusion. Au XXème siècle, les esprits les plus éclairés, les plus indépendants ont été naturellement non religieux, un peu comme au XVIIème, les mêmes esprits étaient coperniciens. Il y avait dans les deux cas une opposition à l’Eglise, une volonté de progrès, une avance intellectuelle face à des esprits conservateurs et peu éclairés. Qu’on soit croyant ou pas, l’analyse de Freud s’impose à tout être pensant

Mais René Girard, qui est un penseur « chrétien » (whatever that means), découvre une différence structurale entre les religions tirées de la Bible et toutes les autres religions, ainsi que tous les mythes. Cette différence, c’est que les mythes (ou les « fausses » religions) se réduisent à des traces de meurtres ou de massacres racontés par les meurtiers (les « forts »), alors que la Bible effectue une révolution copernicienne (là encore je ne prends pas ce mot au hasard) en prenant dès l’origine (le meurtre d’Abel) le point de vue des faibles et en les défendant. La Bible et tous les mythes parlent bien de la même chose – comme Freud l’avait montré – mais d’une façon radicalement différente ! Et c’est ce point de vue qui rend les religions de la Bible unique et les différencie du mythe. Là encore, qu’on soit croyant ou pas, l’analyse de Girard est incontestable et aujourd’hui, si vous êtes un intellectuel, vous êtes forcé de reconnaître qu’il y a une spécificité Biblique et cette spécificité est particulièrement inconfortable si vous n’êtes pas croyant. (Bien sûr, vous trouverez toujours des intellectuels qui n’adhèrent pas à cette analyse, mais vous pouvez les ranger dans la même catégorie que ceux qui rejetaient Freud a priori sans l’avoir bien lu: ce sont, comme le « Simplicio » de Galilée, de purs conservateurs qui disent aimer la connaissance mais ne recherchent au fond que la confirmation de de leurs idées préétablies. Beaucoup d’intellectuels français sont dans ce cas – on peut même parler de mouvance majoritaire – et c’est une des raisons pour laquelle la reconnaissance de René Girard a été si tardive.

D’une certaine façon, René Girard a lui-même amplifié le phénomène de rejet en revendiquant le charactère chrétien, voire hagiographique de son oeuvre, avec une certaine délectation polémiste. Il y a d’ailleurs une évolution entre les premiers ouvrages, qui sont présentés comme des analyses objectives conduisant à une spécificité Biblique mais où le côté apostolique de l’auteur est masqué et les ouvrages plus récents où l’aspect hagiographique est plus clairement revendiqué. En outre, l’analyse de Girard conduit à privilégier nettement la religion chrétienne parmi les religions bibliques car René Girard effectue une analyse très poussée et totalement originale de la Passion du Christ présenté comme un exemple particulièrement pur et « révélateur » de la position du Faible. Là encore, la force de l’analyse est indéniable et induit « mécaniquement  » le lecteur à une hiérachisation des religions où la religion chrétienne serait une sorte d’aboutissement ultime de la religion juive. C’est une thèse classique de l’Eglise qui a conduit des milliers de juifs au bûcher où à la conversion forcée au moyen-âge. L’oeuvre de René Girard est donc invoquée par les clans catholiques les plus conservateurs mais la profonde méfiance que nous éprouvons à leur égard ne constitue pas une raison suffisante pour refuser son analyse.

En revanche, sa responsabilité d’homme et de scientifique est mise en cause à ce titre. Freud n’a pas publié d’oeuvre critique de « L’avenir d’une illusion » car il pensait clairement, scientiste obtus mais sincère, avoir définitivement réglé le problème et en ceci son absence de position critique est moralement pardonnable. Pour avoir renversé et détourné l’argumentation de Freud à son profit, d’une façon parfois presque comique tellement les méthodes utilisées sont parallèles, Girard ne peut ignorer l’aspect profondément relatif de ses démonstrations ni le fait qu’elles s’inscrivent dans le contexte historique dont j’ai parlé plus haut. Galilée a su critiquer de façon extrêmement poussée son point de vue dans les « Dialogues sur les 2 systèmes du monde » (même en restant partiaux, ce qui lui a valu sa condamnation, les Dialogues exposent de façon très forte et complète les arguments des adversaires du mouvement de la terre et vont même au delà: les objections les plus fortes contre la théorie Copernicienne proviennent de Galilée lui-même). Mais la critique de Girard par Girard reste à venir. Les dernières oeuvres, en particulier, ne présentent plus que les arguments favorables à ses théories et excluent les textes bibliques ou les thèses critiques les plus gênants, qu’ils soient ou pas invoqués aujourd’hui par ses adversaires. En privilégiant ainsi l’oeuvre de foi à l’oeuvre scientifique, en laissant la critique de son oeuvre à des détracteurs aujourd’hui plus faibles que lui et peu capables de l’attaquer à son niveau, René Girard privilégie à court terme le succès de ses théories mais en réduit probablement demain l’universalité et la portée. (De la même façon, en miroir, une partie de l’oeuvre de Freud souffre aujourd’hui de l’absence de toute critique réelle du concept de complexe d’Oedipe par Freud, même si c’est le complexe d’Oedipe qui est responsable en grande partie de sa notoriété – il est toujours difficile de bien critiquer ce qui a fait sa gloire, mais la grandeur scientifique ultime est à ce prix. Que reste-t-il de Galilée aujourd’hui ? Le principe d’inertie et les Dialogues.

Ce qui manque à l’oeuvre de Girard: une vraie critique « socratique » de Girard par Girard, quelle qu’en soit la forme. Si vous l’approchez un jour, faîtes-lui part de ma demande !

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Commentaires»

1. Le weblogue de Thierry Klein - 23 mars 2005

Guy Lacombe a lu René Girard

Guy Lacombe, c’est l’entraîneur soupe au lait de Sochaux. Le genre de gars qui hurle sur l’arbitre, se fait expulser et prend en prime 1 mois de suspension de terrain. Bon, dans ce cas, moi je la fermerais. Mais Guy Lacombe est un fin lettré et déclare…

2. paraclet - 5 juin 2005

le commentaire de l’oeuvre de René Girard est très bien fait, et je trouve astucieux, de demander à René Girard de faire son autocritique.Il existe certains points de son oeuvre qui pourront être revus, éclaircis, nul n’étant infaillible, mais en ce qui concerne le centre de la théorie, qui est la révélation du mal social,pour en faire la critique, en fait la critique de la critique, il se trouve toujours des coupeurs de cheveux en quatre pour tenter la métaphysique.

3. In Christo - 15 septembre 2005

Le langage philosophique
est aux antipodes du langage
réaliste de René Girard.

Le langage philosophique,
c’est le langage fort,
versus le langage vrai.

C’est le point aveugle de notre
servitude ; c’est le langage
de Tartuffe ; c’est ce qui donne
le moyen de désagréger l’esprit
et de couper la vérité en herbe.

<< La Vérité vous rendra libre >> :
Jésus Christ.

4. sriou - 13 octobre 2005

Bonjour,

« C’est une thèse classique de l’Eglise qui a conduit des milliers de juifs au bûcher où à la conversion forcée au moyen-âge. »

C’est une « thèse » classique : attention de ne pas faire l’amalgame entre l’analyse de RG et le point de vue qui considère que l’achévement du judaisme dans le christianisme a conduit aux pires crimes contre l’humanité… qui est ma foi, une thése classique fort répendue.

« L’oeuvre de René Girard est donc invoquée par les clans catholiques les plus conservateurs mais la profonde méfiance que nous éprouvons à leur égard ne constitue pas une raison suffisante pour refuser son analyse. »

« clans catholiques les plus conservateurs » : si vous avez un lien, une référence qui montre cela je suis prenneur ! J’ai vraiment beaucoup de mal à voir des conservateurs catholiques (lire et ) reprendre RG…
Déjà que ceux qui ne sont pas « conservateurs » ont du mal à aller au delà de la quatrième de couverture des livres de RG…

Bien cordialement à vous,

5. Thierry Klein - 14 octobre 2005

Pour la « thèse classique », je ne comprends pas très bien votre remarque. Je dis simplement que la lecture de Girard conduit à voir le Christianisme comme une évolution, morale et religieuse du Judaïsme, au sens où l’Homo Sapiens est une évolution de l’Homo Neanderthalis… C’est bien cette vision qui conduisait à brûler et convertir des gens « pour leur bien ». Evidemment, l’Eglise ne tue plus personne depuis bien longtemps – pour ce qui est de la conversion, vous seriez peut-être surpris d’entendre ce qu’en pensent encore « les clans les plus conservateurs ». Voir par exemple les refus de restitution des enfants juifs baptisés pendant la guerre de 39-45.

Effectivement, je n’ai pas beaucoup d’exemples à vous donner, ceci dit, concernant « les clans les plus conservateurs ». Peut-être d’autres lecteurs en auront-ils (je n’ai pas vraiment cherché). Ce sentiment vient plutôt de discussions que j’ai pu avoir ces dernières années.

Juste 3 points mineurs:

– Le commentaire qui précède le votre dénigre le « langage philosphique » au profit du « langage vrai ». Si vous le décodez un minimum, c’est une ode à l’obscurantisme (au sens où l’obscurantisme est la lutte de l’intuition religieuse contre la raison). Je pense que ce cas n’est pas isolé parmi les fans (je n’ose dire les adeptes) de Girard.

– Girard lui-même me semble avoir évolué au cours du temps de façon à « lisser » les aspects les moins catholiques de son oeuvre. Par exemple, l’interprétation non sacrificielle de la mort du Christ, qui est à mon avis une des meilleures parties de la Violence et le Sacré est niée (je n’ai pas dit réfutée) dans un de ses plus récents ouvrages. (Il y a pas mal d’exemples similaires).

– Jacques Attali, un grand admirateur de Girard, a un sentiment similaire au mien (1) lorsqu’il écrit, récemment : »soixante ans après la Shoah, il redevient possible pour l’un des plus grands philosophes chrétiens français, René Girard, d’expliquer dans la presse française tout le bien qu’il pense de la version antisémite de la Passion donnée par le film de Mel Gibson. »

(1) Sur Girard, pas sur le film de Mel Gibson, que je n’ai pas vu.

6. Caroline - 21 octobre 2005

Bonjour,
Merci pour votre sujet qui me passionne. Voilà ce que je pense de René Girard :
En effet, il y a eu un premier Girard qui était scientifique, objectif, et dont l’analyse des Evangiles montrait leur spécificité, en ce qu’Ils étaient le commencement de la fin de la pensée magique (= dénonciation du mensonge de la culpabilité du Christ qui est une victime impotente et non toute puissante, dénonciation de l’illusion dont parle Freud, cf Evangile selon Saint Matthieu, par exemple, sur Dieu qui fait briller le soleil et tomber la pluie sur les justes comme sur les injustes, sur les gentils comme sur les méchants). Il démontre que les Evangiles ont en eux le germe de la destruction de toutes les religions, même la chrétienne si on suit le raisonnement jusqu’au bout.
Or, dans le deuxième Girard des oeuvres postérieures, il effectue un tour de passe-passe des plus étonnant : il n’y a plus la pensée magique qui est Le mensonge mais la pensée magique païenne et fausse et la pensée magique chrétienne et vraie ! Ainsi, toute religion non judéo-chrétienne est menteuse car sacrificielle et le christianisme non. Par un mystère qu’il n’explique pas (la foi probablement), René Girard refuse « de faire travailler sa théorie », d’appliquer au christianisme (c’est-à-dire au travers de l’institution qu’est l’Eglise avec ses rites et ses dogmes qu’il justifie tous, ainsi que les textes – dont les Evangiles en partie eux-mêmes dont il choisit soigneusement les passage ; mais aussi à la communauté des croyants qui pratique donc une pensée magique « chrétienne ») la critique de la pensée sacrificielle qu’il avait développé dans un premier temps. Veut-il nous faire croire qu’un mensonge n’en est pas un quand il est fait au nom de l’Amour du prochain ou bien que s’il semble inoffensif car « bon », il se justifie et devient véridique ? Il y aurait donc une hiérarchie « morale » avec une mauvaise pensée magique quand elle veut faire le mal et une bonne pensée magique quand elle veut faire le bien. Ce raisonnement nous amènerait à deux équations bizarres, où mauvais = faux et bon = vrai !
Pour ma part, je pense que l’amour ne doit absolument pas justifier le mensonge et que le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il est justement souvent très difficile de décortiquer la complexité des intentions humaines et le dérapage « bon à mauvais » peut être rapide et surtout inaperçu par l’auteur : la pensée magique est un mécanisme. C’est un mode de pensée encré en nous puisque tous les humains partagent sa pratique dès l’enfance. C’est donc pour les occidentaux que nous sommes un reflex puissant qui surgit quand la pensée rationnelle que nous avons mis des millénaires à faire surgir et à adopter à la sortie de la petite enfance, ne nous satisfait plus (souvent dans les moments de frustration). Il ne faut surtout jamais oublier que la pensée magique a quasiment toujours à voir avec la déresponsabilisation des problèmes du sujet qui la pratique et la recherche d’un coupable humain sur qui il projette la responsabilité de ses ennuis. Quand il ne s’agit d’atteindre la victime que grâce à des aides magiques surnaturelles qui restent virtuelles, tout cela n’est pas trop grave, mais il y a tant d’exemples autour de nous où le dérapage a lieu dans le réel, qu’il ait été « canalisé » dans des rites ou bien spontané dans un lynchage collectif…
J’aimerai que des lecteurs de ce blog me disent ce qu’ils pensent de tout ça, car parfois je me demande si je suis la seule à m’inquiéter du retour en force de la pensée magique en occident, de manière si multiforme (engouement pour l’astrologie, et autres « sciences » ésotériques, le vaudou et j’en passe). Pour l’instant elle se contente de rester dans la sphère du privé et n’envahit pas le champ professionnel (il semble que les impératifs de rentabilité nous tiennent pour l’instant éloignés de l’irrationnalité), mais elle envahit les médias de manière de plus en plus inquiétante….
En tous cas je suis comme vous en ce qui concerne le christianisme : je reste sur ma fin et j’aimerai qu’un fin connaisseur en résolve les contradictions qui me semblent tellement absurdes. Juste par exemple : comment est-il possible qu’un dieu qui n’est sensé être qu’amour et pardon condamne l’âme des morts à aller en enfer (=c’est sensé être très douloureux) ? J’ai toujours pas pigé…

7. Thierry Klein - 21 octobre 2005

Je pense qu’il faut distinguer entre la lecture des textes fondateurs du christianisme, qui sont dans le champ de recherche de Girard et les positions de l’Eglise Catholique en général, qui peuvent théoriquement être (ou au moins avoir été) en contradiction avec les conclusions du chercheur et avec ces textes fondateurs eux-mêmes. Girard dans ses écrits est évidemment conscient que l’Eglise Catholique ne s’est pas toujours comportée de façon chrétienne. Il le justifie par le fait que la Révélation n’est pas instantanée, même pour ceux qui se disent catholiques – ce que je peux comprendre. En revanche, il écrit aussi (en gros) que la supériorité de l’Occident (démocratique, politique, scientifique) provient de cette Révélation dont au final, l’Eglise aurait été une sorte de courroie imparfaite – mais courroie quand même. Pour moi, c’est une ânerie dogmatique, du même esprit que le bilan « globalement positif » dont se réclamaient certains communistes quand on leur parlait des massacres de Staline.
Les thèmes tels que l’Enfer, etc… restent en dehors du champ de recherche de Girard, mais pas de Freud évidemment qui parlerait d’illusion.

Quant à ce que vous appelez « pensée magique » en occident, je pense qu’elle est évidemment présente, mais pas forcément en augmentation. Il y a des engouements de ce type à toutes les époques, dans presque toutes les civilisations…J’ai quand même l’impression que ça va un peu mieux qu’au moyen-âge, non ?

8. sriou - 25 octobre 2005

RE-bonjour,

– 1 —
« C’est bien cette vision qui conduisait à brûler et convertir des gens "pour leur bien".»

Je m’expliciterai plus sur ce sujet après quelques recherches, mais il me semble que vous vous faites bien porteur d’une idéologie (doxa)… du même genre que celle circulant sur l’inquisition. Ce qui me dérange un peu, vu la rigueur de votre analyse de RG. Par contre je réfute le fait que «cette vision» (de RG) implique nécessairement «à brûler et convertir des gens "pour leur bien"». Si, comme je le disais dans ma phrase précédente, de tels faits sont avérés, il y a faute de raisonnement de vouloir attribuer à la vision du monde présente la réalité des actes. Autrement dit, ce n’est pas parce que le christianisme est vu comme une évolution du judaïsme et qu’au même moment il a eu des exactions contre les juifs que c’est à cause de cette pensée que forcément il y a eu cela. Je sens un peu de bouc émissaire la dedans… et à un double niveau : une première fois pour les juifs et une seconde fois maintenant, sur l’Église…

— désolé si je ne suis pas plus clair, la prochaine fois, promis, je n’écrirai pas pendant la nuit ;-).

– 2 —

« c’est une ode à l’obscurantisme […]. Je pense que ce cas n’est pas isolé parmi les fans (je n’ose dire les adeptes) de Girard. »

Excusez-moi de me citer mais : « Déjà que ceux qui ne sont pas " conservateurs " ont du mal à aller au delà de la quatrième de couverture des livres de RG… »
J’ai vraiment — vraiment — du mal à voir des méchants obscurantistes se réunir pour lire et étudier RG. Quant aux fans et adeptes de RG, je les cherche désespérément dans le no man’s-land intellectuel chrétien… C’est que je ne dois pas regarder au bon endroit, mais ce n’est pas faute d’essayer !

– 3 —

Votre point deux, à propos du lissage des aspects moins catholiques de son œuvre. Ses explications sur le passage du non-sacrificiel au sacrificiel me semble cohérentes et rentrer dans la logique de ses analyses ultérieures. De tête, (je n’ai pas mes ouvrages de RG accessible ce soir et je ne travaille pas particulièrement sur cet aspect de sa réflexion), il considère que contrairement à sa première interprétation où il voyait le christ dénoncer par une attitude non sacrificielle le sacrifice (ce qui peut se comprendre logiquement, le non-A permettant de faire apparaître le A). Depuis, il considère que la passion [j’y reviens dans mon point 4] est le parangon de tous les mythes à une différence près [mini réponse à Caroline]
qu’il est construit sur la révélation de la vérité et non sur le mensonge. J’aimerai vous demander justement votre intérêt dans l’interprétation non sacrificielle de la mort du christ.

Juste au passage, une partie que je trouve extraordinaire de la Violence et le sacré et le chapitre VII pp. 225-256, 260, 262 et 264… dans lequel RG fait une relecture de Freud… qui est passée inaperçue, il me semble.

– 4 —

Peut-être faudrait-il consacrer un article de blog à la passion de Mel Gibson.

Pour moi, j’ai une incompréhension profonde de la non-analyse de RG sur ce film. Pour avoir suivi l’affaire à l’époque, la position de RG sur le film a été plus de vouloir voir en lui un cas d’emballement mimétique de la presse qu’autre chose. Mais en se fixant sur cet aspect il a laissé passer, me semble-t’il un certains nombres d’erreurs (d’un point de vue girardien) dans le film :

1 – La personnification de Satan (c’est une question théologique importante, mais il ne me semble pas — à ce que je me rappelle — que RG soit pour une personnification de satan, mais plus pour un principe satanique.

2 – Plus important, car l’on peut penser que c’est pour une raison cinématographique que Satan est personnalisé, c’est les moments où il apparaît.

Ce n’est jamais les moments d’emballement mimétique ni de mensonge. Vous reconnaîtrez, je pense, que c’est un comble quand on connaît les positions de RG !

3 – Et je m’arrête là (pour l’instant) : Une contradiction totale avec son ouvrage sur Job : la route antique des hommes pervers. Dans le film, il y a une vision d’un Dieu punisseur. Particulièrement lorsque le mauvais larron se fait crever un œil par un corbeau juste après avoir insulté Jésus et lorsque le méchant prêtre du temple se prend une pilier sur la tête lors de la destruction du temple… Faisant ainsi croire que la violence qui s’abat sur les hommes est l’œuvre de Dieu. Encore une fois, cela me semble en contradiction avec RG qui justement affirme que la violence des hommes n’est pas due à Dieu mais aux hommes eux-mêmes (à cause particulièrement du désir mimétique)…

Voilà,

Toujours bien cordialement,

9. Thierry Klein - 25 octobre 2005

Pour sriou.
Merci pour votre commentaire. De mon côté je pense que je tends rapidement vers mon niveau d’incompétence !
Mais sur votre point 1 au moins, je suis 100% d’accord avec vous et je ne pense pas faire d’amalgame. Voir mon commentaire précédant le votre, en réponse à Caroline.
Sur votre point 3, je n’ai pas d’intérêt particulier mais je comprends l’interprétation non-sacrificielle qui me semble logique et cohérente. Alors que je ne comprends pas du tout cette phrase : « la passion est le parangon de tous les mythes ». Que signifie-t-elle pour vous ? (et moi aussi il faudrait que je relise ce qu’il écrit sur le sujet mais soit j’avais trouvé ça peu convaincant, soit peu compréhensible). Je privilégie juste ce que je comprends sur ce que je ne comprends pas.
Sur le reste il se fait tard aussi pour moi mais j’essaierai a) de comprendre et b) de répondre (si je réponds ce soir, je sens que je vais suivre le processus inverse)

10. Paraclet - 12 décembre 2005

La Vérité Vaincra !

11. Nicolas - 6 juin 2006

Bonjour à tous,
Bonjour Thierry,

Je viens de créer une liste de discussion sur René Girard. Nous sommes peu nombreux pour l’instant et j’essaie de recruter des lecteurs de Girard. Je vous joins l’accueil de la liste, dans l’espoir que cette dernière vous intéresse et que nos échanges éclairent le débat.

– – –

Une question à "In Christo" : pourriez-vous indiquer la référence de votre citation de JC?

Cordialement,
Nicolas Messina

12. Nicolas - 6 juin 2006

La page d’accueil n’étant pas apparue lors de mon précédent envoi, la voici :
fr.groups.yahoo.com/group…

13. Thierry - 7 juin 2006

In Christo a peut-être un peu trop fumé du Freud !

14. Jacques Attali - La crise et après ? - 19 janvier 2009

[…] Pour Jacques Attali, les coupables de la crise sont un noyau d’initiés cupides, qui maîtriseraient les arcanes de la finance internationale. Je pense pour ma part que ce sont des bouc-émissaires commodes et j’emploie, vous le savez, ce mot au sens de Girard. […]

15. Une explication mimétique de la crise financière (pourquoi nous sommes tous coupables) - 28 janvier 2009

[…] est extrêmement efficace parce qu’elle apporte de l’énergie à un moteur qui, Girard l’a montré, est à la source des sociétés humaines : la rivalité […]

16. Des points de structure communs à Lord Jim et au Grand Meaulnes (2). - 3 décembre 2010

[…] On peut rapprocher cette structure de celle du Livre de Job, une des premières histoires connues d’un homme accusé par ses « amis ». Mais Job, n’admettant pas sa culpabilité, n’est pas un héros victime de l’illusion romantique. (Pour la Bible, la culpabilité est une illusion – voir Girard sur ce sujet). […]

17. Laurent Le calvez - 19 mars 2012

Riche discussion Merci beaucoup… Le propos de caroline sur la pensée magique et donc la dévalorisation qu’elle lui donne me laisse songeur.
La pensée magique qui est le nom que l’on donne à la pensée religieuse pour la dévaloriser ‘est elle qu’un stade dans l’évolution de l’homme ou une structure de la pensée humaine ?